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La Loi sur les Indiens

Projet de loi modificatif--Troisième lecture

4 décembre 2025


L’honorable Paul (PJ) Prosper [ + ]

Honorables sénateurs, je prends aujourd’hui la parole au sujet du projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription), pour ce que j’espère sincèrement être la dernière fois.

Mardi, le Sénat a dû répondre à une question cruciale : fait-il assez confiance au travail accompli par le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones pour adopter son rapport, avec propositions d’amendements, rapport qui, je vous le rappelle, a été appuyé à 10 contre 1 par les membres du comité?

En prévision de ce vote important, mes collaborateurs et moi avons discuté avec les Grands Chefs, les Chefs, les conseillers, les jeunes, les organismes et les personnalités influentes qui étaient à Ottawa à l’occasion de l’Assemblée extraordinaire des Chefs de l’Assemblée des Premières Nations. Même si nous savions qu’une trentaine ou une quarantaine d’entre eux étaient intéressés, ce sont plutôt 100 personnes qui sont venues nous faire part de leur témoignage.

De très nombreuses personnes m’ont ensuite confié à quel point elles étaient fières de savoir qu’un des leurs avait pris la parole en leur nom dans cette auguste enceinte. Toute la journée, je me suis fait aborder par des Chefs et des participants que je n’avais jamais rencontrés auparavant et qui me faisaient part des mêmes sentiments.

Même si je suis conscient que cette façon de faire portait atteinte au protocole, j’ai trouvé que c’était un moment magnifique parce que les Premières Nations ont parcouru beaucoup de chemin entre le moment où elles étaient incapables de voter à celui où elles sont représentées dans les deux Chambres du Parlement. Il fut un temps où les parlementaires adoptaient des lois destinées à nous éradiquer; aujourd’hui, ils se portent plutôt à la défense de nos droits inhérents.

Pour une Chambre dont l’existence est sans cesse menacée, notre débat à l’étape du rapport a prouvé à ceux qui étaient présents dans la salle et à ceux qui écoutaient chez eux que le Sénat est un élément essentiel de notre démocratie. Il a été gratifiant d’entendre à maintes reprises des variations sur le thème suivant :

Je ne savais pas vraiment ce que faisait le Sénat. J’ai été très impressionné par la façon dont vous nous avez défendus et je suis très fier de vous.

Je tenais à ce que tous les sénateurs entendent ces mots, dans l’espoir que vous ressentiez de la fierté à l’égard de notre travail et de notre participation à un débat aussi important et historique.

Attardons-nous un peu sur ces mots, « un débat important et historique ». Je suis reconnaissant du soutien que m’ont accordé les détenteurs de droits dans tout le pays, mais je suis également conscient de la grande responsabilité que me confèrent leur confiance et leur foi. Je suis conscient du fait que, chaque fois que je prends la parole dans un comité, chaque fois que je prends la parole au Sénat et chaque fois que j’entreprends une initiative, je dois veiller à respecter les valeurs et les enseignements de mes ancêtres et à promouvoir des changements qui profiteront aux sept prochaines générations du peuple l’nu dans ce pays.

À plusieurs reprises au cours du processus, j’ai vécu des moments qui m’ont semblé presque surréalistes. Même dans mes rêves les plus fous, je n’aurais jamais pu m’imaginer que, en tant que membre d’un comité sénatorial, je lirais une modification visant à abroger le paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens. Je me souviens m’être dit : « Suis-je vraiment en train de faire ça? »

Je n’aurais jamais cru pouvoir compter parmi mes amis des guerrières comme Sharon McIvor, Pam Palmater, Mary Eberts, Shelagh Day, Jeannette Corbiere Lavell, Dawn Lavell-Harvard, la Cheffe Marilyn Slett, Cora McGuire-Cyrette, Zoë Craig-Sparrow et Rachel Singleton-Polster, avec qui j’ai eu l’immense honneur de travailler. Hier encore, je participais à un groupe de discussion à l’Assemblée des Premières Nations avec Sharon McIvor, et elle a reçu une ovation debout dès qu’on lui a demandé de monter à la tribune. C’est dire à quel point sa contribution à la lutte pour l’égalité et l’inclusion a été importante.

Maintenant, les sénateurs sont appelés à écrire leur propre chapitre dans cette histoire de lutte contre la discrimination inscrite dans la Loi sur les Indiens, histoire qui remonte à plusieurs décennies.

Les modifications visant à éliminer l’exclusion après la deuxième génération et la date limite de 1985, et à rétablir la règle du parent unique n’ont jamais été une option pour moi. J’ai toujours estimé qu’elles faisaient partie de ma responsabilité d’écouter mes aînés et ma communauté.

La règle de l’exclusion après la deuxième génération a été imposée unilatéralement par le Canada en 1985 dans le cadre du projet de loi C-31 comme moyen d’éliminer ce qu’on appelait le « problème indien ». Cette règle signifiait que nous finirions par être assimilés à la société canadienne, car les législateurs de l’époque savaient que nous ne pourrions pas survivre si nous étions obligés de nous marier entre nous uniquement pour préserver notre statut.

Par le libellé de ce projet de loi, le Canada a également créé une réalité absurde, où les frères et sœurs de mêmes parents peuvent avoir des statuts différents, et donc des droits différents en ce qui concerne la transmission du statut — ce qui signifie que des grands‑parents pourraient dorénavant avoir un mélange de petits‑enfants inscrits et non inscrits. Certains petits-enfants pourraient accéder à des programmes, à des services de santé et à de l’aide pour les études, et ce, en conformité avec la responsabilité légale et fiduciaire du gouvernement envers les Premières Nations ainsi qu’avec ses responsabilités en vertu des traités. En revanche, d’autres petits-enfants n’auraient pas accès à ces avantages.

Le retour à une règle permettant la transmission du statut par un seul parent ferait en sorte que les femmes victimes d’inceste ou de viol, ou dont le conjoint refuse de signer les papiers visant à reconnaître ses enfants comme moyen d’abuser d’elles ou d’exercer un pouvoir sur elles, n’auraient pas à aller voir leurs Chefs, les larmes aux yeux, pour les supplier de signer les documents en tant que père afin que leurs enfants puissent avoir un statut.

Il ne s’agit pas de situations théoriques. Il s’agit d’expériences réelles vécues par les Premières Nations partout au pays. J’ai entendu d’innombrables témoignages de personnes provenant des quatre coins de notre pays. Les décisions que nous rendons dans cette Chambre auront des répercussions au fil du temps et elles entraîneront des changements bénéfiques à long terme.

Certains allégueront qu’une vague sans précédent de faux Autochtones se manifestera et que des personnes ayant un parent autochtone éloigné ayant vécu il y a 100 ans seront soudainement inscrites. C’est tout simplement faux. L’exclusion après la deuxième génération est une disposition qui date de 1985. Cela signifie que les personnes visées par le paragraphe 6(2) sont âgées de 40 ans ou moins. Il faut garder à l’esprit qu’il s’agit de reconnaître légalement le statut de leurs enfants et, dans certains cas, de leurs petits-enfants. Nous parlons d’enfants qui sont des descendants en ligne directe.

Selon les données de Statistique Canada, ces modifications toucheraient environ 300 000 personnes au cours des 40 prochaines années. Cela représente environ 7 000 personnes par an, réparties dans 634 bandes.

D’autres opposants à ces modifications évoqueront les implications financières. Dans les faits, le financement des communautés autochtones est déterminé en fonction du nombre d’habitants. Plus les délais s’étireront avant de reconnaître le statut de ces enfants, plus les communautés autochtones devront piger dans leurs revenus autonomes pour soutenir ces membres de leur communauté, alors que ces revenus sont normalement destinés à réduire la dépendance des communautés autochtones aux transferts gouvernementaux.

D’autres encore dénonceront la dilution des lignées. Quelques minorités se sont exprimées sur la nécessité d’imposer une sorte de limite. Ce n’est pas un enseignement autochtone avec lequel j’ai été élevé. Les autres nations qui en sont convaincues sont certainement en mesure de définir leur propre code en vertu de l’article 10 de la Loi sur les Indiens. Beaucoup l’ont fait.

De même, il convient de noter que le statut n’affecte pas la capacité d’une nation à déterminer l’appartenance. L’admissibilité à l’appartenance à une bande peut être adaptée en vertu de l’article 10. L’appartenance peut être déterminée dans un accord officiel d’autonomie gouvernementale. Le statut est la relation juridique entre un Indien au sens de la Loi sur les Indiens et la Couronne. Il n’est pas facile de se dégager de cette relation. Il faudra des décennies, voire des générations, avant que les Premières Nations puissent se libérer véritablement de la Loi sur les Indiens. C’est dire à quel point cette politique coloniale, patriarcale et raciste est profondément ancrée dans la vie des Premières Nations.

Lors de l’étude article par article de ce projet de loi et tout au long de l’étape du rapport, j’ai été ravi d’entendre le sénateur Moreau parler de l’engagement du gouvernement à mener une véritable consultation significative. J’espère sincèrement que cet engagement sera respecté uniformément dans toutes les initiatives à venir du gouvernement, car je n’ai pas vu de consultations être menées avant la réduction du financement associé au principe de Jordan ni lorsque le gouvernement a annoncé être prêt à considérer la construction d’un pipeline qui nécessiterait une exemption partielle de l’interdiction des pétroliers au large des côtes de la Colombie-Britannique, une mesure largement dénoncée par les Premières Nations de cette province.

Sénateurs, nous avons entendu les représentants de 28 des 75 nations, communautés et organismes prenant part au processus collaboratif au sein du comité. Ils ont clairement indiqué qu’ils avaient été contraints par le Canada de se lancer dans un nouveau processus, alors qu’ils souhaitaient en fait ne plus discuter de cette question et passer à l’action dès maintenant.

La Grande Cheffe Kyra Wilson, de l’Assemblée des chefs du Manitoba, qui représente 6 des 75 participants au processus collaboratif, a déclaré :

Je suis ici pour parler de la question qui menace la survie de nos nations, à savoir l’utilisation par le Canada du paragraphe 6(2) de la Loi sur les Indiens comme politique de génocide prévu par la loi.

Je sais que nous sommes ici pour parler du projet de loi S-2 et de la façon dont il vise à corriger certaines de ces injustices et traite de l’émancipation, mais il ne s’attaque pas au préjudice plus profond qui est enchâssé dans la loi. À l’heure actuelle, ce que nous voyons, c’est que le Canada continue de décider qui sont nos gens. Pour moi, c’est un problème. Je sais que bon nombre de nos Premières Nations considèrent aussi cela comme problématique.

Voici ce qu’a dit Marilyn Slett, Cheffe élue du Conseil tribal Heiltsuk et secrétaire-trésorière de l’Union of British Columbia Indian Chiefs, qui représente 21 des 75 participants au processus collaboratif :

En ce qui concerne la disposition relative à l’exclusion après la deuxième génération, notre position n’a pas bougé : elle doit être supprimée de la Loi sur les Indiens, et nous devons revenir à la règle du parent unique en vigueur avant 1985. Elle doit s’appliquer uniformément aux hommes et aux femmes afin d’éviter l’extinction légiférée. La suppression de la disposition sur l’exclusion après la deuxième génération bénéficie de l’appui de militants, du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes des Nations unies, ou CEDAW, et elle est explicitement réclamée par les Premières Nations dans leurs résolutions.

Au cours d’une conférence de presse sur le projet de loi S-2, le Grand Chef Norman Sylliboy du Grand Conseil des Mi’kmaqs a dit ceci :

Nous voulons que le Canada mette immédiatement fin à la discrimination envers les Mi’kmaqs dans la Loi sur les Indiens. Le Canada continue de retarder la fin de cette discrimination.

En vertu de la Constitution du Canada et de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, le Santé Mawio’mi a le droit de déterminer qui est Mi’kmaq.

En adoptant la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en 2021, le Canada s’est engagé à rendre la Loi sur les Indiens conforme à la Déclaration.

Le Santé Mawio’mi soutient pleinement les amendements proposés par le sénateur Prosper visant à mettre en œuvre nos droits constitutionnels et nos droits de la personne fondamentaux.

Honorables sénateurs, notre comité a entendu à maintes reprises qu’il était temps d’agir.

Je veux faire part aux sénateurs de quelques observations concernant la chronologie qui proviennent du site Web du gouvernement sur le processus de collaboration.

Tout d’abord, la chronologie qui a mené au processus de collaboration montre que nous discutons de la fin de l’exclusion après la deuxième génération depuis sept ans, sous trois ministres différents. Nous savons que la ministre Gull-Masty a seulement relancé le processus de collaboration en septembre 2025. Cela s’ajoute à tout le travail qui a été accompli au cours des 40 dernières années.

Le site Web précise ensuite que les activités et les événements liés au processus de consultation comprendront du temps pour l’évaluation de la viabilité et de l’impact juridique d’une solution proposée par un groupe d’experts. Pam Palmater, qui fait partie de ce groupe, m’a informé que celui-ci n’avait pas encore été formé.

Nous savons aussi que le 28 octobre 2025, lors de la période des questions au Sénat, la ministre Gull-Masty a refusé de préciser un échéancier pour la fin de ces consultations. Elle a dit :

Je ne donnerai pas d’échéancier pour une raison bien précise. Je ne presserai pas les communautés avec lesquelles je travaille pour trouver une solution qui respecte l’échéancier d’un organisme extérieur. Il faut respecter les partenaires avec qui nous menons des consultations. Il faut leur donner la latitude dont ils ont besoin pour faire ce travail. Je sais et je sens que le Sénat est vraiment pressé de s’attaquer à cette question, et je partage ce sentiment d’urgence.

Chers collègues, tout comme les autres sénateurs favorables à ces amendements, je n’ai jamais remis en question la sincérité du désir exprimé par le ministre Gull-Masty de mettre fin à l’exclusion après la deuxième génération, mais je suis obligé de tenir compte de certaines réalités.

La première, c’est que le gouvernement est minoritaire. Nous avons sûrement tous le souvenir de l’atmosphère tendue qui régnait sur la Colline du Parlement, alors qu’on se demandait si le budget allait être adopté à l’issue d’un vote de confiance à l’autre endroit. Nous avons évité de justesse la tenue d’élections en hiver. Qu’adviendra-t-il des enfants touchés par l’exclusion si le gouvernement tombe avant la fin des consultations? Qu’arrivera-t-il aux enfants si le gouvernement n’arrive pas à faire adopter un projet de loi distinct à temps? Avec ces amendements, qui prévoient un délai d’un an avant l’entrée en vigueur, nous offrirons un filet de sécurité en cette période incertaine et imprévisible.

Lorsque le projet de loi C-38, le prédécesseur du projet de loi S-2, est mort au Feuilleton au cours de la dernière législature, nous ne pouvions pas prévoir que la vice-première ministre et ministre des Finances de l’époque allait démissionner de son poste et déclencher ainsi une suite d’événements qui allaient mener à la démission du premier ministre de l’époque, à une course à la direction du Parti libéral, à la dissolution du Parlement et à des élections au printemps. Avec un gouvernement minoritaire, nous ne pouvons rien tenir pour acquis.

Un autre scénario serait celui où la ministre serait en mesure de déposer un projet de loi distinct qui ouvrirait aux Premières Nations la voie vers la citoyenneté véritable et l’autodétermination. Je me suis adressé au Bureau du légiste et conseiller parlementaire, où l’on m’a assuré que des dispositions de coordination pourraient être rédigées pour tenir compte de ces amendements s’ils étaient adoptés.

Je tiens également à souligner que la transition vers la citoyenneté prend du temps. L’expérience de Jeannette Corbiere Lavell nous apprend que les travaux sur le code de citoyenneté de la Nation des Anishinabes ont débuté en 2008. Après consultation de la communauté, il a été adopté par la nation en 2011. Cependant, ce n’est que récemment que la nation a disposé des capacités et des fonds nécessaires pour mettre en œuvre son code de citoyenneté. Tout cela a donc pris 17 ans.

Honorables sénateurs, qu’adviendra-t-il des enfants qui sont demeurés sans statut au cours de ces 17 années? C’est toute une génération qui reste dans l’attente, toute une génération qui ne peut pas bénéficier des programmes et des services réservés aux Indiens inscrits. Dans ce cas-ci, ces amendements constituent une mesure provisoire visant à faire en sorte qu’aucun enfant des Premières Nations ne soit laissé pour compte.

Dans la lettre de la ministre dont le sénateur Moreau a fait part, la ministre parle de trouver un consensus, mais il n’y a jamais eu d’exigence de consensus unanime sur un projet de loi touchant les Premières Nations auparavant. Le sénateur Moreau a également souligné le souhait de la ministre de voir ces solutions venir de la communauté. Or, je dirais que nous avons entendu et constaté le soutien de la communauté à ces amendements.

À titre de rappel, l’Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique, qui représente 204 Premières Nations de la province, a adopté une résolution en faveur de ces amendements. Les 13 Chefs de la Nouvelle-Écosse les appuient eux aussi, tout comme les 15 Premières Nations du Nouveau-Brunswick. L’Assemblée des chefs du Manitoba, les Manitoba Keewatinowi Okimakanak et l’Organisation des chefs du Sud sont également favorables à ces amendements. Enfin, la Nation des Anishinabes, qui représente 39 Premières Nations, et la nation nishnawbe-aski, qui représente 49 Premières Nations de l’Ontario, ont publié des déclarations d’appui.

J’ai rencontré les représentants de la Fédération des nations autochtones souveraines, et ils sont en faveur de ces amendements, tout comme les nations du Traité no 6, du Traité no 7 et du Traité no 8.

La Grande Cheffe Alatini du Conseil des Premières Nations du Yukon, qui représente 9 des 14 Premières Nations du Yukon, a décrit le paragraphe 6(2) comme « une extinction légiférée à retardement ».

Le Chef national des Dénés, George Mackenzie, qui représente 30 communautés, nous a dit ceci :

Mais si vous êtes le descendant d’une personne ayant eu le statut par le passé, que ce soit vos parents ou vos grands‑parents, cela doit être respecté. Qui peut dire que vous n’êtes plus Indien? Vous êtes né Indien et vous mourrez Indien. Il est essentiel que cela soit bien compris.

Pour ceux qui tiennent le compte, plus de 360 Premières Nations sur 634 ont expressément soutenu ces amendements. Sénateurs, c’est la solution que souhaite la communauté.

Chers collègues, pour ma part, je n’ai pas l’intention de développer un syndrome du canal carpien à force de manier un tampon en caoutchouc.

Dawn Lavell-Harvard, directrice de la Maison d’apprentissage des Premiers Peuples de l’Université Trent et ancienne présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada, a expliqué ceci :

En 1985, avec la création de la catégorie découlant du paragraphe 6(2), le gouvernement a instauré une situation juridique qui cause un préjudice irréparable à nos jeunes. Nous savons qu’il est essentiel pour la santé mentale d’avoir un sentiment d’appartenance. Toutefois, nous voyons chaque jour des jeunes des Premières Nations en situation de crise, qui ont le sentiment de ne pas appartenir à leur Première Nation, de ne pas avoir le droit d’y être, de ne pas être de vrais Indiens, d’être inférieurs aux autres membres de la communauté parce qu’ils ont le statut qui découle du paragraphe 6(2).

Nous ne pouvons pas laisser nos enfants continuer de souffrir, isolés à cause de leur absence de statut.

Il y a de nombreuses années, à la Faculté de droit, j’ai étudié la notion de préjudice irréparable en ce qui a trait aux personnes qui demandent une injonction. Dans sa forme élémentaire, il s’agit d’un préjudice qui ne peut être réparé au moyen d’un dédommagement monétaire, qui ne peut être quantifié et auquel il est impossible de remédier.

Au cours des deux derniers jours, j’ai parlé à de nombreux rassemblements à l’Assemblée extraordinaire des Chefs. Beaucoup de gens m’ont parlé du projet de loi S-2 et des répercussions que les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives à l’inscription ont eues dans leur vie. Certains ont parlé d’un préjudice irréparable associé à la séparation et à l’isolement.

Hier soir, j’ai eu le plaisir inattendu de m’entretenir de nouveau avec Sharon McIvor, une véritable matriarche dans tous les sens du terme. Elle m’a confié que parfois, des gens venaient la voir et, après s’être brièvement présentés, lui disaient : « Je suis l’un des vôtres. »

Ces histoires parlent des liens familiaux, de l’identité et de l’appartenance. Elles traitent du droit de tomber amoureux, d’avoir des enfants et de laisser un legs aux générations futures. Il ne s’agit pas seulement d’un droit légal, mais d’un droit de la personne fondamental.

Chers collègues, si vous me le permettez, je vous invite à faire une pause, à vous détendre, à fermer les yeux et à imaginer que, dans un avenir pas trop lointain, au cours de votre journée, un parfait inconnu s’approche de vous. Il se présente et vous dit : « Je suis l’un des vôtres. »

Honorables sénateurs, je vous invite à voter en faveur de ce projet de loi et à le renvoyer à l’autre endroit où j’espère que nos homologues élus écouteront la volonté de la majorité de leurs citoyens des Premières Nations et accepteront ce projet de loi tel qu’il a été amendé. Wela’lioq. Merci.

L’honorable David M. Arnot [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole parce que le Sénat se trouve à la croisée des chemins, non pas à cause de ce que nous avons fait hier, mais plutôt à cause de ce que, selon moi, nous serons appelés à faire demain.

Hier, nous nous trouvions également à la croisée des chemins, et nous avons répondu à la première des trois questions qui, bien qu’elles ne figurent pas dans le plumitif, encadrent ce débat et continueront de le faire. Voici les trois questions :

Premièrement, les règles de procédure devraient-elles primer sur la nécessité de répondre à l’injustice structurelle?

Deuxièmement, devons-nous rester silencieux face aux mécanismes juridiques colonialistes qui continuent de priver les peuples autochtones de leurs droits, simplement parce qu’ils sont ancrés dans la loi?

Troisièmement, en tant que Chambre chargée de protéger les droits des minorités, devons-nous refuser d’agir, même symboliquement, lorsque la loi elle-même est injuste?

Les règles de procédure doivent-elles l’emporter sur la nécessité de lutter contre les injustices structurelles? Le Sénat a répondu par un « non » catégorique. En appuyant le projet de loi S-2 tel que modifié, nous affirmerons notre rôle suprême, qui est de témoigner des injustices et d’en dénoncer les répercussions persistantes. En adoptant le rapport sur le projet de loi S-2, le Sénat a affirmé que les principes de justice, d’équité et de vérité doivent prévaloir, même lorsque les règles disent « pas encore ».

Nous avons peut-être répondu à la première question, mais notre travail est loin d’être terminé. J’espère que la version amendée du projet de loi va être renvoyée à l’autre endroit. Les députés ont le droit de l’adopter ou de le rejeter. Tout semble annoncer un rejet. Nous devons nous préparer, nous et les Premières Nations, à cette issue probable. Les espoirs que nous avons suscités pourraient donc être bientôt anéantis.

Honorables sénateurs, ne désavouons pas ce que nous avons fait. Misons plutôt sur ce travail. Ce qui s’est produit ces derniers jours est précisément ce pour quoi le Sénat a été créé. Nous avons témoigné de l’injustice. Nous avons parlé avec courage. Nous avons fait passer les intérêts des prochaines générations avant les considérations du jour. C’était le Sénat à son meilleur.

Une bonne part de ce que nous avons fait hier découle directement de la nouvelle indépendance du Sénat. La majeure partie du Sénat actuel est non partisane. Si le Sénat avait été partisan, je ne crois pas que nous aurions réussi à accomplir ce qui a été fait hier. C’est cette indépendance qui nous a permis d’agir, avec rigueur morale et intégrité procédurale, pour faire tomber une injustice structurelle. Les sénateurs ont énoncé la vérité et se sont portés à sa défense.

Les propos du sénateur Prosper et de la sénatrice White étaient très réfléchis. Bien qu’ils aient soulevé des aspects différents, leurs points de vue allaient dans la même direction, soit l’urgence d’éliminer l’exclusion après la deuxième génération et de réparer les dommages causés par cette règle.

La sénatrice Audette a déclaré ceci :

[P]our chaque décision rendue ayant trait à la Loi sur les Indiens et à ce qui touche les statuts, l’émancipation ou la discrimination entre les hommes et les femmes en vertu des paragraphes 6(1) et 6(2), que ce soit de façon timide ou frappante, comme Parlement, nous avons dit : « On peut faire plus. » Nous essayons de faire comprendre que nous avons cette responsabilité.

La sénatrice McCallum, elle, a dit ceci :

Nous devons montrer aux Canadiens que nous défendons la justice et l’égalité pour tous. En adoptant ce rapport et en agréant le projet de loi S-2 amendé, nous enverrions un message fort aux Premières Nations, et notamment aux femmes et aux enfants des Premières Nations, leur indiquant qu’ils méritent l’égalité, qu’ils ont leur place dans leur propre pays et qu’ils contribuent à « bâtir un Canada fort ».

Le sénateur Housakos a déclaré ceci :

[E]n fin de compte, le gouvernement, à l’autre endroit, fera ce qu’il veut. Il a ce droit. Il a été élu. Mais pour aider le gouvernement et l’autre endroit à trouver une meilleure solution, nous avons le droit de signaler des problèmes, d’attirer leur attention sur certaines choses et de leur faire part d’éléments, parmi les voix et les régions du pays, qu’ils ont peut-être négligés.

Honorables sénateurs, la Loi sur les Indiens est souvent décrite comme une bête, un instrument de colonialisme législatif qui résiste à toute tentative de démantèlement. Pourtant, hier, le Sénat lui a enlevé un peu de son mordant. Ce faisant, il a répondu à la deuxième et à la troisième questions qui se posaient à nous.

Devrions-nous rester silencieux face aux mécanismes coloniaux qui continuent de nier leurs droits aux Autochtones simplement parce qu’ils sont inscrits dans la loi? Devrions-nous, en tant que Chambre chargée de protéger les droits des minorités, refuser d’agir, même symboliquement, lorsque la loi elle-même est injuste? Notre réponse doit demeurer un « non » catégorique.

Chers collègues, nous avons répondu clairement à la première question. Reconnaissons maintenant la réalité de notre situation. Il a été clairement indiqué que l’amendement adopté par le Sénat était considéré comme irrecevable par le gouvernement. Il est très probable que l’autre endroit rejettera l’amendement. Si tel est le cas, cela n’effacera pas la vérité que nous avons exprimée, mais cela signifiera que les témoins qui ont comparu devant le Comité des peuples autochtones et dont les témoignages ont ému bon nombre d’entre nous ne bénéficieront pas de mesures réparatoires grâce à ce projet de loi — du moins pas pour l’instant.

La bonne nouvelle, c’est que notre travail en tant que Chambre n’est pas terminé. En fait, il ne fait que commencer. Le Sénat a fait valoir, sur le plan moral, juridique et parlementaire, que la règle d’exclusion après la deuxième génération est une blessure coloniale et que la loi peut être modifiée pour refléter la justice.

Si l’autre endroit n’est pas d’accord, cela ne met pas fin à notre responsabilité; cela ne fait que la renforcer. Nous avons désormais le devoir d’examiner ce que le Sénat peut faire d’autre par l’intermédiaire de ses comités, de ses interpellations, de ses études et de son autorité procédurale pour que les espoirs suscités ne soient pas définitivement anéantis.

Je vais adapter un vieil adage : « Si une porte se ferme à l’autre endroit, ouvrons-en une autre ici. »

Honorables sénateurs, nous devons montrer aux Premières Nations qu’un Sénat nommé peut utiliser tous ses pouvoirs constitutionnels pour demander des comptes au gouvernement. Le vote au Sénat est notre outil le plus visible, mais ce n’est pas le seul. Nous pouvons lancer une étude en comité, comme le permettent notre Règlement, la Constitution et nos pouvoirs de sénateurs. Nous pouvons collaborer avec les comités, et je crois que les comités et les sénateurs de toutes les allégeances peuvent collaborer entre eux pour enquêter sur les effets à long terme de l’exclusion après la deuxième génération. Nous pouvons demander des comptes au gouvernement pour ses 40 années de manquement à ses obligations fiduciaires.

Je vais être clair : pendant quatre décennies, les gouvernements canadiens successifs n’ont pas agi dans l’intérêt des peuples autochtones. Ils ont agi dans l’intérêt du Trésor fédéral. L’exclusion après la deuxième génération n’est pas une simple politique. Il s’agit à mon avis d’un manquement continu à l’honneur de la Couronne et à son obligation fiduciaire. C’est une violation aux droits conférés par traité, aux droits des Autochtones. C’est une violation des droits de la personne. C’est incontestable.

La manière dont le Canada traite les peuples autochtones est une honte nationale. Il s’agit d’une tache sur notre réputation internationale, et c’est profondément contraire aux valeurs démocratiques si chères aux Canadiens. La règle de l’exclusion après la deuxième génération est un mécanisme qui perpétue la honte en inscrivant la discrimination directement dans la loi.

La Cour suprême du Canada a conclu que l’honneur de la Couronne est en jeu du moment où elle interagit avec les peuples autochtones. Cet honneur commande la bonne foi, un traitement équitable, la tenue de consultations et la protection des droits autochtones et des droits conférés par traité. C’est non négociable.

D’autres sénateurs avant moi ont dénoncé la situation. Le temps est venu d’agir.

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a entendu toutes sortes de vérités convaincantes, précises, factuelles et crédibles. Selon moi, cet amendement était tout simplement logique, en plus de s’appuyer sur l’empathie et un terrible vécu.

Les Canadiens ne veulent pas d’un Sénat qui agit sur le coup de la partisanerie ou de l’émotion. Ils veulent que ses décisions soient justes, qu’elles reposent sur des principes et qu’elles respectent la primauté du droit. Or, le droit commande l’équité procédurale, l’intégrité morale et l’équité.

La loi ne balise pas seulement le fonctionnement, elle touche aussi au contenu. Quand la loi cause des préjudices, nous, parlementaires, avons le pouvoir et le devoir de la corriger.

Le gouvernement fédéral croit à la réconciliation. Pas plus tard qu’hier, il a annoncé son intention de régler une fois pour toutes les problèmes qui se rapportent à la protection des enfants autochtones. Il s’agit d’un engagement important qui montre que, lorsque la volonté politique est là, les lois et les politiques peuvent être transfigurées.

Je crois le gouvernement du Canada lorsqu’il promet de régler le plus tôt possible le dossier de l’exclusion après la deuxième génération, au paragraphe 6(2). Nous devons toutefois faire en sorte que cette confiance s’accompagne de reddition de comptes. Le Sénat doit absolument obliger le gouvernement à tenir parole.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, je crois que le Sénat est actuellement à la croisée des chemins.

Aujourd’hui, il faut voir au-delà du vote. Il faut reconnaître que notre défi consiste désormais à éviter que le Sénat donne lieu à de belles paroles bien senties suivies d’un recul législatif.

Nous ne pouvons pas nous contenter de dire que notre travail est fait et passer à autre chose. Nous trahirions ainsi tout ce qui a été fait pour les gens que nous prétendons vouloir aider.

Nous nous devons d’agir. Je crois que les sénateurs devront répondre à cet appel pour s’attaquer de nouveau à la règle de l’exclusion après la deuxième génération.

À cette fin, nous devons utiliser tous les outils à notre disposition : les comités, les études, les questions parlementaires, les rapports indépendants, les témoins autochtones et le courage institutionnel.

Permettez-moi de sortir des sentiers battus. Je pense que cette question pourrait nécessiter une collaboration unique entre le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, peut-être le Comité sénatorial permanent des droits de la personne et peut-être le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Il se pourrait qu’un mandat intercomités soit requis.

Hier, nous avons dit nos vérités. Aujourd’hui, nous devons les incarner.

Nous devons montrer aux Premières Nations que le Sénat du Canada n’est pas seulement une Chambre de beaux discours, mais aussi une Chambre qui a de la détermination.

Que ce soit là notre héritage : non pas celui d’une assemblée qui a observé et attendu, mais celui d’une assemblée qui est intervenue et a réagi.

Nous n’avons pas fini d’entendre parler de la règle d’exclusion de la deuxième génération. Le sujet sera soulevé de nouveau. Ce sera bientôt. Quand cela se produira, ne nous laissons pas prendre au dépourvu.

Soyons prêts, ensemble et en faveur de la justice.

J’appuie l’adoption du projet de loi. Merci. Kinanâskomitinawow.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Sénatrice Batters?

Le sénateur Arnot accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Arnot [ + ]

Oui.

Merci beaucoup d’avoir souligné la grande qualité du débat que nous avons eu ces derniers temps sur ce projet de loi. Je suis d’accord pour dire que le niveau du débat a été excellent. J’ai été très heureuse de le constater, car j’ai l’impression que c’est ce que le Sénat devrait toujours offrir.

C’était un moment très spécial, qui s’est ajouté à d’autres que nous avons vécus, par exemple, le débat sur la légalisation de la marijuana et le débat sur l’aide au suicide — le premier —, alors que les conservateurs, dans l’opposition, étaient beaucoup plus nombreux et, en fait, probablement majoritaires. Nous avons tenu des débats de grande qualité, et je suis heureuse que celui-ci en soit un autre.

Vous avez parlé des différents outils que le Sénat peut utiliser si, effectivement, le gouvernement rejette cet amendement après que nous l’avons adopté et renvoyé à la Chambre des communes. Il y a un autre outil que je vous demande d’examiner : la possibilité pour le Sénat d’insister sur son amendement auprès de la Chambre des communes. Qu’en pensez-vous?

Le sénateur Arnot [ + ]

Je n’ai rien à dire à ce sujet, mais, sénatrice Batters, vous avez toujours d’excellentes idées. Je pense que nous devrions tous y réfléchir.

L’honorable Mary Jane McCallum [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits à l’inscription), tel que modifié.

Avant de commencer, je tiens à informer le Sénat que, avec l’aide de Jackie et de Jeffrey, du caucus conservateur, j’ai rencontré le conseiller en éthique, qui a conclu que je n’étais pas en situation de conflit d’intérêts. Il m’a notamment posé la question suivante : « Avez-vous un intérêt personnel dans cette affaire? » J’ai répondu :

Non. Ce sont des droits que les Premières Nations ont toujours eus, et la Loi sur les Indiens, qui est raciste et discriminatoire, les en a privées. Ce que nous faisons, c’est leur rendre ces droits.

Le conseiller en éthique a répondu : « D’accord. »

La sénatrice McCallum [ + ]

Avant d’aborder le sujet dont nous sommes saisis, je tiens à rendre hommage à nos ancêtres qui sont avec nous aujourd’hui. Je salue leur dévouement, leur persévérance et leur ténacité à nous ouvrir la voie, celle sur laquelle vous avancez aujourd’hui, celle sur laquelle nous avançons tous. S’ils l’ont fait, c’est pour que nous ne soyons pas dans la même situation qu’eux. Nous sommes aujourd’hui la septième génération; nous sommes aussi des ancêtres vivants. Cela signifie que nous avons le devoir d’ouvrir la voie pour les générations qui se tournent vers nous et nous demandent : « Que faites-vous pour rendre ce monde meilleur pour moi? »

Je tiens à remercier l’auteure d’une lettre qui nous a été envoyée. Merci à Amylie. Elle nous regarde. Je remercie tout spécialement ses parents de m’avoir autorisée à lire cette lettre destinée aux sénateurs. Je cite:

Je m’appelle Amylie Sioui, j’ai 11 ans et je suis en 4e année. Je suis la fille de Sabryna Sioui, ma maman wendat. J’aimerais ne pas devoir écrire cette lettre. Je devrais être avec mes amis en train de m’amuser. En fait, je n’ai vraiment pas envie de l’écrire parce que chaque fois que je pense aux mots que je souhaite utiliser, j’ai de la colère en moi qui monte et je sens comme une drôle de sensation dans mon ventre. J’ai demandé à ma maman pourquoi je ressentais ces sensations désagréables dans mon ventre. Elle m’a dit : « Amylie, c’est ce qui arrive quand on est anxieuse. Ça s’appelle de l’anxiété ».

Ce jour-là, j’ai appris ce qu’était l’anxiété. Pourtant, même si je ne connaissais pas le mot, ce n’était pas un sentiment nouveau pour moi. En fait, au cours des dernières années, je l’ai ressenti plusieurs fois ce sentiment. Je disais toujours que j’étais « stressée », mais c’est bien plus profond que ça. Voyez-vous, j’ai 11 ans et je suis fatiguée. Fatiguée d’être anxieuse. Alors j’ai décidé de vous raconter une partie de mon histoire comme enfant wendate sans statut. L’histoire d’une enfant qui veut appartenir à quelque chose qui est si proche et si loin en même temps. Mon histoire! Celle dans laquelle je me sens rejetée par ma propre communauté et ceux qui font les règles qui m’empêchent d’être qui je suis.

Chaque jour, je me lève chez moi, à Wendake. Je vis là avec ma mère! Pas à Québec, à Wendake. C’est la seule chose que je connais, Wendake. C’est ma maison. Ensuite, je quitte notre maison et je me rends à l’école primaire Wahta’, ça veut dire érable en langue wendat. Je ne l’ai pas dit encore, mais j’apprends le wendat à l’école. J’adore ça parce que je trouve que ça sonne vraiment bien et en plus je suis bonne.

Quand on a des cours de langue, j’ai l’impression que je fais un petit voyage dans le temps parce que mes ancêtres parlaient cette langue. Je dis « mes ancêtres » parce que c’est ça que ma mère m’a appris. Elle est wendat et tous ceux de ma famille qui sont venus avant elle étaient aussi wendat. En tout cas au moins une personne à chaque génération. Ça remonte tellement loin, que ma mère ne pouvait même plus m’aider.

Mais voyez-vous, quand je serai grande et que j’aurai peut-être un enfant, et peut-être lui aussi après, je ne serai jamais l’ancêtre wendat de quelqu’un. Même si je sais qu’au fond de moi que je suis wendat, je sais aussi que ma communauté ne me reconnaît pas et que le gouvernement a une loi qui elle aussi ne me reconnait pas.

Je ne devrais pas m’intéresser à ça ou connaître ça, surtout que j’ai juste 11 ans, mais j’ai fait des recherches avec ma mère. J’avais trop de questions, trop de colère et de frustration chaque fois qu’on m’a dit que je ne pouvais pas participer à une activité. Normalement, à 11 ans, je devrais me lever le matin et avoir comme seule préoccupation d’aller à l’école de ma communauté et espérer avoir la chance de participer aux super activités qui sont organisées au cours de l’année.

Je ne devrais pas me forcer à trouver des mots que je n’utilise pas d’habitude pour essayer de décrire ma tristesse dans une lettre adressée à des adultes travaillant dans une autre ville.

Parce que de la tristesse et des larmes, j’en ai versé beaucoup dans les deux dernières années. Il y a eu la fois où je n’ai pas pu participer au camps Tourilli. C’est un camp d’été qui nous permet d’aller en forêt pendant plusieurs jours et de faire pleins d’activités liées à la culture wendat. Mais je ne pouvais pas y aller parce que je n’ai pas de numéro de bande. La majorité de ma classe y allait parce qu’ils sont des Wendat statués. Il y a eu aussi la fois du concours d’écriture d’un témoignage sur nos ancêtres pour le musée de la communauté. On devait écrire un texte sur un ancêtre de notre choix et ce qu’il représentait pour nous, et les meilleurs textes choisis allaient être exposés au musée. On pouvait même gagner un certificat cadeau si notre texte était choisi.

J’avais mis beaucoup d’effort dans mon texte. J’avais choisi Marguerite Vincent Lawinonkie, une des plus grandes femmes wendat ayant existé. Quand j’ai su que j’avais été choisie, j’étais tellement contente. Le problème c’est qu’il y avait un peu trop de textes choisis. Et bien pour arriver à un nombre plus petit, les enseignants ont décidé de retirer les textes de tous les enfants non statués. Pas parce qu’ils étaient moins bons. Parce que je n’étais pas une Wendat avec une carte ! J’ai tellement pleuré quand je suis revenu à la maison.

J’ai même dit à ma mère que je ne voulais pas retourner à l’école cette fois-là. Quand je suis revenu en classe, nous avons même reparlé de cet événement parce que mes amies ont demandé pourquoi mon texte n’avait pas été gardé. Mon enseignante a alors dit devant tout le monde que c’était parce que je n’étais pas wendat. Tous les enfants de ma classe ont ri pendant quelques secondes à peine, mais pour moi j’ai eu l’impression que ça ne se terminerait jamais. J’ai réagi de la seule manière que je connaissais dans ces situations-là : le silence! De toute façon, personne ne comprendrait vraiment.

Il y a eu un troisième événement aussi. Celui du hockey. J’ai la chance de pouvoir jouer au hockey à l’école et j’adore ça. Chaque année, Wendake organise un tournoi de hockey mineure qu’on appel, pour les jeunes de mon âge et de plusieurs autres catégories. Pleins de mes amies y participent. J’ai voulu m’inscrire en me disant que comme on habite à Wendake, ça devrait fonctionner. Alors ma maman a appelé les loisirs de Wendake. On lui a dit que malheureusement je ne pouvais pas participer parce qu’encore une fois je n’avais pas de numéro de bande. J’ai dû regarder, avec plusieurs jeunes dans ma situation, nos amis jouer au hockey avec plaisir contre des équipes d’autres communautés. Sans nous! Parce que nous ne sommes pas des Wendat pour notre communauté. Je suis là, mais je n’appartiens à rien.

Une personne qui m’a aidé dans ma lettre m’a dit : « tu es invisible ». C’est drôle parce que j’ai compris tout de suite ce qu’elle voulait dire. Je suis invisible pour ma communauté. Peu importe ce que je vais faire, ça ne sera jamais assez. Je vais toujours être celle qui veut être Wendat, sans jamais l’être vraiment.

Pourquoi je n’ai pas la même chance que mes amies? J’ai l’impression qu’à l’intérieur de moi on m’a volé quelque chose et que je ne pourrai jamais le retrouver. En plus, je fais tout ce que je peux pour qu’on m’accepte. J’ai même pris des cours de smoke dance. Mais à quoi ça me sert? De toute façon ils vont sûrement me refuser si je veux danser au pow wow.

J’ai juste 11 ans, alors je ne connais pas bien toutes ces choses au sujet des statuts et des lois. Mais je sais toutefois une chose, si j’avais un statut je ne me sentirais pas comme ça aujourd’hui. Pourquoi ma maman ne peut pas me le donner? Quelle est la différence entre ma maman et d’autres mamans de mes amies? Les règles doivent changer et je souhaite que maman puisse me transmettre son statut. SVP, arrêtez l’exclusion après la 2e génération. Je suis fatiguée de me sentir mal. Fatiguée d’avoir peur d’être rejetée. J’aimerais un jour être l’ancêtre wendate de quelqu’un.

Tiawenhk inenh!

Nous examinons une loi qui tente de tuer l’enfant dans l’Indien. C’est ce qui se passe aujourd’hui et c’est ce qui m’est arrivé dans un pensionnat en 1957. Nous en sommes toujours là. Merci, Amylie. Tu es là.

La sénatrice McCallum [ + ]

Mon peuple savait où était sa place. Maintenant, comparez la situation de cette petite avec la mienne.

La place de mon peuple était sur la terre — l’aski. L’aski, c’est l’endroit où nos cultures, nos communautés et les etinewak — le peuple — s’enracinaient et se définissaient. Au lieu de s’enraciner dans un lieu particulier comme nous le faisons dans les villes et les villages, ces gens parcouraient l’aski pour suivre la nourriture, en adaptant leur mode de vie à l’environnement et aux saisons, ainsi qu’à l’endroit où ils vivaient au quotidien.

Chaque espace géographique dans lequel nous nous installions était imprégné de sens. Tous les environnements étaient considérés comme des lieux vivants et des endroits idéaux pour vivre. Nous les avons laissés pratiquement intacts, jusqu’à ce que le Northern Store commence à offrir des articles non dégradables. Ces lieux naturels n’ont pas été créés par nous, les humains, et ils ont été façonnés par d’autres êtres que les humains. Nos proches — les oiseaux, les animaux, les insectes, les poissons et l’écosystème — occupaient l’aski, et ils ont contribué de façon essentielle et constante au développement et à l’évolution de notre culture. En fait, la terre était déjà occupée, mais les nouveaux arrivants ne le voyaient pas ainsi. Ils voyaient plutôt des terres inhabitées qu’ils voulaient posséder.

L’aski est importante pour moi. Cette terre me donne la vie. On ne peut pas l’attacher ni ériger des frontières pour la posséder. En tant que groupes culturels, les Premières Nations se sont définies et ont défini leur gouvernance et leurs codes d’éthique en fonction des lieux où elles vivaient sur le territoire depuis des temps immémoriaux. Nous portons cette notion dans notre mémoire collective — libres de vivre sur le territoire tout en apprenant, enfants, en observant nos parents perpétuer les traditions et démontrer les aptitudes à la vie quotidienne qui allaient nous permettre de devenir indépendants, mais aussi interdépendants, afin d’occuper la place qui nous revient et d’honorer notre objectif en ce monde terrestre. La croissance n’était pas seulement physique et mentale, mais aussi intellectuelle et spirituelle. C’est ainsi que j’en suis venue à me connaître et à me comprendre. J’ai pu exercer ma créativité et ma curiosité. Rien ne se compare à la vie dans la nature.

Je pensais alors que j’étais spéciale, que j’étais capable de faire des choses, de penser, d’imaginer, de rire et de courir, que j’étais une bonne observatrice, que je pouvais reproduire les gestes de mes parents — et j’y arrivais —, que j’étais quelqu’un parce que je comprenais que je comptais comme personne. Je me suis fait confiance au fil de ma croissance. Il y avait quelque chose en moi, quelque chose qui venait du Créateur, quelque chose qui n’était ni masculin ni féminin, ni vieux ni jeune. C’était le sentiment inhérent et inébranlable de valoir quelque chose.

J’étais habitée de l’histoire de mon peuple, des récits de piégeage de mes ancêtres, qui ont vécu leur vie dans la vaste étendue à leur propre rythme et à leur manière. C’est ça, l’aski.

J’appuie la version amendée du projet de loi S-2 et je vous demande à tous de vous tenir aux côtés des Premières Nations — plus particulièrement des femmes et des enfants des Premières Nations — et de voter pour l’adoption de la version amendée du projet de loi S-2.

Les sénateurs ont reçu un cadeau très précieux. Les nombreux témoins des Premières Nations qui ont comparu leur ont confié leurs histoires, leurs enseignements, leur savoir-faire, leur vécu et leurs vulnérabilités. Ils leur ont aussi donné leur confiance, dans l’espoir que leur voix soit entendue et que leurs souffrances soient comprises pour que nous nous engagions à prendre immédiatement des mesures pour défendre leurs droits fondamentaux.

La confiance qu’ils nous donnent ne doit pas être prise à la légère. En tant que sénateurs, nous sommes la voix de ceux qui sont exclus depuis beaucoup trop longtemps. Ce n’est pas tout le monde qui a la chance de recevoir un présent comme celui-ci, et ce don transforme pour toujours les êtres humains que nous sommes.

Le Canada doit être reconnaissant aux femmes des Premières Nations, et à leurs descendants, qui ont donné des dizaines d’années de leur vie pour défendre les droits fondamentaux, garantis par la Charte, qui sont si chers aux Canadiens.

Le combat des Premières Nations pour l’égalité protège le droit à l’égalité de tous les Canadiens.

Nous devons aussi remercier Mary Two-Axe Earley. Cette femme mohawk de Kahnawà:ke a consacré plus d’une vingtaine d’années de sa vie à se battre contre la discrimination sexuelle qui se trouve dans la Loi sur les Indiens. Elle a persévéré malgré la farouche résistance de sa propre nation, des Chefs des Premières Nations et du gouvernement fédéral. Elle a dit une chose qui est devenue célèbre, à savoir que les chiens avaient davantage le droit qu’elle d’être enterrés dans la réserve.

Sa passion et son engagement envers la protection des droits à l’égalité des femmes des Premières Nations étaient inébranlables et ont contribué à unir les femmes des Premières Nations partout au Canada. Non seulement a-t-elle été à l’origine d’Equal Rights for Indian Women, une nouvelle organisation militante, à la fin des années 1960, mais elle s’est également impliquée activement dans le mouvement canadien pour les droits des femmes. Elle a livré un témoignage poignant devant la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada. Les recommandations de la commission en 1970 comprenaient un appel à l’action pour le Canada : « Il faudrait adopter des lois permettant d’abroger l’article de la [Loi sur les Indiens] qui fait des distinctions injustes à l’égard des Indiennes. » C’était en 1970, avant la Charte des droits et libertés.

Merci à Jeanette Corbiere Lavell et Yvonne Bedard. Jeanette est une femme anishinabek originaire de Wiikwemikoong, et Yvonne Bedard était une femme onondaga originaire des Six Nations. Leurs recours judiciaires contre le Canada pour discrimination sexuelle persistante dans la Loi sur les Indiens ont été portés jusqu’à la Cour suprême du Canada. Leur combat concernait la Charte canadienne des droits et libertés, et, bien qu’elles aient perdu leur procès, elles ont gagné le cœur des femmes des Premières Nations de tout le Canada, qui se sont unies pour défendre l’égalité.

Jeanette a été confrontée à des menaces de violence et à l’opposition virulente des Chefs des Premières Nations, mais elle a poursuivi son combat et est devenue présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada.

Je remercie l’ancienne sénatrice Sandra Lovelace-Nicholas. Mme Lovelace-Nicholas est originaire de la Première Nation de Tobique et a contesté la discrimination permanente fondée sur le sexe devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies, qui a statué en sa faveur. Les Nations unies ont estimé que la Loi sur les Indiens empêchait l’ancienne sénatrice de profiter de sa culture au sein de sa communauté. Grâce à cette affaire et au combat de l’ancienne sénatrice, la Loi sur les Indiens a été modifiée en 1985 afin de remédier à une partie de la discrimination fondée sur le sexe. Mme Lovelace-Nicholas a également dû faire face à l’opposition organisée des Chefs des Premières Nations et du gouvernement, mais elle n’a jamais cessé de se battre.

Lorsqu’elle a été nommée au Sénat, elle s’est jointe au Comité des peuples autochtones et elle a contribué à faire adopter des amendements essentiels au projet de loi S-3.

Je remercie Sharon McIvor. Mme McIvor est issue de la bande indienne de Lower Nicola, en Colombie-Britannique. Elle a contesté la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens après 1985 et elle a gagné son procès. En conséquence, le Canada a modifié la loi en 2010. Mme McIvor est immédiatement devenue la grand-mère de milliers de nouveaux Indiens inscrits.

Comme le Canada a refusé de remédier à toutes les formes de discrimination fondée sur le sexe en 2010, Mme McIvor a porté son affaire devant le Comité des droits de l’homme des Nations unies, qui a statué en sa faveur. Le Comité des droits de l’homme a demandé au Canada d’inscrire toutes les personnes se trouvant dans la même situation que Mme McIvor et ses descendants, de remédier à toute discrimination persistante au sein des communautés des Premières Nations résultant de la discrimination prévue dans la Loi sur les Indiens, de prendre des mesures pour prévenir toute discrimination à l’avenir et de lui verser une réparation complète. Le Canada n’a toujours pas donné suite à cette décision.

Merci à Stéphane Descheneaux, ainsi qu’à Susan et Tammy Yantha. Stéphane, Susan et Tammy sont des Abénakis de la nation d’Odanak. Ils ont contesté la discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens, qui entraînait un traitement différentiel des cousins et des frères et sœurs nés hors mariage selon qu’ils descendaient de la lignée matrilinéaire ou patrilinéaire. Ils ont obtenu gain de cause, ce qui a donné lieu aux modifications prévues dans le projet de loi S-3 en 2017. La juge Masse, de la Cour supérieure du Québec, a demandé au Canada de remplir son obligation législative d’apporter des modifications supplémentaires pour lutter contre d’autres formes de discrimination afin de garantir la conformité de la Loi sur les Indiens avec la Charte.

Merci à Lynn Gehl. Mme Gehl est une Anishinabe de la Première Nation des Algonquins de Pikwàkanagàn qui a également contesté la discrimination fondée sur le sexe dans la politique canadienne sur la paternité non déclarée, qui présume que le père de l’enfant d’une mère autochtone non mariée est un non-Indien. Elle a obtenu gain de cause devant la Cour d’appel de l’Ontario et, puisque cette décision a été rendue pendant l’examen du projet de loi S-3, le Canada doit inclure des modifications qui rendront la politique sur la paternité non déclarée plus équitable pour les femmes des Premières Nations, car elle ne touche que ces dernières.

Merci à Jeremy Matson. Jeremy est membre de la nation Squamish et a contesté avec succès la discrimination persistante fondée sur le sexe dans l’inscription des Indiens auprès du Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes.

Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a demandé au Canada d’accorder un dédommagement à Jeremy et à ses enfants, de leur conférer sans condition le statut d’Indiens inscrits, de reconnaître leur droit de transmettre ce statut à leurs descendants, de modifier la Loi sur les Indiens afin d’éliminer complètement la discrimination fondée sur le sexe, de supprimer les dates limites, telles que celle de 1985, et de garantir que les descendants des femmes des Premières Nations soient traités sur un pied d’égalité avec ceux des hommes des Premières Nations.

Merci à Sharon, Terra, et Nicole Nicholas ainsi qu’à tous les autres plaignants.

Sharon Nicholas est membre de la nation haïda et, avec les autres plaignants, elle a contesté la discrimination fondée sur la race dans les dispositions historiques de la Loi sur les Indiens relatives à l’émancipation qui les privent du statut d’Indien et de la possibilité de transmettre ce statut à leurs descendants. Dans cette affaire, le Canada a concédé que l’impossibilité d’être inscrit et de transmettre son statut à ses enfants et à ses petits-enfants constituait une forme de discrimination fondée sur la race et violait la Charte. Le Canada a également admis que cela nuit considérablement au sentiment d’identité de ces personnes et à leur sentiment d’appartenance envers leur Première Nation, en plus de leur causer des préjudices économiques en les empêchant d’accéder aux programmes fédéraux.

En conséquence, le Canada a dû présenter un projet de loi pour remédier à cette discrimination, soit le projet de loi S-2 que nous étudions présentement. Comme dans l’affaire Descheneaux, la cour a souligné que le Canada n’est pas tenu de se limiter à traiter uniquement cette affaire et qu’il pourrait demander un sursis pour apporter des modifications.

Merci à Pam Palmater. Mme Palmater est une avocate mi’kmaq originaire de la Première Nation Eel River Bar, au Nouveau-Brunswick. Mère et grand-mère, elle travaille à ce dossier précis depuis 40 ans, depuis sa jeunesse. Mme Palmater savait qu’elle devrait mener la lutte contre le gouvernement fédéral sur toutes les tribunes, y compris dans les médias, dans le cadre d’enquêtes et de commissions, dans le cadre de ses recherches et de ses publications, dans les comités et les études parlementaires, ainsi qu’au niveau international, notamment aux Nations unies, devant les cours et les tribunaux.

Pour se préparer à ce combat, elle a travaillé avec des communautés des Premières Nations et des organismes partout au Canada, en particulier des groupes communautaires de femmes des Premières Nations, sur le statut d’Indien et l’appartenance à une bande. Elle a également obtenu quatre grades universitaires. Elle savait que, pour s’opposer au Canada, il fallait qu’elle apprenne beaucoup de choses. Son doctorat en droit a porté précisément sur cette question. Sa campagne massive de sensibilisation du public dans les médias et les médias sociaux a contribué à sensibiliser tout un pays. Son seul souhait, maintenant, c’est que ses petits-enfants n’aient pas à souffrir comme sa famille a eu à souffrir.

J’adresse mes remerciements à l’ancienne sénatrice Lillian Dyck. Mme Dyck est une Crie de la Première Nation George Gordon, en Saskatchewan. Elle défend l’égalité et la justice pour les femmes des Premières Nations depuis de nombreuses années. Elle n’a pas seulement fait progresser les droits des femmes quand elle était au Sénat, elle a également présidé le Comité des peuples autochtones pendant l’étude du projet de loi S-3, en 2017, et, avec les autres membres du comité, elle a imposé l’ajout d’amendements qui allaient au-delà de l’affaire Descheneaux.

Merci à toutes les mères, grands-mères, tantes, sœurs et filles des Premières Nations, et merci à tous les aînés, leaders, militants et jeunes hommes qui se sont joints à elles pour défendre le droit à l’égalité des femmes et des filles des Premières Nations, mettre en lumière la violence faite aux femmes, faire progresser les droits de la personne à l’échelle nationale et internationale, dénoncer la discrimination dans le système des familles d’accueil, lutter contre la discrimination dans les prisons, persévérer dans la lutte contre la traite des personnes, élever des enfants, prendre soin de parents âgés ou contribuer à leur communauté, protéger la terre, l’eau, les plantes et les animaux, et faire progresser nos droits inhérents, nos droits en tant qu’Autochtones, nos droits issus de traités et nos droits fonciers, ainsi que notre droit à l’autonomie gouvernementale. Où en seraient nos communautés sans votre passion, votre dévouement et votre persévérance? Vous traversez le champ de mines du génocide historique et continu afin que les Premières Nations et les Canadiens puissent vivre dans une société plus juste.

Je tiens à mentionner tout particulièrement l’aide précieuse que m’a apportée Pam Palmater. Elle m’a aidé à rédiger ce discours et un autre, et m’a donné de nombreux conseils.

Malgré des siècles d’oppression coloniale, de dépossession et de lois, politiques et pratiques fédérales discriminatoires, vous vous présentez devant des comités sénatoriaux comme le Comité des peuples autochtones dans l’espoir que nous vous écoutions sincèrement et que nous prenions des mesures pour protéger vos droits.

Merci à tous les témoins et aux spécialistes des Premières Nations qui ont déployé temps et efforts pour que le comité comprenne bien que le Canada a l’obligation juridique de mettre fin à la discrimination sexuelle et raciale qui entache le processus d’inscription des Indiens, mais surtout à la règle de l’exclusion après la deuxième génération, qui met fin à des lignées familiales, divise des familles et risque de mener à l’extinction des Premières Nations par la loi.

Une seule Première Nation a réclamé le rejet de l’entièreté du projet de loi S-2, qu’il soit amendé ou non. Les autres témoins, dont des organismes défendant les droits des femmes autochtones, des particuliers, des spécialistes, des aînés, des jeunes, des Premières Nations et des organismes des Premières Nations — qui représentent collectivement l’ensemble des Premières Nations du Canada —, ont tous appuyé la suppression de l’exclusion après la deuxième génération. Le Sénat doit comprendre à quel point cet élément est important. À la quasi-unanimité, les Premières Nations et les organismes entendus ont estimé que l’on doit mettre fin à la discrimination sexuelle et supprimer la règle de l’exclusion après la deuxième génération.

Je tiens en outre à remercier le Comité des peuples autochtones et tous les sénateurs d’avoir adopté le rapport. Cela signifie beaucoup.

Rappelons-nous ce qu’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Andrews :

La discrimination est inacceptable dans une société démocratique parce qu’elle incarne les pires effets de la dénégation de l’égalité et la discrimination consacrée par la loi est particulièrement répugnante [...] C’est une garantie contre ce mal que fournit l’art. 15.

Les mots employés sont importants. La cour a dit que c’est « une garantie ». Ce n’est ni une promesse, ni un engagement, ni des pourparlers, ni une réunion, ni un processus de consultation, ni un plan d’action à élaborer au cours des prochaines années.

Le droit à l’égalité qui est prévu à l’article 15 pour les femmes des Premières Nations est une garantie. En plus d’être prévue par la Charte, la loi suprême du Canada, cette façon d’interpréter le droit à l’égalité, à l’article 15, a aussi été confirmée à maintes reprises par la Cour suprême du Canada. Absolument rien dans la loi ne permet d’adopter une loi qui ne respecte pas la Charte.

Le Sénat ne le peut pas, et la Chambre des communes non plus. Le ministère de la Justice le sait très bien, tout comme Services aux Autochtones Canada. Le Canada ne peut pas faire valoir l’argument selon lequel les règles qui régissent l’inscription des Autochtones sont complexes, qu’il serait plus pratique, du point de vue administratif, de modifier petit à petit d’infimes parties de la loi ou que l’augmentation du nombre de personnes ayant le droit d’être inscrit pourrait coûter plus cher que les justifications juridiques visant à nier le droit à l’égalité.

Je ne suis pas avocate, alors je dois me fier aux experts en droits constitutionnels, en droits de la personne et en droits des Autochtones qui ont comparu devant nous, comme Mary Eberts et Pam Palmater. Elles ont rappelé à notre comité que la loi est très claire. Je vais vous citer une partie de la jurisprudence dont elles nous ont fait part.

Dans l’arrêt Vriend, la Cour suprême du Canada a statué que l’approche par étapes du gouvernement ne peut pas justifier une violation des droits garantis par la Charte :

À mon avis, on ne peut demander à des groupes qui sont depuis longtemps victimes de discrimination d’attendre patiemment que les gouvernements en viennent, étape par étape, à protéger leur dignité et leur droit à l’égalité.

Le texte continue comme suit :

Si on tolère que les atteintes aux droits et aux libertés de ces groupes se poursuivent pendant que les gouvernements négligent de prendre des mesures diligentes pour réaliser l’égalité, les garanties inscrites dans la Charte ne seront guère plus que des vœux pieux.

Pourtant, le gouvernement fédéral demande aux femmes et aux enfants des Premières Nations d’attendre.

Dans la décision Schachter, la Cour suprême du Canada a expliqué que les considérations financières ne peuvent à elles seules justifier une violation de la Charte :

Notre Cour a statué à juste titre que les considérations financières ne pouvaient servir à justifier une violation dans le cadre de l’analyse fondée sur l’article premier.

Dans la décision Eldridge, la Cour suprême du Canada a rejeté l’affirmation du gouvernement selon laquelle les coûts hypothétiques constituent une atteinte minimale :

À supposer, sans trancher la question [...] que l’objectif de cette décision — limiter les dépenses au titre des soins de santé — est « urgent et réel » [...] je conclus [que la décision] n’est pas une atteinte minimale au par. 15(1).

La cour a ensuite estimé que la déférence qu’un tribunal doit accorder au gouvernement n’est pas infinie.

La Cour suprême du Canada a également rejeté l’argument du gouvernement selon lequel une modification à la loi représenterait un fardeau financier pour les petites Premières Nations en déclarant ceci dans la décision Corbiere :

[...] la possibilité que, dans l’avenir, [le gouvernement] ne mette pas à la disposition des communautés autochtones les ressources additionnelles nécessaires pour mettre en place un régime qui garantirait le respect des droits à l’égalité, ne saurait justifier la violation de droits constitutionnels dans une disposition législative relevant de son autorité.

L’autre argument invoqué par le gouvernement au sujet de l’obligation de consulter a été sérieusement examiné par le Comité des peuples autochtones et il a fait l’objet d’un débat rigoureux dans cette Chambre. Ce sujet suscite un grand nombre de discussions. Je dois le redire : c’est le gouvernement fédéral — le gouvernement libéral actuel — qui a choisi de traîner la Première Nation crie Mikisew dans un litige qui s’est rendu jusqu’à la Cour suprême du Canada. Le gouvernement s’est battu avec acharnement contre l’obligation légale de consulter avant d’adopter des mesures législatives.

Le gouvernement fédéral a gagné : la Cour suprême du Canada a statué que le gouvernement fédéral n’a aucune obligation légale de consulter lorsqu’il adopte une loi. Je ne suis pas fière que le Canada ait combattu une Première Nation sur cette question, mais le plus haut tribunal de notre pays a désormais tranché cette question.

Dans mon discours lundi, j’ai fait référence aux nombreuses enquêtes et commissions nationales sur la discrimination sexuelle et raciale dont sont victimes les femmes des Premières Nations. L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a conclu que le Canada était coupable d’un génocide qui perdure, car il fait preuve d’un comportement qui indique clairement une intention d’éliminer les peuples autochtones, y compris en ayant recours à des formes particulières de génocide fondé sur le sexe.

La ministre a reconnu à plusieurs reprises que l’exclusion après la deuxième génération est une pratique « très discriminatoire » et « probablement l’une des plus nuisibles ». Dans l’affaire Nicholas, le gouvernement fédéral a reconnu que l’incapacité de transmettre le statut d’Indien à ses descendants constituait une forme de discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique et violait l’article 15 de la Charte.

Tout le monde sait que la règle d’exclusion de la deuxième génération est inconstitutionnelle et doit être corrigée immédiatement. Voici certains des avantages tangibles et intangibles dont seront privées les Premières Nations, en particulier les femmes des Premières Nations, si nous ne votons pas en faveur du projet de loi S-2, tel que modifié :

Cette discrimination « répugnante », ce « mal », fondée sur le sexe et la race se poursuit; cela envoie le message à la société et aux Premières Nations que les femmes des Premières Nations ont moins de valeur, sont moins dignes, ne méritent pas l’égalité, ne sont pas assez importantes pour jouir des droits de la personne, sont moins autochtones et méritent moins d’avoir accès à des mesures correctives; cela perpétue les divisions au sein des familles, des familles élargies, des communautés et des nations; cela prolonge la séparation de la communauté; cela crée des obstacles à l’accès à la langue, à la culture, aux cérémonies et aux enseignements des anciens; cela dénie toute voix politique dans la gouvernance communautaire de leur Première Nation d’origine; cela dénie la cohésion sociale que créent les interactions et les relations régulières avec d’autres membres de la communauté; il se peut que les personnes concernées soient rejetées par d’autres membres de la communauté si elles n’ont pas de statut; les personnes concernées sont exclues des négociations politiques ou juridiques relatives aux revendications territoriales, aux traités ou à d’autres accords; cela peut empêcher les personnes concernées de participer aux élections et aux référendums des Premières Nations; cela constitue un obstacle à l’accès aux droits issus des traités sans harcèlement; les personnes concernées peuvent se voir refuser l’accès aux programmes et aux services fédéraux qui sont destinés aux Premières Nations et qui sont offerts dans les réserves; les personnes concernées ne pourraient pas bénéficier des mesures de soutien propres aux Premières Nations en cas de pandémie qui pourraient s’appliquer à l’avenir à d’autres endémies, épidémies ou pandémies; cela a une incidence sur leur estime de soi, leur identité et leur sentiment d’appartenance; et cela nuit à leur santé physique, mentale et émotionnelle.

Honorables sénateurs, nous devons adopter la version amendée du projet de loi S-2. Il s’agit du seul moyen dont nous disposons actuellement pour protéger les femmes et les enfants des Premières Nations. Nous sommes le seul rempart qui peut leur éviter d’attendre encore quatre ans pour obtenir justice et égalité — si jamais cela arrive. Nous devons alors être prêts à défendre fermement la Charte et le droit à l’égalité des Autochtones et de tous les Canadiens si la Chambre des communes tente de supprimer ces amendements.

Certains sénateurs disent que le projet de loi va être rejeté, mais des gens sont allés à l’autre endroit pour s’entretenir avec les différents caucus. Les appuis sont là. Je ne sais donc pas d’où vient cette rumeur.

La période de 12 mois avant l’entrée en vigueur de ces amendements est loin d’être idéale, car les femmes devront encore attendre. Il s’agit néanmoins d’un compromis acceptable permettant de protéger leurs droits dans l’éventualité où le gouvernement voudrait faire traîner les choses, voire ne rien faire du tout.

J’ai l’intention de voter pour la version amendée du projet de loi S-2, et je vous demande à tous de faire de même. Imaginez le message que nous enverrions à la Chambre des communes si nous votions à l’unanimité pour faire respecter la Charte canadienne des droits et libertés. Je vous remercie. Kinanaskomitinãwaw.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : À mon avis, les oui l’emportent.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Je rappelle que s’il n’y a pas d’entente, la sonnerie retentira pendant une heure. Je vais donc poser la question à nouveau : y a-t-il entente au sujet de la sonnerie? On a proposé 15 minutes. Le consentement est-il accordé?

Son Honneur la Présidente [ + ]

La sonnerie retentira pendant 15 minutes. Le vote aura lieu à 16 h 23.

Convoquez les sénateurs.

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