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Le Sénat

Motion tendant à exhorter le gouvernement à créer des voies d'accès à la citoyenneté ou à la résidence permanente pour les travailleurs étrangers temporaires essentiels dans tous les secteurs et à déposer un rapport d’étape à cet égard--Suite du débat

28 juin 2021


Honorables sénateurs, j’ai souligné à maintes reprises que les travailleurs étrangers temporaires font partie intégrante de la chaîne d’approvisionnement alimentaire du Canada. Aujourd’hui, je prends la parole au sujet de la motion tendant à exhorter le gouvernement à créer des voies d’accès à la citoyenneté ou à la résidence permanente pour les travailleurs étrangers temporaires essentiels dans tous les secteurs, qui a été déposée par la sénatrice Omidvar. J’aimerais d’abord dire que c’est un honneur de travailler avec ma collègue, la sénatrice Omidvar, qui est l’agente de liaison du Groupe des sénateurs indépendants. Étant moi-même président du Groupe des sénateurs canadiens, nous sommes tous les deux la preuve que des sénateurs de groupes différents peuvent travailler ensemble sur des enjeux d’intérêt mutuel. À titre de membre du Groupe des sénateurs canadiens, j’espère pouvoir collaborer sur d’autres enjeux avec mes collègues des deux côtés du Sénat.

Depuis des décennies, les travailleurs étrangers temporaires jouent un rôle déterminant dans le marché du travail canadien. En effet, chaque année, des milliers de ressortissants étrangers se rendent dans le Nord pour combler les pénuries de main-d’œuvre. Le secteur agricole est particulièrement tributaire de ces travailleurs, qui comptent pour environ 20 % de tous ses employés. Les travailleurs étrangers temporaires viennent au Canada chaque année pour travailler dans nos fermes, s’occuper de membres de nos familles et contribuer à un large éventail d’autres industries. Il ne fait aucun doute que ces personnes contribuent positivement à notre main-d’œuvre, de même qu’à leur pays d’origine puisqu’elles aident leur famille de l’étranger.

Il existe bien des façons pour les personnes de l’étranger de venir travailler au Canada, mais beaucoup de travailleurs agricoles viennent dans le cadre du Programme des travailleurs agricoles saisonniers ou du Programme des travailleurs étrangers temporaires. Le Programme des travailleurs étrangers temporaires permet aux employeurs canadiens d’embaucher temporairement des ressortissants étrangers afin de combler des pénuries temporaires. Il est géré conjointement par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et Emploi et Développement social Canada. Bien qu’il soit lié au Programme des travailleurs étrangers temporaires, le Programme des travailleurs agricoles saisonniers est un programme de huit mois qui vise les travailleurs du Mexique et des Caraïbes afin de combler les pénuries liées à l’agriculture et à certains secteurs des produits de base comme les produits laitiers, les champignons, la volaille et les grains, entre autres.

Selon Statistique Canada, il y avait environ 550 000 travailleurs étrangers temporaires au Canada en 2017, soit 2,9 % de l’emploi total. Même si le pourcentage global des travailleurs étrangers temporaires n’est pas très élevé, il est particulièrement important dans le secteur de l’agriculture, de la foresterie, de la pêche et de la chasse. En fait, Statistique Canada a également indiqué que les travailleurs étrangers temporaires représentaient 41,6 % des travailleurs agricoles en Ontario et plus de 30 % des travailleurs agricoles au Québec, en Colombie-Britannique et en Nouvelle-Écosse en 2017.

Comme nous le savons tous, la COVID-19 a frappé toutes les facettes de notre vie quotidienne, qu’il s’agisse de souligner des événements marquants en famille, à l’écran, par l’intermédiaire de Zoom, ou de tenir des séances du Sénat avec seulement quelques sénateurs présents à la Chambre rouge. Aucune industrie n’a échappé à ce virus importun, y compris celles qui ont besoin des services de travailleurs migrants. Selon des recherches menées par la Bibliothèque du Parlement, près de 3 000 permis de travail du Programme des travailleurs étrangers temporaires de moins sont entrés en vigueur en mars 2020 par rapport à la moyenne des cinq années précédentes. Cette situation résultait, bien entendu, des restrictions imposées aux voyages au début de l’année 2020 pour lutter contre les effets du virus. Bien que les restrictions aient été assouplies et que des exemptions aient été accordées pour tenir compte du rôle des travailleurs migrants, on a constaté une diminution du nombre total de travailleurs arrivés au Canada l’année dernière, ainsi qu’un retard important dans le processus d’obtention de permis et de voyage, ce qui s’est répercuté sur les producteurs agricoles et les transformateurs alimentaires.

La menace de la COVID-19 signifie également que les travailleurs sont confrontés à un risque accru lorsqu’ils quittent leur pays pour venir travailler au Canada. Au cours de l’année dernière, nous avons vu comment le virus a particulièrement touché les lieux de travail où les travailleurs peuvent se trouver à proximité les uns des autres, ce qui a conduit à plusieurs éclosions dans des endroits tels que des usines de transformation de viande et des fermes. Tragiquement, certains ressortissants étrangers travaillant dans des milieux où il fallait se rassembler ont perdu la vie à cause de la COVID-19.

Dans un article publié dans l’Ontario Farmer en février dernier, Ken Forth, producteur de brocoli de la région d’Hamilton et président du Foreign Agricultural Resources Management Service, indique que le travail consistant à mettre des aliments de première qualité dans les assiettes a toujours été difficile et risqué et que la COVID-19 n’a fait qu’ajouter aux défis existants.

M. Forth a écrit :

[...] la grande majorité des agriculteurs ont très bien réagi à la crise sanitaire. Ils se sont donné beaucoup de mal et ont agi très rapidement, dans des circonstances difficiles et en évolution rapide, pour limiter l’impact de la COVID-19 sur leurs travailleurs et leurs collectivités.

Il a ajouté :

Nous [les agriculteurs] nous soucions énormément de la santé et du bien-être de chaque personne qui travaille pour nous, qu’elle soit née ici ou ailleurs. Nous nous soucions d’eux en tant que travailleurs et, surtout, en tant que personnes.

Bien qu’il y ait quelques pommes pourries dans chaque groupe, j’aimerais profiter de cette occasion pour dire que la plupart des exploitations agricoles de notre grand pays qui emploient des travailleurs migrants le font avec fierté et respectent leurs travailleurs. Elles savent que c’est grâce à ces travailleurs que leurs exploitations sont en mesure de nourrir les Canadiens année après année. Certains travailleurs ont travaillé pour la même exploitation pendant des décennies, et bon nombre de ces exploitations cesseraient d’exister sans eux.

Plus tôt cette année, j’ai demandé au représentant du gouvernement au Sénat si le gouvernement prévoyait se préparer à l’arrivée des travailleurs étrangers temporaires de cette année en prévision de la prochaine saison des récoltes. J’espérais que le gouvernement s’efforcerait de faire en sorte que les employeurs et les travailleurs soient mieux préparés et appuyés pour minimiser le risque de contracter la COVID-19, protéger la santé des personnes à risque et, au bout du compte, éviter des événements tragiques comme l’épidémie et les décès dont on a été témoin l’année dernière.

Bien que je salue les mesures prises par le gouvernement pour soutenir ces secteurs vulnérables, je souhaite souligner qu’à partir du 31 août, le gouvernement mettra fin aux contributions versées dans le cadre du Programme d’aide pour l’isolement obligatoire des travailleurs étrangers temporaires. Malheureusement, la nature ne prévoit pas d’échéance pour planter, cultiver et récolter des denrées alimentaires.

Il ne fait aucun doute que les coûts associés à la période de quarantaine obligatoire de 14 jours et aux éventuelles journées d’isolement additionnelles en cas d’infection ou de test positif ne peuvent pas être récupérés sur le marché. Qui plus est, les agriculteurs, les producteurs et les transformateurs ont encore besoin d’une aide garantie pour maintenir la stabilité de la production. J’implore le gouvernement de revoir sa décision d’éliminer progressivement ce plan de financement et de s’engager plutôt à fournir une aide financière continue et durable jusqu’à ce que les exigences de quarantaine soient levées.

Alors que le Programme des travailleurs étrangers temporaires et le Programme des travailleurs agricoles saisonniers dont j’ai parlé sont complexes et comportent de nombreux volets, il est primordial que le public ait confiance envers les programmes fédéraux axés sur le travail. Afin d’évaluer ce degré de confiance et de bien comprendre comment les Canadiens perçoivent ces programmes et les travailleurs étrangers temporaires, la sénatrice Omidvar et moi-même avons collaboré avec l’entreprise Nanos Research pour sonder les Canadiens sur l’importance du secteur de l’agriculture pour l’économie canadienne, le rôle des travailleurs étrangers temporaires et des programmes connexes dans le secteur agricole ainsi que les voies vers la citoyenneté ou la résidence permanente pour les travailleurs étrangers temporaires.

Selon les résultats de ce sondage effectué l’automne dernier, plus de 8 Canadiens sur 10 seraient favorables ou plutôt favorables à ce qu’on offre aux travailleurs migrants temporaires une façon de pouvoir rester au Canada. Les résultats indiquent aussi que la grande majorité des Canadiens sont d’accord ou plutôt d’accord pour dire que les travailleurs migrants temporaires contribuent de façon essentielle au secteur agricole canadien et qu’ils devraient avoir droit aux mêmes avantages et protections que tout autre travailleur.

Il est à noter que ce ne sont pas tous les travailleurs migrants qui cherchent à obtenir le statut de résident permanent au Canada, et que nombre d’entre eux préfèrent venir au Canada pour quelques mois, puis retourner chez eux auprès de leur famille pour le reste de l’année, mais nous devrions quand même offrir d’autres possibilités à ceux qui veulent devenir des résidents permanents.

Dylan Wiens, un cultivateur de pêches et de fruits de Niagara, en Ontario, m’a dit ceci :

Ce ne sont pas les agriculteurs qui établissent les règles en matière d’immigration, mais nous appuyons sans réserve tout travailleur agricole étranger qui veut suivre le processus établi par le gouvernement pour demander le statut de résident permanent.

En 2020, le gouvernement fédéral a aussi lancé un programme de trois ans : le Programme pilote sur l’agroalimentaire. Il n’a pas été lancé expressément en réponse à la pandémie de COVID-19, mais il vise à répondre aux besoins en main-d’œuvre du secteur de l’agroalimentaire en offrant une nouvelle façon d’obtenir le statut de résident permanent à certains travailleurs du secteur de l’agroalimentaire. Malheureusement, j’ai appris que très peu de personnes ont participé à ce programme depuis qu’il a été annoncé, l’année dernière.

Au cours d’une séance d’information tenue en décembre, des fonctionnaires du ministère ont indiqué qu’en octobre dernier, seulement 153 demandes avaient été reçues, alors que le programme a une capacité annuelle de 2 750 candidats. Bien que cela soit décevant, j’espère que le gouvernement fait de son mieux pour promouvoir les programmes disponibles à ceux qui souhaitent obtenir la résidence permanente.

Par la suite, de bonnes nouvelles sont arrivées en avril, quand le ministre de l’Immigration a annoncé une voie supplémentaire menant à la résidence permanente pour plus de 90 000 travailleurs temporaires essentiels et diplômés étrangers. Cette annonce réjouissante a créé une occasion unique et limitée permettant à des camionneurs, à des aidants naturels, à des travailleurs de la santé et à des travailleurs agricoles de faire une demande selon des critères précis. Bien qu’il s’agisse d’un bon pas en avant dans le dialogue avec ceux qui souhaitent obtenir la résidence permanente, il faut se souvenir que ce ne sont pas tous les travailleurs qui le souhaitent. Il est essentiel que tous les travailleurs qui viennent contribuer au marché du travail canadien, que ce soit en agriculture, en santé ou ailleurs, obtiennent l’aide du Canada.

Le fait d’offrir une voie menant à la résidence permanente à ceux qui la souhaitent ne fera que renforcer la main-d’œuvre canadienne, soutenir la relance de notre économie et resserrer le tissu de notre société diversifiée, mais il ne faut pas oublier d’aider ceux qui quittent leur famille et leurs amis pour aller travailler à l’étranger pendant une partie de l’année.

La populaire page de Facebook intitulée Faces Behind Food recense les histoires de ces travailleurs qui œuvrent dans l’ombre de nos industries agroalimentaires, dont de nombreux travailleurs migrants. J’aimerais vous faire part de l’histoire de Percy publiée le 14 janvier sur Faces Behind Food. Percy est travailleur agricole saisonnier dans un verger de pommiers en Ontario. Il raconte :

Voilà 30 ans que je viens au Canada pour travailler. J’aime ça. Je peux ainsi envoyer de l’argent à la maison pour acheter des choses. Mon salaire me permet de nourrir ma famille, de construire une maison, et quand je rentre chez moi, c’est comme si j’étais en vacances. Je viens travailler ici sept mois et je rentre chez moi cinq mois, puis je recommence. J’ai trois enfants qui ont respectivement 28, 30 et 31 ans. Ici, on apprend à connaître tout le monde et l’entourage devient une famille.

Des histoires comme celle-ci mettent en évidence les liens durables qui se sont tissés grâce au Programme des travailleurs agricoles saisonniers. Je crois sincèrement que l’on devrait offrir des possibilités de résidence permanente à ceux que cela intéresse. Toutefois, comme je l’ai déjà dit, nombre de ces travailleurs tiennent à rentrer chez eux. Encore une fois, j’espère que le gouvernement s’efforcera non seulement de proposer d’autres options pour obtenir la résidence permanente, mais aussi de promouvoir davantage les programmes déjà en place et de s’engager auprès de ceux qui les utilisent.

Chers collègues, il est indéniable que la dernière année a posé certains des problèmes les plus difficiles qu’on ait connus de notre vivant. Malgré ses nombreux inconvénients, la pandémie actuelle de COVID-19 nous a tous donné une raison de revoir nos priorités, d’élaborer des plans de secours et de nous assurer que nous sommes prêts à tout. Pendant que nous continuons à nous adapter à la nouvelle normalité, il est également important de rendre hommage aux personnes qui continuent de se dévouer au service de la population dans les secteurs essentiels.

Si je ne peux me qualifier d’expert dans de nombreux domaines, je m’y connais en agriculture canadienne. En tant que défenseur de longue date de ce secteur, je sais que de nombreux agriculteurs, producteurs et transformateurs dépendent du travail des travailleurs migrants, dont beaucoup se déplacent pour travailler pour les mêmes employeurs depuis des décennies.

L’agriculture canadienne est un secteur complexe et les besoins en main-d’œuvre de chaque agriculteur sont différents de ceux du voisin, d’autant plus que l’industrie a été confrontée à un stress accru en raison de la pandémie de COVID-19. La pandémie a mis en évidence les vulnérabilités existantes de l’industrie agricole canadienne, notamment en ce qui a trait à l’insuffisance et l’instabilité de son bassin de main-d’œuvre ainsi que la nécessité d’avoir une stratégie nationale de la main-d’œuvre agroalimentaire et de faire des investissements stratégiques dans l’industrie agroalimentaire, mais elle a également montré très clairement que les travailleurs agricoles sont essentiels au maintien de la chaîne d’approvisionnement alimentaire canadienne.

Honorables sénateurs, je tiens maintenant à vous citer Cyr Couturier, président du Conseil canadien pour les ressources humaines en agriculture. Quand je lui ai demandé ce que l’industrie faisait pour soutenir les travailleurs étrangers dans le domaine de l’agriculture, il m’a répondu ceci :

Rassurez-vous, l’industrie travaille d’arrache-pied pour élaborer des stratégies sectorielles visant à développer des voies de recrutement et de rétention dans les secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire, notamment un meilleur accès à la résidence permanente.

À une époque où presque rien n’était certain, le secteur agricole a travaillé sans relâche pour nourrir les familles canadiennes sans qu’elles aient à craindre des pénuries. Il est essentiel que le gouvernement canadien s’efforce de soutenir de manière proactive les nombreux travailleurs étrangers temporaires qui reviennent au Canada chaque année et d’examiner la possibilité d’ouvrir des voies supplémentaires vers la résidence permanente, ainsi que d’encourager ceux qui cherchent à obtenir le statut de résident permanent à en faire la demande. Ces travailleurs étrangers temporaires font de leur mieux pour le Canada. Maintenant, faisons de même pour eux.

Sénatrice Omidvar, j’ai hâte de collaborer de nouveau avec vous à l’avenir. Merci de m’avoir écouté. Meegwetch.

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