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La Loi concernant le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

8 février 2024


Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour parler du projet de loi C-282, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (gestion de l’offre).

Comme vous le savez, quand je prends la parole dans cette enceinte, je parle souvent de l’agriculture et des communautés rurales. Il est essentiel pour le Canada que nous soulignions les problèmes, les préoccupations et les réussites de ce secteur très important et que nous parlions des répercussions des mesures législatives sur l’agriculture et les milieux ruraux aux quatre coins du pays.

Comme je le fais pour tout projet de loi et pour toute question que j’aborde ici ou dans les salles de réunion des comités, je m’efforce de dialoguer avec toutes les parties prenantes de l’industrie, avec les dirigeants locaux partout au pays ainsi qu’avec mes voisins de quartier, afin de recueillir leurs idées et leurs points de vue et de mieux savoir en quoi tous ces gens peuvent être touchés ou concernés.

Je dis toujours que je ne peux pas parler au nom de l’agriculture et des régions rurales si je ne parle pas avec les personnes qui pourraient être directement touchées par les politiques du gouvernement ou les lois fédérales.

Pour préparer mon discours, comme toujours, j’ai cherché à m’entretenir avec des agriculteurs et des producteurs de l’ensemble du secteur — ceux qui sont soumis à la gestion de l’offre comme ceux qui ne le sont pas.

Ce dont je me suis rendu compte, c’est que ce n’est pas seulement le secteur qui est ambivalent par rapport à ce projet de loi : je le suis moi-même.

J’ai entendu haut et fort de la part de tous, chers collègues, que même si ce projet de loi semble porter sur l’agriculture et le secteur agricole soumis à la gestion de l’offre, il porte en fait sur le commerce international et les futures négociations commerciales. C’est même écrit directement dans le titre du projet de loi : « Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement ».

Ce projet de loi ordonnera non seulement aux négociateurs commerciaux du Canada de continuer à protéger notre secteur soumis à la gestion de l’offre, mais aussi d’inscrire dans la loi la protection de cet élément particulier du secteur agricole.

Chers collègues, la protection des produits soumis à la gestion de l’offre a toujours été un enjeu dans l’industrie, et ce, depuis des années. Le groupe GO5, qui englobe les œufs, le poulet, la dinde, les œufs d’incubation et les produits laitiers, est considéré comme séparé du reste du secteur agricole, qui ne bénéficie guère d’un système de gestion de l’offre.

La gestion de l’offre est un moyen pour les agriculteurs et les décideurs de contrôler, au moyen d’un système de gestion, l’offre ou la quantité d’une denrée. Pour commercialiser leurs produits, les producteurs soumis à la gestion de l’offre doivent détenir un permis, communément appelé « quota », sans lequel ils ne pourraient pas vendre leurs produits à une usine de transformation.

Il est donc compréhensible, chers collègues, que la gestion de l’offre puisse causer des tensions entre le GO5 et les autres producteurs agricoles. Cette situation dresse vraiment les agriculteurs les uns contre les autres, et c’est devenu un sujet de discorde.

C’est la raison même pour laquelle j’ai voulu parler à des gens issus de tous les secteurs de l’industrie agricole et alimentaire, en particulier ceux qui commercialisent leurs produits dans le cadre d’un système de gestion de l’offre et ceux qui ne font pas partie du GO5, afin d’entendre leurs idées et leurs opinions sur le projet de loi.

Permettez-moi toutefois de revenir à mes commentaires précédents. Le projet de loi ne porte pas sur l’agriculture. Il porte sur la politique commerciale internationale et ce qu’elle signifiera pour les futures négociations commerciales au-delà des discussions sur les produits soumis à la gestion de l’offre.

Les producteurs du GO5 appuient évidemment le projet de loi, car il inscrit dans la loi la protection de leurs produits. Par contre, beaucoup de gens de l’industrie qui ne relèvent pas de nos systèmes de gestion de l’offre n’appuient pas le projet de loi. Ils s’y opposent non seulement parce qu’un grand nombre d’entre eux estiment qu’il n’est pas approprié de protéger une seule partie de l’industrie, mais aussi parce que le fait d’inscrire dans la loi la protection de certains produits en prévision de futures négociations commerciales lie les mains des négociateurs, et d’autres industries risquent de crier à l’injustice et de vouloir les mêmes protections.

En réalité, j’ai entendu dire que des industries comme l’industrie sidérurgique, l’industrie automobile et même l’industrie du bois d’œuvre pourraient demander les mêmes protections.

Chers collègues, je ne vais pas me lancer dans un débat sur les avantages et inconvénients de la gestion de l’offre. Je ne militerai pas pour un côté ou l’autre. Je ne veux pas choisir un côté ou l’autre. C’est ce que fait le projet de loi, en fait : il dresse l’agriculture contre l’agriculture. L’ensemble de l’industrie s’entend sur ce point, peu importe la position de chacun. On ne peut pas, et on ne doit pas, créer une division aussi controversée à l’intérieur du secteur agricole.

Les agriculteurs, les producteurs et les transformateurs sont tous du même côté : ils sont de notre côté, du côté des Canadiens, et ils triment dur pour nous procurer des aliments à mettre sur la table et pour en fournir aussi à des gens du monde entier. Je parlerai brièvement des conséquences que ce projet de loi pourrait avoir sur le commerce international et les industries qui ne font pas partie du groupe GO5; on peut penser à l’acier, au bois d’œuvre ou à tout autre produit que nous produisons au Canada, comme je l’ai mentionné plus tôt.

Chers collègues, j’ai entendu les points de vue de gens des deux côtés du débat. Il s’agit manifestement de protectionnisme. Certains y sont favorables, parce qu’ils en bénéficient. D’autres, qui n’en bénéficient pas, craignent l’effet de spirale que la mesure proposée pourrait déclencher.

Honorables sénateurs, le monde continue de croître et d’être confronté à des défis économiques sans précédent. Devant les fluctuations et la volatilité des marchés mondiaux, nous devons rester souples, ce qui signifie de rester ouverts à la négociation. Ce sera particulièrement vrai dans les prochaines décennies, puisque la gestion des ressources, les chaînes d’approvisionnement et la sécurité alimentaire deviendront plus cruciales que jamais.

Le Canada a l’obligation — pas seulement envers lui-même, mais aussi envers le reste de la planète — de continuer à fournir des produits de qualité provenant de tous les secteurs, pas seulement du secteur agricole. Cela provient de la volonté économique de négocier le meilleur accord pour le Canada et le reste de la planète au moment des négociations. Voilà ce que signifie le libre-échange.

J’aimerais citer un extrait du document Perspectives commerciales de février-mars 2023 de l’Alliance canadienne du commerce agroalimentaire :

[...] cette législation [aur]ait de graves conséquences pour les intérêts canadiens, incite[rait] nos partenaires commerciaux à protéger leurs propres secteurs sensibles et mine[rait] la crédibilité du Canada à titre de pays qui défend la nécessité d’un commerce libre et ouvert sur la scène mondiale.

L’article se poursuit ainsi :

Les membres ont en outre souligné que les accords les plus importants et les plus avantageux pour le Canada, comme l’Accord Canada/États-Unis/Mexique (ACEUM) et l’accord du Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) ont été conclus grâce aux compromis consentis et à la souplesse manifestée dans le cadre des négociations d’accords commerciaux complexes et ambitieux.

Chers collègues, Greg Northey, président de l’Alliance canadienne du commerce agroalimentaire, a déclaré ceci devant le comité de l’autre endroit :

Si nous excluons certains éléments — et ce sans égard au secteur ou à la mesure de protection adoptée —, nous ne pourrons jamais conclure des ententes commerciales viables avec l’un de ces pays.

Il est clair que ce projet de loi porte sur le protectionnisme. Nous devons déterminer si cela représente l’avenir du commerce canadien.

Voulons-nous que le Canada soit perçu comme un pays protectionniste?

D’autres pays observent le Canada et ce que nous faisons. Ce n’est qu’une question de temps avant que d’autres pays ne commencent à retirer leurs produits de la table de négociation. Il faut espérer qu’il ne s’agira pas de produits dont le Canada dépend, au risque d’avoir d’autres problèmes à régler par la suite.

Nos négociateurs commerciaux doivent se montrer ouverts aux discussions et aux préoccupations de tous les acteurs de l’économie internationale. Nous devons tous nous efforcer de ne pas agir de mauvaise foi envers nos partenaires commerciaux fiables qui ne cessent de faire appel aux importantes ressources dont dispose le Canada.

Compte tenu de la volatilité des marchés internationaux et des défis nouveaux et complexes auxquels sont confrontées les économies politiques internationales, la capacité du Canada à approvisionner le monde est de plus en plus sollicitée. Je pense non seulement à l’agriculture, mais aussi à l’acier, aux minéraux critiques destinés à l’innovation verte, au bois d’œuvre, aux produits pharmaceutiques et à bien d’autres produits qui risquent d’être menacés si nous commençons à lier les mains de nos négociateurs dévoués.

Un autre problème que j’ai constaté dans le domaine du commerce, c’est le recours accru aux barrières non tarifaires. Le gouvernement se préoccupe tellement de faire la distinction entre les secteurs qui sont soumis au libre-échange et ceux qui sont soumis à la gestion de l’offre que les accords commerciaux actuels ne tiennent pas compte des aspects essentiels de la gestion des chaînes d’approvisionnement.

Le Conseil canadien du canola a déclaré ce qui suit :

Une fois qu’un accord de libre-échange entre en vigueur, il faut une stratégie et des ressources dédiées pour assurer la mise en œuvre et le respect des accords et concessions négociés, en particulier dans les domaines des mesures sanitaires et phytosanitaires et des obstacles techniques au commerce.

Malgré une action mondiale continue pour réduire les droits de douane et les barrières tarifaires, les pays semblent prendre des mesures protectionnistes par l’intermédiaire de barrières non tarifaires. Pourquoi pensons-nous que c’est le cas, chers sénateurs? Est-ce parce qu’ils voient des pays comme le Canada empêcher constamment les négociations ouvertes? Est-ce parce que nous ne gérons pas correctement les accords de libre-échange déjà conclus?

Il est important que nous — en tant que Chambre de second examen objectif — continuions à examiner minutieusement les projets de loi et à nous pencher sur les éventuels déséquilibres qu’ils peuvent présenter, au détriment de l’esprit partisan et de l’ambition politique. Cela revient peut-être à mettre la charrue avant les bœufs, chers collègues.

Pendant des années, tous les partis qui se sont succédé au gouvernement, à l’autre endroit, ont manifesté leur soutien aux secteurs soumis à la gestion de l’offre. Toutefois, en adoptant une approche bornée à l’égard du commerce mondial, par l’élaboration d’un projet de loi porteur de discorde, on ne fait que montrer un manque de volonté et les limites de notre coopération internationale.

La gestion de l’offre est un aspect de l’agriculture canadienne que l’on défend depuis longtemps. Pendant des années, ce programme a été profitable en période de volatilité économique mondiale. Toutefois, le fait d’afficher une réticence à entamer des négociations de bonne foi peut également dissuader nos partenaires commerciaux de s’engager loyalement dans les négociations sur le libre-échange qui soutiennent l’économie diversifiée et productive du Canada.

Dans un communiqué de presse d’Agriculture et Agroalimentaire Canada publié le 29 septembre 2023, le ministre Lawrence MacAulay a déclaré :

Le gouvernement du Canada continuera de préserver, de protéger et de défendre le système de gestion de l’offre du Canada et s’engage à ne faire aucune concession supplémentaire en matière d’accès aux marchés en ce qui concerne les produits sous gestion de l’offre dans les futurs accords commerciaux.

Chers collègues, y a-t-il lieu de s’inquiéter de cette déclaration du ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire?

En terminant, je tiens à vous laisser avec quelques questions à méditer. Comment pouvons-nous assurer la sécurité alimentaire mondiale sans commerce international libre et ouvert? Si nous comptons isoler les chaînes d’approvisionnement canadiennes, que se produira-t-il si, à cause d’une perturbation locale, les producteurs canadiens de volaille ou de produits laitiers ne sont pas en mesure de répondre à la demande au Canada? Dans un contexte où le Canada est le cinquième producteur alimentaire en importance dans le monde et où il a la responsabilité de contribuer à nourrir la planète, est-ce que fermer l’accès aux marchés équivaut à bloquer l’accès aux produits alimentaires? Ce projet de loi n’est-il pas en contradiction directe avec les engagements qu’a pris le Canada lorsqu’il a signé récemment les déclarations sur la sécurité alimentaire du G7, du G20, de l’Organisation mondiale du commerce et de l’APEC? Ne devrions-nous pas nous inquiéter des projets de loi qui, comme celui dont nous sommes saisis, pourraient nous priver d’investissements étrangers, ainsi que des répercussions que cela aurait sur l’ensemble du pays? Si nous adoptons ce projet de loi, quelles pourraient être les conséquences à moyen et à long terme pour le GO5?

J’espère qu’on pourra, à l’étape de l’étude en comité, répondre à ces questions et à bien d’autres, à ma satisfaction et à la vôtre. Comme vous le savez, j’appuie généralement les projets de loi qui ont des retombées positives dans le domaine agricole. Dans ce cas‑ci, bien que j’aie des réserves, comme en témoignent les questions que je viens de poser, je vais appuyer le projet de loi à l’étape de la deuxième lecture afin de le renvoyer au comité. L’industrie espère par ailleurs qu’il sera confié au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, puisqu’il s’agit du projet de loi « modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement » en ce qui concerne la gestion de l’offre. C’est donc une mesure qui traite de commerce et non d’agriculture.

Étant donné que projet de loi C-282 a été renvoyé au comité du commerce international de l’autre endroit, j’espère, tout comme l’industrie, que cette Chambre-ci le renverra au comité approprié, dont les membres auront une expertise semblable au moment d’examiner les changements proposés aux fins des futures négociations commerciales.

Je remercie mes honorables collègues du temps de parole qui m’a été accordé. J’espère que nous arriverons à poursuivre le débat la tête froide, en considérant attentivement l’ensemble des facettes et des répercussions de ce projet de loi aussi audacieux que controversé.

Merci. Meegwetch.

L’honorable Pierrette Ringuette [ + ]

Le sénateur Black accepterait-il de répondre à une ou deux questions?

Bien sûr.

La sénatrice Ringuette [ + ]

Merci, sénateur Black.

Je dirais que je suis quelque peu perplexe, car, pendant la même période de 20 minutes, vous avez fait un discours qui appuie les agriculteurs et un autre qui ne leur est pas très favorable. Cependant, la principale question que j’aurais à vous poser est la suivante. Vous avez dit que vous n’appuierez probablement pas ce projet de loi à l’étape de la troisième lecture. Il y a quelques mois, vous avez demandé au Sénat d’appuyer un autre projet de loi d’initiative parlementaire, le C-234, parce qu’il avait été adopté à l’autre endroit. Or, il semble maintenant que les choses ont changé.

Pourriez-vous préciser votre position en ce qui concerne les projets de loi que nous recevons de l’autre endroit et nous dire si, selon vous, le Sénat a raison d’apporter des amendements lorsqu’il le juge nécessaire?

En ce qui me concerne, j’ai besoin de bien comprendre votre position par rapport aux projets de loi d’initiative parlementaire qui proviennent de l’autre endroit et qui ont été appuyés par la grande majorité des députés.

Merci, chère collègue. Je tiens à être bien clair. Je n’ai pas dit que je n’appuierais pas ce projet de loi. J’ai dit que je l’appuierais à l’étape de la deuxième lecture afin qu’il soit renvoyé au comité et qu’il fasse l’objet d’un examen plus approfondi. Il nous appartiendra à tous, à l’étape de la troisième lecture, de décider de l’appuyer ou non. Je n’ai pas dit que je ne l’appuierais pas à l’étape de la troisième lecture.

En ce qui concerne les projets de loi provenant de l’autre endroit qui ont été appuyés par la majorité, ou uniquement par l’autre endroit, je pense que le Sénat est une Chambre de second examen objectif. Vous avez parlé du projet de loi C-234. On en a longuement débattu au comité et il est revenu ici, où nous en avons débattu encore davantage. J’espère que nous débattrons de ce projet de loi ici à l’étape de la deuxième lecture, puis qu’il sera renvoyé au Comité des affaires étrangères et du commerce international pour un examen approfondi. C’est au sein de ce comité qu’on retrouve les experts en matière de projets de loi sur le commerce.

Je me réjouis à l’idée de ce débat. J’espère pouvoir assister à une partie de ce débat pour entendre le point de vue du secteur de l’agriculture, quoiqu’il ne concerne pas seulement l’agriculture. Merci.

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