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L'équité en matière de santé mentale, d'abus de substances et de toxicomanie

Interpellation--Suite du débat

7 novembre 2024


Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’importante interpellation de ma collègue, la sénatrice Sharon Burey, sur l’équité en matière de santé mentale, d’abus de substances et de toxicomanie. Les vastes connaissances qu’elle possède en tant que médecin et pédiatre ont éclairé de façon incommensurable nos discussions dans cette enceinte et au sein du Comité de l’agriculture et des forêts. Je tiens à la remercier de son travail acharné, de ses interventions et de ses réflexions.

Honorables collègues, la santé mentale est une question cruciale qui nous touche tous, directement ou indirectement, et qui aurait dû être traitée il y a longtemps. Comme dans la plupart de mes interventions au Sénat, j’aimerais aborder cette interpellation du point de vue des gardiens de notre terre, c’est-à-dire les agriculteurs et leurs familles. La santé mentale dans la communauté agricole est une question qui mérite une attention particulière, et je crois qu’elle reflète les enjeux sociétaux plus vastes auxquels nous devons faire face en ce qui concerne la santé mentale et la toxicomanie.

Nous savons que les problèmes de santé mentale et de toxicomanie sont étroitement liés et touchent des Canadiens de tous les horizons. Lorsqu’on se penche sur les problèmes de santé mentale au sein de nos collectivités agricoles, on constate qu’il existe un ensemble de problèmes uniques qui ne sont pas suffisamment pris en considération. L’agriculture n’est pas seulement un métier. C’est un mode de vie qui implique de longues heures de travail, de l’incertitude financière, de l’instabilité et de l’isolement. Ces facteurs créent des conditions de santé mentale différentes de ce qu’on observe dans d’autres professions.

Chers collègues, permettez-moi d’expliquer cela plus en détail. En Ontario, les agriculteurs, les travailleurs agricoles et les membres de leur famille travaillent souvent dans des régions socialement isolées et éloignées. À cause de cet éloignement des centres urbains, combiné aux pressions sociétales et culturelles inhérentes, où la résilience et l’autonomie sont valorisées, beaucoup de gens dans le secteur agricole peuvent avoir le sentiment qu’ils doivent endurer leur situation plutôt que de demander de l’aide. Les préjugés associés à la santé mentale peuvent être encore plus enracinés dans ces communautés, et nous devons nous y attaquer de front.

Ce problème est aggravé par le fait que, dans ces régions éloignées et rurales, les ressources en santé mentale sont souvent inaccessibles. Pour avoir accès à des services de santé mentale, il faut souvent parcourir de longues distances, ce qui n’est pas toujours faisable, en particulier lorsque la saison agricole bat son plein.

De nombreux programmes menés par le secteur offrent des outils de bien-être en santé mentale qui sont spécialement conçus pour les agriculteurs et les travailleurs des secteurs de l’agriculture et qui répondent à leurs besoins particuliers. Par exemple, Agriculture et bien-être Ontario accomplit un travail extraordinaire par l’intermédiaire de sa série de programmes gratuits conçus spécialement pour la santé mentale et le bien-être de la communauté des agriculteurs de l’Ontario. Gérés par la section de l’Ontario de l’Association canadienne pour la santé mentale, en partenariat avec des acteurs du secteur agricole, ces programmes offrent des services essentiels, comme du counseling 24 heures sur 24, du soutien par les pairs et de la sensibilisation adaptée aux besoins particuliers des agriculteurs en matière de santé mentale. Parmi les autres programmes du secteur que nous pourrions citer en exemple se trouvent les nombreux programmes et mesures d’aide offerts par l’intermédiaire de Financement agricole Canada ou appuyés par cet organisme. Financement agricole Canada fait un travail remarquable pour le secteur et fournit une aide extraordinaire aux personnes qui cherchent à en obtenir.

Chers collègues, la disponibilité de ces types de services est un progrès important, mais ce n’est qu’une partie de la solution. Nous devons faire davantage pour développer ce type de services et de programmes, non seulement en Ontario mais dans tout le pays. Nous avons besoin de programmes fédéraux et nationaux qui tiennent compte des difficultés particulières que rencontrent les agriculteurs et qui leur offrent une aide ciblée pour répondre à leurs besoins là où ils se manifestent, que ce soit à la ferme, à la maison ou au sein de la communauté. Il faut garder à l’esprit que le manque d’accès à une connexion Internet fiable et à large bande dans bon nombre de ces communautés rurales et isolées constitue également un obstacle considérable à l’accès à des soins de santé adéquats, y compris à des services de santé mentale.

Chers collègues, la réalité est que de nombreux agriculteurs souffrent de ce que l’on appelle le « syndrome de l’agriculteur », qui se caractérise par la fatigue physique, la tension mentale et l’épuisement professionnel. Ce syndrome est souvent une conséquence directe de la nature exigeante et incessante de la vie agricole. Il n’y a pas de journées de travail de 9 à 5 en agriculture. Les effets du syndrome de l’agriculteur peuvent être graves et entraîner toute une série de problèmes de santé physique et mentale, notamment la dépression, l’anxiété, les problèmes cardiaques, voire la toxicomanie comme mécanisme d’adaptation.

Selon des recherches de l’Université de Guelph et d’autres établissements universitaires, les agriculteurs sont particulièrement vulnérables aux problèmes de santé mentale. En fait, une enquête nationale sur la santé mentale des agriculteurs menée entre 2015 et 2016 a révélé que les agriculteurs canadiens connaissent des niveaux de stress, d’anxiété, de dépression et d’épuisement professionnel considérablement plus élevés que la population générale. L’enquête a également révélé que de nombreux agriculteurs étaient moins susceptibles de demander de l’aide pour ces problèmes, souvent parce qu’ils avaient l’impression qu’ils devaient accorder la priorité à leur travail plutôt qu’à leur bien-être ou qu’ils craignaient d’être jugés par leurs pairs, ce qui est une stigmatisation courante à l’égard de ceux qui ont besoin d’aide.

Les programmes de soutien axés sur la santé mentale des agriculteurs sont vitaux pour ces derniers, car ils leur offrent de la formation, de l’information et du soutien qui correspondent à leurs expériences uniques. Cependant, aussi bénéfiques que soient ces programmes, ils ne sont pas suffisants, comme je l’ai dit. Dans les régions rurales et éloignées, nous sommes encore confrontés à d’importants obstacles en matière de soins de santé mentale. Le coût, la stigmatisation et la géographie continuent d’empêcher de nombreux agriculteurs de recevoir l’aide dont ils ont besoin.

Chers collègues, nous devons tous travailler ensemble pour éliminer les obstacles et faire en sorte que chaque Canadien — quel que soit son lieu de résidence, de travail ou de détente — ait accès aux services de soutien en santé mentale dont il a besoin.

En tant que personne profondément investie dans le bien-être des agriculteurs et des familles d’agriculteurs, j’ai pu constater de première main à quel point nos agriculteurs sont essentiels au tissu économique et social du pays. Ils nourrissent notre population, ils prennent soin de nos terres et ils contribuent à la viabilité de nos collectivités et du Canada.

N’oublions pas toutefois que leur santé mentale est aussi importante pour la durabilité de l’agriculture canadienne que la santé des sols, le rendement des cultures ou la gestion du bétail. Quand les agriculteurs ont des problèmes de santé mentale, cela nuit non seulement à leur bien-être, mais aussi à leur capacité de s’occuper de leur ferme, de leur famille et de leur collectivité.

Alors que nous envisageons l’avenir de l’agriculture canadienne, nous devons veiller à ce que l’accès à du soutien viable et stable en matière de santé mentale soit la pierre angulaire de toutes les politiques agricoles. Il faut donc intégrer les services de santé mentale dans le cadre plus large des programmes de soutien à l’agriculture, en reconnaissant que la santé de nos agriculteurs est inextricablement liée à la santé de l’ensemble de notre secteur agricole.

Bien entendu, il n’y a pas que le milieu de l’agriculture qui vit de tels problèmes. Partout au Canada, l’anxiété, la dépression et la toxicomanie sont de plus en plus présentes, dans tous les secteurs. La crise de la santé mentale qui s’est développée dans la foulée de la pandémie de COVID-19 n’a fait qu’élargir les fissures existantes dans notre système de santé en mettant en évidence un besoin urgent de réforme.

Dans un récent rapport, le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes a insisté sur l’urgence d’agir, non seulement dans le secteur agricole, mais aussi dans l’ensemble des industries et des secteurs. Rien ne justifie que les ressources en santé mentale soient inaccessibles ou sous-financées alors que les besoins sont aussi criants.

Tout le monde, y compris le gouvernement, l’industrie, le secteur privé et les Canadiens, doit prendre des mesures audacieuses pour résoudre cette crise, en commençant par veiller à ce que les traitements en matière de santé mentale et de toxicomanie soient considérés être aussi pressants et aussi importants que les soins physiques.

Relativement au traitement de la santé mentale et de la toxicomanie, chers collègues, nous devons faire le nécessaire pour atteindre une véritable parité au Canada. Pour ce faire, il faut pleinement intégrer les services de santé mentale dans nos systèmes de santé et les rendre accessibles à tous les Canadiens, indépendamment de leur lieu de travail ou de résidence, ou de la profession qu’ils exercent.

Comme la sénatrice Burey y a fait allusion, cela signifie réduire la stigmatisation associée à la recherche d’aide et augmenter le financement des programmes de santé mentale et de traitement de la toxicomanie dans tous les secteurs de la société. Nous ne pouvons pas traiter la santé mentale comme une question secondaire. Le bien-être de nos citoyens, qu’ils soient agriculteurs, travailleurs de la santé, étudiants ou caissiers à l’épicerie du coin, dépend de notre volonté de reconnaître que la santé mentale fait partie intégrante de notre santé globale.

En conclusion, chers collègues, je voudrais inviter tous les sénateurs à parler de l’interpellation de la sénatrice Burey et à continuer de plaider en faveur de politiques qui reconnaissent l’importance de la parité en matière de santé mentale. Dans nos efforts pour résoudre les problèmes complexes de santé mentale, de toxicomanie et de dépendance au Canada, nous devons veiller à ce qu’aucun Canadien ne soit laissé pour compte. Nous devons agir maintenant, c’est notre devoir envers les agriculteurs, les familles et les collectivités.

Merci, meegwetch.

L’honorable Sharon Burey [ + ]

Sénateur Black, je vous remercie beaucoup de votre leadership au Comité de l’agriculture et je vous remercie infiniment d’avoir souligné les besoins des agriculteurs et des Canadiens des régions rurales, notamment en matière de santé mentale. Comme vous le savez, la santé mentale est essentielle à une bonne santé.

Je voulais vous poser une question. Dans votre discours très complet, vous avez fait allusion à la productivité et à l’insécurité alimentaire chez les agriculteurs qui ont des problèmes de santé mentale. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?

Je vous remercie, chère collègue. Je vais en dire un peu plus à ce sujet. Évidemment, quand la santé mentale d’un producteur ou d’un agriculteur est ébranlée, cela a des répercussions sur tous les aspects de son exploitation agricole, qu’il s’agisse de ses interactions et de ses relations avec les membres de sa famille ou de sa façon d’accomplir ses tâches, donc de s’occuper du bétail, des cultures et ainsi de suite. Tout est touché. Comme je l’ai mentionné, il ne s’agit pas d’un emploi de 9 à 5. Les agriculteurs doivent toujours être là, 24 heures par jour, 7 jours par semaine, 365 jours par année.

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