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La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture

2 mai 2019


Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-83, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et une autre loi.

Honorables sénateurs, le fait de passer des journées enfermé dans une cellule de la taille d’une petite salle de bain provoque et aggrave sans doute des problèmes de santé mentale. Les hallucinations, la paranoïa, l’anxiété paralysante et la dissociation ne sont que quelques-uns des dommages psychologiques, neurologiques et physiques causés par l’isolement.

Honorables sénateurs, nous devons prendre le temps de nous mettre dans la peau d’un prisonnier placé en isolement et d’envisager des solutions de rechange à ces conditions inhumaines. Après tout, les établissements correctionnels ont pour but de réhabiliter et non de punir. Ils ne visent certainement pas à aggraver les problèmes de santé mentale préexistants.

Comme le sénateur Klyne l’a indiqué, l’article 72 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition accorde aux sénateurs, à l’instar des députés et des juges, des droits spéciaux d’accès aux prisons. Les gens qui se sont prévalus de ces droits savent que les prisons fédérales, et les unités d’isolement en particulier, sont remplies de gens qui comptent parmi les plus marginalisés de notre société, à savoir les pauvres, les personnes racialisées, les victimes et les personnes ayant des déficiences. Ils sont des éléments des groupes minoritaires que nous avons le devoir particulier de représenter en tant que sénateurs, c’est-à-dire les personnes qui n’ont pas voix et qui ne sont pas représentées au sein du système démocratique.

Le Service correctionnel du Canada contrôle strictement l’information sur les réalités carcérales qui est communiquée au monde extérieur. Nous devons éviter que ces lacunes en matière d’information donnent lieu à des suppositions et à des idées préconçues. Dans beaucoup trop de milieux, les prisons sont les seuls établissements qui ne peuvent pas refuser des gens à cause de listes d’attente, d’un nombre insuffisant de lits ou d’un manque de ressources. Par conséquent, un nombre croissant de personnes, plus particulièrement des femmes, des gens pauvres, des gens qui ont été maltraités, des Autochtones, des Noirs et des personnes aux prises avec des problèmes mentaux, sont abandonnées en prison. Dans le cas des femmes, en particulier, des réactions raisonnables à des situations déraisonnables, qui se manifestent souvent initialement par une réaction négative à la fouille à nu, peuvent et sont caractérisées comme des comportements criminels, y compris des gestes ou des comportements qui sont symptomatiques de troubles mentaux ou psychiatriques.

La façon arbitraire dont les gens sont qualifiés de risques pour la sécurité publique et finissent par être mis en isolement est devenue évidente durant l’enquête sur la mort d’Ashley Smith. Je vous épargnerai les détails, car je suis certaine que vous connaissez tous cette histoire horrible.

Lisa Neve, une Autochtone, a connu un sort similaire. Membre de la génération volée qui a été déracinée de sa collectivité, elle a été l’une des quelques femmes déclarées « délinquantes dangereuses ». La Cour d’appel de l’Alberta a supprimé cette désignation et la peine d’une durée indéterminée après avoir conclu que la décision reposait sur ce qu’elle avait dit et ce qu’elle avait écrit, et non sur ce qu’elle avait fait.

Au bout de six ans et demi, les autorités ont finalement annulé la peine qui lui avait été imposée et la désignation de délinquante dangereuse. Elle a passé tout ce temps, sauf six mois, en isolement. Il y aura 20 ans, le 1er juillet prochain, qu’elle est sortie de prison. Or, les centaines de cicatrices sur son corps témoignent des séances d’automutilation et des tentatives de suicide qui ont été provoquées par les horreurs de l’isolement.

Placer des personnes en isolement peut sembler une solution facile et une mesure raisonnable en cas de comportement difficile, mais nous savons que cette approche crée et exacerbe des problèmes de santé mentale. En fait, les experts des diverses professions médicales s’entendent sur les dangers et l’inconstitutionnalité de l’isolement, comme l’a affirmé dernièrement le professeur Allan Manson.

Aujourd’hui, environ la moitié des femmes qui sont placées en isolement souffrent de troubles mentaux invalidants. De plus, environ la moitié d’entre elles sont autochtones. Selon les recherches menées par le Service correctionnel du Canada ainsi que la Commission des libérations conditionnelles du Canada, les femmes, particulièrement les Autochtones souffrant de problèmes de santé mentale, ne posent pas le plus grand risque pour la sécurité publique.

Il est important de rappeler que les méthodes de classification discriminatoires du système actuel font en sorte que des personnes qui présentent peu de risques pour la société, voire aucun, sont isolés pendant de longues périodes.

De plus, conclure des accords au titre de l’article 81 pour permettre aux Autochtones de purger leur peine dans une collectivité autochtone serait beaucoup moins coûteux que d’attribuer une cote de sécurité plus élevée aux prisonniers et de les isoler. Le directeur parlementaire du budget a confirmé que, pour les femmes en particulier, ces accords coûtent moins du dixième de l’estimation des coûts associés aux unités d’intervention structurée. Même si les coûts ne devraient pas être un obstacle aux efforts de réconciliation avec les peuples autochtones, l’adoption de solutions de rechange plus économiques qui respectent les droits de la personne et qui produisent de meilleurs résultats pour les prisonniers autochtones et pour leur communauté devraient être l’un des principaux objectifs du système correctionnel.

De plus, si on devait, comme c’est trop souvent le cas, désigner injustement ou indûment un prisonnier comme un membre d’un gang et l’inclure dans la catégorie des prisonniers qui présentent une menace pour la sécurité, alors on devrait lui donner les moyens de se débarrasser de cette étiquette en temps opportun au lieu de lui imposer l’isolement et d’éliminer pratiquement toutes les possibilités d’abaisser sa cote de sécurité et d’être réintégré dans la communauté. Par exemple, un programme de désaffiliation comme le programme Breakaway, élaboré par des groupes non gouvernementaux et des personnes directement concernées comme Rick Sauvé, devrait véritablement être mis en œuvre. Le directeur parlementaire du budget a confirmé récemment qu’un tel programme, mis en œuvre à l’échelle nationale, ne coûterait que 200 000 $ par année et réduirait les coûts de l’isolement préventif des détenus.

Comme l’a dit l’expert des questions pénitentiaires Andrew Coyle, le « besoin » d’isoler les détenus est généré et renforcé par les conditions problématiques de l’isolement et l’absence de solutions de rechange plus humaines. Service correctionnel Canada a investi dans des mesures de sécurité statique comme les moyens de contention pendant l’isolement, plutôt que de prévoir des unités privées de visite familiale pour ceux qui cherchent à s’isoler en raison du surpeuplement ou encore des transfèrements dans des unités fournissant des soins à ceux qui souffrent de problèmes de santé mentale.

Les exemples précédents montrent clairement que nous pouvons faire les choses autrement. C’est l’idée qui sous-tend une proposition faite par l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry à Service correctionnel Canada, dans le but de mettre fin à l’isolement sous toutes ses formes parmi les détenues. La Société Elizabeth Fry a proposé de collaborer avec Service correctionnel Canada, la Commission canadienne des droits de la personne et d’autres organismes afin d’élaborer des solutions de rechange individualisées pour chaque détenue que Service correctionnel Canada songerait à mettre en isolement.

Comme l’a souligné la sénatrice McPhedran dans sa question au parrain du projet de loi, cette proposition n’a jamais été acceptée par Service correctionnel Canada. Toutefois, après avoir étudié le projet de loi C-83, le comité de l’autre endroit a adopté la recommandation suivante :

[Le comité encourage vivement] Service correctionnel Canada à trouver des mesures autres à cette pratique, par exemple le projet pilote proposé en 2016 par l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry.

Selon une estimation réalisée récemment par le directeur parlementaire du budget, l’adoption du projet des sociétés Elizabeth Fry n’entraînerait à peu près aucun coût supplémentaire. Le directeur parlementaire du budget estime qu’à l’heure actuelle, les cellules d’isolement coûtent chacune 2,5 millions de dollars par année. Le projet de loi C-83 devrait ajouter 7,5 millions de dollars par unité d’intervention structurée par année. Si on considère que, selon les plus récentes données fournies par le Service correctionnel, trois femmes sont présentement en isolement dans l’ensemble du pays, on peut supposer que les coûts augmenteront de 3,3 millions de dollars par année par détenue — rien de moins.

On nous a vanté les unités d’intervention structurée comme un gage de sécurité, mais dans les faits, elles pourraient bien compromettre directement la santé et la sécurité des détenus, surtout les jeunes, les femmes, les Autochtones ainsi que les personnes racialisées ou aux prises avec des problèmes de santé mentale. Quel que soit le nom qu’on lui donne, l’isolement prolongé peut seulement engendrer des risques pour la santé ou exacerber les risques existants, ce qui se traduit forcément par l’augmentation des coûts liés aux soins de santé. Quand on connaît les torts causés par l’isolement, que ce soit dans une cellule ou dans une unité d’intervention structurée, et qu’on sait que de nombreuses solutions de rechange ne coûteraient qu’une fraction de ce qu’on prévoit actuellement que coûteront les unités d’intervention structurée et des coûts supplémentaires que l’isolement entraînera en fait de soins de santé, nous devrions nous demander pourquoi ces solutions n’ont pas été retenues, surtout quand il est question des personnes les plus marginalisées ou les plus souvent placées en isolement.

Pour tout dire, le projet de loi C-83 risque de faire augmenter le recours à l’isolement. L’enquêteur correctionnel rappelle qu’à l’heure actuelle, les prisons comptent un nombre limité de cellules d’isolement, mais que le projet de loi C-83 permet de désigner n’importe quelle partie de la prison comme unité d’intervention structurée. Autrement dit, l’ensemble d’un établissement correctionnel pourrait être considéré comme une unité d’intervention structurée ou comme une série d’unités. Comme le Comité des droits de la personne l’a déjà fait remarquer, cette tendance gagne peut-être déjà du terrain dans l’ensemble des unités et des prisons à sécurité maximale.

Si nous devions débattre ici d’un projet de loi censé normaliser l’isolement dans une cellule et l’appliquer à presque tous les autres groupes de Canadiens, nous nous attendrions à être inondés de courriels et d’appels téléphoniques. Or, ce projet de loi, qui vise les droits constitutionnels de certaines des personnes les plus marginalisées et les moins aptes à se défendre, a été généralement accueilli dans un silence assourdissant. En leur nom, honorables sénateurs, il nous incombe de travailler ensemble pour défendre les droits constitutionnels de tous et de remettre en question la nécessité de ce projet de loi.

Merci. Meegwetch.

L’honorable Jane Cordy [ + ]

Accepteriez-vous de répondre à une question, sénatrice?

La sénatrice Cordy [ + ]

Merci beaucoup. La visite d’un certain nombre de prisons que j’ai effectuée dans tout le pays avec le Comité des droits de la personne m’a décillé les yeux. Je n’étais jamais allée dans une prison. Quelques sénateurs profitent de leur statut pour le faire. J’inviterais donc ceux qui n’ont jamais mis les pieds dans une prison à le faire.

Nous avons constaté qu’il y a un nombre élevé de Noirs en prison et que leur pourcentage est disproportionné en Nouvelle-Écosse. Dans les provinces des Prairies, il y a un pourcentage extrêmement élevé d’Autochtones en prison et, malheureusement, dans l’ensemble du système carcéral, on constate que beaucoup de gens ont des problèmes de santé mentale.

Vous avez dit dans votre discours que la moitié des femmes placées en isolement ont des problèmes de santé mentale.

Si un détenu a un problème de santé mentale et qu’il est maintenu en isolement pendant de longues périodes de temps, quel effet pensez-vous que cela aura sur l’évolution de sa maladie?

Merci de votre question.

Imaginez ce que ce serait d’être placé dans une pièce et de ne pas pouvoir en sortir avant une journée, une semaine, un mois ou une année. Et si c’était deux ans? On comprend quel effet cela aurait sur notre santé mentale. Je crois que cela causerait beaucoup d’anxiété et de stress. Il y aurait assurément beaucoup de souffrance. Merci.

L’honorable Frances Lankin [ + ]

Honorables sénateurs, j’ai eu l’occasion, il y a quelques jours, de parler du projet de loi C-375. Je ferai écho à plusieurs de mes commentaires en parlant du présent projet de loi, le projet de loi C-83, surtout en ce qui a trait au traitement des détenus atteints de maladies mentales et, en deuxième lieu, aux questions relatives à la constitutionnalité.

J’aimerais aborder en détail ces deux questions, particulièrement celle de la constitutionnalité. Si ce projet de loi est renvoyé à un comité après l’étape de la deuxième lecture, je demande à celui-ci d’examiner en priorité les plus récentes décisions des tribunaux afin de déterminer la constitutionnalité — ou l’inconstitutionnalité, à mon avis — du projet de loi.

Ce projet de loi découle de bonnes intentions, comme le soulignait le professeur Allan Manson dans une présentation à laquelle la sénatrice Boyer a fait allusion. M. Manson a dit que, s’il avait été présenté il y a quelques années, ce projet de loi aurait représenté une mesure progressiste, qu’il n’aurait pas été suffisant, mais qu’il aurait constitué une étape importante. Il a souligné que, aujourd’hui, le projet de loi est loin d’être suffisant. Je voudrais refaire le fil des événements, car cela servira à l’étude du comité.

Le projet de loi C-83 a été présenté à la Chambre des communes en octobre 2018. Le comité de la Chambre a terminé son rapport en décembre 2018 et le projet de loi a franchi l’étape de la troisième lecture en mars 2019.

C’est important que nous le comprenions parce que, pendant cette période — souvenons-nous que le projet de loi a été rédigé et présenté l’an dernier —, différentes choses se sont produites. En fait, différentes choses se sont produites depuis la troisième lecture.

D’abord, il y a, en Colombie-Britannique, l’affaire de l’association des libertés civiles de la Colombie-Britannique et de la Société John Howard du Canada contre le procureur général du Canada. La Cour suprême de la Colombie-Britannique a rendu sa décision en janvier 2018 et la Couronne l’a portée en appel. La cour a conclu que des éléments du projet de loi portent atteinte à plus d’un droit constitutionnel important.

L’appel a été entendu en novembre 2018, si je ne m’abuse. Nous attendons la décision.

La plus haute instance à avoir examiné les dispositions non pas de ce projet de loi, mais relatives à l’isolement, était un tribunal de l’Ontario. C’était dans l’affaire de l’Association canadienne des libertés civiles contre le procureur général du Canada. Encore une fois, la procureure générale a interjeté appel de la décision de première instance. La cour d’appel a maintenu la décision judiciaire initiale.

L’appel a été entendu en novembre 2018 et la décision a été publiée le 28 mars 2019. Ainsi, toute cette étude démocratique s’est faite avant que la décision ne soit rendue. Je vais parler de certaines des normes dans la décision et des justifications qui ont mené la cour à juger inconstitutionnelles des dispositions qui se trouvent toujours dans le projet de loi.

La troisième affaire dont j’aimerais parler est l’affaire Brazeau contre le procureur général du Canada. Je crois qu’il s’agit d’un recours collectif. Quoi qu’il en soit, la décision a été rendue le 25 mars 2019.

Tout cela est récent. Le projet de loi vient peut-être d’une bonne intention, mais je crois que, même sans tenir compte de ces décisions, nous sommes nombreux à l’estimer lacunaire. Or, le Sénat se retrouve maintenant aux prises avec un problème beaucoup plus grave, soit celui de l’inconstitutionnalité probable du projet de loi.

Nous parlons souvent de mandat électoral. Une de nos plus grandes responsabilités consiste à assurer le respect de la Constitution et de la Charte. J’aimerais aborder ce point, si vous me le permettez, en termes généraux puisque je ne suis pas avocate. Je pense sincèrement que certains de ces éléments sont faciles à comprendre, surtout quand on fait le lien avec des cas bien connus, comme celui d’Ashley Smith. En réalité, ce projet de loi donne suite en partie à ce cas et à des décisions antérieures des tribunaux touchant des questions liées à l’isolement, qu’on appelait isolement dans une cellule au temps où je travaillais dans le système carcéral de l’Ontario. C’est ensuite devenu l’isolement préventif et, à présent, on parle d’unités d’intervention structurée. Quand on prend connaissance du projet de loi, je pense qu’on peut voir que les décisions des tribunaux montrent bien pourquoi il est insuffisant.

À cet égard, j’aimerais aborder trois lacunes en particulier. Elles ressortent des décisions des tribunaux. La première touche l’isolement. Les tribunaux ont décrit les risques que présente le temps passé en isolement, plus particulièrement pour les personnes qui ont des problèmes de santé mentale. Voici ce qu’a dit la Cour supérieure de l’Ontario :

La preuve démontre que le risque et la possibilité de dommages psychiatriques commencent presque dès que l’on ferme les portes de la cellule d’isolement, surtout quand la personne a déjà des problèmes de santé mentale.

Voici ce qu’a conclu la Cour d’appel de l’Ontario :

En principe [...] les personnes atteintes de maladie mentale ne devraient pas être placées en isolement préventif.

Comme vous le savez, je m’intéresse tout particulièrement aux questions de santé mentale. À mon avis, les tribunaux en viennent à des conclusions semblables dans le cas de nombreuses populations vulnérables.

La deuxième lacune qui fait que ce projet de loi ne répond pas aux exigences constitutionnelles établies par les tribunaux, c’est la durée du placement d’un détenu dans une cellule d’isolement. Le projet de loi fait passer l’isolement de 22 à 20 heures par jour, et ce, pour une période indéterminée.

Rien ne garantit que, au cours de ces deux heures supplémentaires, le détenu aura la possibilité d’avoir des contacts humains réels, de suivre des programmes ou d’obtenir du soutien. Les tribunaux ont statué que la pratique actuelle, qui est inscrite dans le projet de loi — soit la visite obligatoire d’un professionnel de la santé une fois par jour, en compagnie d’agents de correction —, ne représente pas un contact humain valable.

La troisième lacune, c’est la durée totale de l’isolement en cellule, de l’isolement préventif ou de ce qu’on appelle maintenant le placement dans une unité d’intervention structurée. Le projet de loi C-83 accorde un délai de 30 jours avant que les autorités doivent procéder à un examen pour déterminer s’il y a lieu de sortir le détenu de l’isolement. À cause du temps nécessaire pour trouver un endroit où envoyer le détenu, il est possible que celui-ci reste cinq jours de plus en isolement. Puis, le projet de loi prévoit une période pour l’examen par le commissaire et emploie des termes comme « le plus tôt possible ».

La possibilité que la période d’isolement excède la durée prévue existe. On nous a dit qu’elle pourrait dépasser 60 jours. N’oubliez pas que les tribunaux ont conclu que les dommages psychologiques commencent dès que la porte se ferme.

En raison de ces décisions, qui ont toutes été rendues depuis que le projet de loi est à l’étude, je crois qu’il est important que le comité considère en priorité le point de vue du Sénat quant à la constitutionnalité du projet de loi. D’ailleurs, certains tribunaux, dont la Cour d’appel de l’Ontario, ont fait remarquer, dans un autre contexte, que les dispositions du projet de loi C-83 ne règlent pas les problèmes qui ont été soulevés.

Je ne vais pas prendre beaucoup de temps de parole puisque d’autres sénateurs veulent participer au débat, mais revenons au décès d’Ashley Smith. Comme la sénatrice Boyer l’a dit, je ne reviendrai pas sur les faits. Nous les connaissons, mais je voulais rappeler à tous les sénateurs que l’emploi violent et excessif de la force par le personnel de l’établissement représente les seuls contacts humains qu’elle a eus pendant son isolement.

On a recommandé aux agents correctionnels de présenter la souffrance qu’elle a vécue en isolement comme des tentatives d’attirer l’attention. Ashley a été filmée en train de mourir pendant que les agents correctionnels l’ont regardée sans intervenir pour retirer la dernière ligature qu’elle s’était faite autour du cou. Elle était en droit de croire que le personnel avait le devoir de s’occuper d’elle et de lui sauver la vie. Je crois, et je pense que nous croyons tous, qu’elle avait le droit de s’attendre à cela.

Son histoire est une tragédie. L’agonie d’une jeune fille de 19 ans a été filmée pendant que des agents correctionnels l’ont regardée sans rien faire. Malheureusement, il ne s’agit pas d’une exception. Je pense que peu d’entre nous peuvent concevoir le degré de désespoir nécessaire pour faire des gestes qui pourraient nous blesser ou entraîner notre mort pour combler un grand besoin de contact humain.

J’ai moi-même été témoin de cas. Pour tout dire, j’ai conservé une blessure morale de ce que j’ai observé lorsque j’étais agente correctionnelle responsable d’une unité d’isolement. J’ai vu des gens faire des choses que la plupart d’entre nous ne penseraient jamais à faire pour avoir un contact humain.

Selon moi, nous pouvons examiner la constitutionnalité du projet de loi du gouvernement sans rejeter ses bonnes intentions et ses objectifs. Nous pouvons trouver qu’il ne va pas assez loin, mais je crois que nous avons maintenant le devoir d’évaluer la constitutionnalité de cette mesure législative, et c’est l’une des tâches les plus importantes que nous avons en tant que sénateurs.

Si ce projet de loi est renvoyé au comité, j’exhorte celui-ci à entreprendre d’abord un examen des décisions des tribunaux et de la constitutionnalité de cette mesure législative.

Merci beaucoup.

L’honorable Marty Klyne [ + ]

L’honorable sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Lankin [ + ]

Oui, bien sûr.

Le sénateur Klyne [ + ]

Merci beaucoup. Vous avez parlé de la constitutionnalité du projet de loi; j’aimerais, si possible, obtenir quelques éclaircissements à ce sujet.

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rendu sa décision initiale en janvier 2018, et la Cour d’appel de l’Ontario a rendu sa décision en décembre 2017. Comme vous l’avez souligné, le projet de loi C-83 a été présenté à la Chambre des communes en 2018, soit après que ces deux décisions ont été rendues. Ai-je bien compris? Vous dites que les décisions rendues par la suite au sujet des appels — et je ne suis pas avocat non plus —, l’emportent, de sorte qu’on ne reviendrait pas aux décisions initiales.

La sénatrice Lankin [ + ]

Merci beaucoup, sénateur. J’ai négligé de vous remercier de votre travail de parrain et d’avoir présenté ce projet de loi pour étude.

En ce qui concerne l’affaire en Colombie-Britannique, ce que j’essaie de faire valoir, c’est qu’il y a une décision de première instance écrite qui, en soi, laisse entendre que ce projet de loi ne serait pas constitutionnel. Toutefois, la Couronne a porté la décision en appel, comme elle en a certainement le droit, et n’a pas donné suite à cela dans ce projet de loi. L’appel a été entendu, mais aucune décision n’a été rendue. Dans l’affaire de l’Association canadienne des libertés civiles de l’Ontario, nous avions la décision initiale. Il y avait une série de constatations qui nous amèneraient à comprendre que le contenu de ce projet de loi ne serait pas constitutionnel.

La Couronne a porté cette décision en appel. La décision de la cour d’appel n’a été rendue publique que le 28 mars de cette année, après avoir été débattue à l’autre endroit. Par conséquent, elle n’a pas été prise en compte. Il s’agit de la décision du plus haut tribunal du pays.

J’ai également mentionné l’affaire Brazeau, qui a eu lieu le 25 mars de cette année, et qui énonce un certain nombre de ces facteurs. Lorsque vous examinez les facteurs dont j’ai parlé — l’isolement, la durée de l’isolement quotidien — et que vous examinez les questions que la cour d’appel a dû trancher ainsi que les décisions de première instance qui ont été rendues, vous pouvez constater que ce projet de loi ne reflète pas où en sont les décisions judiciaires à l’heure actuelle.

Le sénateur Klyne [ + ]

Merci, sénatrice. À cet égard, je suis d’accord avec vous. J’ajouterais que nous avons probablement besoin d’un tableau blanc pour relier tous les points. Ce serait une tâche à faire, probablement la première, pour le comité lorsqu’il en sera saisi.

La sénatrice Lankin [ + ]

Sénateur, je suis d’accord avec vous. C’est une tâche très importante que le comité doit entreprendre.

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui dans le cadre de la deuxième lecture du projet de loi C-83, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et une autre loi.

Malheureusement, ce projet de loi aurait dû recevoir plus d’attention de la part du public, parce qu’il m’apparaît être un projet de loi très important.

D’entrée de jeu, j’aimerais vous dire que j’ai visité, depuis quelques années, l’ensemble des pénitenciers du Québec et que je suis fréquemment en contact avec les représentants des agents carcéraux. Je puis donc affirmer avoir une certaine connaissance du milieu carcéral. Je puis également affirmer que la vision que j’ai ou, du moins, la critique que je fais de ce projet de loi est liée à la vision que j’ai moi-même des victimes qui se cachent derrière ces gens incarcérés.

Le projet de loi C-83 est porteur de conséquences négatives à long terme en ce qui a trait à la sécurité des criminels dans les prisons, à leur réhabilitation, à la sécurité des agents correctionnels, mais également à l’égard de la sécurité des victimes et des Canadiens en général.

Je n’ai jamais eu la prétention de croire qu’il n’y a pas eu d’abus au sein du système carcéral. On a eu des exemples selon lesquels cette approche, si elle est utilisée outre mesure, pourrait entraîner des abus. Une approche de généralisation quant à l’interdiction ou, du moins, quant à l’usage restrictif de cette mesure peut aussi entraîner des effets négatifs.

Je crois donc qu’il est important d’aborder certains des enjeux soulevés dans ce projet de loi, parce qu’ils témoignent d’une approche irréaliste à l’égard des délinquants à risque élevé, qui est préoccupante pour la sécurité des Canadiens et, je le répète, celle des agents correctionnels.

S’il est vrai qu’on doit tenir compte de la santé mentale des détenus fédéraux lorsqu’on impose l’isolement, il faut également que toute décision portant sur leur détention et leur libération puisse s’appuyer sur la priorité fondamentale que devraient représenter la sécurité et la protection des gardiens de prison, des travailleurs et des autres détenus.

Le projet de loi C-83 réintroduit le concept de mesures « les moins privatives de liberté » dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Cela signifie que les contrevenants à haut risque seront incarcérés à un niveau de sécurité le plus bas possible à la limite de la sécurité publique. Ce concept de mesures « les moins privatives de liberté » avait été retiré en 2010 lors de l’adoption du projet de loi C-10. À l’époque, les victimes avaient salué ce changement important, ainsi que le personnel carcéral.

M. Rob Sampson, ancien ministre des Services correctionnels de l’Ontario et ancien membre d’un groupe de travail sur la réforme du système correctionnel, avait déclaré ceci à propos du retrait du concept de mesures « les moins privatives de liberté » le 24 février 2012 devant le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, et je cite :

Cela veut dire que le niveau de sécurité appliqué au détenu selon le projet de loi serait le niveau de sécurité correspondant au plan correctionnel qui a été élaboré pour l’aider à s’améliorer, à changer de vie pour qu’il puisse retourner dans la société, prêt à vivre une vie normale. Ce n’est pas un niveau de sécurité déterminé par la loi. C’est un niveau de sécurité qui est adapté à la personne concernée.

Au lieu d’essayer de mettre tout le monde dans la même catégorie, on choisit un niveau de sécurité adapté à la personne concernée.

C’est le gros bon sens.

La réinsertion de cette expression dans la loi fera en sorte qu’il sera certainement plus difficile de garder les contrevenants, comme ceux qui ont perpétré le meurtre de la jeune Tori Stafford, dans un établissement à sécurité élevé. Le ministre Goodale avait affirmé, lorsque la controverse McClintic a éclaté, que le gouvernement était sensible aux préoccupations de ceux et celles qui ont soulevé des objections concernant la réduction du niveau de sécurité de cette criminelle.

J’ai donc été étonné de constater le retour de l’expression « mesures les moins privatives de liberté » dans le projet de loi. Cela contredit manifestement les propos du ministre de la Sécurité publique. En fait, cela nous prouve que ce gouvernement a abandonné les victimes pour privilégier la libération de criminels comme Terri-Lynne McClintic, et ce, à tout prix.

Il a aussi abandonné les agents correctionnels qui risquent tous les jours leur santé pour nous protéger et protéger la société.

Terri-Lynne McClintic avait été transférée dans un établissement à niveau minimum, un pavillon de ressourcement. Un amendement proposé par les conservateurs à l’autre endroit aurait fait en sorte qu’une personne comme Terri-Lynne McClintic, coupable d’avoir enlevé, violé et assassiné sauvagement à coups de marteau Tori Stafford, fillette âgée de 8 ans, ne puisse pas être incarcérée dans un pavillon de ressourcement où pourraient se trouver des enfants et où la fuite et l’évasion sont possibles. Pire, un amendement visant à ce que le ministre soit prévenu par écrit au moins 15 jours avant l’entrée en vigueur de l’octroi d’une nouvelle cote de sécurité a aussi été rejeté.

J’en déduis donc que le gouvernement n’accorde pas d’attention aux témoignages entendus au Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes ni aux préoccupations des Canadiens en matière de sécurité publique ou aux préoccupations du père et des proches de Tori qui, eux, vivent à leur façon une sentence que je qualifierais de sentence à vie.

En ce qui concerne les libérations accélérées, l’utilisation de l’expression « mesures les moins privatives de liberté » crée une présomption favorable à une détention toujours moins restrictive. Elle suppose également la prise de décisions favorables à la libération anticipée, y compris des absences temporaires de la prison, la libération conditionnelle de jour et la libération conditionnelle complète.

Certains sénateurs trouveront certainement qu’il s’agit là d’une bonne idée. Cependant, il ne faut pas oublier que l’élément primordial de toute libération éventuelle prévue dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition est le risque. Un détenu peut avoir commis le crime le plus crapuleux, il peut même refuser d’admettre sa culpabilité. Cependant, si l’on ne peut faire la preuve qu’il existe un risque, alors, en vertu d’un régime aux mesures moins restrictives, il pourrait fort bien se retrouver en liberté.

Je crois que c’est une réalité que ce gouvernement refuse d’admettre, sans compter les autres enjeux très graves qui sont soulevés à l’égard d’autres parties du projet de loi.

Notamment, le projet de loi C-83 réduira les outils dont le Service correctionnel du Canada dispose pour assurer un minimum de sécurité.

Le mois dernier, Jason Godin, président national du Syndicat des agents correctionnels du Canada, a dit ce qui suit devant le Comité sénatorial permanent des droits de la personne au sujet du projet de loi C-83 :

Si on élimine l’isolement préventif et disciplinaire, la capacité de garder le contrôle des diverses populations sera substantiellement touchée. Nous comprenons que le recours trop fréquent à l’isolement comme mesure disciplinaire peut avoir un résultat négatif. Il y a néanmoins des situations où une réponse rapide et immédiate à un comportement dangereux est nécessaire.

C’est aussi une question de gestion des détenus. Je cite de nouveau M. Godin :

[…] l’incapacité de gérer des détenus incompatibles mènera à des tragédies comme celles vécues dans l’établissement Archambault et l’établissement de Millhaven, où des détenus ont été assassinés, lors d’incidents distincts, au début de 2018. […]

Il a aussi ajouté ceci :

La réduction de notre capacité de gérer de manière sécuritaire les cas les plus difficiles au moyen de l’isolement lorsque cela est nécessaire ne fera qu’exacerber la situation dans les milieux de travail déjà dangereux pour les agents correctionnels. J’ai mentionné plus tôt que deux détenus ont été tués en 2018 dans des centres de traitement. Je n’ai rien vu de tel en 27 ans.

M. Godin nous a appris que, à la suite de l’adoption des directives du commissaire DC 709, Isolement préventif, et DC 843, Interventions pour préserver la vie et prévenir les blessures corporelles graves, les politiques sur l’isolement ont déjà été modifiées. Il avance que ces politiques ont considérablement réduit la possibilité du Service correctionnel du Canada de gérer ses établissements à l’aide de l’isolement. Il ajoute ceci :

Quoiqu’ils étaient bien intentionnés, ces changements ont mené à une hausse marquée de la violence dans les milieux carcéraux fédéraux.

Aujourd’hui, le gouvernement se propose d’aller plus loin encore en vertu du projet de loi C-83, tout en n’offrant aucune ou peu de mesures alternatives aux agents carcéraux pour assurer leur sécurité. La violence ira donc plus loin. L’introduction des unités d’intervention structurée permettra aux détenus d’interagir avec d’autres détenus pendant au moins deux heures, ainsi que de passer quatre heures à l’extérieur de leur cellule. Malgré les bonnes intentions qu’inspirent ces changements, Jason Godin estime que ces derniers ne sont pas réalisables à l’aide du nombre actuel d’employés et des infrastructures existantes. Nos pénitenciers ne sont pas adaptés à ce projet de loi.

Les mesures du projet de loi auront pour effet d’accroître le danger dans les établissements correctionnels pour les gardiens de prison, les travailleurs correctionnels, les autres détenus et les détenus placés en isolement pour leur propre protection. L’une des conséquences pourrait être que davantage de prisonniers classés dans la catégorie de haute sécurité seraient incarcérés à des niveaux de sécurité minimums. Plus précisément, la mesure législative proposée aurait des impacts sur le transfert des délinquants, et permettrait au commissaire d’accorder une cote de sécurité à chaque zone ou même cellule d’un pénitencier. Il pourrait donc y avoir des cotes de sécurité différentes dans chaque cellule. C’est complètement illogique.

Sans un contrôle des interactions entre les détenus de divers niveaux de sécurité, le trafic de drogue de même que les conflits entre détenus risquent d’augmenter. On ne peut pas placer un membre des Hells Angels avec un détenu d’un autre niveau de sécurité, c’est tout à fait absurde. On le voit, ce projet de loi a été pensé par des fonctionnaires dans leur bureau plutôt que par des gens sur le terrain. Dans un pénitencier à sécurité maximale comme celui de Port-Cartier, rien n’entre et rien n’en sort, car tous les prisonniers sont dans un pénitencier à sécurité élevée. Avec raison, car on y retrouve les individus les plus dangereux du pays : Paul Bernardo, des membres des Hells Angels, et cetera.

Les députés conservateurs ont décrié le fait que le projet de loi C-83 ne contient aucune mesure pour éviter qu’un contrevenant à haut risque soit incarcéré à un faible niveau de sécurité. Je suis très inquiet quant à la direction prise par le gouvernement actuel en matière de politique correctionnelle. Nous reculons en mettant la santé du personnel carcéral en grand danger. Je m’oppose totalement à toute politique qui accroîtra la violence dans nos établissements, et je pense que la grande majorité des Canadiens s’y oppose aussi.

Il faut plutôt renforcer les mesures et les outils de réhabilitation, encourager la formation scolaire et favoriser le travail. Ce projet de loi ne fera pas des détenus des citoyens plus réhabilitables. Au contraire, il augmentera le surmenage et le taux d’absentéisme du personnel.

Ce que l’on constate à la lecture des mesures du gouvernement libéral, c’est sa préoccupation à l’égard des droits des détenus au détriment des droits et de la protection des victimes. Or, même les droits des détenus ne sont pas protégés en vertu du projet de loi C-83, si on croit le témoignage de Jason Godin, qui souligne que des détenus sont tués dans nos établissements à cause de directives plus libérales sur l’isolement.

Il est essentiel que la sécurité publique soit toujours au cœur des mesures que nous introduisons dans notre système de justice pénale. Or, je ne crois pas que la sécurité publique soit dûment prise en cause dans le projet de loi C-83.

Honorables sénateurs, j’ose espérer que vous vous joindrez à moi pour vous opposer au projet de loi C-83, tant que des mesures d’atténuation ne seront pas mises en place pour assurer la sécurité de notre personnel de première ligne dans les pénitenciers. Merci.

L’honorable Kim Pate [ + ]

Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Boisvenu [ + ]

Oui.

La sénatrice Pate [ + ]

Je vous remercie pour tout votre travail et vos recherches poussées dans ce domaine.

J’étais ravie de vous entendre dire que vous êtes contre toute mesure qui aurait pour effet de réduire la réadaptation des détenus et d’accroître la violence dans les prisons. Vous savez sûrement que la loi actuelle sur le système correctionnel, qui contenait la notion de « mesures les moins privatives de liberté », a été adoptée en réponse à un gouvernement conservateur précédent et conçue pendant une législature conservatrice. Deux députés de l’époque, David Daubney et Rob Nicholson, avaient recommandé d’adopter une mesure sur le système correctionnel qui serait axée sur les droits de la personne et contribuerait à réduire le nombre de détenus, particulièrement le nombre d’Autochtones, de femmes et de personnes atteintes de troubles mentaux, un enjeu qui commençait à retenir l’attention.

Au milieu des années 1990, tous les directeurs de services correctionnels du pays, y compris un ancien membre de votre caucus, ont indiqué dans des recommandations que nous pourrions libérer 75 p. 100 des personnes qui étaient alors dans des centres de détention fédéraux, provinciaux et territoriaux sans accroître les risques pour la sécurité publique.

Récemment, le Bureau de l’enquêteur correctionnel a publié des informations montrant que notre ratio employés-détenus est le plus élevé au monde et que, selon toutes les données, plus il y a de mesures de sécurité, plus le risque de violence envers les employés et les autres prisonniers augmente, moins on a accès aux programmes et aux services et moins on a recours à la mise en liberté graduelle et structurée, ce qui est la meilleure façon d’assurer la sécurité du public et la réhabilitation du détenu qui réintègre la collectivité.

Sénateur Boisvenu, avez-vous eu l’occasion de prendre connaissance des travaux de recherche et des recommandations auxquelles certains d’entre nous ont travaillé, concernant la manière de mieux aider les victimes sans nécessairement libérer les détenus dans un état pire que celui dans lequel ils étaient au moment de leur entrée en prison?

Le sénateur Boisvenu [ + ]

S’il y a un sujet auquel je me suis intéressé depuis 15 ans, c’est notamment tout le phénomène de la désinstitutionnalisation. On remarque que la courbe de la désinstitutionnalisation est en baisse constante depuis 1972, et que celle de l’incarcération est en constante croissance depuis 1972. Ce sont deux courbes qui sont proportionnellement inverses l’une de l’autre. Aujourd’hui, dans les pénitenciers fédéraux, on nous dit qu’on approche les 30 p. 100 de cas de troubles de santé mentale chez les hommes, et qu’on a dépassé 40 p. 100 chez les femmes.

Évidemment, le choix de l’institution est très important. Je suis d’accord avec vous pour dire qu’une bonne portion de gens qui sont dans les pénitenciers n’y ont pas leur place; ils devraient plutôt se trouver en hébergement surveillé, où les gens sont encadrés quant au couvre-feu, à la prise de médicaments, et cetera. On sait que, dans ces conditions, le taux de récidive baisse de 90 p. 100.

Malheureusement, les budgets accordés aux soins de santé dans les provinces et les budgets du système carcéral canadien ne sont pas alignés. Il faudrait qu’ils soient liés. Une personne qui souffre de problèmes de santé mentale dans un pénitencier fédéral coûte 200 000 $ par année; la même personne dans un hébergement contrôlé coûte 50 000 $ par année. Cela signifie que, pour le coût d’une personne incarcérée souffrant de troubles mentaux, on pourrait s’occuper de quatre personnes en hébergement contrôlé.

Cependant, la question que je me pose est la suivante : si les pénitenciers sont devenus des endroits où une grande proportion de la clientèle souffre de problèmes de maladie mentale, que ferait-on si, à Pinel, une institution de soins en santé mentale bien connue, on ne pratiquait plus l’isolement de patients? Pour les médecins et pour les gens qui travaillent dans ce milieu, ce serait impossible à gérer. Nos pénitenciers, en grande partie, n’ont plus seulement la vocation de réhabiliter les criminels, ils ont vocation à soigner des gens qui souffrent de maladie mentale. Dans le domaine de la santé mentale, l’isolement fait partie — car j’ai une formation en psychologie — des outils permettant de protéger le patient de lui-même, d’une part, et des autres patients, d’autre part, surtout si les autres patients sont violents. Or, ce qu’on observe à l’heure actuelle dans les pénitenciers fédéraux, c’est que les gens qui souffrent de maladie mentale, souvent, deviennent victimes des vrais criminels.

Donc, en voyant ce projet de loi devant moi, j’éprouve une grande crainte par rapport à l’augmentation de la violence, parce que nous allons perdre un outil indispensable, qui est l’isolement. Il faudrait maintenant gérer l’isolement en fonction de chaque détenu, puisqu’ils n’ont pas le même profil psychologique.

Si, demain matin, on n’isole plus les gens dans les pénitenciers, la gravité des problèmes psychiatriques augmentera. Dans les pénitenciers, on s’est retrouvé avec deux clientèles, des gens qui auraient dû trouver dans des centres de santé et d’autres qui sont vraiment à leur place dans les pénitenciers.

Si, demain matin, les gardiens et les agents des services correctionnels ne sont plus en mesure de disposer de cet outil qu’est l’isolement, vous verrez sans doute une augmentation proportionnelle de la violence. Je crois donc qu’il faut être très prudent.

La sénatrice Lankin [ + ]

J’ai une autre question, sénateur. Je suis d’accord avec une bonne partie de votre réponse à la question de la sénatrice Pate. Toutefois, vers la fin de votre réponse, vous avez parlé de l’isolement et de la protection des personnes souffrant d’une maladie mentale, et avez mentionné que l’isolement est utilisé à cette fin. Je souligne qu’il existe une nette distinction entre la détention protégée et l’isolement comme on le connaît. Il y a aussi les exemples des établissements médico-légaux. Je me demande si vous considéreriez d’autres options que l’isolement préventif qui est actuellement proposé pour répondre aux préoccupations que vous soulevez.

Le sénateur Boisvenu [ + ]

Je pense que votre question va au cœur du problème. J’ai assisté à certaines audiences. Je me rappelle lorsque, à l’autre endroit, le syndicat des agents des services correctionnels est venu témoigner. On leur a posé une question à la toute fin de leur comparution et on n’a pas eu le temps d’échanger. On leur a demandé ceci : « Avez-vous des moyens alternatifs à l’isolement? » Ils ont répondu que non, il n’y en a pas. Le problème est là. Si on décide demain matin d’éliminer l’isolement et qu’il n’y a pas d’alternative, je pense qu’on va aggraver la situation.

Trouvons des moyens alternatifs à l’isolement et réduisons l’isolement, mais, dans beaucoup de cas, ce que les agents me disent, c’est que c’est le seul moyen dont ils disposent pour des gens incarcérés qui ont un haut niveau de dangerosité.

La sénatrice Pate [ + ]

L’honorable sénateur accepterait-il de répondre à une autre question?

Le sénateur Boisvenu [ + ]

Je semble être populaire.

La sénatrice Pate [ + ]

Merci beaucoup.

Comme la sénatrice Lankin, j’ai été très heureuse de vous entendre faire certaines observations. Je veux mettre l’accent sur ce que vous avez dit à propos de la désinstitutionnalisation parce que ce sont assurément les provinces qui sont responsables des changements progressifs ayant mené à la détérioration du filet de sécurité sociale, ce qui a entraîné une hausse des taux d’incarcération et une baisse du nombre de personnes ayant accès à des programmes sociaux.

Sénateur Boisvenu, seriez-vous favorable à l’idée que le gouvernement fédéral établisse des stratégies et des normes nationales avec l’aide des parlementaires, pour que des services soient offerts et financés par les accords fiscaux et les accords de transfert qui existent et qui permettent de mettre en œuvre de telles stratégies? En fait, l’une des lacunes du projet de loi C-83 est, comme vous l’avez mentionné, qu’il amoindrit la capacité de transférer, au titre de l’article 29 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, des personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale dans des établissements de santé mentale. Aimeriez-vous vous pencher sur cette question ou que nous travaillions ensemble sur elle?

Le sénateur Boisvenu [ + ]

Je vais vous donner un moyen très facile et qui ne coûte rien. Tout le monde connaît le programme At Home/Chez soi. Il y a des programmes à Toronto, au Nouveau-Brunswick et au Québec. Je l’ai dit plus tôt que ce sont des gens qui, au lieu de faire incarcérer les contrevenants ou parfois, dans le cas de personnes qui sortent du milieu carcéral, les amènent dans des milieux qui sont dits « contrôlés ». Il y a une infirmière qui prend soin du patient et lui donne ses médicaments. Il y a un couvre-feu à 23 heures et on habitue ces gens à travailler en société. Le taux de récidive a baissé de 90 p. 100. Il y a donc un moyen.

J’obligerais le ministre de la Sécurité publique et la ministre de la Santé à voir quel montant d’argent nous pourrions épargner en sortant 10 personnes d’une prison, alors que les garder en prison nous coûte 2 millions de dollars. Ils pourraient plutôt octroyer ce budget à des centres d’accueil pour les gens qui souffrent de problèmes de santé mentale. Cela ne nous coûterait rien et nous permettrait de réduire le personnel dans les prisons. Il faut que les ministres créent un programme de ce genre.

Je reçois des demandes d’organisme qui veulent accueillir ces gens à Sherbrooke et à Québec et qui veulent ouvrir ce genre de centre, mais il n’y a pas d’argent. L’argent est dans les pénitenciers. Allons chercher l’argent dans les pénitenciers, sortons ces gens de prison et donnons-leur un milieu qui s’en occupe, mais de manière contrôlée et encadrée, pas dans la rue. Actuellement, à Montréal, deux interventions policières sur trois pendant la nuit se font auprès de gens qui souffrent de troubles mentaux.

Les nouveaux centres d’accueil pour les gens qui souffrent de problèmes de santé mentale, cela s’appelle la rue. Il y a des façons de faire qui ne coûtent rien. Il suffit de s’asseoir avec les deux ministres, de mettre nos ressources en commun et de construire des centres pour ces gens.

Son Honneur le Président [ + ]

La sénatrice McPhedran souhaite-t-elle intervenir dans le débat?

L’honorable Marilou McPhedran [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-83, qui porte sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Je tiens à spécifier que j’ai plusieurs inquiétudes au sujet du projet de loi et de ses conséquences potentielles.

Les experts médicaux ont établi hors de tout doute que le fait de placer un être humain en isolement entraîne de graves préjudices psychologiques. La porte de la cellule se ferme, et les effets néfastes commencent presque aussitôt. La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que ces préjudices représentent un traitement et une punition à ce point inhabituels et cruels qu’ils violent la Constitution. Selon les normes internationales, plus de 15 jours d’isolement relèvent de la torture et les personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale ne devraient jamais être placées en isolement.

Malgré les promesses bien intentionnées d’une approche plus progressiste, de programmes plus nombreux et de contacts humains plus fréquents, comme d’autres collègues l’ont souligné, le projet de loi C-83 perpétue les conditions inconstitutionnelles du système d’isolement qu’il affirme vouloir remplacer. On ne sait pas exactement pourquoi le projet de loi C-83 n’a pas été rédigé de façon à respecter les droits de la personne en mettant fin à cette pratique. Le parrain du projet de loi a toutefois essayé de faire croire qu’abandonner l’isolement préventif ou s’éloigner trop du système actuel d’isolement créerait un environnement problématique et précaire. Il est même allé jusqu’à dire que cela irait :

[...] au-delà de tout ce qu’on peut imaginer [...]

Voilà la justification que nous avons entendue. Or, on a très peu reconnu que les conséquences atroces et même mortelles du système en font une menace directe à la sécurité des détenus.

Honorables sénateurs, si ceux qui appuient ce projet de loi réussissent à mieux dormir la nuit en niant l’existence de ces méfaits, nous avons le devoir de tenir compte de l’expérience vécue par ceux qui sont placés dans des cellules d’isolement et d’insister pour que des solutions de rechange soient trouvées afin d’éviter qu’ils souffrent dans des conditions dignes de la torture.

D’ailleurs, pas plus tard que cette semaine, une avocate a écrit à de nombreux sénateurs pour leur demander d’intervenir pour aider un de ses clients autochtones atteint de maladie mentale et placé en isolement. Grâce à l’intervention de la sénatrice Dyck et de la Federation of Sovereign Indigenous Nations, une tragédie potentielle a pu être évitée.

Le renvoi du projet de loi C-83 au comité permettra à ce dernier d’étudier les risques liés à la vision inflexible qui ne se concentre que sur la sécurité et nie les droits que ce projet de loi met de l’avant. Le comité aura également l’occasion de poser un œil critique sur les lacunes du projet de loi C-83 qui, de l’aveu du sénateur Klyne, inquiétaient le comité de l’autre endroit.

Où, ailleurs qu’en prison, devrait-on avoir à préciser que le temps qu’une personne peut passer à l’extérieur ne devrait pas être au milieu de la nuit ou que les contacts humains réels ne devraient pas inclure les conversations qui ont lieu à travers la fente servant à passer les repas?

Quand je regarde ces modifications, il n’y a pas lieu de se réjouir. Ce ne sont pas des mesures moins restrictives. Cela tend plutôt à démontrer l’absence de mesures de protection des droits de la personne dans les prisons ainsi que les défis que peuvent poser les lois sur la protection des droits de la personne dans un environnement dépourvu de mécanismes efficaces pour surveiller les mesures correctives.

Même si le privilège que nous avons, en tant que parlementaires, nous permet de visiter une prison puis de retourner dans le confort de notre quotidien, nous ne devons pas nous leurrer ou vivre dans le déni. Combien nous faudra-t-il encore de contestations judiciaires, d’enquêtes, de décès et d’études pour confirmer que le Service correctionnel du Canada est incapable de respecter ces normes par lui-même?

Nous avons l’occasion de donner suite à la recommandation que l’ancienne juge de la Cour suprême, Louise Arbour, a faite, il y a 23 ans, au sujet de la surveillance des services correctionnels, dans le cadre de sa commission d’enquête sur les événements survenus à la prison des femmes de Kingston. Elle a fait l’observation suivante : « La primauté du droit est absente bien que les règles soient partout. »

Le rapport du Bureau de l’enquêteur correctionnel sur le décès évitable d’Ashley Smith, dont la sénatrice Lankin a cité nombre de détails bouleversants, tire la conclusion suivante :

Mme Smith serait probablement vivante aujourd’hui si elle n’avait pas été toujours en isolement et si elle avait reçu des soins appropriés. Un arbitre indépendant, comme l’avait recommandé la juge Arbour, aurait pu procéder à un examen approfondi du cas de Mme Smith, ce qui aurait obligé le Service correctionnel à étudier avec soins d’autres solutions que le placement de Mme Smith dans des conditions de détention de plus en plus restrictives...

— ce qui semblait souvent divertir les gardes qui la surveillaient jour et nuit.

Même lorsque les décisions de sanctionner, de menotter, de vaporiser de poivre, d’isoler, de transférer ou de restreindre autrement les prisonniers alourdissent la peine ordonnée à l’origine par les juges, les prisonniers n’ont aucun droit de demander une révision de la peine.

Une grande couverture médiatique a sensibilisé les gens à la décision du tribunal ontarien d’abandonner les accusations de meurtre contre Adam Capay, un jeune Autochtone, à la lumière des conditions d’isolement inadmissibles qu’il a vécues pendant quatre ans et demi en attendant son procès.

Il n’existe actuellement pas de mesure de réparation postsentencielle comparable. La responsabilisation des services correctionnels nécessite une surveillance judiciaire rigoureuse ainsi que des mesures de réparation efficaces. La société et les prisonniers méritent que le Service correctionnel fasse l’objet d’une surveillance judiciaire, d’autant plus que les autorités correctionnelles viennent miner l’intégrité des peines en les rendant plus punitives.

C’est notamment pour cette raison, contrairement à ce qu’a pu avancer le sénateur Klyne, que les témoins entendus par le comité de l’autre endroit ont sérieusement remis en cause la raison d’être des cellules d’isolement. Peu importe qu’on en change le nom, elles demeureront le produit des mêmes approches inefficaces qui ont donné lieu à des conditions d’isolement contraires aux garanties constitutionnelles et aux normes internationales contre les traitements ou peines cruels et inusités, ces derniers équivalant à de la torture en droit international.

La Cour d’appel de l’Ontario a affirmé que « ce qui caractérise avant tout l’isolement cellulaire, c’est l’élimination de toute forme d’interaction ou de stimulation sociale valable ».

Le gouvernement a dit avoir sérieusement l’intention de défendre les droits fondamentaux des détenus. Si tel est le cas, il ne devrait pas faire croire aux Canadiens que le projet de loi C-83 mettra fin à l’isolement préventif à moins d’ajouter le mécanisme crédible de surveillance externe qu’il lui manque.

Dans les faits, l’approche retenue par le gouvernement ne permettra pas de défendre les droits fondamentaux de qui que ce soit. Elle ne permettra pas aux détenus de jouir de leurs droits. Oui, dans notre démocratie constitutionnelle, les détenus ont des droits.

Le gouvernement a au contraire choisi de faire fi du témoignage et des recommandations des spécialistes. En se contentant de donner un autre nom à l’isolement préventif et de supprimer les balises procédurales actuelles — aussi inadéquates soient-elles — au lieu de mettre carrément fin à l’isolement et d’établir des balises efficaces, ce projet de loi n’apporte pas les changements qui auraient dû être faits depuis longtemps au régime carcéral.

Je vous remercie. Meegwetch.

Le sénateur Klyne [ + ]

L’honorable sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice McPhedran [ + ]

Oui.

Le sénateur Klyne [ + ]

Honorable sénatrice, que pensez-vous des Règles Nelson Mandela de l’ONU?

La sénatrice McPhedran [ + ]

Merci de votre question, sénateur Klyne, et merci du travail que vous faites en parrainant le projet de loi.

Nous savons tous que le fait de parrainer un projet de loi ne signifie pas que l’on doive appuyer chacun des éléments qu’il comporte. Je pense que vous avez soulevé certaines questions importantes. Je sais que, pendant les vacances, vous avez passé beaucoup de temps à visiter des prisons. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Je pense que, dans son libellé actuel, le projet de loi contrevient aux normes internationales en matière d’isolement.

La sénatrice Pate [ + ]

Honorables collègues, certains d’entre vous s’imaginent peut-être que l’isolement et les unités d’intervention structurée dont traite le projet de loi C-83 correspondent à un certain type de cellule, dans laquelle on passe un certain nombre d’heures ou de jours. Ces termes abstraits ne donnent pas un tableau réel des horribles conséquences d’un système qui continue d’accorder au personnel du Service correctionnel du Canada le pouvoir arbitraire de placer indéfiniment en isolement certaines des personnes les plus vulnérables de la société.

Pendant quatre décennies, j’ai passé d’innombrables heures à genoux sur le sol en ciment devant des cellules d’isolement, essayant de raisonner à travers le guichet de la porte en métal l’être cher de quelqu’un — un enfant, un frère ou une sœur, un parent ou un conjoint — qui se frappait la tête contre le mur ou le sol en ciment, lacérait son corps, se nouait un lien autour du cou, essayait de s’arracher les yeux ou de se mutiler par des moyens incroyables, ou maculait son corps, les fenêtres et les murs de son sang et de ses excréments. J’ai entendu des cris de tourments et de désespoir impossibles à décrire, et qui me hantent encore aujourd’hui.

Je pense que ce projet de loi a été proposé avec les meilleures intentions. J’applaudis la volonté déclarée du ministre de mettre fin à l’isolement. Malheureusement, ce projet de loi ne le fait pas. Il ne comprend même pas les mesures minimales jugées nécessaires par les tribunaux pour prévenir les violations des droits de la personne attribuables aux unités d’isolement et les situations qui s’apparentent à la torture.

Nombre de parties, comme la Cour d’appel de l’Ontario et plus d’une vingtaine de juristes théoriciens et praticiens, disent craindre que le projet de loi C-83 soit inconstitutionnel. Permettez-moi de résumer brièvement quelques-unes des raisons pour lesquelles le projet de loi équivaut à un simple changement de nom — une variante inconstitutionnelle — et à une perpétuation de l’isolement.

Premièrement, il n’y a aucune garantie que deux heures de plus à l’extérieur d’une cellule constituent un contact humain réel ou même un contact humain tout court. Le projet de loi offre aux détenus « la possibilité » d’avoir deux heures de plus à l’extérieur d’une cellule, dans une unité d’intervention structurée. Si les détenus peuvent seulement quitter leur cellule pour aller dans des espaces restreints, deux heures de plus n’amélioreront pas les conditions d’isolement.

Deuxièmement, l’Ensemble des règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus, connu comme les Règles Nelson Mandela, et les Règles de Bangkok concernant les femmes, exigent des preuves de contacts humains réels. La discrétion presque illimitée de Service correctionnel Canada offre peu d’assurances que les conditions d’isolement dans les unités d’intervention structurée répondront à la Charte ou aux normes internationales.

Troisièmement, le projet de loi ne contient aucun exigence ou plan de surveillance. Malgré le non-respect continu de la loi, Service correctionnel Canada nous demande d’accepter qu’il observera de telles normes à l’avenir.

Il y a plus de 23 ans, l’ancienne juge Louise Arbour a recommandé que le Service correctionnel fasse l’objet d’un contrôle judiciaire afin de prévenir les violations des droits de la personne associées à l’isolement. Il est temps de donner suite à cette recommandation.

Quatrièmement, outre le fait qu’il porte un nouveau nom, le projet de loi C-83 ne prévoit aucune modification réelle des unités ou des cellules d’isolement. Pire encore, aux termes du projet de loi, il sera possible d’étendre à l’ensemble d’une prison des conditions et des routines extrêmement restrictives.

Cinquièmement, le projet de loi ne prévoit rien pour éliminer ou même imposer des limites strictes à l’isolement et à la séparation. On peut donc prévoir que des gens continueront de passer des jours, des semaines, voire des années en isolement ininterrompu.

Le projet de loi repose sur la prémisse voulant qu’une certaine forme d’isolement — peu importe comment on l’appelle — soit nécessaire, et ce, au détriment d’autres options qui respectent les droits de la personne. Or, ce n’est pas le cas. Je crois que, en tant que sénateurs, nous nous devons d’examiner les solutions de rechange avant d’appuyer un projet de loi qui, à bien des égards, est inconstitutionnel.

Partout au Canada, des prisons exemptes d’unités d’isolement fonctionnent sans problème depuis des mois, voire des années. D’après mon expérience de travail, j’ai pu constater que le Pénitencier de Dorchester a fonctionné sans aire d’isolement pendant qu’il faisait l’objet de travaux de rénovation. Après avoir abandonné l’idée d’ouvrir une aire d’isolement à sécurité maximale de 34 places pour femmes au Pénitencier de Kingston pour hommes, le Service correctionnel a mené ses opérations pendant cinq ans sans unité à sécurité maximale ni aire d’isolement pour les délinquantes sous responsabilité fédérale en Ontario.

Lorsque le Comité sénatorial permanent des droits de la personne s’est penché sur les droits des prisonniers, nous avons entendu des témoignages au sujet d’autres prisons comme celle de Fraser Valley, une autre prison fédérale pour femmes, qui a fonctionné pendant 18 mois sans unité d’isolement ni unité à sécurité maximale, en se servant uniquement d’unités à sécurité minimale et moyenne.

Lorsque je travaillais à la Société Elizabeth Fry, mes enfants m’accompagnaient parfois lorsque je me rendais dans une prison pour défendre les droits des prisonniers. La première fois que ma fille — elle était alors bébé — est venue à l’unité d’isolement pour femmes du Pénitencier de la Saskatchewan pour hommes, le chef de la sécurité m’a informée qu’il prévoyait envoyer l’équipe d’intervention en cas d’urgence parce que les femmes hurlaient, criaient des menaces et frappaient les barreaux de leur cellule. J’ai demandé ce qui se passait. J’avais rencontré les femmes de cette unité plus tôt dans la journée; elles étaient toutes autochtones. J’ai indiqué que, même si elles étaient contrariées par le manque de programmes et de soutien spirituel, elles étaient calmes quand je suis partie. Elles avaient convenu de s’attaquer à leurs problèmes en déposant un grief collectif.

J’ai d’abord proposé de retarder le déploiement de l’escouade antiémeute afin que je puisse retourner dans la rangée pour déterminer pourquoi la situation avait dégénéré. Le personnel a accepté mon offre. Un des employés a fait une suggestion : « Pourquoi n’amenez-vous pas votre bébé avec vous? J’ai entendu dire qu’elles l’aiment. » À quel point le risque posé par les femmes pouvait-il être grave si le chef de la sécurité croyait qu’un bébé pouvait calmer la situation?

Il est possible d’utiliser autre chose que des mesures de sécurité draconiennes. Or, on néglige trop souvent, honorables sénateurs, d’envisager ces possibilités. Soit dit en passant, la situation s’était envenimée inutilement parce que le personnel n’avait pas remis aux femmes les formulaires de grief malgré les demandes répétées de ces dernières.

Le personnel de pénitenciers fait encore appel à moi parfois. Il n’y a pas très longtemps, j’ai été appelée par un agent qui tentait de désamorcer une situation qui aurait pu dégénérer. Une mère était bouleversée parce qu’on avait refusé de l’autoriser à assister aux funérailles de son enfant. Même si on l’avait exhorté à le faire, ce membre du personnel a décidé de ne pas recourir à l’Équipe pénitentiaire d’intervention en cas d’urgence, de ne pas utiliser de gaz poivré, de ne pas utiliser les chaînes et de ne pas placer la femme en isolement. À la place, on lui a offert un soutien, on a travaillé avec ses pairs et on lui a permis de parler au téléphone avec des membres de sa famille et d’autres personnes. La situation s’est dénouée sans incident. La décision administrative a été revue, et cette mère a pu assister aux funérailles deux jours plus tard.

Les autorités correctionnelles invoquent souvent la sécurité des détenus et du personnel pour justifier l’isolement, mais la majorité des hommes et des femmes qui sont placés en isolement sont des personnes qui ont un handicap — problèmes de santé mentale ou incapacité mentale ou physique liée à l’âge — qui les rend extrêmement vulnérables. L’isolement comme moyen de protéger un individu dont l’état est tel qu’il ne pose aucun risque pour autrui ne devrait pas être accepté.

Imaginons que des personnes âgées — vos parents ou les miens — qui souffrent de démence soient enfermées dans une petite pièce verrouillée. Imaginons les effets que cela aurait sur leurs symptômes ou les autres dommages qui pourraient être causés. Il faudrait passer des contrats pour avoir des places dans des établissements de soins psychiatriques ou de soins pour personnes âgées pour les individus vulnérables plutôt que de les placer en isolement.

Il existe de meilleures façons, plus efficaces, d’atteindre les objectifs de sécurité publique et de réadaptation de Service correctionnel Canada que de simplement donner un autre nom à l’isolement. Le directeur parlementaire du budget prévoit que le coût annuel de la mise en œuvre du projet de loi C-83 sera de 1,8 million de dollars par pénitencier pour hommes et de 1,5 million de dollars par pénitencier pour femmes. La majeure partie de cet argent servira à payer du personnel correctionnel supplémentaire.

Service correctionnel Canada a déjà le plus grand ratio de personnel par rapport au nombre de détenus dans le monde. Imaginez si cet argent était plutôt investi dans des programmes d’aide communautaires — comme en ont parlé le sénateur Boisvenu et d’autres — non seulement par souci de respecter les droits fondamentaux, mais aussi pour apporter des changements profonds dans la vie des détenus, de leur famille ainsi que des personnes marginalisées et des victimes.

Honorables sénateurs, je ne pense pas que ce projet de loi devrait aller plus loin. Cela dit, je reconnais que certains collègues voudront avoir la possibilité d’entendre des témoignages avant de prendre une décision sur le projet de loi.

Si ce projet de loi franchit l’étape de la deuxième lecture, honorables sénateurs, je m’attends à ce que vous vous engagiez faire à deux choses. Premièrement, je veux que vous vous engagiez à aller dans des prisons rencontrer des personnes placées en isolement avant de prendre une décision relativement à ce projet de loi.

Suivant l’article 72 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, les sénateurs et les députés ont tous accès aux pénitenciers fédéraux, y compris aux cellules d’isolement. Aussi inusitée cette démarche soit-elle, une cour d’appel on ne peut plus respectable a pris sur elle de nous indiquer clairement les éléments de ce projet de loi qui vont à l’encontre de la Constitution. Or, si nous adoptons un projet de loi non constitutionnel, nous devrons tous accepter que, personnellement et collectivement, nous autorisons et cautionnons ainsi des conditions de détention équivalant à de la torture. Je ne peux pas — je ne veux pas — renoncer à mes responsabilités et faire taire le sentiment de culpabilité qui ne pourra pas manquer de m’habiter en espérant qu’un détenu réussira un jour à contester le nouveau régime. En plus de prendre des années, ce genre de démarche suppose des ressources que les détenus en isolement n’ont tout simplement pas. C’est à nous, honorables sénateurs, que revient la responsabilité de mettre fin à cette pratique scandaleuse.

On pourrait presque affirmer que ce projet de loi viole les droits fondamentaux des personnes marginalisées et judiciarisées. La Constitution exige que les sénateurs défendent les droits garantis par la Charte et représentent les intérêts des minorités. Nous devons donc jouer notre rôle avec sérieux et rigueur et évaluer les conditions d’isolement en fonction de données probantes. Or, ce sont des données qui sont particulièrement difficiles à obtenir.

Le deuxième engagement, c’est de retourner régulièrement dans les prisons pour vérifier les conditions d’isolement. Si le projet de loi C-83 est adopté, il restera peu de façons de faire respecter les droits des personnes placées en isolement ou dans une unité d’intervention structurée : il n’y aura pas de surveillance judiciaire; il faudra attendre plus longtemps avant le déclenchement de mécanismes inadéquats qui dépendent d’un pouvoir de surveillance discrétionnaire; de plus, les communautés et les défenseurs des droits seront confrontés à des obstacles accrus. Dans un tel contexte, le droit d’accès aux prisons que prévoit l’article 72 deviendrait crucial; ce serait l’une des seules méthodes encore disponibles pour demander des comptes au milieu correctionnel.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-83 donne un nouveau nom à l’isolement sans faire de réel changement. Comme d’autres sénateurs l’ont dit avant moi, nous savons, grâce aux experts, comment procéder si nous voulons vraiment changer les choses et mettre fin à la séparation et à l’isolement peu importe le nom qu’on leur donne.

Sur cette note, je conclus en dédiant ce discours à toutes les personnes qui, ici même au Canada, ont été placées en isolement, à celles qui y ont survécu, à celles qui ont dépéri et à celles qui, comme Ashley Smith, sont mortes, trop souvent par homicide.

Au lieu d’adopter le projet de loi C-83, j’exhorte le Sénat à se pencher sur la Loi de Tona. Tona est une femme que les membres du Comité sénatorial des droits de la personne ont rencontrée durant leur visite d’un centre hospitalier médico-légal de la région atlantique. Tona nous a raconté les 10 années qu’elle a passées dans des établissements sous responsabilité fédérale. Pendant ces 10 années, elle a toujours été isolée des autres en raison d’un problème de comportement qui était décrit, même par les psychologues de ces établissements, comme une recherche d’attention. Or, lorsqu’elle a été admise dans le système de santé mentale, elle a reçu un diagnostic de schizophrénie. En outre, la gravité de sa psychose a maintenant été directement liée aux longues périodes qu’elle a passées en isolement et au trouble de stress post-traumatique causé par la torture d’un tel isolement.

Tona nous a implorés de prendre des mesures législatives pour mettre fin à l’isolement et sortir des prisons les femmes et les personnes qui ont des problèmes de santé mentale afin de les confier aux services de santé mentale appropriés. Tona est loin d’être la seule personne à réclamer un tel changement. L’enquête sur le décès d’Ashley Smith, la commission d’enquête de 1996, dirigée par la juge Louise Arbour, sur certains événements survenus à la prison des femmes de Kingston, le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, les commissions canadienne et ontarienne des droits de la personne, l’Association médicale canadienne, l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, l’Association des femmes autochtones du Canada et le Réseau d’action des femmes handicapées du Canada : tous considèrent l’isolement et l’isolement préventif comme étant des pratiques profondément inhumaines, en particulier pour les jeunes, les femmes, les prisonniers racialisés et autochtones et ceux qui ont des problèmes de santé mentale.

Le projet de loi à l’étude aujourd’hui n’est pas la loi de Tona. Malgré les meilleures intentions, il risque de constituer une série de promesses creuses à l’intention de ceux qui travaillent à la reconnaissance des droits de la personne que la plupart d’entre nous tiennent pour acquis et qui attendent depuis trop longtemps.

Il est temps de rejeter le projet de loi et de travailler à un véritable changement.

Merci. Meegwetch.

L’honorable Serge Joyal [ + ]

Honorables sénateurs, je tiens à participer au débat d’aujourd’hui parce que j’estime que ce projet de loi soulève une question très importante. Il met à l’épreuve notre conception de l’humanité.

Avez-vous déjà visité un centre de la Société pour la prévention de la cruauté envers les animaux? Quand on entre dans l’établissement, on voit plein d’animaux en cage; des chats, des chiens et d’autres animaux de compagnie que les gens aiment avoir à la maison. On les examine pour en choisir un, mais ils sont en cage. Derrière les barreaux, ils sont à la merci des gens qui prennent soin d’eux.

Lorsque la société décide, par l’entremise du système de justice, d’envoyer un humain en prison, elle se trouve à ordonner sa mise en cage. Une fois que le détenu est dans sa cellule, les gens qui possèdent la clé contrôlent ses faits et gestes. Les conditions de détention qu’on impose au prisonnier reflètent essentiellement le degré d’humanité de notre société.

Quand on met en cage une personne atteinte de troubles mentaux, ou une personne dont les symptômes de troubles mentaux n’ont pas été détectés, cela entraîne la plupart du temps la manifestation de ces déficiences. Quand on met en cage des Autochtones parce qu’on croit qu’ils vivent toujours dans une société qui ne peut pas apprécier ce qu’ils étaient et ce qu’ils devraient être, il faut se rappeler que ce sont des personnes. Pourquoi met-on ces personnes en cage? C’est parce qu’elles sont sans défense. Les gens atteints de maladies mentales n’ont pas une pleine maîtrise de leurs capacités. Les Canadiens autochtones peuvent eux aussi être mis en cage, car ils ne se défendent et ne s’affirment pas suffisamment. S’ils agissent ainsi, c’est parce qu’ils ont été privés de leur identité, qu’ils n’ont pas été libres d’être ce qu’ils sont puisque, pendant 150 ans, nous avons tenté de leur imposer une façon d’être qui ne leur était pas destinée.

Le projet de loi soulève d’importantes questions constitutionnelles et voici pourquoi. Lorsque le gouvernement a rédigé le projet de loi il y a quelques années, les décisions du tribunal de la Colombie-Britannique et de la cour d’appel de l’Ontario auraient pu l’éclairer. Nous sommes confrontés à un dilemme. Le projet de loi a été rédigé à une époque où la Charte n’avait pas encore été interprétée afin de déterminer le niveau d’humanité qu’il faut protéger lorsqu’on met quelqu’un en cage. Pourquoi la Charte existe-t-elle? Nous n’avons pas une charte pour la transporter. La Charte vise à protéger ceux qui vivent dans une condition où leur liberté est déterminée par d’autres personnes. Trois articles de la Charte sont en jeu dans le projet de loi.

Je vais lire l’article 7 et, pendant ma lecture, je vous invite à penser au concept de l’encagement. L’article 7 se lit comme suit :

Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

« Qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale » — et quels sont les principes de justice fondamentale qui sont en jeu lorsqu’on place une personne en isolement? La Cour d’appel de l’Ontario a établi trois critères à cet égard. Je veux que le Comité des affaires sociales soumette le projet de loi à ces critères.

Le premier critère est fondé sur la durée. Pendant combien de temps peut-on garder quelqu’un en cage? Cinq jours? Trente jours? Soixante jours? La cour a déterminé que l’isolement ne pouvait dépasser 15 journées consécutives. Que contient le projet de loi C-83 quant au nombre de jours? C’est le premier élément. Pourquoi? Parce que, de l’avis de la cour :

L’effet d’un isolement prolongé constitue donc un traitement exagérément disproportionné, parce qu’il expose le détenu au risque de dommages psychologiques graves et potentiellement permanents.

La durée est le premier facteur important.

Le deuxième, comme l’a affirmé la cour, est le caractère indéterminé et inadéquat du mécanisme de surveillance. Autrement dit, lorsque vous mettez quelqu’un en cage, vous devez pouvoir le surveiller. Cela signifie qu’une personne doit aller faire une vérification adéquate et la juge Arbour a dit que cela devrait être consigné dans la loi. Il ne suffit pas qu’une personne entrouvre une petite fenêtre pour constater si la personne est toujours vivante. Cela ne constitue pas un mécanisme de surveillance. Un tel mécanisme doit être conçu en conformité avec les principes de justice fondamentale comme il est prévu à l’article 7 de la Charte dont je viens de parler.

Le troisième élément, qui est fondamental, est l’article 15 de la Charte, qui porte sur les Autochtones et les personnes souffrant de déficience mentale. Lorsque vous êtes privé de liberté et à la merci de quelqu’un et que cette personne exerce un contrôle sur vous, elle ne peut pas faire de distinction et doit tenir compte du fait que, dans la position de faiblesse où vous vous trouvez, vous ne serez peut-être pas en mesure d’affirmer vos droits en tant que personne souffrant de déficience mentale ou en tant qu’Autochtone.

Honorables sénateurs, j’espère que le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles interprétera la décision de la Colombie-Britannique et de l’Ontario à l’aune des critères déterminés par le tribunal et des articles de la Charte qui sont en jeu dans ce projet de loi et nous dira, à l’étape du rapport, si ces critères sont respectés dans le projet de loi — qui a été rédigé avant que les tribunaux aient ainsi éclairé le législateur.

Voilà quel est notre rôle, honorables sénateurs. C’est pour cela que nous sommes ici. Nous sommes ici pour mettre le projet de loi à l’épreuve en l’examinant à l’aune des avis et des expertises juridiques les plus récents concernant la protection de la liberté des personnes les plus faibles de la société. Voilà pourquoi je vous dis que nous mettons ici à l’épreuve notre concept d’humanité. C’est cela qui est en jeu lorsque nous avons le contrôle total d’un être humain que nous enfermons en prison.

Honorables sénateurs, c’est le second examen objectif de ce projet de loi. Pensez-y bien, car le degré de liberté des plus vulnérables de la société est entre nos mains avec ce projet de loi, qui a été rédigé dans une bonne intention. En tout respect, je suis personnellement d’avis que l’interprétation judiciaire a évolué depuis la rédaction de cette mesure législative, qui doit être adaptée à ce que traiter une personne avec humanité, conformément à la Charte canadienne des droits et libertés, devrait vouloir dire aujourd’hui. Merci, honorables sénateurs.

Son Honneur le Président [ + ]

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur le Président [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Des voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois, avec dissidence.)

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