Le Code criminel
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat
3 novembre 2020
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-207, Loi modifiant le Code criminel, qui éliminerait les peines minimales obligatoires. Les peines minimales obligatoires empêchent les juges de tenir compte des circonstances d’une personne, qui pourraient justifier une peine moins sévère. Comme notre collègue la sénatrice Pate l’a expliqué en détail, les juges peuvent tenir compte de toutes sortes de contextes et de circonstances dans la détermination de la peine. Cela dit, je veux étudier aujourd’hui le projet de loi dans une perspective soucieuse de l’équité entre les sexes et des réalités culturelles pour clarifier ses répercussions sur les femmes autochtones.
Les femmes autochtones du Canada sont trois fois plus susceptibles de signaler qu’elles sont victimes de violence conjugale que les femmes non autochtones. Comme nous l’avons entendu, 90 % des femmes autochtones incarcérées ont déjà été victimes de violence physique ou sexuelle. Parfois, les femmes autochtones sont transformées en criminelles parce qu’elles se sont défendues contre un partenaire violent. Certaines femmes endurent des années de violence sexuelle, psychologique ou physique avant de s’en prendre à leur agresseur. La peine minimale obligatoire pour meurtre est l’emprisonnement à vie. Pourtant, étant donné un manque de ressources juridiques et une méfiance à l’égard du système de justice, les femmes autochtones présentent souvent un plaidoyer d’homicide involontaire, même dans les cas de légitime défense. Les femmes autochtones sont souvent surreprésentées parmi les victimes d’homicide, mais elles sont aussi souvent accusées d’homicide. Si l’ensemble des femmes de la société canadienne sont plus susceptibles de subir de la violence de la part d’un partenaire intime, les recherches montrent que les femmes et les filles autochtones présentent des taux plus élevés de victimisation violente. Cette situation ne s’inscrit pas dans la culture autochtone.
Les femmes occupaient une place sacrée dans les sociétés autochtones, métisses et inuites. Les premières sociétés autochtones comprenaient les principes sous-jacents à l’équilibre entre les sexes. En outre, le trait commun de tous les groupes autochtones est l’idée que l’égalité des sexes est essentielle à la survie.
Les hommes ne pouvaient pas survivre aux difficultés de la vie sans les femmes, et l’inverse était vrai pour les femmes. Les femmes prenaient les décisions fondamentales concernant la famille, les droits de propriété et l’éducation. Elles étaient les gardiennes des traditions, des pratiques et des coutumes de leur nation. On admirait leur capacité à créer la vie et à tisser de nouvelles relations avec le créateur.
Avant la colonisation, les femmes autochtones jouissaient d’une place d’honneur, d’un traitement équitable et d’un pouvoir politique que les femmes européennes ne possédaient pas à cette époque de l’histoire. Le déclin du statut des femmes autochtones s’est produit à mesure que la colonisation progressait.
Le sexisme et la violence conjugale sont des conséquences de la colonisation et le résultat de l’anéantissement des traditions autochtones. Conjuguée aux politiques d’assimilation et de génocide culturel, cette rupture par rapport aux traditions a mené à la situation d’aujourd’hui. La Loi sur les Indiens, les politiques des pensionnats indiens, les lois sur la santé mentale et l’enlèvement forcé des enfants lors de la rafle des années 1960 sont parmi les facteurs déplorables qui ont contribué à l’érosion du rôle des femmes dans les cultures autochtones.
Verna McGregor, une aînée et gardienne du savoir du centre Minwaashin Lodge, situé ici même, à Ottawa, convient que les politiques d’assimilation ont contribué aux abus subis par bon nombre de femmes autochtones. Cette réalité se reflète également dans le fort taux d’incarcération chez les Autochtones du pays. Elle confirme que la criminalité est souvent associée à la pauvreté, et que, dans le cas des Premières Nations, des Métis et des Inuits, elle est aussi liée à des problèmes découlant de la colonisation.
Un juge devrait pouvoir déterminer la peine à imposer à une femme autochtone selon une approche intersectionnelle. Selon les principes établis dans l’arrêt Gladue, rendu par la Cour suprême en 1999, au moment de déterminer la peine à imposer à un délinquant autochtone, le juge doit prendre deux choses en considération. Premièrement, il doit considérer :
[...] les facteurs systémiques ou historiques distinctifs qui peuvent être une des raisons pour lesquelles le délinquant autochtone se retrouve devant les tribunaux [...]
Deuxièmement, il doit prendre en considération :
[...] les types de procédures de détermination de la peine et de sanctions qui, dans les circonstances, peuvent être appropriées à l’égard du délinquant en raison de son héritage ou attaches autochtones.
Les peines minimales obligatoires empêchent les juges d’appliquer ces principes importants de l’arrêt Gladue. L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées conclut que les peines minimales obligatoires sont particulièrement dures pour les femmes, les filles et les personnes bispirituelles, lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, queer, en questionnement, intersexe et assexuelles autochtones, car on ne peut pas appliquer les principes de l’arrêt Gladue pour déterminer leur peine. Les témoignages de femmes autochtones révèlent que l’arrêt Gladue s’avère inefficace pour réduire leur taux d’incarcération. Il faut éliminer les peines minimales obligatoires pour permettre aux juges de tenir compte des expériences d’inégalités intersectionnelles vécues par les femmes autochtones et d’appliquer, par conséquent, les principes Gladue lorsque ces femmes le souhaitent.
Les bureaux d’Ottawa et d’Hamilton de l’Association des femmes autochtones de l’Ontario produisent des rapports Gladue depuis 2018. Ces rapports fournissent des recommandations adaptées à la culture et axées sur la personne qui tiennent compte de la force et de la résilience des femmes autochtones.
Les juges doivent pouvoir appliquer véritablement ces rapports Gladue dans les cas dont ils sont saisis. Ils doivent également prendre connaissance d’office des principes Gladue et pouvoir exercer leur pouvoir discrétionnaire pour ce qui est d’envoyer des Autochtones dans des pavillons de ressourcement, des programmes d’encadrement par les aînés et d’autres programmes dirigés par des Autochtones qui sont culturellement plus appropriés et qui sont axés sur la réadaptation plutôt que sur le châtiment. Le rapport annuel du Bureau de l’enquêteur correctionnel conclut que le Canada ne fournit pas aux délinquants autochtones les compétences, la formation et les occasions d’apprentissage dont ils ont besoin pour bien réintégrer leur collectivité.
Le rapport annuel indique également que la surreprésentation des femmes autochtones atteint un sommet historique à 42 %. Les peines minimales obligatoires empêchent la réadaptation en siphonnant les ressources qui pourraient aller à des programmes de prévention du crime et de réadaptation et augmentent la probabilité d’avec un casier judiciaire. L’aînée Verna McGregor s’est également dite inquiète du fait que, souvent, les femmes du pavillon Minwaashin n’arrivent pas à se trouver un emploi parce qu’elles ont un casier judiciaire et que les peines minimales obligatoires ne font qu’accroître le risque qu’elles en aient un. Bon nombre de ces femmes ont des enfants à charge et la marginalisation s’étend de génération en génération.
Honorables sénateurs, le projet de loi S-207 représente un pas important vers l’élimination du racisme systémique dans le système de justice pénale. Il permettrait aux juges de tenir compte du rôle joué par le colonialisme et par les politiques d’assimilation dans la violence faite aux femmes autochtones. Il ferait également en sorte qu’on examine les circonstances relatives à chaque affaire d’un point de vue fondé sur le sexe et adapté à la culture et il favoriserait une meilleure application des principes de l’affaire Gladue, qui sont fondamentaux pour le rétablissement d’une approche holistique, collaborative et plus humaine en matière de justice. J’appuie le projet de loi et j’invite mes collègues à en faire autant. Merci, meegwetch, marsee.