La Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat
5 novembre 2020
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-213, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres. J’estime que nous devons appuyer ce projet de loi parce qu’il est important pour les législateurs de reconnaître le rapport étroit qui existe entre la culture et le genre pour les femmes autochtones, comme l’a si bien expliqué la sénatrice McCallum.
Le projet de loi S-213 est une démarche nécessaire vers l’atteinte de la réconciliation, car il aide à créer des politiques rigoureuses et efficaces qui tiennent compte des expériences vécues par les femmes autochtones. L’adoption d’une approche plus globale permettra de mieux protéger les femmes autochtones contre les torts qu’elles subissent depuis toujours à cause du colonialisme.
Le projet de loi exigerait que certains projets de loi fassent l’objet d’une analyse dans l’optique de la culture et du genre, deux aspects fondamentaux qui sont indissociables pour les femmes autochtones, de sorte que les prochains gouvernements ne négligent pas cet élément important lorsqu’ils adoptent des mesures législatives.
Nous connaissons tous l’expression « analyse comparative entre les sexes ». Nous savons qu’il s’agit d’un outil qui permet aux décideurs d’harmoniser les mesures du gouvernement avec la Charte canadienne des droits et libertés et la Loi canadienne sur les droits de la personne. Nous savons également que le gouvernement du Canada s’est engagé à appuyer la mise en œuvre complète de l’analyse comparative entre les sexes dans l’ensemble des ministères et des organismes fédéraux.
Actuellement, l’analyse comparative entre les sexes est effectuée à la discrétion et selon le bon vouloir du gouvernement, ce qui donne aux prochains gouvernements la possibilité de l’écarter du revers de la main s’ils le désirent. Bien sûr, les ministères qui travaillent sur des projets de loi sont susceptibles de penser aux répercussions de ceux-ci sur différentes populations et ils penseront sûrement à tous les risques. Néanmoins, les pratiques en matière d’analyse comparative entre les sexes visant à examiner des projets de loi au sein du gouvernement semblent être laissées à la discrétion du gouvernement en place. Pourtant, l’analyse comparative entre les sexes est une étape cruciale et importante dans l’élaboration d’un projet de loi. Nous avons vu comment les analyses comparatives entre les sexes peuvent orienter la manière dont le gouvernement cerne et définit les problèmes dans ses initiatives stratégiques.
Dans son rapport de 2015 intitulé Rapport 1 — La mise en œuvre de l’analyse comparative entre les sexes, le Bureau du vérificateur général a évalué les progrès réalisés par le ministère de la Condition féminine et il a cerné un certain nombre de domaines où des améliorations étaient nécessaires. Cependant, le bureau a passé sous silence la question de la pertinence culturelle, ce qui représente une lacune considérable pour les femmes autochtones.
Le ministère de la Condition féminine a précisé que l’analyse comparative entre les sexes devrait aussi prendre en considération les multiples facteurs d’identité qui ont une incidence sur les groupes de femmes et d’hommes, y compris l’âge, la scolarité, la langue, le lieu de résidence, la culture et le revenu. C’est ce qu’on appelle l’analyse comparative entre les sexes plus.
Le projet de loi S-213 va encore plus loin en prenant en considération les facteurs culturellement pertinents et les réalités particulières des femmes autochtones. Le projet de loi S-213 est un pas important vers la réalisation d’analyses comparatives entre les sexes qui soient adaptées à la culture.
Les chefs de file dans le domaine reconnaissent l’importance d’examiner le rapport étroit qui existe entre la culture et le genre. Depuis au moins 2007, l’Association des femmes autochtones de l’Ontario fait la promotion d’analyses comparatives entre les sexes adaptées à la culture, parce que cette approche permet de tenir compte de facteurs culturellement pertinents dans le cadre de ces analyses. Par exemple, dans le secteur de la santé, la recherche et les essais cliniques ont toujours été menés sur des hommes de race blanche. Par conséquent, on a créé des failles et on n’a pas réussi à répondre aux besoins en matière de santé des femmes. Ces dernières étaient aussi plus exposées à des risques, car les résultats des essais cliniques réalisés auprès des hommes étaient considérés comme la référence absolue.
Les résultats étaient ensuite appliqués à toutes les femmes, ce qui a parfois occasionné de graves conséquences sur leur santé. Quand elle est appliquée aux femmes autochtones, cette règle absolue ne tient pas du tout compte des facteurs de santé qui leur sont propres et qui découlent des conséquences du colonialisme. Par exemple, les considérations uniques relatives aux comorbidités cardiaques des femmes autochtones sont exacerbées en raison d’autres facteurs qui découlent des traumatismes intergénérationnels causés par le colonialisme, y compris le stress physique, mental et spirituel découlant des politiques de relocalisation et de la famine forcée, et de la dépression liée à la perte d’identité résultant de la Loi sur les Indiens, et les effets des traumatismes et de la violence perpétrés contre des générations de survivants des pensionnats.
L’utilisation des outils que nous offre le projet de loi S-213 permettrait toutefois de combler en partie les lacunes qui existent au chapitre des connaissances sur les facteurs liés au sexe tenant compte de la culture, ce qui aiderait les législateurs à mieux comprendre la réalité du vécu des femmes autochtones.
L’Association des femmes autochtones de l’Ontario a indiqué à quoi ressemblaient les rôles des femmes autochtones dans la société traditionnelle, et ceux-ci contrastent énormément avec ceux des femmes européennes. Ce conflit entre les normes culturelles explique pourquoi l’histoire des femmes autochtones du Canada a été si différente et difficile. Les femmes autochtones, qui étaient vénérées dans leur culture pour leur capacité d’engendrer une nouvelle vie, se sont heurtées au point de vue européen, qui, selon la common law, considérait les femmes comme un bien personnel, c’est-à-dire qu’elles dépendaient d’abord de leur père, puis de leur mari.
Aujourd’hui, le Canada reconnaît que cette façon de voir les femmes est extrêmement préjudiciable. Or, les hypothèses patriarcales et masculines continuent d’influer sur nos lois et nos politiques. Comme je l’ai déjà expliqué, une vision centrée sur les hommes peut avoir des effets négatifs à long terme sur la santé des femmes autochtones.
Le féminisme et les traditions juridiques occidentales ont contribué à compenser les injustices qui découlent du colonialisme patriarcal, mais ces concepts ne reflètent pas pleinement les perspectives des Autochtones. Par exemple, comme je l’ai mentionné dans mon allocution d’il y a deux jours, dans la société autochtone, l’équilibre ne peut pas être mis sur le même pied que l’égalité. L’équilibre est plutôt assimilable au respect des lois et des relations que les femmes autochtones entretiennent avec le droit autochtone et l’ordre écologique de l’univers.
La question est donc la suivante : Comment un projet de loi comme le S-213 peut-il contribuer à créer une société plus juste et plus équilibrée pour toutes les femmes? Nous croyons que des outils législatifs pourraient, par exemple, nous permettre d’effectuer une analyse comparative entre les sexes adaptée à la culture qui tiendrait compte des besoins culturels uniques des femmes autochtones au moment de l’examen des mesures législatives dans le domaine de l’environnement, qui peuvent souvent mener à l’établissement de camps de travailleurs masculins pour l’extraction des ressources dans les régions rurales ou éloignées. Les sénateurs McCallum et Galvez ont longuement parlé de ces questions. Une analyse comparative entre les sexes adaptée à la culture permettrait d’évaluer ces risques durant les étapes de la rédaction législative et des amendements, en plus de faire ressortir le potentiel de violence envers les femmes autochtones dans ces régions éloignées. Le projet de loi S-213 nous amène à réfléchir au rôle important que joue la culture dans l’élaboration des politiques et les répercussions que ces politiques ont sur la façon dont les personnes sont traitées devant la loi.
Il n’est pas étonnant que, dans une société multiculturelle comme le Canada, une analyse comparative entre les sexes adaptée à la culture puisse inclure de multiples intersections. Dans le cadre de l’engagement que nous avons pris envers la réconciliation, nous devons faire les premiers pas pour reconnaître les réalités culturelles et les préjugés culturels que l’on retrouve dans les pratiques actuelles du processus législatif et de l’élaboration des politiques. Le projet de loi S-213 constitue une mesure positive et essentielle pour la protection des réalités particulières des femmes autochtones. Le gouvernement s’est engagé dans la voie de la réconciliation, ce qui implique que les droits, les intérêts et les circonstances particulières des Premières Nations, des Métis et des Inuits soient reconnus, confirmés et respectés. Le projet de loi S-213 permettra la poursuite de cet objectif.
Chers collègues, j’appuie ce projet de loi et je vous encourage à faire de même. Quand les futurs gouvernements repenseront au projet de loi S-213, ils y verront une mesure législative importante leur ayant fait voir de nouvelles perspectives. C’est notre seul moyen de faire en sorte que personne ne soit oublié ou laissé pour compte. Merci, meegwetch.