Aller au contenu

Le Sénat

Motion concernant le système des pensionnats indiens--Suite du débat

14 décembre 2021


Je suis honorée de pouvoir m’exprimer au sujet de la motion de la sénatrice McCallum, et je la remercie pour son travail acharné à la défense des Premières Nations, des Métis et des Inuits du Canada.

J’appuie sans réserve cette importante motion, qui va certainement contribuer à la réconciliation partout au pays. Pendant que je préparais mon discours, je me suis demandé comment faire pour que celui-ci aient un impact. Comment faire entendre la voix des personnes qui ont tant souffert et qui souffrent encore en raison des décisions prises par le gouvernement?

En y réfléchissant, la réponse m’est apparue très clairement. J’ai voulu faire entendre une voix qui a été longtemps bafouée et même bannie de cette enceinte.

Aujourd’hui, je prête ma voix à un ami cher, un aîné autochtone très respecté et un survivant des pensionnats autochtones : Garnet Angeconeb.

Garnet Angeconeb est un Anishinabe qui a survécu à un long périple. Il a grandi sur les terres ancestrales de sa famille jusqu’à l’âge de sept ans, quand il a été forcé par le gouvernement du Canada d’entrer au pensionnat autochtone de Pelican Lake. Dans les décennies qui ont suivi, Garnet a souffert des nombreuses séquelles découlant des politiques gouvernementales. Malgré ses difficultés personnelles, il est devenu journaliste, un leader au sein de sa communauté et un aîné respecté tant chez les Autochtones que chez les non-Autochtones.

Honorables sénateurs, je suis honorée de vous transmettre le message de Garnet.

Chers sénateurs, je suis très heureux de pouvoir vous parler par l’entremise de la sénatrice Yvonne Boyer à l’intérieur de cette enceinte d’honneur et de privilège. Je reconnais le peuple algonquin anishinaabe et le fait que le Sénat est situé sur leurs terres traditionnelles.

Aujourd’hui, je vous parle dans un esprit de vérité. Les aînés nous apprennent à dire la vérité, c’est donc avec cet enseignement sacré que je vous raconterai personnellement des expériences vécues dans les pensionnats autochtones.

Je vis actuellement à Sioux Lookout, dans le Nord-Ouest de l’Ontario, et je suis fier d’être membre de la Première Nation de Lac Seul. Nous vivons sur le territoire traditionnel visé par le Traité no 3, une région d’une superficie de 55 000 milles carrés bordée de lacs magnifiques et de forêts.

Le Traité no 3 est un document évolutif qui est le fondement de notre relation avec le Canada. Qui plus est, le Traité no 3 unit politiquement, économiquement et socialement la région avec le peuple anishinaabe.

Le Traité no 3 a été signé en 1873. Toutefois, la Première Nation de Lac Seul a adhéré au traité en 1874. Notre peuple continue d’honorer le traité, qui est considéré comme un pacte sacré de coexistence.

Après avoir adhéré au Traité no 3 en 1874 au nom des Anishinaabes du Lac Seul, le chef Sakatcheway a déclaré avec éloquence : « Si vous me donnez ce que je demande, le jour viendra où je vous demanderai d’envoyer l’une de vos filles et l’un de vos fils vivre avec nous. En échange, je vous enverrai l’une de mes filles et l’un de mes fils pour que vous leur enseigniez ce qui est bon, puis, après leur apprentissage, ils pourront nous transmettre leurs connaissances. Si vous nous accordez ce que je demande, je vous serrerai la main, même si je ne vous connais pas. »

Vous pouvez donc constater qu’avec la signature du traité a débuté une longue relation de coexistence, une relation qui perdure à ce jour et qui est reconnue dans la Loi constitutionnelle de 1982 du Canada.

Toutefois, cette relation a parfois connu des hauts et des bas et des moments difficiles. La vision de coexistence du chef Saskatcheway, qui consistait à « enseigner » et « apprendre » mutuellement, n’a pas toujours été mise en pratique ou respectée.

Peu importe le problème, nous pouvons continuer de marcher ensemble sur le sentier de l’apprentissage. En apprendre davantage sur les pensionnats autochtones ne fait pas exception à la règle. En tant que survivant du système des pensionnats autochtones, je continue d’en apprendre à son sujet. Il y a tellement à apprendre au sujet de l’ère qui a suivi celle des pensionnats : les conséquences, les traumatismes historiques, la colère transgénérationnelle, la guérison, la réconciliation et tant d’autres choses.

Je vais essayer d’expliquer ce que cela signifie afin que nous puissions tous apprendre l’un de l’autre.

En mars 2017, une sénatrice a tenu dans la Chambre rouge des propos malheureux sur les « bienfaits » du système des pensionnats autochtones et sur le personnel « bien intentionné » qui y travaillait. Ses propos contredisent le témoignage des survivants sur leurs expériences vécues ainsi que les conclusions de la Commission de vérité et réconciliation du Canada.

Pour un survivant du système des pensionnats autochtones comme moi, ainsi que pour ma famille et ma communauté, les propos odieux de la sénatrice et les gestes qu’elle a posés par la suite sont encore blessants et profondément offensants. Je vous dirais également que ses gestes et son discours négatifs nuisent à la progression du Canada sur le chemin de la véritable réconciliation. Bien des gens, autochtones et non autochtones, en sont encore offensés.

Une fois libéré du système des pensionnats autochtones, l’esprit meurtri, je ne voulais plus écouter personne — personne —, tellement ce système m’avait rendu furieux.

J’étais amer, très amer. J’étais fâché contre moi-même. J’étais fâché contre mes parents parce qu’ils avaient permis que je fréquente ce pensionnat, mais je ne me doutais pas que c’était à cause de la loi du pays et du rôle qu’avaient joué les églises que j’avais été séparé de ma famille. J’ose dire que j’étais même fâché contre Dieu mon Créateur. Pour dire les choses simplement, j’étais un jeune homme perdu qui en voulait au monde entier.

Un aspect positif, toutefois : j’ai amorcé un processus de guérison, où j’ai appris à affronter et à maîtriser ma colère. J’ai trouvé la force pour l’empêcher de contrôler ma vie.

Vous vous demandez peut-être pourquoi je vous raconte cela.

Eh bien, ça s’est passé ainsi.

Lorsque j’ai entendu parler pour la première fois des commentaires épousés par la sénatrice, j’ai été perplexe. J’ai ressenti le besoin d’affronter le défi qui se présentait à nous, collectivement : nous avions encore beaucoup de travail à faire pour nous éduquer les uns et les autres à propos de notre histoire commune.

Toutefois, comme les nouvelles d’autres commentaires et d’autres gestes se répandaient, j’ai senti la vieille colère envers les pensionnats autochtones se manifester dans toute sa laideur.

Nous avons essayé : en juillet 2017, un groupe de survivants a rencontré la sénatrice en personne pour tenter de lui faire comprendre les conséquences des pensionnats autochtones. La rencontre fut un échec. Par la suite, il nous est paru évident que la rencontre n’était qu’une opportunité pour la sénatrice de faire comme si tout allait pour le mieux. En fait, les choses ont empiré : la sénatrice a été exclue de son parti politique et a été suspendue à deux reprises du Sénat.

Sans vouloir être malveillant, je dirai que j’ai trouvé condescendantes les réponses et les actions de la sénatrice. Certes, elle nous a écoutés raconter nos histoires, mais il semble qu’elle n’ait pas entendu notre message. Je soutiens qu’elle ne s’est pas engagée dans la conversation avec l’objectif véritable de guérir nos relations.

Étant donné la situation, j’espère que vous comprenez pourquoi il peut s’avérer facile de rouvrir certaines vieilles blessures. Voilà pourquoi je parle de la colère qui émane de traumatismes historiques, dont les effets sont malheureusement transgénérationnels. Cette colère — qui a un effet persistant sur le système — a sans doute ressurgi dans cette situation.

Le racisme

À l’instar des vieilles blessures infligées par le système des pensionnats, le vernis est si mince que les braises du racisme peuvent facilement être ravivées. De toute évidence, les paroles et les actions de cette sénatrice ont ravivé les flammes du racisme au pays.

Durant les années 1960 et 1970, quand j’étais un jeune homme anishinaabe vivant dans le Nord-Ouest de l’Ontario, j’ai traversé des périodes de turbulences en subissant du racisme manifeste, notamment les effets négatifs du racisme systémique. Les habitants du Nord de l’Ontario comprennent la menace que représentent les feux de forêt dévastateurs. À l’époque dont je parle, le racisme dans le Nord était embrasé. Bien que certains incendies se soient estompés, des braises demeurent, prêtes à raviver le racisme.

Au moins, il est possible d’éteindre les feux de forêt dévastateurs en déployant beaucoup d’efforts et d’équipement de lutte contre les incendies. Par contre, les feux dévastateurs du racisme ne s’éteignent pas aussi facilement. Le racisme est à la hausse au pays, et le Nord-Ouest de l’Ontario n’est pas épargné. Il nous faut encore un effort collectif et des outils adéquats pour lutter contre le racisme.

Le mouvement vers la guérison et la réconciliation

Sénateurs, j’ai la conviction qu’il faut guérir nos relations brisées. Une démarche de guérison fondée sur le dialogue nous mènera à une véritable réconciliation. Je le dis en sachant que la guérison est nécessaire avant que le travail de réconciliation puisse prendre forme.

En conclusion, avançons ensemble dans un esprit de réconciliation. Ayons de bonnes conversations. Parlons ensemble d’une manière responsable jusqu’à ce que la dernière once de souffrance causée par le système des pensionnats autochtones se soit dissipée.

Mes amis, le moment est venu. Il est temps d’écouter la sagesse des leaders du passé, car leurs conseils vivent encore en chacun de nous. Laissons-nous guider par l’esprit de leaders comme le chef Sakatcheway.

Pourquoi faut-il le faire? Il faut le faire pour nos enfants, nos petits-enfants et ceux qui naîtront un jour. Chaque fois que je plonge mon regard dans celui de mes splendides enfants, je ne peux m’empêcher de leur dire : « C’est pour vous et pour l’avenir de notre pays. »

J’ai dit la vérité. La vérité mènera à la compréhension. La compréhension mènera à l’espoir. L’espoir mènera à la guérison. La guérison mènera à la réconciliation. La réconciliation mènera au pardon. Le pardon mènera à la paix.

Miigwetch pour votre écoute.

Je vous remercie, Garnet, cher ami, pour ces paroles très fortes, et merci, chers collègues, d’avoir écouté avec votre cœur.

Haut de page