
Les contributions et l'impact des Premières Nations, des Métis et des Inuits
Interpellation--Ajournement du débat
14 décembre 2021
Ayant donné préavis le 24 novembre 2021 :
Qu’elle attirera l’attention du Sénat sur les contributions et les retombées positives réalisées par les Métis, les Inuits et les Premières Nations au Canada, et dans le monde.
—Honorables sénateurs, j’interviens au Sénat aujourd’hui dans le cadre de mon interpellation sur ce que les peuples autochtones du Canada ont apporté au Canada et au monde entier.
J’aborde cette interpellation dans l’espoir de fournir des renseignements qui sont peut-être méconnus, mais qui mettent en évidence les forces des Métis, des Premières Nations et des Inuits et ce qu’ils ont apporté à la construction de la nation.
Comme vous le savez, je parle souvent, au Sénat, de mes sœurs autochtones. Nous avons ainsi abordé des sujets comme la stérilisation forcée, la paralysie cérébrale, les femmes et les filles disparues ou assassinées, les mauvais traitements infligés dans les pensionnats, et les sévices physiques et sexuels subis par les femmes et les filles autochtones. Bien que ce soit des enjeux réels et troublants, il faut aussi parler de la résilience et des forces de nos sœurs autochtones, qui réussissent à s’épanouir malgré les immenses torts causés par le système colonial. En célébrant leurs réussites, nous montrons que leur vie est beaucoup plus que la somme des injustices subies. Nous montrons leur beauté, leur force, leur intelligence et leur amour.
Je compte rendre hommage à toutes les femmes autochtones en parlant de quelques femmes brillantes qui sont inuites, métisses ou des Premières Nations. J’espère que ce sera le premier de nombreux hommages rendus, au Sénat, à la résilience de ces femmes et à ce que nous sommes, nous les femmes autochtones, et nous, les peuples autochtones.
Aujourd’hui, je tiens à commémorer Gail Guthrie Valaskakis et à lui rendre hommage. En commençant à penser à rendre hommage aux femmes autochtones, le magnifique visage de Mme Valaskakis est presque instantanément apparu devant moi, moqueur, souriant et resplendissant d’une douce gaité, comme si, pour un instant, sa force vitale et sa belle énergie étaient revenues du monde des esprits.
Gail Guthrie Valaskakis est née le 8 mai 1939 à la réserve du lac du Flambeau, au Wisconsin, soit à environ 300 kilomètres au sud de Thunder Bay à vol d’oiseau, et ses parents sont Miriam Van Buskirk et Benedict Guthrie.
Mme Valaskakis a obtenu son diplôme de l’Université de Wisconsin-Madison, elle a obtenu une maîtrise de l’Université Cornell, puis un doctorat à l’Université McGill. Elle était une sommité des médias et des communications nordiques et autochtones au Canada. Elle n’a jamais cessé d’attirer l’attention sur les médias et les communications autochtones dans les milieux universitaires et gouvernementaux et elle a contribué à ce qu’ils obtiennent une reconnaissance académique essentielle, un soutien stratégique et des ressources.
Je dois m’interrompre pour raconter une petite histoire au sujet de ses recherches et du sérieux qu’elle y accordait. Comme c’était une conteuse, voici une histoire qu’elle m’a racontée au sujet de ses recherches et de sa vie dans le Nord.
À la fin des années 1960, Mme Valaskakis entama son travail sur le terrain pour sa thèse de doctorat : elle étudiait l’incidence que le système de satellites aurait sur les habitants du Nord canadien. Ce travail l’a amené dans l’Est de l’Arctique, où elle a étudié le rôle et l’utilité des technologies de communication et est devenue une sommité des médias et des communications nordiques et autochtones au Canada.
Pendant cette période, Mme Valaskakis se rendait fréquemment dans l’Extrême-Arctique. Lorsqu’elle se trouvait dans la région, elle demeurait souvent avec la famille d’un cher Inuk du nom de Killiktee. Pendant les tempêtes de neige qui duraient une semaine et qui l’obligeaient à rester enfermée, elle a dû faire preuve d’une grande force de caractère et d’une patience extrême pour trouver des moyens de se divertir sans embêter sa famille d’accueil.
Lorsque le voile blanc se levait finalement sur un ciel bleu, Mme Valaskakis pouvait passer du temps à l’extérieur et participer aux coutumes inuites saisonnières. À une occasion, lors d’un dégel printanier, elle a accompagné Killiktee dans sa chasse au phoque en motoneige sur la glace ouverte et avec des harpons. Ils se sont aventurés à bien des kilomètres de la maison de Killiktee et Mme Valaskakis était confortablement installée à l’arrière de sa motoneige. Au fil des ans, Killiktee était devenu un motoneigiste expert. Il pouvait sauter adroitement d’une banquise à l’autre au printemps grâce à des mouvements audacieux qui lui permettaient de traverser de vastes distances de glace fondante à la recherche de phoques. Lors d’un saut de banquise particulièrement raide et périlleux, Mme Valaskakis a perdu prise sur la taille de Killiktee, est tombée de la motoneige et a passé à travers la glace. Toutefois, au lieu de hurler d’horreur, elle a commencé à rire de façon hystérique, ce qui était sa façon de faire face à cette situation terrifiante.
Killiktee a été très impressionné de sa réaction, car il ne s’attendait pas à ce que Gail agisse de façon si surprenante. En éclatant de rire, elle avait tourné en dérision une situation potentiellement traumatisante. Killiktee a réussi à la sortir de la glace et à la ramener chez lui, où il lui a remis des vêtements secs et l’a enveloppée dans d’épaisses couvertures. Je me souviens qu’elle m’avait raconté n’avoir jamais eu si froid de toute sa vie et qu’il lui avait fallu une semaine pour se réchauffer. Toutefois, en racontant cette anecdote au fil des années, elle a souvent précisé que sa réaction inhabituelle lors d’une situation tragique avait créé un solide lien de confiance avec Killiktee, et leur amitié s’est enrichie durant les 10 années qui suivirent.
Comme vous pouvez le constater, Gail a été une vraie pionnière avec son approche axée sur la collaboration et l’innovation pour effectuer de la recherche, faire des évaluations et développer de nouvelles politiques. D’autres chercheurs qui ont adopté ses méthodes de recherche communautaire reconnaissent aujourd’hui son rôle de précurseure. De nos jours, la recherche au sein de la communauté est tout à fait normale, mais Gail a été la première à le faire, ce qui était particulièrement important pour collaborer avec les peuples autochtones au Canada. Il n’est pas impossible que l’adage « Le rire est le meilleur des remèdes » ait été inventé par Gail.
Gail a aussi été l’une des fondatrices du Centre d’amitié autochtone de Montréal, du Native North American Studies Institute et du Manitou College — la première institution d’enseignement postsecondaire pour les Autochtones dans l’Est du Canada. De plus, elle a travaillé comme membre fondateur et a joué un rôle essentiel pour mettre sur pied une maison de transition au nord de Montréal et pour transformer la Maison Waseskun en pavillon de ressourcement pour les hommes. Elle a rédigé un rapport pour la Commission royale sur les peuples autochtones, intitulé The Role and Future of Aboriginal Communications, et a reçu le prix Indspire dans la catégorie Médias et communications.
Pendant 30 ans, Gail a enseigné au département de communication à l’Université Concordia, où elle a créé le Native Education Centre et participé à la création du programme interuniversitaire conjoint de doctorat en communication. Son expertise a été reconnue à l’échelle internationale, et elle a donné des cours en Chine, en Russie, en Israël, aux États-Unis et dans diverses universités canadiennes.
En 1998, elle a quitté Concordia et son poste de doyenne de la Faculté des arts et des sciences pour écrire le livre Indian Country: Essays on Contemporary Native Culture, et pour se joindre à la Fondation autochtone de guérison à titre de directrice de la recherche. C’est à cette époque que nous sommes devenues amies, et notre amitié a transformé ma vie à tout jamais.
J’aimerais maintenant que vous rencontriez vraiment la personne qu’était Gail. Gail était pour moi une amie très chère et une sœur. Nous avons passé beaucoup, beaucoup d’heures et de journées ensemble. Nous avons été embauchées en même temps à la Fondation autochtone de guérison, ici, à Ottawa. C’était en 1999. La fondation était une fiducie établie par le gouvernement fédéral pour financer les communautés et les organisations autochtones qui prenaient elles-mêmes des mesures pour répondre aux besoins de guérison liés aux sévices physiques et sexuels infligés par les prêtres et les religieuses dans les pensionnats autochtones du Canada.
La fondation était dirigée et gérée par des Autochtones et la plupart, voire la totalité d’entre eux avaient une expérience personnelle ou familiale des pensionnats. Gail avait été embauchée comme directrice de la recherche et j’étais directrice des programmes. Le courant passait vraiment entre nous.
Gail avait de nombreux dons dont elle me faisait profiter. L’un d’eux était sa capacité à s’exprimer à l’oral et à l’écrit avec une clarté illuminante. Quand on l’écoutait, on avait l’impression d’être happé et transporté dans son univers.
Ce sont ses réalisations énormes qui l’ont rendue comparable aux plus grandes héroïnes de l’histoire, mais son plus grand don était sa capacité à faire connaître le monde dans lequel elle a grandi. C’est vraiment comme si j’avais grandi en sa compagnie.
Voyez-vous, Gail était une jolie blonde aux yeux bleus qui a grandi dans une réserve indienne du Lac du Flambeau — tout le contraire des idées reçues — et qui vivait un problème auquel je m’identifie également. Voici deux anecdotes personnelles dont elle m’a fait cadeau :
« Gail la pas belle », a-t-elle crié, au-dessus des rires. « Hé, Nez de cochon! Où est donc ton frère, Tête d’œuf? Ceux qui disent que les blondes ont tout pour elles ne sont jamais allés dans une école autochtone. »
La deuxième vignette est la suivante :
Le champ derrière la compagnie Simpsons Electric était comme un no man’s land d’herbes où circulaient constamment de petits bataillons d’écoliers aux alliances changeantes. Je sentais la fièvre de la contagion monter, sachant que je serais la prochaine cible. « Hé, Chomoqamon, la blanche, où crois-tu t’en aller comme ça? » Prise dans le vortex en bordure d’une tornade, je me trouvais grosse et lente, à peine capable de produire l’habituel regard terrassant, le sourire déviant, la phrase assassine. La claque derrière la tête était un trophée — ce n’était PAS un appel à la guerre. Demain, je serais peut-être à leur côté pour taquiner quelqu’un d’autre. Ma situation s’améliorait ou se détériorait, selon que je répondais aux questions des professeurs blancs — attirés vers moi comme des aimants —, que je frappais la balle assez loin pour me rendre au premier but, que je fumais toute une cigarette sans tousser, que je gardais mes distances dans les querelles des autres ou que réussissais à m’en sortir dans la multitude de tests qui parsèment le quotidien d’une enfant et qui déterminaient ma place au sein de la communauté autochtone.
La réserve du Lac du Flambeau faisait partie du cœur et de l’âme de Gail. Elle parlait de l’attachement profond de ses grands-parents envers ce territoire, un attachement qui lui a été transmis ainsi qu’à son frère Greg. Elle a entendu les histoires des batailles de l’île Strawberry, des esprits du Medicine Rock et des mystères du shaman Anewabe. À l’aide de photographies et d’artefacts, le père de Gail lui a enseigné sa vie et celle de ses ancêtres, une vie remplie de commerçants, de barons du bois d’œuvre et d’administrateurs du gouvernement. Elle a vécu dans le passé et dans le présent en refusant obstinément d’oublier l’héritage laissé par l’homme qui portait le même nom que son père, Kinistano, et qui a signé le traité de 1854 de La Pointe attribuant des terres au Chippewa du Lac du Flambeau.
Même si ses études et l’amour l’ont amenée à déménager, Gail n’a jamais vraiment quitté le Lac du Flambeau parce que son esprit et son cœur s’y trouvaient toujours. Elle n’a jamais perdu sa passion pour son peuple et sa terre d’origine, où elle est retournée fréquemment, jusqu’à la fin de sa vie.
Universitaire sérieuse et minutieuse, elle était aussi une personne débordante de vie et toujours prête à rire, qui était à la fois réservée et extravertie, élégante et sans prétention. Si Gail faisait partie de votre équipe, vous saviez que vous alliez obtenir des résultats. Vous saviez aussi que vous le feriez avec beaucoup de plaisir.
En effet, elle a vécu sa vie comme son père l’avait prédit : « à califourchon sur la limite du territoire autochtone, chaussée d’un mocassin à un pied et d’un soulier à l’autre ». Gail Guthrie Valaskakis est décédée à Ottawa le 19 juillet 2007. Elle est profondément aimée et manque à beaucoup de personnes qui se souviennent d’elle comme une collègue, une mentore, une érudite et une amie.
Elle demeure avec nous en esprit, en tant que modèle autochtone qui suscite une grande inspiration. Je sais qu’elle sourit, sachant que j’ai raconté ses histoires au Sénat du Canada.
Merci, marsee, meegwetch.