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La violence entre partenaires intimes

Interpellation--Suite du débat

28 mars 2023


Honorables collègues, je prends la parole aujourd’hui sur l’interpellation no 10 présentée par la sénatrice Boniface, attirant l’attention du Sénat sur la violence entre partenaires intimes, en particulier en milieu rural dans tout le Canada, en réponse à l’enquête du coroner menée dans le comté de Renfrew, en Ontario.

Avant de commencer, je tiens à souligner que nous nous trouvons sur le territoire traditionnel non cédé des Algonquins anishinabes. Les membres de cette nation sont les premiers intendants de la terre. Il est important de faire preuve d’humilité, de gratitude et de respect envers leur intendance en reconnaissant celle-ci et en les remerciant. Quand nous rendons hommage aux ancêtres, nous réaffirmons les liens qui nous unissent. Ce faisant, nous participons activement à la réconciliation pendant que nous nous trouvons dans cette enceinte.

La violence entre partenaires intimes au Canada est un grave problème qui affecte de manière disproportionnée les femmes des Premières Nations, les femmes métisses et les Inuites, surtout dans les collectivités rurales. En fait, 61 % de toutes les femmes autochtones au Canada ont subi une forme de violence psychologique, physique ou sexuelle de la part d’un partenaire intime au cours de leur vie. Ce taux est de 44 % pour les femmes non autochtones.

Si mon discours d’aujourd’hui porte spécifiquement sur les femmes autochtones, je tiens à souligner que la violence entre partenaires intimes n’est pas limitée à la race, à l’orientation sexuelle ou au genre. Elle peut survenir — et survient — dans tous les groupes de la société et dans le cadre de toutes sortes de relations.

La surreprésentation des femmes métisses, inuites et membres des Premières Nations dans les chiffres sur la violence conjugale ne peut être considérée comme un phénomène isolé. Elle est le résultat des traumatismes intergénérationnels vécus par les peuples autochtones, du colonialisme, des inégalités structurelles et systémiques qui existent au sein de nos institutions, de la fragmentation des services et du profond sentiment de méfiance envers les institutions qui en découle.

L’un des principaux facteurs associés à la surreprésentation des femmes autochtones dans les cas de violence conjugale que j’aimerais mettre en évidence est l’éloignement. La violence vécue par de nombreuses femmes autochtones est exacerbée par l’isolement géographique de nombreuses communautés autochtones. Dans les communautés autochtones rurales, les services de police indiquent que les cas de violence conjugale sont 10 fois plus nombreux que dans les collectivités non autochtones. Il s’agit là d’une différence stupéfiante.

Outre le simple isolement géographique qui peut empêcher les femmes d’échapper à leur agresseur, les communautés isolées connaissent bien souvent un niveau de pauvreté élevé et un isolement psychosocial marqué, et les relations étroites entre les membres de ces communautés nuisent à la confidentialité. Il semble évident que l’éloignement est synonyme de manque de services. En effet, les foyers d’accueil, le logement, les services médicaux et les services d’aide juridique sont très limités dans les zones rurales.

La fragmentation de ces services d’une province à l’autre, les disparités entre les services offerts par les gouvernements fédéral et provinciaux et les problèmes liés à l’admissibilité dissuadent souvent les femmes métisses, inuites et membres des Premières Nations de chercher à obtenir de l’aide. Par ailleurs, lorsqu’elles demandent de l’aide, il leur est extrêmement difficile d’obtenir un soutien significatif.

En outre, les services de santé et les services sociaux auxquels ont accès les Autochtones ne tiennent souvent pas compte de leurs réalités culturelles ni des connaissances, des traditions et des lois autochtones. La prise en compte des pratiques traditionnelles et des connaissances et valeurs culturelles est essentielle à l’accessibilité, à la guérison et à l’efficacité des programmes. Des services adaptés à la culture sont essentiels pour combattre la violence entre partenaires intimes.

Même s’il reste beaucoup de travail à accomplir, j’espère être en mesure de vous parler aujourd’hui de certaines des importantes avancées réalisées par des Métis, des Inuits et des groupes des Premières Nations partout au pays.

Un organisme appelé Beendigen, associé à l’Anishinabe Women’s Crisis Home and Family Healing Agency de Thunder Bay, est l’un des nombreux centres d’aide dirigés par des Autochtones qui offrent une vaste gamme de services aux femmes autochtones victimes de violence de la part d’un partenaire intime. Je crois que Beendigen a réalisé que la fragmentation des services est l’un des principaux facteurs qui font que les femmes hésitent à aller chercher de l’aide. Ce centre offre des foyers d’accueil, des logements de transition, des services de counselling, du soutien aux enfants, des soins prénataux, du soutien familial et des services en toxicomanie et les connaissances culturelles et traditionnelles sont au cœur de son offre de services.

D’autres organismes dirigés par des Autochtones comme Warriors Against Violence, en Colombie-Britannique, développent des approches uniques pour lutter contre la violence entre partenaires intimes. Warriors Against Violence priorise les principes de la justice réparatrice et de la réinsertion sociale. L’organisme est conscient de la prévalence de la violence entre partenaires intimes dans les communautés autochtones et du fait qu’elle découle directement de la perte du sentiment d’appartenance et des valeurs qui se sont érodés avec le temps.

Warriors Against Violence travaille à aider les familles autochtones à désapprendre les comportements violents et à se réapproprier les valeurs traditionnelles de l’égalité, de l’honneur et du respect. Au moyen d’enseignements traditionnels, tels que le cercle de la vie, qui est au cœur de son programme de prévention, Warriors Against Violence mène ses activités selon le principe directeur voulant que la meilleure façon de mettre un terme à la violence entre partenaires intimes et la violence familiale est d’aider les hommes à guérir et de rompre le cycle de mauvais traitements. Son programme de prévention inclut des aînés, des donneuses de vie, des hommes et des jeunes.

Le programme de traitement RedPath – Living Without Violence est situé à Peterborough et sert de 400 à 700 personnes par année. Il a été créé en 2003 pour s’attaquer aux cycles persistants de mauvais traitements et de violence familiale, y compris la violence physique et l’exploitation sexuelle, qui n’ont jamais été systématiquement reconnus ni éliminés dans la plupart des collectivités autochtones. Au fil des ans, le programme a pris de l’expansion et est maintenant offert à des dizaines d’emplacements au Canada. Il améliore le sort de chaque personne qui y participe.

RedPath est un modèle ciblant les Autochtones qui, au départ, devait être un programme de gestion des émotions. À l’origine, il a été mis à l’essai et offert dans les pénitenciers fédéraux. Comme c’était une grande réussite, le modèle a ensuite été adapté pour en faire un programme de traitement des dépendances, un programme de préparation à l’emploi et un programme de vie sans violence, lequel peut être utilisé auprès des agresseurs et des victimes de mauvais traitements.

Le modèle sous-jacent de tous les programmes enseigne aux facilitateurs et aux travailleurs de première ligne l’importance fondamentale de la santé émotionnelle. Le programme RedPath est intégré aux programmes de santé et de bien-être actuels afin d’en garantir l’efficacité et le succès. Il s’agit d’un programme fondé sur une approche autochtone holistique et sur le bien-être pour traiter des aspects physiques, émotionnels, psychologiques et spirituels des participants.

La façon la plus efficace de réduire les problèmes qui conduisent à la violence de la part d’un partenaire intime est de renforcer l’identité de la personne et de la sensibiliser à la situation. L’élément central de l’intervention consiste à fournir habilement des outils dans une séance de groupe afin de faire comprendre aux participants que tous les événements et les comportements sont rattachés au passé, au présent et à l’avenir. Les concepts clés qui servent à faciliter l’action et le changement incluent la détermination, la communication et l’expérience des émotions, de même que la réflexion à leur sujet.

J’aimerais citer Tracey Whiteye, facilitatrice du programme RedPath :

Un participant m’a dit que le programme RedPath est quelque chose qui lui est précieux parce qu’il lui a sauvé la vie. Il a affirmé qu’il n’y a pas d’autres programmes semblables. Il est allé dans des centres de traitement, et il s’est inscrit à des programmes d’accompagnement pendant le deuil, mais rien n’a amélioré sa vie comme RedPath. Il a même convaincu sa partenaire et ses deux enfants de suivre eux aussi le programme, ce qui a changé leur vie, d’après lui. Il a soutenu que ce programme l’avait fait explorer des facettes de lui‑même dont il ne soupçonnait même pas l’existence. Il l’a poussé à se pencher sur la cause de ces problèmes, sur ce qui s’était passé dans son enfance, et à mieux se comprendre. Ce n’est pas un programme superficiel. Il lui a permis de découvrir les causes profondes de ses problèmes et l’a forcé à mieux assumer ses responsabilités.

Surtout, le programme RedPath a aidé ces hommes autochtones à renouer avec leur culture, leur identité et leurs traditions. Cela a aidé les participants à reconnaître l’importance de leurs rôles et de leurs responsabilités dans le système familial, en tant que protecteurs et pourvoyeurs. Ce programme revêt de l’importance pour leur épouse, leurs enfants, leur famille et leur communauté parce qu’il a permis à ces hommes de reprendre sainement leurs rôles de pères, d’oncles, de frères et de grands-pères auprès de leur famille.

Le programme Redpath a aidé ces personnes à poursuivre leur processus de guérison et de mieux-être grâce à un ensemble de soins. Ce ne sont là que quelques exemples de programmes qui ont aidé à composer avec la violence conjugale, mais bien d’autres intervenants de partout au pays doivent être salués et remerciés pour leur excellent travail.

Honorables sénateurs, il reste encore beaucoup à faire à l’égard de la violence conjugale qui touche les femmes métisses, inuites et des Premières Nations, mais je suis heureuse que des initiatives novatrices et menées par des Autochtones permettent non seulement d’offrir du soutien et de faciliter l’accès à des services, mais aussi de mettre davantage l’accent sur la prévention et sur ce qui aide à briser le cycle de violence intergénérationnel.

J’aimerais conclure en présentant quelques points clés que des communautés autochtones et des fournisseurs de services ont mentionnés concernant les aspects essentiels à considérer en vue de mettre fin à la violence conjugale dans les communautés autochtones. Par exemple, on peut parfaire les méthodes d’aiguillage constructives pour les femmes autochtones qui ont besoin d’aide tout en facilitant l’accès à des refuges d’urgence et à des services d’hébergement, et on peut développer des services de guérison et de bien-être pour les hommes autochtones. La mise en œuvre d’une approche cohérente aidera à mettre fin à la fragmentation des services qui découragent les femmes de demander de l’aide dans les régions éloignées.

Enfin, ce qui est peut-être plus important encore, c’est de s’efforcer d’intégrer les enseignements autochtones à l’ensemble des services et des programmes d’aide en cas de violence conjugale afin d’offrir aux femmes autochtones qui ont besoin d’aide un environnement adapté à leur culture.

Comme l’a souligné mon honorable collègue la sénatrice Boniface, même si notre compréhension de la violence conjugale a évolué, il reste bien du chemin à faire, et il est impératif que nous nous rappelions les conséquences disproportionnées de ce problème sur les communautés autochtones. Merci, meegwetch, marsee, à toutes mes relations.

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