Le Code criminel
Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Ajournement du débat
1 octobre 2025
Propose que le projet de loi S-228, Loi modifiant le Code criminel (actes de stérilisation), soit lu pour la troisième fois.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui avec une émotion profonde et un sens aigu de responsabilité à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-228, porté avec courage et détermination par notre collègue la sénatrice Yvonne Boyer.
Ce projet de loi est bien plus qu’un texte juridique. C’est un cri de justice. C’est une réponse à des décennies de souffrance silencieuse. C’est une reconnaissance claire du racisme systémique qui a infecté nos institutions de soins de santé.
J’ai eu l’honneur de participer à l’étude sur la stérilisation forcée et contrainte au Canada en tant que membre du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Nous avons tenu de nombreuses audiences et entendu des dizaines de témoignages déchirants. Le courage de ces femmes venues nous raconter l’indicible mérite notre plus profond respect.
Nous ne sommes pas là pour protéger les puissants. Nous sommes là pour défendre les personnes vulnérables.
Au Sénat, notre devoir est clair : représenter les minorités et faire en sorte que les lois que nous adoptons soient équitables, inclusives et non discriminatoires. Nous comptons parmi les gardiens de la dignité humaine.
Pourtant, notre étude a révélé une vérité glaçante : la stérilisation forcée n’est pas une histoire du passé. Elle demeure une manifestation concrète du racisme systémique dans nos institutions de soins de santé.
Ce racisme ne se limite pas aux communautés autochtones. Il touche aussi les femmes racisées, les femmes marginalisées et les femmes handicapées.
Aujourd’hui, je vais vous raconter une histoire qui m’a profondément marquée et qui pourrait choquer, mais qui doit être entendue. Il s’agit de l’histoire d’une femme d’affaires bien éduquée, bien établie. Pendant des années, elle a souffert de douleurs menstruelles atroces accompagnées de saignements abondants. Un jour, elle a failli s’évanouir dans un aéroport international. De retour au pays, elle décide de consulter son gynécologue. Le diagnostic tombe : endométriose.
On lui a dit qu’il existait une solution : une opération chirurgicale, un soulagement. Elle a fait confiance au système.
On lui propose une opération pour retirer l’endomètre. Elle accepte. L’intervention se passe bien. Elle reprend sa vie, ses voyages, ses affaires.
Onze ans plus tard, lors d’un examen de routine, son médecin lui prescrit une échographie pelvienne. Le choc se produit alors : l’échographie révèle que son utérus a été retiré. Elle tombe des nues. Elle n’en avait jamais été informée. Elle croyait avoir subi une simple ablation de l’endomètre. L’hôpital le lui confirme par écrit : son utérus a bel et bien été retiré. Selon les documents reçus, elle aurait donné son consentement pour toute intervention nécessaire.
Nécessaire pour qui? Nécessaire pour quoi? Elle a été stérilisée sans son consentement, à son insu et sans avoir été informée.
Chers collègues, cette femme, c’est moi. C’est grâce à l’étude menée par le comité que j’ai compris ce que j’avais vécu. J’ai compris que j’avais été victime de stérilisation forcée. Je n’en avais jamais parlé auparavant.
J’ai compris que le racisme systémique ne fait aucune distinction, ni entre les femmes éduquées ou non ni entre celles qui sont fortunées ou non. Il nous touche toutes, femmes autochtones et racisées, parce que lorsque nous entrons dans le système de soins de santé ou le système de justice, nous sommes perçues d’une seule et même manière : avec suspicion, avec indifférence, avec trop peu de considération. D’ailleurs, cette attitude des services de santé a un nom : la misogynoire. En avez-vous entendu parler? C’est une double discrimination, à la fois sexiste et raciste, subie uniquement par les femmes noires. Ce terme peu connu a d’ailleurs été créé en 2008 par l’universitaire américaine Moya Bailey.
Selon Agnès Berthelot-Raffard, professeure adjointe à la Faculté de santé de l’Université York, l’une des conséquences de la misogynoire est la supposition selon laquelle les femmes noires peuvent davantage supporter la douleur que les autres. Ces discriminations sont inacceptables.
C’est pour défendre une véritable égalité au sein de tous dans nos systèmes de santé que j’ai choisi de témoigner aujourd’hui devant cette assemblée. Je parle pour briser le silence. Je parle pour mettre fin à ce racisme systémique. Je parle pour qu’aucune femme, plus jamais, ne découvre par hasard qu’on lui a retiré son utérus.
Le projet de loi S-228 est un pas essentiel vers la justice. Il reconnaît que la stérilisation sans consentement est une mutilation. Il inscrit dans le Code criminel que ces actes sont des crimes, point final.
Honorables sénateurs, ce projet de loi ne se cantonne pas à des questions juridiques. Il porte aussi sur la dignité, la vérité et la guérison. Le projet de loi S-228 lutte contre le racisme systémique dans notre système de santé. Soyons la voix qui leur a été refusée. Soyons la justice qu’elles méritent.
Chers collègues, je vous invite à voter en faveur de ce projet de loi pour qu’il soit renvoyé très rapidement à l’autre endroit, et ce, pour les femmes autochtones, pour les femmes racisées et pour toutes celles qui ont été réduites au silence.
Votez en faveur de la justice et de la dignité. Votez en faveur du projet de loi S-228.
Je vous remercie.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en tant que marraine du projet de loi S-228, qui vise à modifier le Code criminel afin de préciser que les procédures de stérilisation pratiquées sans consentement constituent des voies de fait graves.
Je tiens tout d’abord à saluer la sénatrice Gerba qui a vécu une expérience dévastatrice. Je vous remercie d’avoir eu le courage de prendre la parole et de nous raconter votre expérience aujourd’hui. Il est clair que ce projet de loi est non seulement important, mais également nécessaire pour nos enfants et les générations futures.
Honorables sénateurs, ce projet de loi nous est présenté aujourd’hui grâce au travail minutieux et approfondi du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Le comité a étudié cette question avec diligence et compassion pendant deux législatures distinctes. Nous avons entendu des survivantes, des experts juridiques, des médecins, des sages-femmes et des représentants d’organisations nationales. Les témoignages étaient parfois déchirants, mais ils étaient aussi clairs et cohérents : la stérilisation forcée ou contrainte existe encore au Canada, elle doit cesser et la loi doit être renforcée pour y mettre fin.
L’étude menée par le comité a permis de transformer le projet de loi S-250 en une mesure législative simplifiée et mieux ciblée, que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de projet de loi S-228. C’est grâce à ce travail que nous pouvons aujourd’hui aller de l’avant avec clarté et détermination.
Ce projet de loi poursuit le travail commencé il y a de nombreuses années, qui a déjà fait l’objet d’études et de débats et qui a été approuvé à l’unanimité ici même. En 2024, le Sénat a adopté le projet de loi S-250 amendé, avant qu’il ne meure au Feuilleton à l’autre endroit lorsque les élections ont été déclenchées.
Lorsque je parle de stérilisation sans consentement, bien des gens me demandent encore : « N’est-ce pas quelque chose du passé? » La réponse est non. Cela ne fait pas seulement partie du passé. Cela a encore lieu aujourd’hui au Canada. Cela se produit plus souvent que la plupart des Canadiens ne veulent bien le croire, et cela arrive à des personnes auxquelles on ne s’attendrait pas, comme nous venons de le voir.
Mon bureau est devenu un lieu de refuge pour les survivantes. Des femmes m’appellent en larmes. Certaines découvrent qu’elles ont été stérilisées seulement des décennies plus tard. D’autres m’appellent quelques jours après avoir accouché. Au cours des sept dernières années, j’ai parlé à des centaines de femmes. Il ne s’agit pas d’une antique pratique : cela se produit ici et maintenant.
Permettez-moi de vous parler de certaines des personnes derrière ces histoires.
Aujourd’hui, vous avez entendu la sénatrice Amina Gerba raconter son histoire poignante qui nous touche de près. Si une telle chose peut arriver à une sénatrice, elle peut certainement arriver à nos filles et à nos petites-filles.
Nicole Rabbit, sa mère et sa nièce ont toutes été stérilisées sans leur consentement. Elle nous a dit ceci sans détour :
Vous nous avez enlevé des générations. J’aurais pu avoir plus d’enfants. Ma fille aurait pu avoir plus de frères et sœurs [...] C’est comme si vous aviez effacé une génération.
Katy Bear, une jeune femme des Premières Nations de la Saskatchewan, a été stérilisée à 21 ans. Des années plus tard, malgré sa stérilisation, elle a eu une grossesse extra-utérine et a dû subir une intervention chirurgicale d’urgence. On lui a retiré la trompe de Fallope atteinte. Plus tard, elle a payé pour une intervention chirurgicale visant à reconstituer sa trompe restante et à en retirer le tissu cicatriciel.
Même si elle avait peu de chances de concevoir un enfant, elle est redevenue enceinte. Il y a six mois, en mars dernier, cette mère expérimentée craignait que son bébé, arrivé à terme, ne bouge pas assez. Elle s’est donc rendue à l’urgence. Dans une salle d’examen du même hôpital où elle avait été stérilisée 21 ans auparavant, l’obstétricienne traitante, qui est également professeure de médecine, lui a demandé son consentement pour qu’elle soit de nouveau stérilisée lors de la césarienne qu’elle allait subir prochainement. Imaginez le traumatisme qu’elle a dû revivre.
Louise Delisle n’avait que 15 ans lorsqu’elle a accouché en Nouvelle-Écosse. À son insu et sans le consentement de sa mère, le médecin lui a fait subir une hystérectomie partielle. Elle n’a découvert la vérité que des années plus tard, lorsque son mari et elle ont voulu fonder une famille. La décision de l’empêcher d’avoir d’autres enfants a été prise sans son consentement, à son insu et sans aucun égard pour son avenir.
Nous avons également entendu Sylvia Tuckanow, qui nous a raconté qu’après son accouchement, on l’a emmenée dans une salle d’opération et immobilisée pour la stériliser pendant qu’elle pleurait à chaudes larmes et suppliait les intervenants d’arrêter.
Honorables sénateurs, je tiens à saluer le Cercle des survivantes pour la justice reproductive. Cet organisme a été créé par des femmes déterminées qui ont subi une stérilisation forcée ou imposée sous la contrainte, mais qui ont refusé d’être réduites au silence. Pendant trop longtemps, on a parlé des survivantes sans toutefois parler avec elles.
Le Cercle des survivants a changé la donne. Il offre maintenant un espace sûr où les femmes peuvent discuter de leurs expériences, s’entraider et mener le combat pour la justice. Cet organisme n’est pas seulement un rassemblement de personnes ayant subi des préjudices, mais aussi un puissant moteur de changement. En s’unissant, les survivantes ont fait entendre une voix commune que les gouvernements et les institutions ne peuvent plus ignorer. Leurs témoignages devant les comités sénatoriaux nous ont tous émus, non seulement en raison de la douleur qu’elles portent en elles, mais aussi en raison de la force et de la clarté avec lesquelles elles appellent à l’action. Ce sont des femmes autochtones puissantes.
En tant que membre du conseil d’administration du Cercle des survivants, Nicole Rabbit nous a confié que lorsque les survivantes s’unissent, elles portent en elles la sagesse et la force de leurs mères et de leurs grands-mères, garantissant ainsi que leurs histoires ne peuvent être effacées.
Le Cercle des survivants nous rappelle que cette mesure législative n’est pas abstraite. Elle concerne des personnes réelles, des familles réelles et des générations qui ont été bouleversées à jamais. Le projet de loi S-228 est leur projet de loi. Il existe parce qu’elles l’ont réclamé, et nous leur devons de le faire adopter.
Le Cercle des survivants pour la justice reproductive cherche à créer un registre des personnes ayant subi cette procédure atroce. Il compte plus de 300 membres, et ce nombre augmente chaque jour, car d’innombrables autres personnes se manifestent. Beaucoup ne se manifesteront pas parce qu’elles sont trop traumatisées ou, pire encore, parce qu’elles ne savent pas qu’elles ont subi cette procédure et ne le découvriront pas avant des années.
Les cas de stérilisation forcée et sous la contrainte ne sont pas isolés. Ils sont le reflet d’un système qui a toujours dévalorisé le corps des femmes autochtones, des femmes noires, des femmes marginalisées, des personnes handicapées et d’autres personnes qui se trouvent en situation de vulnérabilité face à l’autorité. Ce sont les puissants contre les sans-pouvoirs.
Le projet de loi S-228 redonnera le pouvoir à celles dont on a trop longtemps fait fi et permettra aux communautés autochtones de travailler avec les professionnels de la santé afin d’élaborer de nouvelles approches en matière de soins adaptés à la culture et tenant compte des traumatismes.
Je tiens à souligner que ces préjudices n’appartiennent pas au passé. On m’a demandé d’enquêter sur une politique informelle en vigueur dans un système de santé du Nord et d’y mettre fin. Cette politique consistait à stériliser sans leur consentement toutes les femmes autochtones dès qu’elles devaient subir une intervention chirurgicale située entre les seins et les genoux.
Il y a aussi le cas du Dr Andrew Kotaska, un obstétricien réputé de Yellowknife et un ancien président de l’Association des médecins des Territoires du Nord-Ouest, qui, en 2019, a retiré les deux trompes de Fallope à une Inuite de 37 ans sans son consentement. Pendant l’opération, il a même déclaré : « Voyons si je peux trouver une raison d’enlever la trompe gauche. » Pour cette transgression, il a été suspendu 5 mois, il a été obligé de suivre un cours d’éthique et il a reçu une amende de 20 000 $. Il continue d’exercer la médecine. Le message qu’on envoie est donc le suivant : stériliser une femme autochtone sans son consentement est une erreur de jugement plutôt qu’un crime.
Certains demanderont pourquoi ce projet de loi est nécessaire alors que le Code criminel contient déjà des dispositions relatives aux agressions. En théorie, ces dispositions pourraient s’appliquer. En pratique, cela ne s’est jamais fait. Au Canada, aucun médecin n’a jamais été condamné au pénal pour stérilisation forcée, malgré des milliers de cas. Des poursuites civiles sont en cours, mais la justice civile ne peut à elle seule empêcher la prochaine stérilisation.
Les survivantes elles-mêmes nous ont dit, à l’unanimité et d’une seule voix, qu’elles veulent et ont besoin que cela devienne une infraction criminelle. C’est pourquoi le Comité sénatorial des droits de la personne a formulé sa première recommandation : modifier le Code criminel pour interdire expressément la stérilisation forcée. Le projet de loi S-228 est la réponse directe à cet appel.
Le projet de loi est simple et clair. Il ajoute à l’article 268 du Code criminel, qui traite des voies de fait graves, une disposition selon laquelle il est entendu que la stérilisation sans consentement est une forme de blessure ou de mutilation. Il s’agit d’une version simplifiée de l’ancien projet de loi S-250, passant de 55 à 14 lignes. Il garantit que les médecins agissant en cas d’urgence restent protégés par l’article 45. Enfin, il n’entrave pas l’accès volontaire à la stérilisation, aux soins d’affirmation du genre ou au choix en matière de procréation. Ce projet de loi n’est pas une question de politique. C’est une question de consentement et de dignité humaine.
Nous avons déjà fait le travail nécessaire. Le Sénat a examiné la question de manière approfondie. Le Comité des droits de la personne a publié deux rapports majeurs, et le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles a aussi étudié le sujet. Nous avons entendu les témoignages de survivantes, d’experts, de médecins, de sages-femmes, d’avocats et de l’une des nôtres. Les preuves sont accablantes. Le message des survivantes est toujours le même et il est urgent : il faut faire adopter le projet de loi, il faut de la reddition de comptes et il faut mettre fin à la situation.
Je tiens à prendre un moment pour remercier les membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles — aussi bien ceux de la présente législature que ceux de la précédente. Vous avez examiné attentivement le projet de loi S-250, vous avez entendu des témoignages difficiles et vous avez travaillé en collaboration pour peaufiner le texte législatif afin d’en arriver à la version claire et efficace qui nous est présentée aujourd’hui dans le projet de loi S-228. Grâce à votre travail, les préoccupations des survivantes, des experts et de vos collègues ont été pleinement prises en compte, et le projet de loi s’en voit renforcé.
Je tiens également à remercier le sénateur Wells, qui a toujours défendu avec ardeur la mesure législative. Sa volonté de parler sans détour de la nécessité d’agir et son insistance pour que le Parlement envoie un message sans ambiguïté ont joué un rôle déterminant dans l’avancement du projet de loi.
Chers collègues, chaque jour qui passe sans que le projet de loi soit adopté est un jour de plus où une personne au Canada risque d’être stérilisée contre son gré. Ce n’est pas théorique. Ce n’est pas symbolique. C’est une nécessité.
Nous avons écouté. Le projet de loi S-228 nous offre maintenant l’occasion d’agir et de veiller à ce que plus jamais personne dans ce pays ne soit privé du droit de décider s’il veut avoir des enfants, quand et comment. Rendons hommage aux survivantes, suivons les recommandations de nos propres comités et faisons enfin avancer ce projet de loi.
Toutes mes relations, meegwetch, merci.
Je tiens tout d’abord à remercier la sénatrice Gerba d’avoir eu le courage de partager son histoire personnelle, ainsi que la sénatrice Boyer pour son leadership et sa passion qui nous poussent à rectifier les erreurs.