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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Troisième lecture

2 octobre 2025


L’honorable Paula Simons [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-228, Loi modifiant le Code criminel (actes de stérilisation).

Ce discours n’est pas facile à prononcer pour moi. Nous venons de célébrer la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, qui va au-delà des chandails orange et même au-delà du souvenir de ceux qui ont survécu aux pensionnats et de ceux qui n’y ont pas survécu. Elle est censée révéler la vérité sur les générations de violence et de traumatismes infligés aux Premières Nations, aux Inuits et aux Métis canadiens. Il s’agit d’accepter cette vérité et de trouver des moyens concrets, ici et maintenant, de réparer les torts causés et de démanteler les structures de racisme et d’oppression systémiques qui persistent aujourd’hui, malgré toutes nos reconnaissances territoriales, tous nos chandails aux couleurs vives et toutes nos promesses.

Une partie de ce processus de réconciliation consiste à reconnaître les mauvais traitements dont les Autochtones canadiens ont été victimes et continuent d’être victimes dans le système médical, y compris — même s’ils sont certainement loin d’être les seuls — les mauvais traitements liés aux soins génésiques.

Il m’est impossible d’entamer l’analyse du projet de loi S-228 sans rendre hommage au leadership exceptionnel, visionnaire et courageux de notre amie et collègue, la sénatrice Yvonne Boyer, qui a consacré une part importante de sa carrière à dénoncer les cas de femmes autochtones, racisées ou vulnérables qui ont été stérilisées contre leur gré ou sans que l’on ait obtenu leur plein consentement éclairé. Dans le cadre de ce travail, elle a mobilisé son savoir et son expérience professionnelle, notamment comme infirmière en salle d’opération, avocate, enquêtrice, et comme personne animée d’une réelle volonté d’écoute. Elle a su gagner la confiance des femmes autochtones de partout au pays, leur offrant un espace sécuritaire pour exprimer, souvent pour la première fois, leur sentiment de douleur, de trahison et de perte.

Son courage, sa patience, sa compassion et sa détermination devraient nous inspirer et nous rappeler l’importance de l’humilité. Le projet de loi S-228 n’est pas un projet de loi ordinaire. Il est porteur d’un engagement profond, celui qu’elle a pris envers ces femmes, de leur rendre justice et de veiller à la protection de toutes celles qui viendront après elles.

Je tiens également à remercier la sénatrice Gerba, qui a eu la générosité de nous parler de sa douloureuse expérience personnelle, en évoquant avec force et émotion le racisme et la misogynie qu’elle a vécus, et la stérilisation qu’elle a subie sans y avoir consenti et à son insu.

Comment puis-je alors trouver le courage de soulever des préoccupations au sujet de ce projet de loi, car, je l’avoue, je me sens vraiment mal à l’aise de prendre la parole et de ralentir, même brièvement, l’excellent travail que la sénatrice Boyer souhaite faire grâce à ce projet de loi.

En fin de compte, j’ai décidé que je devais prendre la parole avant le vote, car je tiens à vous faire part de certaines préoccupations soulevées par des juristes et des experts médicaux au sujet de ce projet de loi. Bien que son objectif soit extrêmement louable, ce projet de loi pourrait avoir des conséquences imprévues pour des milliers de Canadiens, notamment les femmes autochtones qui souhaitent faire leurs propres choix en matière d’autonomie reproductive.

Le projet de loi S-228 semble assez simple. Il définit ainsi tout acte de stérilisation :

[...] s’entend du sectionnement, de l’occlusion, de la ligature ou de la cautérisation de l’ensemble ou d’une partie des trompes de Fallope, des ovaires ou de l’utérus d’une personne ou de tout autre acte exécuté sur une personne qui a pour effet d’empêcher la procréation de façon définitive [...]

Par ailleurs, tout acte de stérilisation est reconnu comme une forme de voie de fait grave passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 14 ans.

À la lecture de l’article 268 du Code criminel, que le projet de loi S-228 vise à modifier, on pourrait supposer que toutes les procédures de stérilisation sont illégales, même si la personne y consent ou, concrètement, en fait la demande. Toutefois, cette modification doit être interprétée en tenant compte d’un autre article du Code criminel, soit l’article 45, qui est libellé ainsi :

Toute personne est à l’abri de responsabilité pénale lorsqu’elle pratique sur une autre, pour le bien de cette dernière, une opération chirurgicale si, à la fois :

a) l’opération est pratiquée avec des soins et une habileté raisonnables;

b) il est raisonnable de pratiquer l’opération, étant donné l’état de santé de la personne au moment de l’opération et toutes les autres circonstances de l’espèce.

On pourrait croire que cet article protège de toute responsabilité pénale tout chirurgien ou autre professionnel de la santé qui pratique une stérilisation de bonne foi ou dans une situation d’urgence médicale. Pourtant, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a entendu des témoins experts, tant sous forme de témoignages que de mémoires, qui ont soulevé de sérieuses préoccupations, notamment au sujet des effets dissuasifs que le projet de loi S-228 pourrait avoir sur la capacité des Canadiens à obtenir des soins liés à la reproduction ou à l’affirmation de genre.

L’Association nationale Femmes et Droit l’a formulé ainsi dans son récent mémoire adressé au comité des affaires juridiques :

L’un des aspects les plus dangereux du projet de loi S-228 est qu’il fait passer la stérilisation du domaine des soins de santé à celui du droit criminel. Tout comme l’avortement, la stérilisation permanente (lorsqu’elle est pratiquée avec le consentement de la personne intéressée) est un soin de santé et doit être réglementée en tant que tel. Dès que la stérilisation tombe sous le coup du droit criminel, il devient plus facile d’en restreindre l’accès.

J’ai peut-être lu trop souvent La Servante écarlate, mais je crains qu’à l’avenir, un autre gouvernement utilise ces dispositions pour commencer à empêcher des femmes et des hommes d’obtenir ces soins et de disposer de leur corps comme ils l’entendent, en matière de reproduction.

À court terme, l’association soulève également la crainte, que je partage, que certains médecins cessent tout simplement d’offrir de tels soins par crainte de faire l’objet de poursuites judiciaires, voire d’une simple enquête. De plus, selon l’association, le texte du projet de loi pourrait vouloir dire que les femmes les plus vulnérables seront les moins susceptibles d’obtenir les soins dont elles ont besoin et qu’elles désirent.

Permettez-moi de citer de nouveau le mémoire présenté en septembre par l’association :

Le renforcement potentiel du paternalisme et du sexisme dans les soins de santé par le projet de loi S-228 est une préoccupation connexe. Par exemple, les médecins peuvent ne pas prendre au pied de la lettre le consentement d’une femme à une stérilisation permanente et exiger la présence de témoins ou de multiples affirmations verbales et écrites. Cela ne tient pas compte du fait que certaines femmes victimes de violences familiales, en particulier celles qui subissent des contraintes en matière de procréation, peuvent souhaiter subir une stérilisation permanente sans en informer leur partenaire ou leur famille. On pourrait également considérer cette décision comme un jugement de valeur qui décourage les femmes d’accéder à ce type de soins.

Paradoxalement, ce sont les femmes autochtones, immigrantes et victimes de violence conjugale qui risquent d’être les plus touchées par le projet de loi S-228.

Dans quelle mesure ce projet de loi rendra-t-il plus difficile l’accès, dans des délais raisonnables, à la ligature des trompes ou à l’hystérectomie pour une femme des Premières Nations, une Métisse, une Inuite ou une femme de couleur qui souhaite sincèrement subir une telle intervention chirurgicale?

Dans son mémoire, l’Association nationale Femmes et Droit a également soulevé une préoccupation qu’aucun témoin, hélas, n’a soulevée lors de nos audiences sur le projet de loi. L’article 45 du Code criminel, note-t-elle, ne protège que les personnes qui pratiquent des interventions chirurgicales, et non les médecins administrant des traitements qui pourraient avoir comme effet secondaire la stérilisation.

L’association nous signale aussi que certains médicaments, comme la chimiothérapie et l’hormonothérapie, peuvent entraîner la stérilité plus tard dans la vie et qu’il est possible que les médecins hésitent à prescrire de tels traitements par crainte de poursuites ultérieures.

Cela m’amène à parler d’une autre préoccupation que suscite le projet de loi, à savoir les conséquences imprévues qu’il pourrait avoir sur les soins d’affirmation de genre pour les patients trans. Permettez-moi de citer de nouveau le mémoire de l’association :

Les militants anti-trans évoquent souvent la perte de la fertilité comme une raison essentielle pour refuser aux mineurs des soins d’affirmation de genre, les décrivant comme une mutilation. En outre, ils utilisent la rhétorique d’un soi-disant « programme transgenre » pour laisser entendre que les parents et les médecins contraignent les enfants et les adultes à devenir transgenres ou font pression sur eux pour qu’ils le deviennent.

Dans ce contexte, le projet de loi S-228 pourrait permettre aux gouvernements, en particulier dans les provinces qui tentent déjà de restreindre l’accès aux soins d’affirmation de genre, de poursuivre les médecins en affirmant que les soins d’affirmation du genre équivalent à une stérilisation forcée ou contrainte. Même si ces poursuites n’aboutissent pas, elles pourraient avoir un effet dissuasif, car moins de médecins offrent ce type de soins en raison du risque de poursuites.

En tant que sénatrice de l’Alberta, je peux dire qu’il s’agit d’une préoccupation parfaitement légitime en cette époque où ma propre province envisage d’invoquer la disposition de dérogation pour priver les Albertains transgenres des leurs droits garantis par la Charte. Comment le projet de loi S-228 pourrait-il être utilisé comme une arme pour porter atteinte aux droits à la santé et à la vie privée de certaines personnes dans des provinces comme l’Alberta? Je trouve extrêmement regrettable que le comité n’ait jamais entendu de témoins issus de la communauté transgenre, ni lors des audiences sur le projet de loi S-228, ni pendant celles sur son prédécesseur, le projet de loi S-250.

Toutefois, l’Association nationale Femmes et Droit n’était pas la seule à exprimer des inquiétudes au sujet de ce projet de loi. Nous avons également entendu les témoignages passionnés de médecins, notamment ceux de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada. La semaine dernière, la présidente de la société, la Dre Lynn Murphy-Kaulbeck, nous a dit ceci lorsqu’elle s’est adressée au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles :

Nous nous inquiétons toutefois de la façon dont ce projet de loi sera interprété et appliqué dans des contextes cliniques réels. L’obstétrique et la gynécologie sont des domaines où les enjeux sont considérables et où les urgences peuvent survenir en quelques minutes. Au milieu d’une hémorragie massive ou de la rupture d’une grossesse extra-utérine, les médecins ne peuvent pas s’arrêter pour analyser les fines distinctions de la loi. Leur priorité doit être de sauver la vie de la patiente.

S’il y a ne serait-ce que la perception que les gestes posés pour sauver la patiente pourraient plus tard être considérés comme une infraction criminelle potentielle, on risque vraiment que les soignants hésitent, ce qui aura des conséquences directes pour la patiente, qui risque de perdre de précieuses minutes de soins.

La Dre Murphy-Kaulbeck a comparé les risques potentiels du projet de loi S-228 aux conséquences désastreuses de la criminalisation de l’avortement dans plusieurs États américains à la suite de l’annulation de l’arrêt Roe c. Wade par la Cour suprême des États-Unis. Dans ces États, des médecins ont laissé des femmes souffrir et même mourir dans la salle d’accouchement, de peur de violer les dispositions de la loi.

La Dre Murphy-Kaulbeck craint que les médecins n’hésitent à prendre des mesures immédiates pour sauver une vie, de peur de faire l’objet d’une enquête criminelle. Elle a dit ceci :

Nous avons déjà constaté cet effet dissuasif aux États-Unis, où l’incertitude juridique entourant les lois sur la santé reproductive a conduit certains médecins à retarder ou à refuser des traitements urgents par crainte de poursuites judiciaires. Ces situations ont entraîné des décès évitables chez des femmes aux États-Unis. Si les médecins canadiens commencent à se demander s’ils risquent jusqu’à 14 ans de prison pour avoir prodigué des soins d’urgence à une femme dont la vie est en danger, les conséquences pourraient être tout aussi graves ici.

La Dre Diane Francœur, directrice générale de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, a donné un exemple concret de ce qui peut se passer dans une salle d’accouchement en situation de crise lorsqu’une femme qui ne parle pas anglais a besoin de soins urgents et que les médecins ont du mal à lui expliquer la situation et à obtenir son consentement. Je vais m’efforcer de citer le témoignage de la Dre Francœur en français, car nous ne disposons pas encore d’une traduction officielle.

Et je cite :

Dans une situation d’urgence, on ne peut pas toujours obtenir un consentement éclairé. Je vous cite l’exemple d’une situation clinique qui m’est arrivée l’année dernière. Une nouvelle immigrante arrivée de l’Inde parlait une langue ancienne qui ressemblait à du pendjabi. Nous avons tenté en vain de trouver des interprètes. Elle était en travail préterme prématuré. J’étais incapable de couper le ventre d’une personne sans être certaine qu’elle comprenait ce que j’allais faire. On a finalement réussi à trouver une interprète à Vancouver. Tout le monde a sauté sur le téléphone pour au moins pouvoir lui dire ce qui se passait. Son bébé était prématuré, elle avait un décollement placentaire et elle saignait. Sa condition posait pour elle plein de risques.

Dans ce cas, la Dre Francœur a déployé des efforts extraordinaires pour obtenir le consentement de la patiente. Mais que serait-il advenu si elle avait dû agir sans l’obtenir? Dans une situation où il s’agit de vie ou de mort, nous ne voulons certainement pas que les médecins soient paralysés par l’indécision, mettant ainsi en danger la santé, voire la vie, d’une mère ou d’un enfant.

Les dommages causés par la stérilisation forcée, la douleur qu’elle provoque, sont réels et profonds, tout comme le racisme, le classisme, le capacitisme et la misogynie qui permettent qu’elle se poursuive.

Mais criminaliser une procédure médicale de base dont des dizaines de milliers de femmes ont besoin chaque année est une manière très brutale et radicale de résoudre un profond malaise social qui tient davantage au pouvoir, aux préjugés et à l’ignorance qu’à l’intention criminelle nécessaire pour justifier une condamnation criminelle.

J’ai présenté quelques scénarios catastrophes qui se produiraient si on commençait à poursuivre les médecins en justice. Mais il existe un autre scénario dans lequel le projet de loi serait inefficace, car aucune accusation ne serait portée, les procureurs de la Couronne ne voyant aucune probabilité raisonnable d’obtenir une condamnation. Dans ce cas, qu’aurons-nous fait pour traiter les causes sous-jacentes qui mènent à ces abus?

Je cite de nouveau le témoignage de la Dre Murphy-Kaulbeck au comité la semaine dernière :

Si nous allons de l’avant avec la criminalisation — et c’est notre moyen d’action —, mais que nous ne mettons rien d’autre en place, je pense que nous aurons déçu tout le monde. Il faut vraiment que nous réglions toutes les questions dont nous avons parlé au cours du processus de vérité et de réconciliation. Si nous créons une infraction criminelle et que nous en restons là, nous n’aurons rien réglé. Nous en sommes toujours au stade où nous n’avons pas vraiment parlé de la réparation de ces torts. Comment travailler avec les groupes autochtones, les groupes marginalisés, toutes les femmes et les gens, et comment déterminer la façon de remédier à cette situation? La criminalisation ne changera la donne que dans de rares cas; elle ne règle pas le problème systémique.

Je ne saurais mieux dire.

Je tiens à remercier la sénatrice Boyer, la sénatrice Gerba, le sénateur Wells ainsi que tous les membres anciens et actuels du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui ont travaillé sans ménager leurs efforts sur cet important projet de loi. Je tiens à remercier tous les sénateurs de m’avoir donné l’occasion de faire part de ces préoccupations pour qu’elles figurent au compte rendu. Hiy hiy.

La sénatrice Simons accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Simons [ + ]

Oui.

Je vous remercie. Ce projet de loi ne porte que sur la stérilisation sans consentement donné librement et en connaissance de cause. Si un patient fait la demande et qu’un consentement valide est obtenu, les médecins n’ont rien à craindre, parce que l’article 45 continue à protéger les médecins qui agissent de bonne foi en cas d’urgence. C’est une des raisons principales pour lesquelles le comité a modifié et simplifié le projet de loi lors de la dernière législature, pour que les soins volontaires et d’urgence restent entièrement protégés.

Donc, la stérilisation sans consentement est déjà considérée comme une infraction criminelle dans le Code criminel, plus précisément dans ses dispositions...

Son Honneur le Président intérimaire [ + ]

Sénatrice Boyer, je suis désolé, mais le temps de parole qui vous était alloué est écoulé. Demandez-vous plus de temps pour écouter la question et y répondre?

La sénatrice Simons [ + ]

Oui, si possible.

Son Honneur le Président intérimaire [ + ]

Est-ce d’accord?

Merci.

Nous savons que la stérilisation sans consentement est déjà considérée comme une infraction criminelle dans le Code criminel, plus précisément dans ses dispositions relatives aux voies de fait, ainsi que dans les lois provinciales. Nous savons qu’il y a eu un problème.

Je veux vous poser la question suivante, sénatrice Simons : pourquoi n’a-t-on pas mis fin à toutes ces stérilisations? Je sais que, lorsque le projet de loi sera adopté, le Cercle des survivants pour la justice reproductive travaillera avec les associations médicales, les médecins, les professionnels de la santé et les hôpitaux afin de donner suite à certaines des recommandations de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, ce qui — du moins, je l’espère — garantira que nous n’aurons plus jamais à porter d’accusations pour stérilisation forcée. Nous devons nous pencher sur les aspects sociaux de la question. Je ne veux pas que des médecins soient accusés de se livrer à une telle pratique. Je veux que cette pratique disparaisse.

Pourquoi y a-t-il encore des stérilisations sans consentement lorsqu’elles sont considérées comme une infraction au Code criminel?

La sénatrice Simons [ + ]

La réponse à cette question comporte deux volets. La stérilisation existe toujours parce que de nombreuses femmes y ont recours, question d’exercer une autonomie sur leur corps en matière de procréation. Je crains que nous ne créions une situation dans laquelle les femmes qui ont besoin d’une hystérectomie ou qui souhaitent subir une ligature des trompes, les personnes qui recherchent des soins d’affirmation de genre ou les hommes qui souhaitent subir une vasectomie n’y auront pas accès, parce que nous aurons créé une situation qui aura un effet dissuasif et dans laquelle les médecins craindront sincèrement de s’exposer à des poursuites judiciaires.

Pour répondre à ce que je pense être votre question sous-jacente, à savoir pourquoi la maltraitance persiste, c’est parce que le racisme, le classisme et le capacitisme sont toujours présents dans notre société et que notre système de santé est profondément imprégné d’une culture misogyne, malgré le fait qu’un très grand nombre de médecins sont désormais des femmes.

Je suis tout à fait d’accord avec la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada : il nous faut des discussions, une meilleure formation dans les facultés de médecine et de mesures plus efficaces de la part des collèges de médecins et de chirurgiens afin que les médecins qui commettent des voies de fait perdent leur permis et fassent l’objet d’une enquête en bonne et due forme. Il existe des conséquences qui ne sont pas nécessairement l’emprisonnement pour des actes graves qui constituent des voies de fait et des fautes professionnelles.

Si toutes ces mesures étaient en place, les femmes ne seraient pas stérilisées contre leur gré de nos jours. Merci.

La sénatrice Simons [ + ]

Comme je l’ai dit, il y a des milliers de femmes qui veulent être stérilisées. Si vous voulez un monde où les femmes n’ont pas accès à cette procédure, je ne souhaite pas vivre dans un tel monde. Si vous parlez des femmes qui sont stérilisées contre leur gré ou sans leur consentement donné en toute connaissance de cause, les raisons sont évidentes, mais elles sont liées aux choses que j’ai mentionnées : la misogynie, le racisme systémique, le classisme systémique, le capacitisme systémique, les mauvaises pratiques d’enseignement dans les facultés de médecine et l’incapacité des collèges de médecins et de chirurgiens à faire appliquer les règles.

Ce qu’il faut en réalité, c’est respecter l’autonomie de toutes les femmes en matière de procréation.

Tout ce que j’aimerais dire, c’est que ce projet de loi ne vise que les stérilisations effectuées sans consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Merci beaucoup.

Son Honneur le Président intérimaire [ + ]

Le temps alloué à votre intervention est expiré.

D’autres sénateurs ont-ils des questions? Si vous avez des questions, il nous faut plus de temps.

Êtes-vous d’accord pour accorder plus de temps à la sénatrice Simons afin qu’elle puisse répondre à vos questions?

Son Honneur le Président intérimaire [ + ]

Êtes-vous prête à recevoir d’autres questions?

La sénatrice Simons [ + ]

Oui, si la Chambre est d’accord.

L’honorable David M. Wells [ + ]

Votre Honneur, je n’ai pas de question, mais j’aimerais savoir combien de temps supplémentaire serait accordé. Parle-t-on d’une question, de cinq minutes ou d’un temps de parole indéterminé?

Son Honneur le Président intérimaire [ + ]

Il y aura deux questions, soit une question du sénateur K. Wells et une autre du sénateur Dalphond.

Est-ce que la sénatrice Simons est d’accord pour répondre à des questions?

La sénatrice Simons [ + ]

Oui, s’il reste assez de temps. Je ne veux pas accaparer tout le temps.

Son Honneur le Président intérimaire [ + ]

Êtes-vous d’accord, sénateurs?

L’honorable Kristopher Wells [ + ]

Je tiens à remercier mon honorable collègue d’être une alliée et de toujours le démontrer admirablement. Je sais qu’elle se joindra à moi pour remercier la sénatrice Boyer de sa défense de cette cause.

En ce qui concerne les travaux qui ont mené à ce projet de loi, nous savons que la sénatrice Boyer a beaucoup consulté et qu’elle a peaufiné son approche relativement à cette politique de manière à ce que la mesure législative qu’elle propose protège les personnes contre la stérilisation non consentie, tout en évitant la conséquence indésirable de restreindre des services importants comme les soins liés à l’affirmation de genre. À mon avis, ce projet de loi établit un juste équilibre.

Ma collègue ne convient-elle pas que la différence réside dans le consentement éclairé? Par exemple, dans le cas des soins liés à l’affirmation de genre, il y a un consentement éclairé. Dans les situations visées par le projet de loi de la sénatrice Boyer, le consentement éclairé est absent. N’est-ce pas l’élément clé?

La sénatrice Simons [ + ]

Je pense que la réponse à cette question comporte deux volets. Premièrement, de nombreux médecins pourraient décider de ne pas courir un risque supplémentaire. Si un médecin songe à fournir des soins liés à l’affirmation de genre — en passant, un très petit nombre de médecins offrent ce type de soins —, le risque pourrait refroidir son élan. Nous avons tous pu ressentir le froid ce matin. C’est ainsi que naît une préoccupation, même si elle n’est peut-être pas fondée sur des faits. Ce médecin ne s’exposerait peut-être pas à un danger réel de faire l’objet d’une enquête et d’être poursuivi et condamné. Néanmoins, face à la décision d’exécuter ou non une intervention difficile dans le cadre de sa pratique professionnelle, le fait pour un médecin de savoir qu’il risque d’être poursuivi influencera certainement sa décision de continuer ou non d’offrir ce type d’intervention médicale.

Deuxièmement, dans le mémoire de l’Association nationale Femmes et Droit, une préoccupation distincte est soulevée, à savoir qu’un gouvernement provincial pourrait utiliser cette loi comme une arme et poursuivre des médecins, même si un patient a donné son consentement. Prenons le cas d’une patiente de 17 ans. Le gouvernement pourrait soutenir qu’elle n’était pas en mesure de donner son consentement ou que les parents ont donné leur consentement alors qu’ils n’auraient pas dû le faire. L’Association nationale Femmes et Droit s’inquiète de voir une province dont les politiques seraient contraires aux droits des transgenres invoquer une loi adoptée avec de bonnes intentions et la détourner à ses propres fins.

L’honorable Pierre J. Dalphond [ + ]

Acceptez-vous de répondre à une autre question?

La sénatrice Simons [ + ]

Oui.

Le sénateur Dalphond [ + ]

Ai-je raison de penser que le projet de loi est identique à celui qui a été adopté à l’unanimité avant la prorogation et renvoyé à la Chambre des communes? Si ma mémoire est bonne, la sénatrice Boyer a accepté d’apporter des modifications, après que certains témoins ont soulevé les préoccupations que vous avez mentionnées. Nous avons reçu l’aide du ministère de la Justice pour remanier le projet de loi. La version amendée a ensuite été acceptée par le comité parce qu’elle correspondait exactement à la solution préconisée par le ministère de la Justice pour tenir compte des préoccupations que vous soulevez.

Dois-je comprendre que le projet de loi est maintenant différent de ce qu’il était avant la prorogation?

La sénatrice Simons [ + ]

Non, sénateur Dalphond, vous avez tout à fait raison. Vous vous souvenez parfaitement des faits : c’est bien le cas.

J’ai décidé de prendre la parole parce que, cette fois-ci, des témoins qui n’avaient pas eu l’occasion de témoigner sur le projet de loi tel qu’il a été amendé ont été appelés à comparaître. Ils avaient témoigné sur la portée du projet de loi initial. Nous les avons rappelés, et ils ont déclaré que, même si le projet de loi a été considérablement amélioré, leurs préoccupations demeuraient.

Il m’a été difficile de me résoudre à prendre la parole à ce sujet aujourd’hui, car j’ai un profond respect pour la sénatrice Boyer et l’ensemble de son travail.

Néanmoins, en tant que personne qui a consacré sa carrière à défendre le droit à la santé génésique des femmes, j’ai estimé qu’il était important, avant de voter, que le Sénat ait accès à certains témoignages que nous avons entendus au comité et à certains extraits de mémoires que nous avons reçus. Ainsi, les sénateurs qui n’ont pas eu accès à tous les témoignages sur ce projet de loi et son prédécesseur auront l’occasion d’entendre dire qu’il existe des organismes très respectés qui s’opposent à la stérilisation forcée de femmes, mais qui, néanmoins, soulèvent des préoccupations importantes et, je pense, légitimes, que je voulais consigner au compte rendu pour nous tous aujourd’hui.

L’honorable David M. Wells [ + ]

Honorables sénateurs, j’avais une question plus tôt, mais je me suis ensuite rendu compte qu’en tant que porte-parole du projet de loi, je disposais de 45 minutes pour parler à ma guise. Je tiens toutefois à vous rassurer : je ne prendrai pas 45 minutes.

J’aimerais d’abord faire quelques observations au sujet des interventions du sénateur Wells (Alberta) et de mes collègues d’en face.

La mesure proposée porte sur le consentement éclairé. Elle ne porte pas sur les procédures d’urgence comme il y en a souvent dans les hôpitaux et qui n’étaient pas prévues. On parle plutôt de consentement éclairé, donc de situations où il a été possible de communiquer des connaissances et de réfléchir. Ce n’est pas toujours le cas lorsque survient une urgence, de toute évidence. Je crois que la loi offrirait évidemment une certaine souplesse dans ce genre de situation.

Deuxièmement, quand j’ai commencé à travailler sur cet enjeu — ce n’était pas avec la sénatrice Boyer. Je ne suis pas du même calibre. Il y a quelques années, je siégeais au Comité des droits de la personne quand nous avons abordé cet enjeu. Comme d’autres collègues me l’ont déjà entendu dire, je ne prévoyais même pas me familiariser avec le sujet, mais la sénatrice Boyer m’a fait découvrir, tout d’abord, que cela se produisait encore, ce qui m’a consterné. Je croyais que l’étude du Comité des droits de la personne porterait sur des vestiges du passé. Quand j’ai appris qu’il y avait plus de 12 000 cas documentés, qui touchaient notamment des collègues du Sénat, l’enjeu a pris plus d’importance qu’il n’en aurait pris normalement pour moi.

Je vous remercie de tout ce que vous avez fait, sénatrice Boyer.

Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-228. Comme l’a précisé le sénateur Dalphond, il s’agit du même projet de loi qui a franchi l’étape de la troisième lecture au Sénat et qui a été renvoyé à la Chambre à la législature précédente, c’est-à-dire le projet de loi S-250, dont la prorogation du Parlement a entraîné la mort au Feuilleton.

Il convient de noter que le Sénat a examiné ce projet de loi en profondeur plus d’une fois. Nous l’avons étudié deux fois à l’étape de la deuxième lecture et deux fois en comité. Il a été amendé par sa marraine, la sénatrice Boyer, après mûre réflexion et sur les conseils de ses collègues et des témoins.

Comme l’a expliqué la sénatrice Boyer dans son témoignage devant le comité la semaine dernière :

À la législature précédente, après avoir entendu mes collègues du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, les experts du ministère, des survivantes, des associations médicales, des sages-femmes autochtones et des juristes, il m’a semblé évident que les sénateurs comme les témoins étaient préoccupés par la large portée de la version originale du projet de loi S-250 et le risque de conséquences non voulues.

Bien entendu, chers collègues, dans cette Chambre de second examen objectif, nous tentons d’anticiper toutes les éventualités et de formuler les projets de loi de manière à réduire le risque de conséquences non voulues.

La sénatrice Boyer a poursuivi en disant :

Après avoir entendu ces préoccupations, j’ai consulté le ministre de la Justice et son ministère afin d’élaborer un amendement qui simplifie considérablement le projet de loi tout en conservant son objectif principal, à savoir préciser clairement dans le Code criminel que la stérilisation d’une personne sans son consentement constitue des voies de fait graves au sens du paragraphe 268(1).

Cet amendement a été adopté à l’unanimité par le comité des affaires juridiques le 19 septembre 2024.

Je tiens à remercier encore une fois la sénatrice Boyer pour sa persévérance, son dévouement et les enseignements qu’elle nous a tous prodigués en défendant ce projet de loi, et surtout pour avoir donné une voix à ceux qui n’en ont pas. Elle incarne notre rôle : défendre les voix des minorités au pays. C’est notre tâche la plus importante, et l’une des principales raisons pour lesquelles le Sénat a été créé. La sénatrice Boyer est une source d’inspiration pour nous tous.

J’ai été encouragé d’apprendre que bon nombre des victimes de stérilisation forcée avaient suivi nos travaux, ce qui est rare. Je suis heureux qu’elles n’aient pas eu à revivre l’épreuve de témoigner cette fois-ci.

Chers collègues, lors de l’étude initiale que nous avons menée au Comité des droits de la personne, certains témoins ont choisi de ne pas divulguer leur nom, d’autres ont choisi l’anonymat d’une vague silhouette. C’est une situation difficile dans le meilleur des cas, et elle devient encore plus difficile à revivre quand les caméras du monde entier sont braquées sur vous. Je remercie les membres du comité d’avoir épargné ce fardeau aux témoins et d’avoir fait avancer le projet de loi rapidement.

J’ai souvent parlé du risque de conséquences imprévues que posent les projets de loi. C’est pourquoi je remercie la sénatrice Boyer d’avoir tenu compte de cette préoccupation dans la version amendée du projet de loi. Elle a écouté les témoins, les sénateurs, le milieu médical et les avocats du gouvernement. Le résultat est un projet de loi dont la portée est plus restreinte que la version originale. Il ne modifie pas le Code criminel, mais il précise clairement et explicitement que la stérilisation sans consentement constitue une voie de fait grave. Cela a toujours été le cas, mais, maintenant, la loi ne laisse planer aucun doute.

Je tiens également à vous mettre en garde, chers collègues : si nous décidons de ne pas adopter ce projet de loi au Sénat et de le renvoyer à l’autre endroit, quel message cela enverra-t-il aux médecins du pays?

Maintenant, personne ne peut prévoir toutes les conséquences inattendues d’un projet de loi. Leur caractère inattendu est souvent dû au fait qu’elles sont imprévisibles, c’est pourquoi légiférer et élaborer des lois est un processus continu et non une destination en soi. C’est une autre raison pour laquelle l’institution du Sénat existe : examiner les projets de loi qui, presque invariablement, modifient les lois existantes, lesquelles doivent être modifiées souvent, mais pas toujours de manière évidente, en raison de conséquences inattendues ou de nouvelles circonstances. C’est d’ailleurs le cas ici.

Honorables sénateurs, dans le cas présent, je peux accepter la possibilité de conséquences inattendues lointaines ou improbables. La recherche de la perfection finit par devenir l’ennemie du bien. Que les détracteurs du projet de loi suggèrent qu’il pourrait avoir un effet dissuasif sur certains professionnels de la santé est pour moi une bonne nouvelle. Parfois, un effet dissuasif sur ce que certains considèrent comme normal est exactement ce qu’il faut.

Sur ce, chers collègues, si personne n’a de questions à me poser, j’aimerais mettre ce projet de loi aux voix.

Son Honneur le Président intérimaire [ + ]

Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur le Président intérimaire [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

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