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Affaires sociales, sciences et technologie

Motion tendant à autoriser le comité à étudier la prévention du suicide et les besoins en santé mentale des Canadiens--Ajournement du débat

4 février 2020


Conformément au préavis donné le 12 décembre 2019, propose :

Que le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie soit autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, la prévention du suicide et les besoins en santé mentale des Canadiens, l’accent étant mis tout particulièrement sur les hommes et les garçons, et la surreprésentation des peuples autochtones en ce qui a trait au taux de suicide, dès que le comité sera formé, le cas échéant;

Que le comité soumette son rapport final au plus tard le 31 décembre 2020.

— Honorables sénateurs, j’aimerais commencer par dire qu’il y a environ cinq ou six ans, ma barbe était noire comme du jais, mais plus aujourd’hui : c’est l’effet du stress. Je suis très reconnaissant d’être ici aujourd’hui pour aborder des questions importantes telles que la prévention du suicide et la santé mentale. Il y a quelques années, ces questions sociales n’auraient pas retenu autant notre attention et nous n’en aurions pas parlé autant. Je tiens à saluer les mesures qui ont déjà été prises et à souligner le travail passé et actuel qui a été accompli en matière de suicide et de santé mentale.

Je souhaite avant tout attirer votre attention sur le travail qu’il reste à accomplir en ces temps cruciaux. En 2016, environ 3 000 Canadiens se sont suicidés. Trois mille hommes et femmes ont ressenti une telle douleur et une telle souffrance que la mort était pour eux une meilleure option que de vivre parmi nous.

En 2016, 3 000 mères qui ont donné la vie, qui ont fait des sacrifices, qui ont cajolé, aimé, protégé et élevé leur enfant avec tout leur amour ont été détruites par une nouvelle qui a changé leur cœur de mère à jamais. On leur a annoncé que leur enfant était décédé. En 2016, la vie des parents de ces 3 000 enfants s’est arrêtée, elle aussi.

Les nombreux enfants qui ont perdu un parent de cette façon seront hantés pour le reste de leur vie par une question : est-ce que maman ou papa m’aimait vraiment puisqu’elle ou il a décidé de partir? Je le sais parce que mes enfants sont hantés par la même question. Lorsque je regarde mes enfants de 1 an et de 4 ans qui sont toujours protégés par leur innocence, je sais que, un jour, tout comme ma fille aînée, ils me demanderont : « As-tu pensé à moi? »

La triste vérité, c’est qu’au milieu de cette noirceur, papa a pensé à tort que tout le monde se porterait mieux sans lui. J’ai tenté de me suicider deux fois. Je ne suis pas fier de l’admettre, mais je suis fier d’être ici aujourd’hui pour vous raconter mon histoire. Le 18 janvier 2016, j’ai pris les choses en main et j’ai tenté de mettre fin à ma vie. J’en avais assez de moi-même et de la vie. J’avais l’impression d’avoir atteint le fond du baril après des années de problèmes personnels et professionnels. Je me sentais déprimé. Je n’avais aucune estime de moi. Je me sentais ridicule et j’avais honte de parler de mes sentiments à qui que ce soit. J’éprouvais de graves problèmes financiers. Je peux me lever devant vous aujourd’hui et vous dire que, à cette époque, j’avais du mal à assumer mes obligations financières.

N’empêche, je faisais mon possible pour sourire aux gens tout en leur disant que tout allait bien. Je leur mentais et je me mentais à moi-même. Derrière les portes closes, j’étais complètement déboussolé. J’ai commencé à pratiquer l’automédication parce que la douleur m’était insupportable. Je pleurais et je m’automédicamentais jusqu’à ce que la souffrance s’atténue. Le problème est qu’elle s’accentuait, mais je ne connaissais pas d’autre façon d’affronter ma situation. C’était la seule solution que j’avais et la seule que je connaissais.

Le soir du 18 janvier, la dernière chose dont je me souviens, c’est d’avoir dit à ma défunte mère que j’allais la rejoindre. Aujourd’hui, j’essaie de voir le côté positif de tout cela. J’ai 45 ans. Je suis père de six enfants et je suis encore ici.

J’ai fait des erreurs dans ma vie et j’ai fait de mauvais choix. Je n’ai pas toujours été un bon parent. Maintenant, j’essaie de faire de meilleurs choix et d’être un meilleur père. J’ai blessé beaucoup de gens avec mes tentatives de suicide. Ce n’est pas parce que j’ai survécu que le combat est terminé. J’ai dû travailler sur les relations avec mes enfants et les membres de ma famille, y compris mes frères et mon cher père. J’ai été bien élevé par mes parents. Je viens d’une famille proche et aimante. Je n’aurais jamais pensé que j’essaierais de mettre fin à mes jours.

Des événements se sont produits. Certains aspects de ma vie ont changé et je n’étais pas en mesure de résoudre ces problèmes. J’assume mes erreurs et je continuerai de le faire jusqu’au jour où je ne serai plus là.

Je tiens à remercier publiquement mon père et mes frères, mais aussi à dire aux hommes qu’ils ont le droit de pleurer. C’est même bon pour la santé. Je tiens à remercier mon père et mes frères de ne m’avoir jamais laissé tomber même si j’ai tout essayé pour les tenir à l’écart. Je ne voulais pas qu’ils aient honte de moi. Je veux remercier toutes les personnes qui ont essayé de m’aider. Elles se reconnaîtront. Sachez que je suis reconnaissant de vos efforts, de votre loyauté et de votre amour.

Le bon côté dans tout cela, c’est que si je n’avais pas vécu toutes ces épreuves et ces mésaventures, je ne serais pas aujourd’hui entouré de mon jeune fils River et de sa magnifique maman.

J’ai tenté de me suicider un jour que certains appellent le lundi de la déprime ou Blue Monday. Certains pensent qu’il s’agit du jour le plus déprimant de l’année, le troisième lundi de janvier. Le troisième lundi de janvier 2016 a été le pire jour de ma vie. Toutefois, je peux vous dire que le troisième lundi de janvier 2020 a été une excellente journée et que je travaille pour qu’il en soit de même tous les jours.

Aujourd’hui, je me sens bien, je suis en santé et je suis fier de moi. J’aime la vie. Surtout, je suis reconnaissant d’être ici, je cherche à devenir une meilleure personne et je ne me sens plus brisé.

En 2016, les familles et les amis des 3 000 personnes qui se sont suicidées ont été endeuillés en raison de la mort d’un être cher. Ces personnes endeuillées cherchent à comprendre pourquoi la mort semblait une meilleure option que la vie. Les mères, les pères, les frères, les sœurs, les tantes, les oncles, les cousins et les amis des victimes ont tous été affectés par la souffrance d’une seule personne. Parmi ces 3 000 Canadiens qui se sont suicidés, 75 % étaient de sexe masculin. Les statistiques nous montrent qu’au Canada les garçons sont trois fois plus susceptibles de se suicider que les filles. Certains experts croient que des valeurs liées à la masculinité sont un facteur de risque. Je ne peux parler pour les autres, mais, pour ma part, ce fut le cas. On m’a appris qu’il fallait être fort, courageux et dur, qu’il fallait que je gère mes problèmes moi-même. Ce n’est que 40 ans plus tard que j’ai demandé de l’aide.

On a porté mon attention sur des études qui traitent de la façon dont les garçons et les filles sont perçus différemment, sur le plan social, en fonction de leurs émotions. En 2020, il est encore vrai que les émotions comme la peur, la tristesse et la honte sont renforcées différemment chez les garçons et chez les filles. Alors que les rôles propres au genre changent, les garçons et les hommes sont confrontés à une crise d’identité. Devoir être fort et croire qu’il vaut mieux résoudre ses problèmes soi-même est-il un facteur permettant d’expliquer le suicide chez les hommes et les garçons? Sommes-nous en train de laisser tomber nos jeunes en les élevant d’une façon qui les incite à penser au suicide si, malgré leur grande souffrance, ils trouvent trop honteux de demander de l’aide? Ce fut certainement mon cas.

En 2016, 1 888 des 2 939 suicides commis au Canada l’ont été par des Autochtones. Le Canada a le taux de suicide le plus élevé au monde. Permettez-moi de préciser. Les Inuits du Canada forment la communauté où le taux de suicide est le plus élevé au monde. Dans un pays comme le nôtre, une telle statistique est inacceptable.

J’étais en Alberta, il y a quelques semaines, pour rencontrer des élèves du secondaire et leur parler de suicide et de santé mentale. À la fin de mon discours, les jeunes ont fait la file pour me serrer la main et prendre des égoportraits avec moi. Je me suis demandé pourquoi des adolescents autochtones voulaient se faire photographier avec un sénateur connu pour ses problèmes personnels et professionnels et pour l’humiliation publique qu’il a subie. Et puis, j’ai soudainement compris : ils étaient fiers d’être autochtones.

Ils voyaient que malgré toutes mes erreurs et mes mauvais choix, malgré mes épreuves très publiques et mes deux tentatives de suicide, j’étais de retour au travail, j’étais toujours vivant, je m’impliquais dans la recherche sur la santé mentale et la prévention du suicide, et je faisais de mon mieux pour rejoindre les gens. Ils m’admiraient parce que je leur ressemblais. Mes difficultés leur étaient peut-être familières, qu’il s’agisse de toxicomanie, de violence ou de tentatives de suicide. Quand ils me parlaient, ils savaient que je les comprenais.

Peu après mon départ, j’ai reçu des messages de deux personnes qui avaient participé à l’organisation de la rencontre. Voici le premier :

Ish Niish/Hiy Hiy d’être venu parler de bien-être mental avec nos jeunes. À titre de renseignement : une élève a révélé qu’elle avait déjà fait une tentative et souhaitait recommencer, mais après avoir entendu votre message, elle a choisi de demander de l’aide. Elle peut maintenant compter sur un groupe qui la soutient et qui travaille avec elle et sa famille!

Voici le deuxième message :

Merci Patrick. Vous êtes un conférencier inspirant et un formidable exemple à suivre. J’espère vous revoir. Il faut continuer à aider les gens. Une jeune fille est venue me voir après votre présentation et m’a demandé de l’aide. Je suis rempli de gratitude pour cette journée. Encore une fois, merci.

Je vous parle de tout cela pour souligner les diverses réalités et raisons qui poussent plus de 3 000 Canadiens à se suicider chaque année. Celles-ci diffèrent et on ne peut leur appliquer une approche uniforme.

Chez les hommes et les garçons, on peut établir un lien entre le suicide et la socialisation masculine. La honte que nous apprenons à ressentir lorsque nous parlons de nos problèmes en est un exemple. Les jeunes Autochtones peuvent être aux prises avec différents problèmes, comme une faible estime de soi, l’isolement ou le manque de modèles autochtones. J’essaie simplement de faire valoir que nous reconnaissons qu’il faut se pencher sur le problème du suicide. Les programmes qui seront mis sur pied devront être adaptés à chaque Canadien.

Par exemple, nos travaux de recherche montrent que l’isolement compte parmi les facteurs expliquant le suicide chez les Autochtones. Par conséquent, les programmes destinés aux jeunes Autochtones devraient avoir pour objectif de réduire l’isolement, ce qui est difficile à faire parce que les Autochtones ont été victimes de colonialisme et le demeurent jusqu’à ce jour. Pensons aux jeunes Autochtones qui sont forcés de déménager dans une petite localité, aux enfants autochtones qui ont été enlevés par le gouvernement pour être amenés au pensionnat ou placés dans une famille non autochtone pour être assimilés.

Il est vrai que des gouvernements ont fait des efforts pour réparer les torts du passé. Des excuses ont été présentées, et une convention de règlement a été adoptée pour ceux qui ont fréquenté les pensionnats indiens, mais est-ce qu’on s’attend à ce que les Autochtones soient préparés mentalement et bien outillés pour composer avec leurs préoccupations quotidiennes et avec toutes les injustices et tous les traumatismes qu’ils ont subis et qu’ils subissent encore? Ma réponse est un non catégorique. Plus que jamais, nous devons être vigilants et investir dans le soutien aux Autochtones, car nombre d’entre eux souffrent et sont brisés. Ils sont nombreux à appeler à l’aide. Au lieu de répondre à cet appel, on leur donne des miettes et on s’attend à ce qu’ils puissent se soigner tout seuls.

Aucun proche ni aucune autre personne n’est à l’abri des problèmes de santé mentale. Les problèmes de santé mentale peuvent frapper tout le monde, que l’on soit riche ou pauvre, homme ou femme, gai, hétéro ou trans, peu importe notre race ou notre confession religieuse. La vulnérabilité n’est pas un problème qui se règle à coup d’argent.

En tant que parlementaires, nous avons le rôle le plus important à jouer : celui de veiller sur les plus vulnérables de nos concitoyens. Est-ce bien ce que nous faisons?

C’est pour cette raison, honorables collègues, que je fais ce que je ne pouvais pas faire il y a des années : vous demander de l’aide. J’implore votre aide parce que j’en ai besoin et parce que je ne peux pas agir seul.

Finissons-en avec la honte, la peine, le manque de confiance en soi. Finissons-en avec la peur d’être ridiculisé. Ainsi, au nom de tous ceux qui souffrent, qui ont souffert ou qui sont décédés, je demande votre aide pour réaliser cette étude afin de redonner espoir aux gens. Ils en ont besoin et ils le méritent. Meegwetch.

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