La Loi sur les compétences linguistiques
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat
9 décembre 2021
Propose que le projet de loi S-220, Loi modifiant la Loi sur les compétences linguistiques (gouverneur général), soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-220, intitulé Loi modifiant la Loi sur les compétences linguistiques (gouverneur général), qui vise uniquement à ajouter à la liste des fonctions énumérées dans la Loi sur les compétences linguistiques le poste de gouverneur général. Ainsi, aux 10 agents du Parlement définis comme devant être obligatoirement bilingues lors de leur nomination s’ajoutera le poste de gouverneur général du Canada.
Ces agents du Parlement occupent des postes de très haut niveau. Ils sont au sommet de nos institutions administratives et sont nommés par la Chambre des communes, ou la Chambre des communes et le Sénat, selon le cas. En fait, il s’agit du vérificateur général du Canada, du directeur général des élections, du commissaire à la vie privée, du commissaire aux langues officielles, du commissaire à l’information, du conseiller sénatorial en éthique, du commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, du commissaire au lobbying, du directeur parlementaire du budget, du président de la Commission de la fonction publique et du commissaire à l’intégrité du secteur public.
Le 6 juillet 2021, le premier ministre du Canada a annoncé la nomination de Mary Simon au poste de gouverneure générale du Canada. La nouvelle gouverneure générale parle anglais et inuktitut, mais elle ne parle pas français, soit une des deux langues officielles du Canada. À la suite de sa nomination, le commissaire aux langues officielles a reçu 1 300 plaintes concernant l’inaptitude de la gouverneure générale à s’exprimer en français.
La Loi sur les langues officielles exige que les institutions fédérales prennent des mesures positives, concrètes et intentionnelles afin d’assurer le bilinguisme anglais et français au pays. Par ailleurs, le premier ministre, qui n’est pas une institution fédérale assujettie à la loi, possède une prérogative quant à la nomination du gouverneur général et n’est pas contraint par les recommandations émises par le Bureau du Conseil privé, à moins que ce pouvoir ne soit encadré par une loi, comme la Loi sur les compétences linguistiques ou la Loi sur les langues officielles.
Comme ces nombreux Canadiens qui ont porté plainte auprès du commissaire aux langues officielles, j’ai été excessivement surpris et déçu lorsque j’ai appris la nomination au poste de gouverneur général du Canada d’une personne qui ne peut s’exprimer dans les deux langues officielles.
Cette carence linguistique de la nouvelle gouverneure générale ne réduit aucunement le lustre de ses autres compétences professionnelles ni de sa feuille de route tout aussi remarquable.
J’en conviens aisément, Mary Simon est une personne de grande valeur et je ne le remets pas en question par la présente loi.
Toutefois, honorables sénateurs, la méconnaissance de l’une des deux langues officielles dans les fonctions de gouverneur général pose un sérieux problème. On ne parle pas ici d’un poste de second ordre, on parle du chef d’État qui représente notre pays et du commandant en chef de nos armées. Le gouverneur général exerce ces fonctions non seulement au Canada mais également à l’étranger. À ce titre, le gouverneur général remplit plusieurs fonctions.
Le site officiel du gouverneur général établit ainsi ses responsabilités.
La gouverneure générale exerce les pouvoirs et les responsabilités de la chef de l’État, de Sa Majesté la reine. Par conséquent, la gouverneure générale se doit d’être impartiale et apolitique. En tant que représentante de la reine au Canada, la gouverneure générale a certaines responsabilités, l’une des plus importantes étant de s’assurer que le Canada dispose en tout temps d’un premier ministre et d’un gouvernement en lesquels le Parlement a confiance. Les autres obligations constitutionnelles de la gouverneure générale comprennent l’assermentation du premier ministre, de son Cabinet et du juge en chef du Canada.
De plus, elle convoque, proroge et dissout le Parlement, prononce le discours du Trône et accorde la sanction royale aux lois du Parlement.
Parmi les responsabilités qui lui incombent, elle doit aussi nommer les membres du Conseil privé, les lieutenants-gouverneurs et certains juges sur les conseils du premier ministre, en plus de signer des documents officiels comme les décrets.
Vous en conviendrez, chers collègues, ce sont des responsabilités du plus haut niveau. En fait, le gouverneur général est au sommet de notre hiérarchie constitutionnelle.
Dans le cadre de ses fonctions, la gouverneure générale actuelle a participé récemment aux activités suivantes : le 2 décembre, elle a fait la présentation de lettres de créance à des diplomates; le 23 novembre, nous en avons tous été témoins, elle a prononcé le discours du Trône et elle a également tenu une rencontre avec la présidente de la République du Kosovo; le 18 novembre, elle a participé au dévoilement d’un timbre commémoratif; le 11 novembre, elle a participé à la cérémonie nationale du jour du Souvenir; le 8 novembre, elle a honoré des membres des Forces armées canadiennes; le 6 novembre, elle a participé à la cérémonie du prix Sobey pour les arts de 2021; le 1er novembre, elle a nommé 97 membres des Forces armées canadiennes au sein de l’Ordre du mérite militaire; le 8 octobre 2021, elle a visité la Mission d’Ottawa.
Ainsi, dans le cadre de ses fonctions, la gouverneure générale est régulièrement appelée à interagir avec des Canadiennes et des Canadiens qui parlent les deux langues officielles du pays. De plus, nous l’avons vu, elle représente également le Canada à l’étranger.
Toujours selon le site officiel du gouverneur général, il est mentionné ceci :
La gouverneure générale joue aussi un rôle de premier plan dans le domaine des relations internationales en effectuant des visites d’État et des visites officielles à l’étranger. Lors des visites d’État, la gouverneure générale est souvent accompagnée d’une délégation d’éminents Canadiens représentant diverses sphères d’activité. Les visites internationales ont pour but de promouvoir le Canada, de resserrer les liens entre les peuples et de renforcer les relations que le pays entretient avec ses partenaires dans le monde.
Quel message une gouverneure générale unilingue anglaise envoie-t-elle à l’étranger? Poser la question, c’est y répondre : le Canada est un pays unilingue anglais.
Pourtant, la richesse de notre pays se fonde sur la vitalité de ses deux langues officielles, le français et l’anglais, les langues de ses deux peuples fondateurs. Nous avons aussi l’avantage d’avoir une diversité culturelle et linguistique, qui inclut les langues autochtones, et qui fait du Canada un endroit unique au monde. Toutefois, lorsque le chef d’État du pays ne parle qu’une des deux langues officielles du pays, cela crée une sorte d’anachronisme, voire une incongruité.
Je vous cite un autre passage du site Web officiel :
À titre de commandante en chef du Canada, la gouverneure générale joue un rôle capital en reconnaissant le rôle important des militaires canadiens, tant au pays qu’à l’étranger. La commandante en chef offre soutien et encouragements aux membres des Forces armées canadiennes ainsi qu’à leurs familles et à leurs proches, en plus d’aider les Canadiens à reconnaître la contribution passée et présente des militaires à notre pays.
Comment la gouverneure générale pourra-t-elle reconnaître le rôle important des militaires francophones et offrir soutien et encouragement à leurs familles et à leurs proches si elle ne peut communiquer avec eux dans leur langue?
Notre pays s’est construit sur la dualité linguistique et, dès la Confédération, cette dualité linguistique a été codifiée, notamment dans le texte fondateur de notre pays, la Constitution du Canada, par son article 133 intitulé l’« Usage facultatif et obligatoire des langues française et anglaise », qui affirme ce qui suit :
Dans les chambres du parlement du Canada et les chambres de la législature de Québec, l’usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif; mais, dans la rédaction des registres, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l’usage de ces deux langues sera obligatoire. En outre, dans toute plaidoirie ou pièce de procédure devant les tribunaux du Canada établis sous l’autorité de la présente loi, ou émanant de ces tribunaux, et devant les tribunaux de Québec, ou émanant de ces derniers, il pourra être fait usage de l’une ou l’autre de ces langues.
Les lois du parlement du Canada et de la législature de Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues.
Plusieurs décennies plus tard, en 1969, la Loi sur les langues officielles a été votée et adoptée sur la recommandation de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, mise en place par le premier ministre Lester B. Pearson. Elle est entrée en vigueur le 7 septembre 1969 et elle institue le français et l’anglais comme langues officielles du Canada.
La loi crée notamment le Bureau du commissaire aux langues officielles, maintenant appelé le Commissariat aux langues officielles, chargé d’en surveiller l’application. Conformément à cette loi, toutes les institutions fédérales doivent fournir des services en anglais ou en français en fonction de la demande.
Puis, en 1982, nous avons modifié la Constitution du Canada par l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés, laquelle y est enchâssée. Celle-ci a donné encore plus de poids aux deux langues officielles. Notamment, les articles 16 et 20 de la Charte se lisent respectivement ainsi, et je cite :
16. (1) Le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.
L’article 20 énonce ce qui suit :
20. (1) Le public a, au Canada, droit à l’emploi du français ou de l’anglais pour communiquer avec le siège ou l’administration centrale des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services; il a le même droit à l’égard de tout autre bureau de ces institutions là où, selon le cas : a. l’emploi du français ou de l’anglais fait l’objet d’une demande importante; b. l’emploi du français et de l’anglais se justifie par la vocation du bureau.
Par ailleurs, il est prévu à l’article 96 de la Constitution canadienne ce qui suit :
Nomination des juges
Le gouverneur-général nommera les juges des cours supérieures, de district et de comté dans chaque province, sauf ceux des cours de vérification dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick.
Vous savez certainement, honorables sénateurs, que, actuellement, l’obligation en matière de bilinguisme n’est pas imposée aux juges de la Cour suprême. L’article 16 de la Loi sur les langues officielles se lit comme suit :
Il incombe aux tribunaux fédéraux autres que la Cour suprême du Canada de veiller à ce que celui qui entend l’affaire : a) comprenne l’anglais sans l’aide d’un interprète lorsque les parties ont opté pour que l’affaire ait lieu en anglais; b) comprenne le français sans l’aide d’un interprète lorsque les parties ont opté pour que l’affaire ait lieu en français; c) comprenne l’anglais et le français sans l’aide d’un interprète lorsque les parties ont opté pour que l’affaire ait lieu dans les deux langues.
Or, le gouvernement Trudeau a clairement annoncé son intention de modifier cette disposition de la Loi sur les langues officielles et de rendre obligatoire le bilinguisme pour les juges de la Cour suprême. Dans un premier temps, il a déposé en juin dernier, tout juste avant que le Parlement ne s’ajourne pour l’été, le projet de loi C-32, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles et apportant des modifications connexes et corrélatives à d’autres lois. À l’article 11 de ce projet de loi, on peut y lire ceci :
11 (1) Le passage du paragraphe 16(1) de la même loi précédant l’alinéa a) est remplacé par ce qui suit :
Obligation relative à la compréhension des langues officielles
Le paragraphe 16 se lirait ainsi :
16 (1) Il incombe aux tribunaux fédéraux de veiller à ce que celui qui entend l’affaire :
Essentiellement, ce que propose cet article, c’est de retirer l’exception afin que le bilinguisme s’applique aussi à la Cour suprême. Ce projet de loi est mort au Feuilleton à la suite de la prorogation du Parlement, mais dans son discours du Trône, le gouvernement a annoncé ceci :
Les deux langues officielles font partie de notre identité. Il est crucial d’appuyer les communautés de langue officielle en situation minoritaire et de protéger et promouvoir le français non seulement à l’extérieur du Québec, mais également au Québec. Le gouvernement redéposera sa proposition de Loi visant l’égalité réelle du français et de l’anglais et le renforcement de la Loi sur les langues officielles.
Le gouvernement a donc l’intention de rendre obligatoire le bilinguisme des juges de la Cour suprême. Il réaffirmera ainsi l’importance du bilinguisme aux plus hauts échelons du pays.
Par ailleurs, dans sa déclaration concernant les 1 300 plaintes que son bureau a reçues à la suite de la nomination de Mary Simon au poste de gouverneure générale, le commissaire aux langues officielles a dit, entre autres :
Le bilinguisme institutionnel dépend en grande partie du bilinguisme des personnes qui occupent des postes aux plus hauts échelons de la fonction publique. Nos leaders doivent montrer l’exemple et doivent pouvoir représenter l’ensemble de la population canadienne dans les deux langues officielles.
J’aimerais insister sur cette phrase de l’extrait du discours du Trône que je viens de lire : « Les deux langues officielles font partie de notre identité. »
Pour illustrer et souligner l’importance de cette affirmation, j’ai choisi un extrait du Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, qui a été repris par la Cour suprême dans l’arrêt Beaulac :
L’article 23 de la Loi de 1870 sur le Manitoba est une manifestation spécifique du droit général qu’ont les Franco-manitobains de s’exprimer dans leur propre langue. L’importance des droits en matière linguistique est fondée sur le rôle essentiel que joue la langue dans l’existence, le développement et la dignité de l’être humain. C’est par le langage que nous pouvons former des concepts, structurer et ordonner le monde autour de nous. Le langage constitue le pont entre l’isolement et la collectivité, qui permet aux êtres humains de délimiter les droits et obligations qu’ils ont les uns envers les autres, et ainsi, de vivre en société.
C’est pourquoi la protection constitutionnelle assurant l’intégrité et l’égalité des deux langues officielles du Canada, c’est-à-dire le français et l’anglais, est nécessaire. En vertu de son statut minoritaire, non seulement au Canada, mais en Amérique du Nord en particulier, le fait français est menacé et il perd du terrain partout au Canada.
L’hiver dernier, le gouvernement a déposé un document énonçant ses intentions en matière de réforme des langues officielles ainsi que le plan pour la modernisation de la Loi sur les langues officielles.
Le rapport s’intitule Français et anglais : Vers une égalité réelle des langues officielles au Canada. La ministre Joly, alors ministre responsable des langues officielles, y déclarait ceci :
Nos langues officielles font partie de notre identité; de notre passé, notre présent et notre avenir. Elles sont des points de rencontre, des traits d’union entre nos cultures. Elles sont au cœur du contrat social de notre pays.
Or, le monde est en changement. Le développement du numérique et du commerce international favorise l’utilisation de l’anglais. De ce fait, l’utilisation du français est en recul au Canada et sa vitalité inquiète. Nous reconnaissons que la langue française est minoritaire par rapport à la langue anglaise et que nous avons un devoir accru de la protéger. Afin d’en arriver à l’égalité réelle entre nos deux langues officielles, nous devons faire des gestes concrets. Ce travail, nous devons le faire ensemble, les uns avec les autres, dans un climat de collaboration et d’acceptation. C’est une question de cohésion sociale.
Dans cette déclaration de la ministre Joly que je viens de citer, j’attire votre attention sur cette phrase :
[…] le monde est en changement. Le développement du numérique et du commerce international favorise l’utilisation de l’anglais. De ce fait, l’utilisation du français est en recul au Canada et sa vitalité inquiète.
Nous avons eu tout récemment un exemple magistral de ce recul. Toutes et tous se souviendront de la fameuse conférence donnée à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain par le PDG d’Air Canada, M. Michael Rousseau. Rappelons que le siège social d’Air Canada se trouve à Montréal, la plus grande ville francophone en Amérique du Nord, et que cette compagnie est assujettie à la Loi sur les langues officielles. M. Rousseau a prononcé la totalité de son allocution en anglais seulement. Interrogé ensuite par les journalistes, le PDG a souligné qu’il ne parlait pas français, malgré le fait qu’il vivait au Québec depuis plus de 14 ans, et que ça ne l’avait jamais empêché de faire quoi que ce soit. Pour en rajouter, il a affirmé qu’il avait bien d’autres priorités dans le poste qu’il occupe que d’apprendre le français.
Dans le concert de déclarations et de dénonciations qui ont suivi ce malheureux incident, deux ministres du gouvernement Trudeau ont fait des déclarations. La ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, a dit ce qui suit :
Nos deux langues officielles sont notre richesse et nos leaders se doivent d’en faire la promotion. Je vous invite à faire l’effort d’apprendre la magnifique langue qu’est le français.
De son côté, le ministre du Patrimoine y est allé de cette déclaration :
Air Canada doit faire sa part pour respecter nos deux langues officielles, particulièrement le français. Les Québécois sont en droit de s’attendre à ce que l’exemple soit donné au plus haut niveau.
Chers collègues, je partage l’avis du ministre du Patrimoine canadien : les Québécois et les francophones de tout le pays sont en droit de s’attendre à ce que l’exemple soit donné au plus haut niveau. Lorsque l’on nomme une personne unilingue anglaise à une fonction de haut niveau, ces personnes s’engagent régulièrement à apprendre le français durant leur mandat. Cet engagement d’apprendre le français, dans le cas des nominations unilingues anglaises, semble être la baguette magique justifiant un accroc aux valeurs de bilinguisme soutenues par nos lois. C’est d’ailleurs la justification que M. Trudeau nous a servie au moment de nommer Mme Simon au poste de gouverneure générale. Le message que l’on envoie en nommant une gouverneure générale unilingue anglaise est complètement contre-productif. On laisse ainsi sous-entendre que, malgré le fait que nous avons deux langues officielles au Canada, on peut toujours accéder aux plus hautes fonctions en ne parlant qu’une seule des deux langues officielles.
Je me limite à l’anglais, car bien honnêtement, tout comme je ne croyais pas que le premier ministre irait jusqu’à nommer un gouverneur général unilingue anglophone, je crois encore moins qu’il nommerait un gouverneur général unilingue francophone.
Personnellement, j’estime que toute personne assumant un rôle aussi majeur et important et représentant les valeurs canadiennes doit être bilingue dès le départ. Selon moi, c’est non négociable.
L’autre impact de la nomination d’une personne unilingue anglophone à une aussi haute fonction sera que l’entourage et les différents services liés à la gouverneure générale fonctionneront en anglais seulement. M. Stéphane Dion, lors de l’étude du projet de loi C-419 sur les compétences linguistique des agents du parlement, a prononcé ces paroles que je considère très justes :
N’est-il pas vrai que si la tête n’est pas bilingue, le corps risque de ne pas l’être non plus? Si le commissaire ne comprend pas le français, alors tout le système, tout l’appareil, ne parlera que l’anglais.
En ce sens, le sénateur Joyal, lors d’une séance du comité plénier du Sénat tenue le 1er novembre 2011 pour étudier la nomination de M. Ferguson au poste de vérificateur général, a déclaré ceci :
Il y a une distinction à faire entre une personne qui est disposée à apprendre une langue et une autre qui doit maîtriser la langue au moment de prendre possession de ses fonctions.
Vous imaginez, honorables sénateurs, un hôpital qui engagerait des médecins qui sont au début de leur formation sous prétexte qu’ils s’engagent à poursuivre leurs études? C’est pourtant ce qui se produit lorsqu’un premier ministre désigne un chef d’État unilingue anglophone pour un pays dont le français et l’anglais sont les langues officielles, des langues qui sont le socle de notre identité et de nos valeurs communes, sous prétexte que cette personne s’engage à apprendre le français?
Dans le document qu’elle a présenté et qui sert de préalable à la modernisation prochaine de la Loi sur les langues officielles, la ministre Joly affirmait ceci :
Le gouvernement fédéral doit agir dans ses champs de compétence afin de répondre aux préoccupations des francophones au Québec et au pays, de protéger et promouvoir la langue française et de renforcer le sentiment de sécurité linguistique [...]
L’État fédéral doit jouer un rôle de premier plan en matière de bilinguisme. Les juges nommés à la Cour suprême doivent être bilingues, le rôle de CBC/Radio-Canada en tant qu’institution culturelle doit être consolidé et les pouvoirs du commissaire aux langues officielles doivent être renforcés. La fonction publique, point de contact privilégié des Canadiens avec leur gouvernement fédéral, doit aussi donner l’exemple.
C’est très difficile pour moi de concilier cette affirmation avec un geste concret posé par le gouvernement, celui de nommer une gouverneure générale unilingue anglophone. C’est la raison pour laquelle j’en suis venu à la conclusion que nous nous devons de baliser à l’avenir les nominations au poste de gouverneur général afin de nous assurer que plus jamais nous ne nous retrouverons avec un chef d’État et commandant en chef des armées qui ne pourra pas communiquer avec un peu plus de 8 millions de Canadiennes et de Canadiens.
La Loi sur les compétences linguistiques, qui a été adoptée en 2013, m’a semblé être l’avenue la plus prometteuse pour atteindre cet objectif. Il est utile de faire un rappel historique sur la présentation de ce projet de loi à la Chambre des communes, les débats qui y ont eu cours et son adoption finale.
En novembre 2011, le premier ministre Harper a nommé M. Michael Ferguson au poste de vérificateur général du Canada. M. Ferguson était un anglophone unilingue, mais il s’était engagé à apprendre le français au cours de son mandat. L’opposition s’est enflammée contre cette nomination au point où les députés libéraux se sont retirés de la Chambre des communes au moment du vote sur la nomination du nouveau vérificateur général afin de bien montrer leur indignation.
Puis, le 1er mai 2012, la députée de Louis-Saint-Laurent, Mme Alexandrine Latendresse, a déposé le projet de loi C-419, qui édictait que les agents du Parlement devaient comprendre les deux langues officielles sans le soutien d’un service d’interprétation. Ces serviteurs de l’État étaient identifiés comme se trouvant au plus haut échelon de la pyramide de la fonction publique canadienne, et leur bilinguisme devait être un signal fort envoyé à la fonction publique, mais également aux Canadiennes et aux Canadiens. Certaines citations lors de l’étude en comité à l’étape de la deuxième lecture et à l’étape de la troisième lecture de ce projet de loi valent la peine d’être reproduites ici. Le député Jacques Gourde, dans une réponse du gouvernement au projet de loi C-419, nous disait ceci :
Nous comprenons que le bilinguisme est au cœur de notre identité en tant que pays et contribue à notre richesse historique et à notre richesse culturelle. Il donne une voix aux communautés de langues officielles en situation minoritaire d’un océan à l’autre et contribue à la vitalité économique du Canada. Cela renforce la résilience de notre fédération grâce à la prestation de service dans les deux langues officielles.
Marc Garneau, député de Westmount—Ville-Marie, disait ce qui suit :
Monsieur le Président, j’ai le plaisir de parler de ce projet de loi. Il semble que tout le monde l’appuie [...] Il est parfaitement évident que les agents du Parlement doivent être bilingues. Dans le meilleur des mondes, nous n’aurions pas besoin d’une loi pour le savoir.
M. Stéphane Dion disait ceci :
Monsieur le Président, [...] je peux dire que nous parlons ici d’un projet de loi dont nous ne devrions pas, normalement, avoir à parler, d’une mesure que tout le monde tient pour acquise et qui, dans l’esprit des Canadiens, est déjà adoptée.
L’obligation pour les agents du Parlement d’être bilingues et de parler les deux langues officielles du Canada est quelque chose qui allait de soi jusqu’à ce que ce premier ministre nomme un vérificateur général unilingue. Ça a été un choc. Le parti auquel j’appartiens a réagi si fortement qu’il a refusé de voter la nomination de ce vérificateur général. Nous sommes sortis de la Chambre et nous n’avons même pas voté. [...]
C’est une insulte aux Canadiens que de leur dire que, dans des postes aussi cruciaux, on demande aux titulaires de divertir une large part de leurs efforts et de leur temps pour apprendre une langue alors qu’ils ont passé l’âge de 40 ou de 50 ans. Ils ont autre chose à faire. Ils doivent être en mesure de comprendre les deux langues officielles au moment de leur nomination. [...]
L’autre raison pour laquelle le vérificateur général et les autres agents du Parlement devraient être bilingues, c’est qu’il faut envoyer le bon message à la jeunesse de notre pays. Les jeunes qui ont de l’ambition, et qui veulent accéder à toutes les responsabilités dans leur pays, devraient apprendre les deux langues officielles.
Il est essentiel d’avoir fait cet apprentissage à l’âge de 18 ans, car ce sera beaucoup plus difficile à 48 ans. Lorsqu’ils voudront accéder à de hautes responsabilités, ce sera peut-être trop tard. C’est le message qu’il faut envoyer dès maintenant, par l’intermédiaire de ce projet de loi. C’est essentiel pour la configuration même de notre pays et pour son aptitude à rendre hommage à ses deux langues officielles.
C’est pour nous un atout extraordinaire que d’avoir deux langues officielles qui sont aussi des langues internationales. Nous devons veiller à préserver cet atout à l’avenir. Le message qu’il faut envoyer, c’est que la responsabilité la plus importante, y compris pour vous, monsieur le Président, c’est de pouvoir s’adresser à ses concitoyens canadiens dans les deux langues officielles. [...]
Quand on croit au bilinguisme, on en facilite l’expansion.
L’article 12 de la Constitution de 1867 stipule ce qui suit, et je cite :
Tous les pouvoirs, attributions et fonctions qui [...] sont conférés aux gouverneurs ou lieutenants-gouverneurs [...] conférés au gouverneur-général et pourront être par lui exercés, [...] mais ils pourront, néanmoins [...] être révoqués ou modifiés par le parlement du Canada.
Honorables sénateurs, nous avons donc toute la légitimité requise pour encadrer la nomination des futurs gouverneurs généraux.
Souvenez-vous, honorables sénateurs, que l’un de nos rôles constitutionnels est de protéger les minorités. Nous n’avons pas à faire la démonstration que les francophones du pays représentent l’une des plus importantes minorités en nombre et qu’ils font tout autant partie de notre patrimoine.
Si plus de 1 300 Canadiennes et Canadiens ont déposé une plainte au Bureau du commissaire aux langues officielles à la suite de la nomination de Mme Simon, je peux vous affirmer, honorables sénateurs, que j’ai reçu un nombre record de messages d’appui après avoir déposé mon projet de loi.
Je crois fermement que ce projet de loi est important pour les Canadiens. Je vous exhorte à l’appuyer sans délai et à l’adopter à l’étape de la deuxième lecture afin qu’il puisse être renvoyé au comité et applaudi par le peuple canadien.
Chers collègues, je vous remercie beaucoup de votre attention.
Sénateur Housakos, souhaitiez-vous vous joindre au débat ou poser une question?
J’aimerais poser une question, si le sénateur Carignan le veut bien.
Sénateur Carignan, des sénateurs veulent vous poser des questions. Accepteriez-vous d’y répondre?
Oui, bien sûr, monsieur le Président.
Sénateur Carignan, merci de votre engagement à l’égard des langues officielles du Canada. J’aimerais avoir vos commentaires sur certains aspects qui s’y rattachent.
Seriez-vous d’accord pour dire que la Loi sur les langues officielles du Canada n’est pas comme n’importe quelle autre loi, et qu’il s’agit de bien plus qu’une question qui définit les deux langues officielles du pays?
Ne croyez-vous pas que les langues officielles du Canada sont un élément qui est censé nous identifier en tant que Canadiens?
Les langues officielles ne sont-elles pas un outil qui unit les Canadiens d’un océan à l’autre? Êtes-vous d’accord pour dire que, d’où que nous venions, les deux langues officielles sont utilisées quotidiennement, au Canada ainsi que dans toutes les régions du monde?
C’est aussi une façon de célébrer les deux peuples fondateurs de ce pays, dont les Acadiens, qui ont ouvert leurs portes et ont donné la chance à des gens comme moi, fils d’immigrant, de s’établir ici. Ma langue maternelle n’était ni le français ni l’anglais.
Comme institution et comme pays, nous avons toujours célébré le fait que tous les Canadiens sont libres d’utiliser leur langue maternelle.
Pour être précis, êtes-vous d’accord avec moi pour dire que les langues officielles sont, incontestablement, un élément qui représente l’identité canadienne?
Oui, effectivement, sénateur, vous faites bien ressortir le caractère identitaire caractéristique de notre pays, avec ses deux peuples fondateurs et ses deux langues officielles.
C’est aussi le rôle du gouverneur général de représenter cette identité canadienne, et c’est pourquoi il est important, parmi les critères de sélection, de privilégier le fait que la personne puisse s’adresser aux Canadiens dans les deux langues officielles. C’est aussi le message que l’on veut envoyer dans le monde, soit que le Canada est un pays bilingue, qui a deux langues officielles, l’anglais et le français. Lorsque le gouverneur général s’adresse aux gens à l’extérieur du pays, il montre que le Canada est un pays qui a deux langues officielles.
La promotion de cette identité exige donc la connaissance et l’usage des deux langues.
J’ai beaucoup apprécié la citation de M. Dion, qui est, je crois, un homme que tout le monde respecte énormément. J’ai trouvé particulièrement important le passage où il dit que si on veut que le corps soit bilingue, il faut que la tête soit bilingue. Donc, si la tête est unilingue, le corps sera unilingue aussi.
Je pense que l’on doit profiter de toutes les occasions de promouvoir nos deux langues officielles. Je crois que lorsqu’on nomme des gens à des postes à un aussi haut niveau que celui de chef d’État et de commandant en chef, cette personne doit être en mesure de s’adresser aux gens dans nos deux langues officielles.
Le sénateur Carignan accepterait-il de répondre à une question?
Sénateur Carignan, accepteriez-vous de répondre à une question?
Oui.
Sénateur Carignan, je vous remercie de votre discours. C’est une idée intéressante. Vous dites qu’elle est importante pour tous les Canadiens. Croyez-vous qu’elle l’est pour les habitants de Terre-Neuve-et-Labrador, qui ont peut-être un représentant qui ferait un excellent gouverneur général, mais qui parle ne parle que l’anglais et qui est prêt à apprendre le français? Ou encore, croyez-vous qu’il est important pour un Albertain, un résidant de la Saskatchewan ou de n’importe où ailleurs au Canada?
Si vous parlez du poste de lieutenant-gouverneur, j’imagine que oui. Ces postes de haut niveau doivent être des postes bilingues. J’ai libellé mon projet de loi pour le poste de gouverneur général. Comme vous le savez, j’ai déposé un autre projet de loi au sujet du poste de lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick qui est une province bilingue conformément à la Constitution.
Dans un monde idéal, ces postes de haut niveau devraient être bilingues.
J’ai entendu aujourd’hui le discours de quelqu’un qui a participé à une cérémonie tenue à Montréal, au Musée des beaux-arts, pour les festivités entourant Riopelle. Cette personne, qui représentait les musées du Canada, parlait uniquement en anglais. Elle a fait un discours en anglais seulement pour célébrer un peintre français dans une ville francophone, même s’il y avait beaucoup de francophones présents à cette occasion. Cela envoie toujours un message un peu négatif. On doit pouvoir célébrer et promouvoir nos deux langues officielles. Tous ces postes de haut niveau devraient être bilingues.
Sénateur Carignan, je voulais dire la gouverneure générale. Si j’ai parlé de lieutenant-gouverneur, je m’en excuse.
Vous avez parlé de message positif. Croyez-vous que ce serait un message positif si un candidat au poste de gouverneur général francophone s’engageait à apprendre l’anglais et, inversement, si un candidat anglophone s’engageait à apprendre le français? Ne croyez-vous pas que cela enverrait un message encore plus positif au sujet de ce poste et de la nécessité d’être bilingue au Canada?
Il y a une difficulté pour ce qui est de s’engager à apprendre l’autre langue lorsqu’on n’a pas les compétences requises dès le début, et c’est qu’il s’agit de postes occupés pour une durée de cinq ans. Donc, si la personne ne peut pas communiquer pendant deux, trois ou quatre ans avec les gens dans les deux langues officielles, il y a une partie de sa fonction qui n’est pas pleinement remplie. Il s’agit de compétences qu’on devrait maîtriser dès la nomination; on ne devrait pas avoir à s’engager à apprendre l’autre langue.
Nous avons vu l’exemple du vérificateur général. M. Ferguson a commencé à donner des entrevues en français environ trois ans après sa nomination. Il y a une partie de son mandat pendant laquelle il n’a pas pu communiquer avec les francophones pour présenter ses rapports ou répondre à des questions de la part des journalistes. Évidemment, tout cela envoie un message positif, quand on fait des efforts pour apprendre le français ou l’anglais, selon le cas. Je pense que vous m’avez vu évoluer en anglais, moi aussi. Vous avez vu les efforts que j’ai faits pour apprendre l’anglais et le parler le mieux possible. Plusieurs d’entre vous ont été témoins de cela. Cela dit, les compétences requises pour occuper ces postes doivent être en place dès le début, et non pas en cours de route, de façon à ce que les personnes nommées puissent exercer pleinement leurs fonctions.
Je suis très intéressée par les arguments que vous présentez et très ouverte à appuyer cette mesure. C’est une qualité du Canada que je chéris, mais mon approche dans ce genre de chose, c’est de travailler en amont, si possible, plutôt qu’en aval.
D’après moi, un groupe de sénateurs pourrait être formé pour produire des recommandations visant à influer sur les systèmes d’éducation des provinces afin qu’ils offrent un enseignement des langues officielles adéquat et que les étudiants apprennent ces dernières.
L’enseignement que j’ai eu lorsque j’étais jeune n’était certainement pas de qualité. J’ai appris sur le tas, au Québec.
Vous avez répété plusieurs fois que la gouverneure générale est unilingue. Je voulais simplement mentionner qu’elle n’est pas unilingue.
Oui, vous avez raison.
Je sais que, sur le plan des deux langues officielles, elle l’est. Cependant, il y a beaucoup de gens qui occupaient ces terres avant nous et qui parlent diverses langues autochtones, dont l’innu.
Je pense également qu’il est temps de revitaliser la langue française et d’en assurer la pérennité, mais nous devons aussi reconnaître que nous traversons une période de réconciliation, et qu’il s’agit d’une nomination très importante.
Je prends part à cette discussion avec l’opinion qu’il s’agit d’une nomination spéciale, significative et vraiment importante, et j’accepte l’engagement d’apprendre l’anglais. Cependant, je postule — et ce n’est pas une critique de votre projet de loi; vous essayez de remédier dans l’immédiat à la situation — que le Canada se porterait probablement mieux à long terme si tous les étudiants canadiens consacraient plus de temps à la maîtrise des deux langues officielles. Avez-vous des commentaires à ce sujet ou souhaitez-vous donner suite à ce type de recommandations ou d’interventions auprès des systèmes d’éducation provinciaux?
Oui, tout à fait. Évidemment, quand j’ai dit qu’elle était unilingue, je voulais dire qu’elle n’était pas bilingue sur le plan des deux langues officielles. Je salue les compétences de la gouverneure générale pour ce qui est de parler d’autres langues, dont l’inuktitut.
Il faut promouvoir les deux langues officielles, et on devrait encourager la diffusion des meilleurs messages possible et financer le mieux possible tout ce qui touche l’éducation dans les deux langues officielles partout au pays. J’ai des enfants qui sont devenus des francophones hors Québec. Je ne suis pas encore grand-père, mais j’espère que mes petits-enfants auront la chance de continuer à parler le français, qu’ils pourront apprendre le français même s’ils sont à l’extérieur du Québec et qu’ils auront cet enrichissement et cette disponibilité-là. Donc, évidemment, je suis d’accord avec cela.
J’aurais une question à poser à mon collègue le sénateur Carignan, s’il le veut bien.
Oui, bien sûr.
Sénateur Carignan, la sénatrice Lankin a déjà traité de ma question en partie. D’abord, je partage cette préoccupation sur le plan des compétences linguistiques et de la protection des langues officielles. La sénatrice Lankin parlait évidemment de cet objectif sur le plan de l’éducation afin qu’on puisse encourager davantage de gens. Ma question est un peu plus précise, mais elle va dans le même sens. Je me demande si vous avez identifié à quoi on devrait s’attaquer, à quelle étape du processus pour que, justement, ce défi n’existe pas quand une personne se trouve dans ce genre de situation.
Parfois, on voit certains individus très compétents, dont le parcours de vie les a mis dans la position de représenter le Canada ici et ailleurs. On pourrait croire qu’ils voudraient sincèrement apprendre les deux langues officielles, puisqu’ils savent qu’ils risquent de jouer un jour certains rôles ou d’occuper certains postes qui l’exigent.
Je me demande si vous avez réfléchi à cette question et si vous avez déterminé à quelle autre étape d’un plan de carrière on pourrait s’attaquer à ce problème.
Évidemment, j’ai moins étudié cette partie-là. Je vous dirais que, pour l’instant, une modernisation de la Loi sur les langues officielles est imminente. J’ai l’intention, dès qu’elle sera présentée, de m’y attaquer afin de travailler sur ce dossier.
Pour l’instant, je crois que nous devons traiter d’un symbole puissant, le poste de gouverneur général, pour nous assurer que ce poste est occupé à l’avenir par des personnes qui parlent les deux langues officielles. Pour moi, c’est un message puissant que nous envoyons à l’ensemble des Canadiens. C’est probablement le message le plus puissant qui pourrait être envoyé sur le plan symbolique.
Sénateur Carignan, votre temps de parole est écoulé, mais d’autres sénateurs aimeraient vous poser des questions. Demandez-vous cinq minutes de plus?
Je demande cinq minutes de plus. Si les sénateurs acceptent, je répondrai aux questions avec plaisir.
Sénateur Carignan, tout d’abord, je veux vous féliciter de présenter ce projet de loi, et surtout d’y avoir pensé au moment où tout cela s’est produit. Comme vous, j’ai été déçue et étonnée des capacités linguistiques en français de la nouvelle gouverneure générale, ce qui n’enlève rien à son autre bilinguisme ni à sa culture. Comme l’a dit la sénatrice Lankin, il y a là, évidemment, un symbole extraordinaire. Malheureusement, je vous dirais que c’est un débat extrêmement délicat pour des francophones que de se prononcer là-dessus, parce qu’on semble manquer totalement de générosité quand on réclame que les postes officiels au Canada soient occupés par des gens qui peuvent parler notre langue. Pourtant, la réalité montre que ce n’est souvent pas le cas.
Vous avez parlé de vos efforts pour apprendre l’anglais, mais l’inverse n’est pas toujours le cas. Je sais que la sénatrice Lankin en a parlé, mais nous avons dans la fonction publique des cours offerts à quiconque veut apprendre le français. Dans la fonction publique, on a tous les moyens à notre disposition pour apprendre le français si on le souhaite. C’est donc une question de volonté.
Il me semble que si une personne qui parle seulement le français et une langue autochtone avait été nommée au poste de gouverneur général, cela aurait créé énormément de remous dans notre pays majoritairement anglophone. Je demande à mes collègues anglophones de s’interroger : comment auraient-ils réagi si notre nouvelle gouverneure générale n’avait parlé que le français et une autre langue autochtone? Je crois que cela aurait, là aussi, suscité une certaine insatisfaction.
Évidemment, c’est un peu le but du projet de loi. J’aurais éprouvé le même malaise, mais dans le sens inverse, et on peut le comprendre, parce que l’idée est de représenter l’identité canadienne, qui est bilingue. Donc, c’est l’objectif même du projet de loi. Évidemment, vous comprendrez que le projet de loi, s’il est adopté, empêchera aussi qu’un futur gouverneur général ne parle que le français et une autre langue s’il ne parle pas l’anglais. Je comprends bien votre question et je partage votre opinion.
Est-ce que le sénateur Carignan accepterait de répondre à une question?
Oui.
Sénateur Carignan, je veux d’abord vous remercier sincèrement d’avoir déposé ce projet de loi qui, en fait, nous invite à entamer une conversation plus transparente sur un sujet sensible, en effet. Je crois que nous reconnaissons tous la grande compétence de Mme Simon et ses grandes qualités, mais aussi le fait que nous nous trouvons à un moment crucial de notre histoire où la réconciliation doit faire l’objet de décisions symboliques et importantes. Cela dit, et je voudrais vous entendre là-dessus, je crois que cette nomination crée un malaise profond dans la société canadienne, puisqu’elle a tendance à opposer les langues autochtones à la langue française, alors que les deux peuvent être compatibles dans un certain contexte.
Vous avez abordé la question de l’éducation, qui est de compétence provinciale, nous le savons. Nous savons aussi que, dans la fonction publique fédérale, comme l’a indiqué la sénatrice Miville-Dechêne, des formations linguistiques sont offertes.
Quelle est votre réflexion face à ce constat que vous faites dans ce projet de loi, et face au constat que vous pourriez faire sur les défis qui sont ceux de la fonction publique fédérale, qui doit offrir des formations et autoriser des évaluations faisant en sorte que les fonctionnaires fédéraux de haut niveau puissent parler les deux langues officielles?
Je pense qu’effectivement, il y a des formations qui sont offertes et elles sont accessibles. Il faut promouvoir l’importance de parler les deux langues. Je crois qu’il faudrait peut-être penser, dans la fonction publique fédérale, à créer des incitatifs supplémentaires pour que les gens puissent apprendre les deux langues. C’est un dossier qui m’intéresse de plus en plus. Je travaille actuellement sur certains dossiers qui touchent les services en anglais et en français dans la fonction publique, et on constate une disparité dans les délais, dans la qualité des services qui sont rendus et dans le temps qu’il faut pour répondre à certains appels, selon qu’ils sont faits en français ou en anglais.
Il y a encore beaucoup à faire. Encore une fois, pour reprendre les mots du ministre Stéphane Dion, quand la tête est unilingue anglaise ou française, il y a de fortes chances pour que le corps soit tout aussi unilingue. Donc, il est important de le faire sur tous les plans, mais particulièrement sur celui de la tête.
J’ai une question complémentaire. Votre projet de loi traite de la Loi sur les compétences linguistiques. Vous avez parlé également de la Loi sur les langues officielles. Les parties V et VI de la Loi sur les langues officielles — et la partie IV aussi — traitent de la langue de travail et du droit des Canadiens et Canadiennes de travailler dans leur langue. Êtes-vous d’accord avec moi, sénateur Carignan, pour dire que, dans cette nouvelle version de la Loi sur les langues officielles qui est imminente, il sera extrêmement important pour tous de tenir compte de possibles modifications dans ces parties de la loi?
Je vous remercie de votre question. Oui, tout à fait, je ne veux pas déclencher un débat sur la future loi, mais il faudra assurément apporter des améliorations à de grandes parties de cette loi, et il faudra également accorder des pouvoirs plus coercitifs au commissaire aux langues officielles. Il y a un travail important à faire dans ce dossier.