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La Loi sur les compétences linguistiques

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat

14 décembre 2021


Propose que le projet de loi S-229, Loi modifiant la Loi sur les compétences linguistiques (lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick), soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui sur le projet de loi S-229, que j’ai déposé le 1er décembre dernier et qui a pour titre Loi modifiant la Loi sur les compétences linguistiques (lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick). Il s’agit essentiellement d’un projet de loi identique à mon projet de loi S-220, qui a trait au bilinguisme de la gouverneure générale, mais ce projet de loi concerne le bilinguisme du lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick.

Lorsque j’ai déposé le projet de loi S-220 le 24 novembre dernier, il y a eu une couverture médiatique importante. La journée même, un citoyen m’a fait parvenir un article de journal qui traitait d’un problème semblable relativement à la lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick, Mme Brenda Louise Murphy.

En 2019, sur la recommandation du premier ministre du Canada, le comité du Conseil privé a recommandé que soit émise, sous le grand sceau du Canada, une commission nommant Mme Brenda Louise Murphy lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick. Le lendemain, le premier ministre a annoncé sa nomination à titre de 32e lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick. Ce même jour, pendant une entrevue, la lieutenante-gouverneure a admis qu’elle était incapable de parler et de comprendre clairement les deux langues officielles du Nouveau-Brunswick.

Cette nomination est quelque peu passée sous le radar, ce qui a eu également pour effet que l’information est passée à peu près inaperçue au Sénat. Si j’avais eu cette information plus tôt, j’aurais probablement déposé un projet de loi afin de proposer que ces deux postes, ceux de gouverneur général et de lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick, soient ajoutés à la liste des hauts dirigeants qui doivent être obligatoirement bilingues, conformément à la Loi sur les compétences linguistiques.

Avec le recul, je crois maintenant qu’il est préférable d’en faire deux projets de loi distincts. Bien sûr, il y a de grandes similitudes quant aux enjeux de fond, eu égard au respect des langues officielles, mais puisque le Nouveau-Brunswick est la seule province du Canada qui est officiellement bilingue, des enjeux particuliers se dressent en ce qui a trait à la nomination d’une lieutenante-gouverneure unilingue pour cette province.

Tout d’abord, voyons ce que la Constitution nous dit sur le Nouveau-Brunswick. Dans le préambule de la Constitution de 1867, on indique que le Nouveau-Brunswick est partie prenante de ce nouveau pacte confédératif. Ainsi, le premier « considérant » se lit comme suit, et je cite :

Considérant que les provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont exprimé le désir de contracter une Union Fédérale pour ne former qu’une seule et même Puissance (Dominion) sous la couronne du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni […]

Par la suite, tout au long du texte constitutionnel, notamment dans la Charte des droits et libertés, on trouve des passages particuliers qui sont relatifs au Nouveau-Brunswick. Je crois qu’il n’est pas inutile d’énumérer les principaux.

(2) Le français et l’anglais sont les langues officielles du Nouveau-Brunswick; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions de la Législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick.

Communautés linguistiques française et anglaise du Nouveau-Brunswick

16.1(1) La communauté linguistique française et la communauté linguistique anglaise du Nouveau-Brunswick ont un statut et des droits et privilèges égaux, notamment le droit à des institutions d’enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion.

Ensuite, à l’article 18 :

Documents de la Législature du Nouveau-Brunswick

(2) Les lois, les archives, les comptes rendus et les procès-verbaux de la Législature du Nouveau-Brunswick sont imprimés et publiés en français et en anglais, les deux versions des lois ayant également force de loi et celles des autres documents ayant même valeur.

L’article 20 :

Communications entre les administrés et les institutions du Nouveau-Brunswick

(2) Le public a, au Nouveau-Brunswick, droit à l’emploi du français ou de l’anglais pour communiquer avec tout bureau des institutions de la législature ou du gouvernement ou pour en recevoir les services.

La Loi constitutionnelle de 1867 prévoit également que la reine est la détentrice des pouvoirs exécutifs du Canada. La reine est représentée au Canada par le gouverneur général et les lieutenants-gouverneurs de chaque province. Les lieutenants-gouverneurs provinciaux sont nommés par le gouverneur général en conseil.

Le gouverneur général « en conseil » est une expression référant au gouverneur général agissant sur l’avis du Conseil privé de la Reine pour le Canada. Selon les conventions constitutionnelles découlant des principes de la monarchie constitutionnelle et du gouvernement responsable, l’avis du Conseil privé de la Reine pour le Canada est, dans les faits, l’avis du premier ministre du Canada. Même si le terme « avis » est utilisé dans la Loi constitutionnelle de 1867, la convention constitutionnelle veut que le gouverneur général, détenteur du pouvoir formel, l’exerce conformément à l’avis des députés élus.

Selon la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, la nomination de Mme Brenda Louise Murphy est inconstitutionnelle. Je cite :

Dans le cas présent, l’avis du premier ministre recommandant à la gouverneure générale de nommer Mme Murphy à titre de lieutenante-gouverneure pour la province du Nouveau-Brunswick est incompatible avec les droits linguistiques constitutionnels protégés aux paragraphes 16(2), 18(2) et 20(2) et à l’article 16.1 de la Charte. Ni cet avis ni la nomination qui en résulte ne respectent la Constitution. Cette nomination est donc illégale.

Le Nouveau-Brunswick possède un régime constitutionnel en matière de droits linguistiques qui est tout à fait particulier et unique au pays. Les paragraphes 16(2), 17(2), 18(2), 19(2), 20(2) et l’article 16.1 de la Charte sont exclusivement consacrés aux droits linguistiques du Nouveau-Brunswick. L’ensemble de ces dispositions visent à protéger les droits des communautés linguistiques française et anglaise du Nouveau-Brunswick.

Ces dispositions et les droits linguistiques qu’elles confèrent doivent être considérés dans leur ensemble, mais aussi dans le contexte historique dans lequel ils ont été promulgués. Bien que le français soit parlé sur le territoire des provinces de l’Atlantique depuis 1604, les locuteurs francophones n’ont reçu aucune protection juridique de leur langue et de leur culture lors de la création du Nouveau-Brunswick en 1784. Aucun droit relatif à l’usage de la langue française dans les institutions étatiques du Nouveau-Brunswick n’a été consacré dans la Loi constitutionnelle de 1867, comme cela a été le cas pour l’anglais au Québec. La communauté linguistique française du Nouveau-Brunswick n’a pas eu cette chance. C’est plus de 100 ans après son union avec le Canada, lors du rapatriement de la Constitution en 1982, que le Nouveau-Brunswick a modifié cet état de fait. En 1982, le Nouveau-Brunswick a dû se soumettre à des obligations linguistiques qui surpassaient toutes celles qui existent pour les autres provinces canadiennes et même pour l’État fédéral.

Ces obligations ont été expressément promulguées afin de remédier au statu quo qui, en réalité, représentait une « situation de diglossie avancée » et une « dégradation culturelle » progressive pour la communauté linguistique française du Nouveau-Brunswick. Pour celles et ceux qui se poseraient la question, le mot « diglossie » désigne une situation de bilinguisme où l’une des deux langues parlées par un individu ou une communauté a un statut sociopolitique inférieur.

En 1982, la simple protection des droits acquis ou la défense des droits des minorités linguistiques n’aurait pas été suffisante pour réparer des centaines d’années de dommages. Cela aurait été trop peu, trop tard. C’est pourquoi la Constitution confère des protections visant à corriger une situation.

Lors du rapatriement de la Constitution canadienne en 1982, le Nouveau-Brunswick a assujetti ses institutions étatiques à une série d’obligations consacrant le bilinguisme institutionnel. Ces obligations sont de même nature que celles qui instituent le bilinguisme institutionnel à l’échelon fédéral, mais certaines sont plus robustes et confèrent une meilleure garantie de bilinguisme au Nouveau-Brunswick.

Il ressort de la Constitution que le lieutenant-gouverneur est le seul individu de l’État néo-brunswickois à constituer une partie unique, essentielle, irremplaçable et irréductible à la fois de l’exécutif et de la législature provinciale. L’exécutif et la législature du Nouveau-Brunswick sont soumis à plusieurs obligations en matière de bilinguisme prévues par la Charte canadienne des droits et libertés. Par ailleurs, ces deux institutions sont les deux seules institutions auxquelles la Charte confie expressément le rôle de promouvoir l’égalité des deux communautés linguistiques officielles du Nouveau-Brunswick.

Je l’ai mentionné la semaine dernière, le gouvernement reconnaît que le français recule au pays. Dans son document de présentation de la nouvelle loi sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles, la ministre Joly, qui était alors responsable des langues officielles, a affirmé ceci, et je cite :

Le gouvernement fédéral doit agir dans ses champs de compétence afin de répondre aux préoccupations des francophones au Québec et au pays, de protéger et promouvoir la langue française et de renforcer le sentiment de sécurité linguistique. […]

L’État fédéral doit jouer un rôle de premier plan en matière de bilinguisme. Les juges nommés à la Cour suprême doivent être bilingues, le rôle de CBC/Radio-Canada en tant qu’institution culturelle doit être consolidé et les pouvoirs du commissaire aux langues officielles doivent être renforcés. La fonction publique, point de contact privilégié des Canadiens avec leur gouvernement fédéral, doit aussi donner l’exemple.

La ministre soulignait que le gouvernement doit agir en fonction de ses champs de compétences pour protéger et promouvoir la langue française, ainsi que renforcer le sentiment de sécurité linguistique. Or, la nomination d’un lieutenant-gouverneur pour le Nouveau-Brunswick correspond entièrement au champ de compétences du gouvernement fédéral. Alors, comment expliquer qu’il ait décidé de nommer une personne qui éprouve beaucoup de difficultés à s’exprimer en français au poste de lieutenant-gouverneur pour la seule province du Canada qui soit officiellement bilingue?

En définitive, je crois que la solution pour éviter qu’une telle dérive ne se reproduise est de modifier la Loi sur les compétences linguistiques afin d’y ajouter le poste de lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick à titre de haut dirigeant qui doit obligatoirement être bilingue.

Lorsque j’ai prononcé mon allocution à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-220 sur le gouverneur général, j’ai longuement épilogué sur les arguments qui militent pour que le gouverneur général du Canada soit bilingue et sur la logique d’utiliser la Loi sur les compétences linguistique afin de baliser les nominations de gouverneurs généraux dans un contexte de bilinguisme. Je ne reprendrai pas un à un mes arguments dans le cas du poste de lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick, mais je tiens à affirmer qu’ils s’y appliquent également sans la moindre distinction.

De plus, les exigences constitutionnelles spécifiques au Nouveau-Brunswick en ce qui a trait à son bilinguisme institutionnel militent à plus forte raison pour une inclusion du lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick dans la liste des hauts dirigeants qui doivent être bilingues lors de leur nomination dans la Loi sur les compétences linguistiques.

D’ailleurs, à la suite de la nomination de Mme Brenda Murphy au poste de lieutenante-gouverneure, plusieurs plaintes ont été présentées au commissaire aux langues officielles. Ce dernier, dans son rapport d’enquête qui a été rendu public par Radio-Canada la semaine dernière, concluait qu’il n’y avait pas eu de contravention à la Loi sur les langues officielles, car le Bureau du Conseil privé, institution fédérale soumise aux dispositions de la Loi sur les langues officielles, n’avait pas eu à intervenir dans le choix de la nouvelle lieutenante-gouverneure. Cette décision a été recommandée au premier ministre par le Cabinet du premier ministre qui, lui, n’est pas reconnu comme une institution fédérale au sens de la Loi sur les langues officielles et n’est donc pas soumis à ses dispositions.

Néanmoins, dans son rapport, le commissaire aux langues officielles formule ce constat et cette recommandation. Je le cite :

L’enjeu de la connaissance des deux langues officielles n’a manifestement pas été un prérequis au moment de la nomination, bien qu’il s’agisse d’un facteur habituellement pris en considération lors du processus de nomination, tout comme celui de la diversité et des antécédents professionnels. Si cet enjeu de la connaissance des deux langues officielles a été discuté, comme le confirme le Bureau du Conseil Privé, force est de constater qu’il n’a pas été retenu. La question de la connaissance des deux langues officielles a été abordée lorsque le BCP a communiqué avec la candidate désignée. Cette dernière se serait alors engagée à parfaire ses connaissances en français […]

Fort de cette collaboration étroite qui existe entre le Bureau du Conseil Privé et le Cabinet du premier ministre, j’encourage fortement le BCP à profiter pleinement de cette relation de travail avec le CPM et à tirer parti de son rôle d’appui, d’orientation et de prestation de conseils au premier ministre afin d’insister sur le caractère particulier et unique du Nouveau-Brunswick au chapitre de la dualité linguistique et de le défendre lors de futures nominations de ce genre dans la province. Le paragraphe 16(2) de la Charte canadienne des droits et libertés reconnaît que le français et l’anglais sont les langues officielles du Nouveau-Brunswick et cette reconnaissance fut inscrite dans cette dernière à la demande expresse de la province.

Toujours lors de mon discours sur le projet de loi S-220 concernant le bilinguisme du gouverneur général, je soulignais l’article 12 de la Constitution canadienne qui donne clairement le pouvoir au Parlement de modifier, par une simple loi, les pouvoirs de nomination du gouverneur général. Cet article se lit ainsi, et je cite :

Tous les pouvoirs, attributions et fonctions qui, […] sont conférés aux gouverneurs ou lieutenants-gouverneurs […] seront […] conférés au gouverneur-général et pourront être par lui exercés, […] mais ils pourront, néanmoins […] être révoqués ou modifiés par le parlement du Canada.

À la suite du dépôt de mes deux projets de loi visant à modifier la Loi sur les compétences linguistiques afin d’y ajouter le gouverneur général et le lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick, l’éminent professeur Benoît Pelletier, grand juriste, constitutionnaliste et professeur au département de droit de l’Université d’Ottawa, a fait paraître un texte très intéressant dans le journal Le Droit du 11 décembre dernier.

J’attire votre attention sur ce passage du texte du professeur Pelletier, et je cite :

Il n’empêche que la nomination de Mary Simon en dit long sur le peu d’importance qu’accordent souvent les autorités fédérales à la langue française, bien que tout le monde se réjouisse qu’une Autochtone devienne, pour la première fois, cheffe de l’État canadien.

Parlant justement de Mary Simon, c’est sa méconnaissance de l’une des deux langues officielles du Canada qui a motivé le sénateur Claude Carignan à proposer des modifications à la Loi sur les compétences linguistiques — une loi datant de 2013 — afin d’obliger quiconque qui aspire à devenir gouverneur général du Canada ou lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick à parler et comprendre clairement le français et l’anglais. Nous ne pouvons que saluer cette initiative. Par ces modifications à une loi, on pourrait effectivement limiter la discrétion ou la prérogative du premier ministre canadien […]

Honorables sénateurs, j’attire particulièrement votre attention sur ce passage de l’article du professeur Pelletier, et je cite :

Si cette discrétion ou prérogative est bel et bien de nature constitutionnelle, il n’en reste pas moins qu’elle découle de conventions, lesquelles ne sont pas des règles de droit à proprement parler. Une loi, bien qu’ordinaire, peut très bien déroger à pareilles conventions constitutionnelles, ces dernières n’étant pas sanctionnables par les cours de justice.

Essentiellement, le projet de loi S-229 comprend deux dispositions. La première vise à apporter une modification à la Loi sur les compétences linguistiques afin d’ajouter le poste de lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick à la liste des hauts dirigeants du pays qui doivent obligatoirement être bilingues au moment de leur nomination, et la seconde disposition est une mesure de coordination. Elle tient compte du fait qu’un autre projet de loi, le projet de loi S-220, vise également à modifier la Loi sur les compétences linguistiques et elle donne des instructions quant à la marche à suivre dans le cas où l’un de ces projets de loi serait adopté avant l’autre.

En conclusion, honorables sénateurs, je répète que nous avons la responsabilité constitutionnelle de protéger les minorités au Canada. Aujourd’hui, nous sommes devant une situation qui nous demande certainement d’assumer cette responsabilité constitutionnelle.

Je vous invite donc, honorables sénateurs, à appuyer le projet de loi S-229 à l’étape de la deuxième lecture afin qu’il soit étudié en comité.

Je vous remercie.

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