Projet de loi favorisant l’identification de criminels par l’ADN
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat
29 mars 2022
Propose que le projet de loi S-231, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le casier judiciaire, la Loi sur la défense nationale et la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je prends aujourd’hui la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-231, dont le titre abrégé est Loi favorisant l’identification de criminels par l’ADN.
Il s’agit de la nouvelle version du projet de loi S-236, dont l’étude a cessé au déclenchement des élections et qui est mort au Feuilleton. Je précise que mon discours du 23 juin 2021, que j’ai prononcé à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-236, est utile pour bien comprendre le projet de loi S-231. En effet, ces deux projets de loi sont semblables et reposent sur le même objectif.
Le projet de loi S-231 renforcera la sécurité publique et facilitera la recherche de la vérité, ce qui est l’objectif des procès criminels. Il permettra de conclure plus rapidement et plus efficacement les enquêtes policières et les litiges criminels au moyen de l’identification par les empreintes génétiques.
En fait, les développements scientifiques ayant trait à l’ADN permettent de distinguer une personne d’une autre avec une très grande précision. L’usage de cette technologie, qui est bien implantée au Canada, a permis d’accroître l’exactitude de la preuve d’identification de personnes ayant commis des crimes. Cela a aussi l’avantage de prévenir des erreurs judiciaires en disculpant des suspects innocents.
Pour vous donner une idée de la précision d’une preuve d’identification par l’ADN, je vous donne un exemple provenant de l’arrêt R. c. Cartier de 2015, de la Cour d’appel du Québec. Il s’agissait d’une affaire de double meurtre. Une preuve avait démontré que le profil génétique du délinquant avait été retrouvé à l’intérieur d’une cagoule dans un véhicule utilisé par les assaillants. Cette preuve établissait que la probabilité de retrouver un tel profil chez une autre personne que le délinquant était de l’ordre de une sur 300 milliards.
Avant de vous décrire les dispositions du projet de loi S-231, je vais vous expliquer le processus qui permet aux policiers d’identifier un individu par son ADN, pour montrer l’efficacité du projet de loi et les solides protections qu’il offre sur le plan de la vie privée.
Le processus d’identification par l’ADN est très bien expliqué dans le rapport annuel de 2020-2021 de la Gendarmerie royale du Canada sur les activités de la Banque nationale de données génétiques.
Depuis 2000, cette banque étatique a recueilli et gère des centaines de milliers de profils d’ADN provenant notamment de scènes de crime et de personnes qui ont été condamnées. En effet, au 31 décembre 2021, la banque contenait 422 067 profils dans son fichier des condamnés et 193 053 profils dans le fichier criminalistique contenant des profils provenant de scènes de crime.
Le fonctionnement et la gestion des données de cette banque sont régis par la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques, tandis que le Code criminel prévoit dans quels cas un individu doit se soumettre à une ordonnance de prélèvement d’ADN. Il s’agit de deux des lois que propose de modifier le projet de loi S-231.
Le rôle que joue la banque est inestimable, comme l’a mentionné la Cour d’appel de l’Ontario au paragraphe 82 de l’arrêt R. c. K.M., et je cite :
[...] l’importance de l’objectif de l’État en mettant en œuvre le régime législatif de la banque de données génétiques, en ce qui concerne les jeunes contrevenants et les adultes, peut difficilement être mise en doute. En effet, je dirais que sa valeur est inestimable dans les cas où la [Banque nationale de données génétiques] facilite l’arrestation d’un prédateur sexuel en série ou la disculpation d’une personne qui a été accusée à tort.
La banque, qui contient des profils de contrevenants adultes ou adolescents, fonctionne de cette façon. Chaque nouveau profil d’ADN qui est ajouté à la banque est comparé aux autres profils qui y figurent déjà. Ces comparaisons permettent de trouver des correspondances entre les profils afin d’identifier l’auteur d’une infraction criminelle. Il peut y avoir une correspondance lorsque le profil d’ADN issu de deux scènes de crimes différentes concorde, ou encore lorsque le profil d’une scène de crime correspond au profil d’une personne qui est condamnée et fichée.
Lorsqu’une comparaison des profils de la banque révèle une correspondance, cela donne une piste précieuse aux forces policières, qui peuvent alors poursuivre leur enquête. Dans de nombreuses affaires criminelles graves, cela peut permettre de relancer une enquête qui était non résolue depuis plusieurs années.
Il faut savoir qu’il existe au Canada des centaines de meurtres non élucidés. À elle seule, la Sûreté du Québec compte 750 dossiers de ce type, selon un article du journaliste Daniel Renaud publié le 13 novembre dernier. De son côté, la GRC a, dans un rapport de 2015, recensé 204 affaires connues et non résolues d’homicides ou de disparitions de femmes et de jeunes filles autochtones, pour un total de 106 homicides et 98 disparitions.
Toutefois, ce nombre pourrait être beaucoup plus élevé, selon le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Imaginez le nombre de familles qui pourraient trouver un certain sentiment de justice ou cheminer dans leur deuil si le meurtrier était enfin identifié et traduit devant les tribunaux. C’est exactement ce que le projet de loi permettrait de faire, en donnant plus de moyens aux forces policières de trouver des correspondances dans la banque.
Concrètement, l’usage de la banque a contribué à résoudre des milliers d’enquêtes. Selon son rapport annuel, la banque a obtenu 66 539 correspondances entre une personne condamnée et une scène de crime et 7 211 correspondances entre deux scènes de crimes. Des milliers de ces correspondances ont été établies pour des affaires d’homicides, en fait, plus de 4 000, et d’infractions sexuelles, soit près de 7 000. Il s’agit donc de crimes sérieux qui mettent à risque la sécurité du public et des individus.
La banque sera encore plus efficace si le Code criminel est modifié pour faire en sorte que plus d’infractions entraînent l’obligation pour les personnes reconnues coupables de fournir des profils d’identification génétique, ce que le projet de loi S-231 propose.
La logique est la suivante : si une personne est obligée de fournir un échantillon d’ADN à la suite d’une infraction criminelle, même s’il s’agit d’une infraction moins grave, cet échantillon pourrait contribuer à résoudre des enquêtes précédentes ou subséquentes pour des crimes plus graves commis par la personne.
Voici deux statistiques du rapport annuel de la banque qui le prouvent. D’abord, l’infraction de voies de fait simple a mené à près de 600 correspondances dans des affaires de meurtres et à près de 1 400 dans des affaires d’agressions sexuelles. Puis, les infractions de manquement à des conditions de libération provisoire ou d’omission à comparaître à la cour et d’autres infractions prévues à l’article 145 du Code criminel ont mené à 247 correspondances dans des affaires de meurtres ou d’agressions sexuelles.
Cela dit, étant donné que l’ADN contient beaucoup d’informations personnelles, l’identification d’une personne par son ADN est très encadrée par la Banque nationale de données génétiques. Par exemple, le profil d’une personne dans la banque est établi uniquement à partir d’une fraction de l’ADN, ce qui signifie qu’aucun renseignement de nature médicale ou physique n’est alors révélé sur la personne, à part le sexe biologique.
Pour illustrer mon propos, je pourrais résumer en disant qu’une fraction d’ADN dans la banque, c’est comme si je vous demandais de noter, sur une feuille de papier, uniquement la première lettre de chaque paragraphe d’un livre. Cette très longue série de lettres constituerait, en soi, une information anonyme qui ne permettrait pas de savoir qui est l’auteur du livre ou de comprendre l’histoire que le livre contient. Toutefois, cette série de lettres représenterait une identification unique au livre, car un livre différent aurait une série de lettres complètement différente.
De plus, le fonctionnement de la banque fait en sorte que ses employés ignorent le nom des personnes condamnées dont un échantillon d’ADN se trouve dans la banque. Par ailleurs, les policiers n’ont pas non plus accès aux échantillons d’ADN qui s’y trouvent. Autrement dit, le nom de la personne et son échantillon d’ADN sont séparés de la création de son profil génétique dans la banque.
Comme l’a indiqué la Cour d’appel de l’Ontario au paragraphe 46 de l’arrêt R. c. K.M. :
La trousse de prélèvement d’ADN contient deux parties, l’une avec l’échantillon d’ADN et l’autre avec les informations d’identification du contrevenant. Les deux parties de la trousse portent le même numéro de code à barres unique [...]. Lorsque le kit arrive à la banque de données, les deux formulaires sont séparés : l’échantillon est conservé par la banque de données et le formulaire d’identification est envoyé au service des archives de la Gendarmerie royale du Canada. À partir de ce moment, le traitement de l’échantillon à la banque de données est anonyme. L’identité du donneur reste inconnue et aucune information personnelle n’est conservée ou saisie dans une base de données génétiques.
Dans ses arrêts, la Cour suprême du Canada a donné d’autres exemples de mesures de protection de la vie privée des personnes qui ont un échantillon d’ADN dans la banque. La cour a expliqué que, lorsqu’il y a une correspondance dans la banque entre une personne condamnée et une scène de crime, les policiers ne peuvent pas avoir accès et mettre en preuve l’échantillon d’ADN provenant de la banque au procès. Ils doivent plutôt obtenir un nouvel échantillon auprès de la personne, en récupérant par exemple un article abandonné contenant son ADN ou en demandant à un juge de délivrer un mandat pour faire un prélèvement corporel sur cette personne. Les conditions d’obtention de ce mandat, qui sont énoncées à l’article 487.05 du Code criminel, sont rigoureuses.
Dans ce contexte, la cour a conclu, dans l’arrêt R. c. S.A.B., que le prélèvement corporel obtenu en vertu de ce mandat représente une atteinte relativement faible à l’intégrité de la personne.
Dans la même veine, la cour a conclu, dans l’arrêt R. c. Rodgers, que les protections légales liées à la banque font en sorte que la perte, sur le plan de la vie privée, d’une personne condamnée qui doit fournir un échantillon d’ADN se compare à celle de la personne qui doit fournir ses empreintes digitales aux policiers lors de son arrestation.
Comme l’explique le rapport annuel de la banque, la collecte des échantillons corporels pour obtenir l’ADN s’effectue par des méthodes très peu intrusives. Il existe trois types de trousses de prélèvement conçues spécialement pour la banque. La première trousse, qui est utilisée dans 98 % des cas, permet de prélever quelques gouttelettes de sang par une piqûre au bout du doigt. Les deux autres trousses permettent le frottis à l’intérieur de la bouche ou le prélèvement de six à huit cheveux.
On peut trouver une autre protection pour ce qui est des informations contenues dans la banque à l’article 487.08 du Code criminel et à l’article 11 de la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques. Ces articles rendent passibles d’accusations criminelles des policiers ou des fonctionnaires qui feraient un usage non autorisé des informations et des échantillons d’ADN de la banque.
Comme vous pouvez le constater, les échantillons d’ADN et les renseignements personnels sont bien protégés dans la banque. Le projet de loi S-231 ne modifie pas ces protections qui sont importantes pour le respect de la vie privée : il vise plutôt et surtout à augmenter les possibilités d’obtenir des correspondances.
Pour ce faire, le projet de loi propose d’augmenter le nombre d’infractions qui obligent le tribunal à ordonner à la personne condamnée de fournir un échantillon d’ADN à la banque. Cette disposition du projet de loi a reçu l’appui du comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques.
En conséquence, le projet de loi S-231 vise à augmenter le nombre d’infractions criminelles pour lesquelles on pourra prélever un échantillon d’ADN et à le limiter, et ce, afin d’éviter les cas où il n’y a que des poursuites par exposé sommaire. En conséquence, je vous demande d’appuyer le projet de loi S-231.