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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Débat

21 novembre 2023


Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-48, dont le titre abrégé est la Loi modifiant le Code criminel (réforme sur la mise en liberté sous caution).

Ce projet de loi a été déposé pour répondre aux préoccupations des Canadiens, des premiers ministres provinciaux et territoriaux, ainsi que des organisations policières. À juste titre, ceux-ci s’inquiètent des nombreux incidents violents survenus récemment, dont plusieurs ont été commis avec des armes par des récidivistes qui étaient en liberté sous caution.

À titre d’exemple, les Canadiens se souviendront de Karolina Huebner-Makurat, dont la vie a été fauchée en 2023 à Toronto par une balle perdue. L’un des auteurs de la fusillade avait un lourd casier judiciaire et il était en mise en liberté sous caution pour d’autres infractions.

Ils se souviendront aussi de la mort tragique d’Osama Ali à Edmonton. Ce jeune homme de 21 ans a été abattu en juin 2023 par un homme qui était en liberté provisoire et en attente de la détermination de sa peine pour un homicide involontaire coupable commis en 2020. L’auteur du crime avait enlevé son bracelet GPS, qui était l’une de ses conditions de libération, et il était en cavale lorsqu’il a tué M. Ali.

Au cours de l’étude du projet de loi C-48, nous avons malheureusement entendu parler d’autres exemples récents de récidivistes en matière d’infractions violentes mettant le public en danger.

N’oublions pas la sergente de la Sûreté du Québec Maureen Breau, qui a été tuée en fonction en mars 2023, quand elle a été poignardée par un individu au moment où elle procédait à son arrestation. Je cite le journal Le Devoir :

L’homme [...] avait des antécédents criminels, notamment pour des actes violents commis dans le passé [...] avait aussi été déclaré criminellement non responsable de ses gestes pour cause de troubles mentaux à quelques reprises et avait été hospitalisé.

Bien que j’appuie ce projet de loi, je déplore le fait qu’il n’aille pas assez loin pour protéger les Canadiens des personnes accusées d’infractions avec violence ou avec une arme à feu et qui posent un risque important de récidive si elles obtiennent leur libération sous caution. La commission chargée des infractions graves commises par des personnes en liberté provisoire met non seulement le public en danger, mais elle est également susceptible de porter grandement atteinte à la confiance des Canadiens dans l’intégrité du système de mise en liberté sous caution.

Je rappelle que la principale mesure du projet de loi C-48 consiste à imposer aux prévenus dans un plus grand nombre de situations, au moment de l’enquête sur le cautionnement, le fardeau de prouver au juge que leur libération avant procès est justifiée. Cette mesure contenue dans le projet de loi n’a rien de révolutionnaire.

En effet, la Cour suprême du Canada a, il y a plus de 30 ans, confirmé la constitutionnalité de la mesure visant à imposer aux prévenus, au moment de l’enquête sur cautionnement, le fardeau de la preuve pour justifier la libération avant procès d’un individu récidiviste ou d’une personne accusée d’un crime grave mettant en jeu la sécurité du public.

Dans l’arrêt R. c. Morales de 1992, la Cour suprême a jugé constitutionnel le sous-alinéa 515(6)a)(i) du Code criminel, qui vise tout individu récidiviste accusé d’avoir commis un acte criminel pendant qu’il était en liberté provisoire relativement à un autre acte criminel.

Dans l’arrêt R. c. Pearson, qui a été prononcé le même jour que l’arrêt Morales, la Cour suprême a jugé conforme à la Charte l’alinéa 515(6)d) du Code criminel, qui est le fardeau imposé à une personne accusée de trafic de drogues.

Le projet de loi C-48 ne propose donc rien de bien nouveau. Il vient simplement ajouter d’autres types de récidives et d’infractions graves pour lesquels le prévenu porte le fardeau de la preuve au moment de l’enquête sur le cautionnement pour justifier sa libération.

Je souscris à ces mesures, mais je les trouve timides. Plus particulièrement, je déplore que ce projet de loi omette d’inclure une série d’infractions intrinsèquement très graves pour lesquelles il me semble évident que l’accusé doit porter le fardeau de prouver que sa libération est justifiée. Je vous ai d’ailleurs donné plusieurs exemples dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture de ces infractions qui auraient dû, selon moi, être incluses dans le projet de loi C-48.

Voici deux autres exemples d’infractions non couvertes par le projet de loi C-48 qui m’ont été signalées par des policiers à la suite de mon discours à l’étape de la deuxième lecture.

La première est l’infraction de voies de faits graves contre un policier prévue à l’article 270.02 du Code criminel. Quiconque commet cette infraction est passible d’un emprisonnement maximal de 14 ans.

Le second exemple est l’infraction prévue à l’article 85 du Code criminel, concernant l’usage d’une arme à feu lors de la perpétration d’une infraction ou lorsque l’accusé fuit après avoir commis une infraction. Signe de la gravité de cette infraction, elle est passible d’une peine maximale de 14 ans d’emprisonnement et, ce qui est assez rare en droit criminel, elle exige que la peine imposée soit purgée de façon consécutive à toute autre peine.

Par ailleurs, en 2007, la Cour suprême du Canada a exprimé, dans l’arrêt R. c. Steele, que cette infraction a été créée pour endiguer la prolifération des crimes liés aux armes à feu. La Cour suprême estime que l’objectif du législateur, en adoptant l’article 85, était de « [...] prévenir le risque de préjudice corporel grave ou de décès lié à l’utilisation d’une arme à feu [...] ». Puis, elle a ajouté ce qui suit : « L’utilisation d’une arme à feu lors de la perpétration d’un crime en exacerbe l’effet terrorisant [...] ».

Je trouve donc illogique qu’une infraction aussi dangereuse que celle prévue à l’article 85 ne soit pas visée par le projet de loi C-48. Dans ce contexte, le communiqué de presse que le ministère de la Justice a publié le 16 mai 2023 disait ce qui suit :

Il importe de réagir aux défis que posent […] les armes à feu et les autres armes dangereuses dans notre système de mise en liberté sous caution.

Pour toutes les infractions graves avec violence qui ne sont pas couvertes par le projet de loi C-48, la loi actuelle restera donc la même, ce qui signifie que les personnes accusées de ces infractions doivent être remises en liberté avant leur procès dans les conditions de libération les moins sévères possibles, sauf si le procureur de la Couronne peut prouver au juge que la détention ou des conditions plus sévères sont justifiées.

Dans un autre ordre d’idées, je ne crois pas du tout que le gouvernement actuel ait réussi, ces dernières années, à rassurer les Canadiens face aux crimes commis au moyen d’armes à feu. Son approche sur cette question est contradictoire.

D’un côté, le gouvernement propose, dans le projet de loi C-48, d’ajouter quatre infractions graves en matière d’armes à feu qui entraînent un renversement de fardeau au moment de l’enquête sur cautionnement.

D’un autre côté, ce même gouvernement, en adoptant son projet de loi C-5, a permis, pour trois de ces quatre infractions, que les délinquants purgent leur peine dans la collectivité. Il s’agit des infractions prévues aux articles 95, 98 et 98.1 du Code criminel, soit l’infraction de possession d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte avec des munitions, l’infraction d’introduction par effraction pour voler une arme à feu et l’infraction de vol qualifié visant une telle arme à feu.

Pour les personnes ayant commis ces trois infractions graves, le gouvernement propose donc, au moyen du projet de loi C-48, de rendre plus difficile d’être libérées avant leur procès. En revanche, une fois qu’elles ont été déclarées coupables de ces mêmes infractions, hors de tout doute raisonnable, le projet de loi C-5 permet qu’elles purgent leur peine à la maison plutôt qu’en prison.

Je ne crois pas être le seul à trouver inquiétante et incongrue cette approche incohérente et contradictoire du gouvernement.

Par ailleurs, je souhaite vous exprimer mon désaccord relativement à la décision du comité sénatorial de rejeter la proposition d’amendement du sénateur Boisvenu. Son amendement visait la mesure du projet de loi C-48 proposant d’imposer le fardeau de la preuve à l’enquête sur cautionnement à la personne qui aurait commis une récidive d’une infraction avec l’usage d’une arme.

Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-48 exige que le prévenu prouve au juge que sa libération est justifiée lorsqu’il est accusé d’avoir commis une infraction violente à l’aide d’une arme, s’il a été condamné pour une infraction du même type au cours des cinq dernières années. Ces deux infractions doivent être passibles d’un emprisonnement de 10 ans ou plus pour l’application de cette inversion du fardeau de la preuve, et la personne doit être poursuivie par mise en accusation.

La proposition d’amendement du sénateur Boisvenu, qui a été rejetée par le comité, aurait remplacé la durée de la limite de 5 ans par une durée de 10 ans. Le sénateur Boisvenu proposait ainsi de corriger une incohérence dans le projet de loi C-48 qu’a d’ailleurs signalée l’Association canadienne des chefs de police.

En effet, un représentant de l’association, Me Jason Fraser, a expliqué ce problème durant son témoignage au comité sénatorial. Il a dit ce qui suit, et je cite :

Lorsque nous parlons de délinquants violents dangereux, nous parlons d’un petit sous-groupe de la population qui cause énormément de torts, et dans certains cas, ces délinquants sont condamnés à de longues peines d’emprisonnement, pour ensuite être libérés et récidiver. La limite de cinq ans créerait une situation où quelqu’un pourrait passer cinq ans en prison puis sortir, et cette infraction ne serait pas visée par cette disposition.

Avec cette limite arbitraire de cinq ans, nous courrons le risque de ne pas viser les infractions mêmes que nous voulons inclure.

À l’étape de l’étude article par article du comité sénatorial, la fonctionnaire de Justice Canada, Me Shannon Davis-Ermuth, a admis que la rédaction actuelle du projet de loi C-48 pourrait faire en sorte qu’un délinquant qui purgerait une longue peine de prison, par exemple une peine de 10 ans, ne serait pas visé par l’inversion du fardeau de la preuve prévue dans le projet de loi C-48, et ce, même s’il commettait une infraction armée dès sa sortie de prison.

Pour remédier à ce problème, je vous propose d’adopter aujourd’hui un amendement au projet de loi C-48. Je rappellerai d’emblée que ce projet de loi doit retourner à l’autre endroit, afin que les députés étudient les amendements adoptés par le comité sénatorial et l’amendement du sénateur Boisvenu, qui a été adopté au Sénat à l’étape de la troisième lecture.

Plutôt que d’augmenter la limite de 5 ans à 10 ans, comme l’a proposé le sénateur Boisvenu, mon amendement propose de préciser cette limite de 5 ans lorsqu’un délinquant purge une peine de prison. Mon amendement ne change pas le type d’infractions armées visées par cette inversion du fardeau de la preuve prévue dans le projet de loi C-48. Cette inversion — je le répète — s’applique lorsqu’un délinquant a été condamné pour une infraction commise contre une personne à l’aide d’une arme, qui est une infraction punissable d’une peine maximale de 10 ans ou plus d’emprisonnement, et qu’il est encore accusé d’avoir commis une telle infraction.

Mon amendement a uniquement pour effet que le délai de cinq ans entre ces deux infractions, prévu actuellement au projet de loi C-48, ne commence pas à avoir effet tant que le délinquant n’a pas fini de purger sa peine d’emprisonnement pour une telle infraction.

Mon amendement a donc l’avantage d’être ciblé. En effet, il vient seulement ajouter, à cette mesure liée à l’inversion du fardeau de la preuve prévue au projet de loi C-48, les délinquants qui purgent une peine de prison supérieure à cinq ans.

Si mon amendement n’est pas adopté, ces délinquants, qui récidivent après avoir purgé une peine de prison aussi longue pour une infraction armée, n’auront pas le fardeau de prouver au juge que leur libération sous condition est justifiée.

En effet, lorsqu’une personne purge une peine de plus de cinq ans de prison, elle est actuellement exclue de l’inversion du fardeau de la preuve prévue au projet de loi C-48 si elle commet une récidive en matière d’infraction armée, car la limite de cinq ans entre les deux infractions aura expiré avant sa sortie de prison. Une telle exclusion est illogique, puisque les délinquants qui purgent une peine de plus cinq ans de pénitencier sont plus susceptibles de poser une menace plus grande pour la sécurité publique que les délinquants qui purgent des peines plus courtes.

Cette exclusion est non seulement incohérente, mais elle pose un risque important pour la sécurité publique, en plus d’être susceptible de miner la confiance du public dans le système de libération sous condition.

Dans les faits, mon amendement ne ciblera que des délinquants qui ont été condamnés à des infractions armées très graves, car des peines d’emprisonnement de cinq ans de prison sont considérées par les tribunaux canadiens comme très sévères. En pratique, des peines de pénitencier aussi longues ne sont pas imposées lorsque les circonstances de l’infraction sont jugées comme peu graves ou lorsqu’elles sont imposées à des délinquants qui ont peu d’antécédents judiciaires.

Puisque mon amendement cible les délinquants les plus sérieux et les plus dangereux en matière de violence armée, il répond précisément aux problèmes auxquels vise à s’attaquer le projet de loi C-48, soit, et je cite le préambule du projet de loi :

que les actes de violence répétés, les crimes graves commis avec des armes à feu ou d’autres armes […] ont tous un impact négatif sur les victimes et les collectivités et peuvent saper la sécurité du public et la confiance dans le système de justice pénale;

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