Aller au contenu

La Loi sur Investissement Canada

Projet de loi modificatif--Troisième lecture

22 mars 2024


L’honorable Clément Gignac [ + ]

Propose que le projet de loi C-34, Loi modifiant la Loi sur Investissement Canada, soit lu pour la troisième fois.

— Honorables sénateurs, c’est avec plaisir que je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-34, Loi modifiant la Loi sur Investissement Canada.

Au cours des 45 minutes qui suivent, je ferai de mon mieux pour vous convaincre, ainsi que toute personne qui n’a pas encore tranché sur la question, d’appuyer ce projet de loi.

Je plaisante, chers collègues.

Mon intervention sera d’une durée maximale de 28 minutes. Je serai très respectueux.

J’aimerais discuter brièvement des raisons pour lesquelles ce projet de loi devrait être adopté par le Sénat. Avant d’aller plus loin, j’aimerais tout d’abord remercier tous mes collègues du Comité des banques, du commerce et de l’économie ainsi que le porte-parole du projet de loi, le sénateur Carignan, de leur implication lors de l’examen de ce projet de loi. Je dis un merci tout spécial à ma collègue du Groupe progressiste du Sénat, la sénatrice Bellemare, ainsi qu’à la présidente du comité, la sénatrice Wallin, pour leur flexibilité et leurs précieux conseils sur la marche à suivre pour annexer plusieurs observations rédigées dans les deux langues officielles au moment de l’étude article par article du projet de loi au comité hier midi, soit quelques heures à peine avant le dépôt officiel de ce rapport dans cette Chambre, hier après-midi. Ce fut pour moi une belle expérience du processus législatif et de la logistique des travaux au Sénat, pour faire du Sénat une assemblée plus agile et plus efficace.

Chers collègues, la Loi sur Investissement Canada est un outil important dont la portée est vaste. Cette loi permet au Canada de réagir aux menaces changeantes qui sont susceptibles de découler des investissements étrangers, tout en protégeant l’ouverture du Canada aux investissements internationaux bénéfiques.

Le Canada est un endroit déjà très attrayant pour les investissements étrangers, comme en font foi les dernières statistiques disponibles pour l’année 2023. En effet, le Canada s’est classé au troisième rang des pays de l’OCDE en matière d’investissements directs étrangers en dollars, derrière les États‑Unis et le Brésil. Donc, par habitant, le Canada est le numéro un.

Malgré ce succès, il faut s’ajuster, car le monde a changé depuis 15 ans et nous assistons à une plus grande fragmentation du commerce mondial. En tant que pays membre du G7, membre du Groupe des cinq — mieux connu sous le nom de Five Eyes —, et surtout principal partenaire commercial — et militaire, dans le cas du NORAD — de nos voisins américains, nous ne pouvons pas ignorer les éléments relatifs à la sécurité nationale. Nous pouvons nous montrer nostalgiques de l’ère de libéralisation du commerce sans entraves des décennies précédentes, mais nous ne vivons pas au pays des licornes.

Nous devons nous montrer particulièrement vigilants par rapport à certains projets d’investissements en provenance de certains pays autocratiques pouvant cacher des intentions malveillantes.

C’est une raison supplémentaire pour laquelle nous avons besoin d’une législation à jour offrant de la clarté et de la prévisibilité aux investisseurs étrangers.

Notre pays a besoin d’investissements directs étrangers et du commerce international pour permettre aux Canadiens de maintenir leur niveau de vie et de financer leurs programmes sociaux. C’est pourquoi le gouvernement a choisi d’adopter une approche équilibrée et il devra continuer de se montrer pragmatique en prenant des mesures relatives aux véritables questions de sécurité nationale.

En contrepartie, le Canada devra se montrer vigilant et lutter contre des mesures purement protectionnistes qui introduisent des barrières économiques sous l’étiquette de la sécurité nationale. Je fais allusion ici aux tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium canadiens qui ont été imposés par nos voisins du Sud sous le prétexte d’assurer la sécurité nationale. En même temps, il est essentiel que la loi soit modernisée afin de s’adapter à ces nouvelles menaces.

Le Canada demeure une économie ouverte qui fait l’envie du monde, mais notre pays est aussi, de plus en plus, la cible d’acteurs hostiles.

Honorables sénateurs et sénatrices, ces dernières années, nos alliés, comme le Groupe des cinq, se sont équipés de leurs propres régimes modernes. Cette mise à jour de la Loi sur Investissement Canada donnera de nouveaux outils aux autorités en place afin d’empêcher des acteurs hostiles d’exploiter l’expertise et la capacité d’innovation du Canada.

Par exemple, la nouvelle exigence de dépôt préalable à la mise en œuvre garantira que le Canada exerce une surveillance accrue sur les investissements dans certains secteurs critiques, en particulier ceux qui donnent aux investisseurs étrangers un accès matériel à la propriété intellectuelle de pointe et aux secrets commerciaux une fois l’investissement finalisé.

De plus, le nouveau pouvoir ministériel d’imposer des conditions provisoires pendant le processus d’examen relatif à la sécurité nationale contribuera à réduire le risque de préjudice à la sécurité nationale survenant au cours de l’examen lui-même, par exemple par l’accès ou le transfert possible de propriété intellectuelle avant que l’examen ne soit complété.

Les modifications proposées dans le projet de loi C-34 portent également sur les pénalités financières en cas de non-conformité à la loi. Ces pénalités n’avaient pas été mises à jour depuis plusieurs décennies et ne correspondaient plus aux valorisations typiques actuelles des transactions.

Le projet de loi permettra aussi au Canada de partager des informations spécifiques avec ses homologues internationaux afin de protéger des intérêts communs en matière de sécurité en utilisant les meilleures pratiques fondées sur des preuves.

Finalement, le projet de loi modifié permettra de déclencher le processus d’examen relatif à la sécurité nationale lorsque l’investisseur a été reconnu coupable de corruption dans une administration.

Chers collègues, à l’instar de plusieurs autres projets de loi adoptés dans cette Chambre, ce projet de loi n’est pas parfait et le Comité sénatorial des banques y a ajouté plusieurs observations. La sénatrice Bellemare apportera sans doute des précisions sur ces observations, puisqu’elle est à l’origine de plusieurs d’entre elles.

Par contre, comme l’a montré l’appui unanime que le projet de loi C-34 a reçu à l’autre endroit, la sécurité nationale n’est pas une question partisane. Ce projet de loi devrait aussi susciter votre appui.

En tant que parrain du projet de loi, il m’a semblé important de regarder comment le projet de loi avait évolué à l’autre endroit avant d’être soumis à notre propre examen ici, au Sénat.

Chers collègues, sachez que ce projet de loi a fait l’objet d’une étude approfondie du comité de l’autre endroit, qui a tenu 12 réunions et fait comparaître 44 témoins.

Qui plus est, contrastant en cela avec plusieurs autres projets de loi adoptés à l’autre endroit, plusieurs amendements présentés par des députés conservateurs, néo-démocrates et bloquistes ont été acceptés cette fois-ci par le gouvernement dans le but de bonifier le projet de loi que nous étudions aujourd’hui.

De notre côté, le Comité des banques a tenu six rencontres sur ce projet de loi et entendu dix témoins, y compris l’honorable François-Philippe Champagne, ministre responsable du projet de loi. De plus, le comité a produit un rapport et y a ajouté des observations, dont ma collègue parlera plus tard.

J’espère que nous serons d’accord pour dire que, prises ensemble, ces modifications législatives contribueront à faire en sorte que le Canada soit en mesure de profiter des avantages économiques des investissements étrangers, tout en renforçant sa capacité d’agir rapidement et de manière décisive afin de contrer les menaces à notre sécurité nationale.

Honorables sénatrices et sénateurs, la semaine a été longue. Permettez-moi donc de conclure en vous invitant à accorder votre soutien au projet de loi C-34.

Je vous remercie de votre attention. Meegwetch.

Merci de vos bons mots, sénateur Gignac. Cela m’inquiète toujours quand le parrain d’un projet de loi du gouvernement me remercie de mon travail de porte‑parole; je me demande si j’ai bien fait mon travail.

Chers collègues, j’interviens aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-34, Loi modifiant la Loi sur Investissement Canada, dont le titre abrégé est Loi sur la modernisation de l’examen des investissements relativement à la sécurité nationale.

La Loi sur Investissement Canada a été adoptée il y a un peu plus de 40 ans et elle a donc, effectivement, besoin d’être modernisée. Je soulignais, dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, que cette loi a été modifiée et améliorée pour la dernière fois en 2009, sous le gouvernement Harper, dans le cadre du projet de loi C-10, la Loi d’exécution du budget de 2009.

L’aspect économique de la Loi sur Investissement Canada est certes important, mais de nos jours, plus que jamais, le volet de la sécurité nationale revêt une importance capitale. Or, en ce sens, je suis très préoccupé par le projet de loi C-34. Heureusement, certains amendements des conservateurs ont été adoptés à l’autre endroit, ce qui permet de donner des remparts additionnels à notre protection nationale, mais je demeure sérieusement préoccupé, car, encore une fois, j’estime que le projet de loi C-34 ne va pas assez loin. J’y reviendrai.

Les dernières années nous ont montré que le gouvernement actuel fait preuve d’un laxisme outrancier et préoccupant en ce qui a trait à la sécurité au Canada, au regard de l’administration des fonds publics, de la surutilisation de consultants de tout acabit, de l’absence de la promotion d’une reddition de comptes rigoureuse et transparente, mais, surtout, de l’apparente absence complète de responsabilité des ministres du gouvernement face aux dérives qui ont été nombreuses.

En effet, les cafouillages incroyables de cette administration nous donnent le vertige. Le récent scandale entourant l’application ArriveCAN est le dernier d’une longue liste.

Bien que nous soyons d’accord de façon générale avec le projet de loi C-34, son étude nous a prouvé qu’il comporte des failles sérieusement inquiétantes. En effet, comment peut-on justifier que, devant certains comportements agressifs de certaines dictatures face au Canada, notamment l’ingérence dans nos processus démocratiques, l’espionnage industriel, l’acquisition sauvage de certaines de nos entreprises de télécommunication, le projet de loi C-34 n’en fasse pas une priorité ou, à tout le moins, n’en tienne pas compte de façon plus spécifique et contemporaine?

Tout Canadien, devant cette incohérence, serait d’accord pour affirmer que cela défie le gros bon sens. Je suis d’accord, évidemment.

Le comité a entendu quelques témoins, dont Anthony Seaboyer, directeur du Centre pour la sécurité des forces armées et de la société au Collège militaire royal du Canada. M. Seaboyer nous a fait un exposé très éclairant, mais en même temps fort inquiétant.

Essentiellement, il considère que si le projet de loi ne va pas plus loin, il sera, en quelque sorte, désuet avant même d’être adopté. Selon son témoignage, les recherches qu’il mène portent sur la militarisation de l’information par les régimes autoritaires. Il a dit ceci :

J’étudie la façon dont les régimes autoritaires ciblent le Canada à l’aide d’applications basées sur l’intelligence artificielle [...] pour mener, dans leurs propres intérêts, des opérations de guerre hybride et en zone grise contre nos sociétés et institutions démocratiques ouvertes et fondées sur des règles. [...] Plus particulièrement, j’examine comment ces régimes tentent de saper les démocraties grâce à la militarisation de l’information ainsi que leurs motifs.

En ce sens, il est un acteur privilégié, mais surtout extrêmement crédible. M. Seaboyer estime que le projet de loi est un pas dans la bonne direction, mais à bien écouter sa déclaration, compte tenu du moment où elle a été rédigée, les applications basées sur l’intelligence artificielle étaient loin d’avoir la capacité de traitement des données qu’elles ont aujourd’hui. Ce projet de loi pourrait donc être désuet dès son adoption.

M. Seaboyer insiste pour demander notamment que les seuils déclenchant des enquêtes de sécurité soient considérablement abaissés, que des sanctions financières réellement plus sévères en cas de manquement aux engagements soient introduites et que toutes les entreprises issues de pays totalitaires, notamment la Chine, l’Iran, la Russie et la Corée du Nord, soient automatiquement soumises à des enquêtes de sécurité lorsqu’elles veulent investir au Canada. Je reviendrai un peu plus tard sur chacun de ces aspects, mais il est déjà évident que le projet de loi C-34 ne répond pas à ces exigences évoquées par le professeur Seaboyer.

Honorables sénateurs, nous pouvons sérieusement nous poser la question : le projet de loi C-34 est-il déjà désuet?

Lors de son étude au comité de l’autre endroit, les conservateurs ont présenté un amendement dans le but de faire en sorte qu’une enquête de sécurité soit automatiquement déclenchée dès qu’un investissement effectué par une compagnie dont le siège social est situé dans un pays totalitaire et non démocratique doit être fait au Canada. Cet amendement a été défait de façon un peu nonchalante. Pourtant, j’estime qu’il était capital pour la sécurité du Canada.

Ce refus de modifier le projet de loi en ce sens revient à nier le nouvel environnement dans lequel nous évoluons maintenant. Nos civilisations sont engagées dans une guerre de l’information, mais surtout de la désinformation. Avec l’avènement de l’intelligence artificielle, il nous est impossible d’imaginer jusqu’où nos adversaires déploieront de nouveaux stratagèmes pour déstabiliser nos démocraties.

À titre d’exemple, conformément aux lois chinoises, les entreprises de ce pays sont tenues de laisser libre cours aux activités de leurs services de renseignement et de leur transmettre tout renseignement exclusif. Si une entreprise chinoise, quelle qu’elle soit, refuse de se plier aux demandes des services de renseignement chinois, ses dirigeants risquent une incarcération extrajudiciaire et de lourdes sanctions, selon des protocoles bien établis. C’est ce que M. Seaboyer nous a révélé dans son témoignage.

Il nous a notamment donné l’exemple des voitures électriques qui pourraient être déployées dans nos pays au moyen de compagnies chinoises. Leur prix serait bien en deçà du prix du marché actuel afin de faciliter leur déploiement à grande échelle sur les marchés occidentaux. Il faut le rappeler : les voitures électriques sont des capteurs d’information dynamiques et constants. Voulons-nous vraiment que des compagnies basées dans des pays totalitaires déploient ainsi une multitude d’agents potentiellement espions dans nos rues? Cette réalité ne fait plus partie des films de science‑fiction, honorables sénateurs; elle est à nos portes, et elle est même peut-être déjà entrée dans nos maisons. Nous devons redoubler de vigilance, mais malheureusement, ce n’est pas ce que fait le projet de loi C-34.

Rappelons-nous le cas de la compagnie Hytera. J’en ai parlé dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, mais je crois qu’il est utile de le mentionner à nouveau afin d’illustrer à quel point l’intrusion de compagnies potentiellement préjudiciables dans nos vies est une réalité bien palpable.

En 2017, une entreprise nommée Norsat était établie au pays. Elle l’est toujours en Colombie-Britannique, d’ailleurs. Elle possède également l’entreprise Sinclair à Toronto. Elle a été achetée par Hytera, une compagnie qui appartient en partie au gouvernement chinois dans le secteur crucial des télécommunications. Malgré les appels répétés qui lui étaient adressés à la Chambre des communes, le ministre de l’Industrie de l’époque a refusé de mener un examen de sécurité nationale sur cette acquisition. Par conséquent, aucun examen de sécurité nationale n’a été effectué.

En janvier 2022, Hytera a fait l’objet de 21 chefs d’accusation d’espionnage aux États-Unis. Le président Biden a ensuite interdit à l’entreprise de faire des affaires aux États-Unis. Pourtant, huit mois plus tard, la GRC a acheté du matériel de radiofréquence pour l’intégrer au système de communication, ce qui a permis aux filiales d’entreprises d’État chinoises d’avoir accès à tous les emplacements des services de communication de la GRC. Aucun examen de sécurité nationale n’a été mené à ce sujet non plus.

Fait consternant, Services publics et Approvisionnement Canada a confirmé que les préoccupations en matière de sécurité n’avaient pas été prises en compte lors du processus d’appel d’offres pour cet équipement. Il y a de quoi s’alarmer. Les libéraux n’ont pas non plus consulté le Centre de la sécurité des télécommunications de leur propre gouvernement au sujet du contrat. Au lieu de cela, le contrat a tout simplement été attribué au plus bas soumissionnaire.

Cet exemple devrait sérieusement nous inquiéter en raison d’une nouvelle disposition introduite par le projet de loi C-34. Dans la Loi sur Investissement Canada actuelle, il revient au Conseil des ministres, conformément à certains critères, de décréter une enquête de sécurité face à des investissements étrangers qui pourraient être faits au Canada. Or, avec le projet de loi C-34, cette responsabilité reviendra maintenant au seul ministre responsable de la loi en consultation avec le ministre de la Sécurité publique seulement. Ne croyez-vous pas, chers collègues, que l’exemple d’Hytera devrait être un immense drapeau rouge agité avec vigueur face à cette nouvelle disposition?

L’autre aspect du projet de loi C-34 qui me préoccupe vraiment concerne la faiblesse des pénalités imposées en cas de contravention à la loi. Elles sont dérisoires, considérant les enjeux en cause, mais surtout en comparaison avec ce qui se fait dans les autres pays. Encore une fois, le Canada est à la traîne dans ce domaine.

À cet égard, M. Seaboyer s’est fait tranchant. Voici son témoignage :

[...] la sévérité des sanctions est très en deçà de ce qui est imposé dans d’autres pays, et il est beaucoup plus facile de perpétrer ces attaques au Canada. Les répercussions sont loin d’égaler celles chez certains de nos partenaires du Groupe des cinq et, pour nous retrouver au même niveau qu’eux, nous devons être beaucoup plus rigoureux à certains égards. [...] Or, nous devons certainement mieux coopérer et de manière plus optimale avec eux, en alignant nos sanctions plus étroitement sur celles qu’ils ont créées.

M. Seaboyer a également dit ceci :

J’ai été très surpris lorsque j’ai vu le montant des pénalités. Elles sont si dérisoires que [...] elles n’ont aucun effet.

Elles sont si dérisoires qu’elles n’ont aucun effet. Honorables sénateurs, c’est difficile d’être plus clair.

Malgré les nombreuses imperfections du projet de loi C-34, nous allons néanmoins voter en sa faveur afin de faire un pas en avant.

Comme je l’ai mentionné en guise d’introduction, il est évident qu’un futur gouvernement devra déposer très rapidement un nouveau projet de loi afin de colmater les nombreuses brèches à la sécurité nationale que comporte le projet de loi C-34.

Je vous remercie.

L’honorable Diane Bellemare [ + ]

Je n’ai pas de discours écrit, mais je me suis préparée en fonction de tout ce que j’ai entendu et des témoignages qui ont été faits au Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie.

Je voudrais remercier mon collègue le sénateur Gignac de ses bons mots et de son travail. J’aimerais également remercier le sénateur Carignan, le porte-parole du projet de loi.

Je vais mettre ce projet de loi en contexte. Les investissements étrangers au Canada, qu’est-ce que cela représente? Est-ce que c’est important? Mon analyse par rapport à ce projet de loi s’inscrit davantage dans le contexte dans lequel il se situe.

Pour vous donner une petite idée, en 2021, la valeur des investissements directs étrangers au Canada représentait 3,3 % du PIB; il s’agit d’une tendance à la hausse. Comme le sénateur Gignac l’a souligné, le Canada est actuellement l’un des pays qui reçoit le plus d’investissements étrangers.

En moyenne, entre 2012 et 2021, les investissements directs étrangers représentaient 2,1 % du PIB. En revanche, les investissements des Canadiens à l’étranger — parce que les Canadiens investissent de façon directe à l’étranger — représentaient en 2021 4,9 % du PIB. En moyenne, sur 10 ans, les investissements des Canadiens représentaient 3,3 % du PIB.

Donc, on reçoit des investissements étrangers et on en fait ailleurs, et ce qu’on fait ailleurs excède ce que l’on reçoit. C’est assez préoccupant, mais je suis allée regarder du côté de l’OCDE. Quand on regarde les investissements directs étrangers des pays de l’OCDE, les investissements directs étrangers dans les pays représentent 1,1 % de leur PIB en moyenne, et les investissements que ces pays font à l’extérieur représentent en moyenne 2,1 % de leur PIB.

De manière générale, les pays investissent plus à l’étranger que ce qu’ils reçoivent; cela m’a donc un peu rassurée par rapport au Canada. Cependant, notre pays a quand même des chiffres importants par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE. Comment le Canada se situe-t-il par rapport aux investissements globaux? Les investissements faits au Canada représentaient 19,7 % du PIB en 2021. Donc, pour ce qui est des investissements faits au Canada, bon an mal an, on parle de 20 % du PIB en moyenne. Les investissements effectués au Canada sont en baisse depuis les dernières années. Les investissements directs étrangers représentent environ 10 % du total de nos investissements.

C’est important, il faut s’en soucier et notre prospérité en dépend, d’autant plus que, dans le contexte général, la productivité au Canada est en train de diminuer en valeur absolue. Par conséquent, notre prospérité est vraiment menacée.

Donc, les investissements, c’est important, et les investissements étrangers en constituent un élément majeur. Ce qu’il faut comprendre aussi, c’est que le projet de loi C-34 modifie la Loi sur Investissement Canada dans une perspective de sécurité nationale. La notion de prospérité est absente de ce projet de loi. On pourra y revenir.

Les témoins nous ont fait part de leurs inquiétudes, que l’on peut classer en trois catégories. On a reçu des témoignages de témoins qui s’inquiètent du fait que, dans le contexte géopolitique actuel de la guerre froide, on doit quand même observer une certaine méfiance par rapport à certains investissements étrangers — et le sénateur Carignan en a fait grand état.

Par contre, on a reçu des critiques écrites de la part d’autres personnes partout au pays qui affirment qu’une réglementation trop bureaucratique pourrait faire fuir les investissements étrangers au Canada et pourrait nuire à notre prospérité. Donc, il y a un équilibre à faire entre ces deux aspects. Un autre groupe de témoins nous a dit — et cette critique est revenue souvent au Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie — que l’on doit, de plus en plus, tenir compte des investissements en capital qui sont intangibles, liés aux données et liés à la propriété intellectuelle.

Le sénateur Deacon est un protagoniste de cette approche et de cet aspect de l’investissement. Il a affirmé très souvent au Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie que l’on doit se préoccuper de ces investissements intangibles.

C’est cette dimension qui est absente du projet de loi C-34. De plus, on n’a pas beaucoup parlé de prospérité, parce que le projet de loi parle beaucoup plus de sécurité. Le comité a donc annexé différents types d’observations à son rapport.

Tout d’abord, le sénateur Deacon a proposé d’ajouter des observations pour que l’on tienne davantage compte des investissements intangibles. Pour préciser davantage cette ligne de pensée, j’aimerais vous citer un mémoire que le comité a reçu de la part de M. Jim Balsillie, qui était déjà venu témoigner au comité et qui est connu grâce à la compagnie BlackBerry. Le mémoire disait ce qui suit :

L’économie d’aujourd’hui est fondée sur la connaissance et les données, et repose de plus en plus sur le capital de l’apprentissage machine. Dans ce type d’économie, l’IED est extractif [...]

 — « extractif », c’est le mot important qu’il faut comprendre —

[...] la technologie, les connaissances et les actifs de données, le personnel de direction, l’assiette fiscale et les effets de richesse peuvent facilement sortir des pays qui reçoivent des investissements étrangers. Les risques pour la sécurité et la prospérité ne dépendent pas de la taille et du type d’acheteur, mais de la nature des retombées économiques et sécuritaires.

Il mentionne qu’il nous faut être prudents et propose ce qui suit :

Il est essentiel que le Canada renforce les capacités du gouvernement fédéral en matière de gouvernance de l’économie d’aujourd’hui.

C’est pour cela que M. Balsillie, Dan Ciuriak et d’autres proposent ceci :

Le Canada doit créer un organisme autonome qui a la capacité et l’expertise nécessaires pour examiner tous les aspects d’une transaction et fournir aux ministres une vue unifiée des coûts et des avantages. Nos principaux alliés — les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie — ont tous un seul organisme chargé de l’examen des investissements étrangers (le Committee on Foreign Investment in the United States [CFIUS] aux États-Unis, l’Investment Security Unit au Royaume-Uni, et le Foreign Investment Review Board en Australie), et le Canada devrait adopter la même approche.

Cela dit, là n’est pas la portée du projet de loi que nous étudions; il s’agit plutôt d’un projet de loi visant à améliorer la sécurité en lien avec le contexte géopolitique actuel. C’est pour cela que nous avons annexé des observations pour indiquer qu’il serait important pour le Canada que nous, parlementaires, révisions de façon plus complète la Loi sur Investissement Canada.

Pour l’instant, allons-y avec le projet de loi C-34. Toutefois, dans nos observations, nous demandons au ministre de revenir faire rapport dans trois ans sur l’atteinte des objectifs en vue d’élargir la portée de la Loi sur Investissement Canada à des notions de sécurité, mais aussi de prospérité. Compte tenu du contexte au Canada et de la tendance de nos investissements, ces aspects méritent une attention toute particulière.

Nos observations sont annexées au rapport du comité et elles sont courtes. Par rapport à la propriété intellectuelle et au traitement des données, on dit ce qui suit :

Votre comité estime qu’il est important de veiller à ce que la propriété intellectuelle et le traitement des données personnelles financés par les pouvoirs publics soient considérés comme des facteurs de bénéfice économique net et que les règlements à venir reflètent cela.

Il y a ensuite une série de petits commentaires techniques, mais on demande surtout au ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie de rendre compte aux parlementaires de la mesure dans laquelle ce projet de loi atteint ses objectifs d’ici trois ans.

Sur ce, je vous remercie et vous invite à voter en faveur du projet de loi.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

Haut de page