Aller au contenu

Le Sénat

Motion concernant les pêcheurs et les communautés mi’kmaq--Ajournement du débat

5 novembre 2020


L’honorable Brian Francis [ + ]

Conformément au préavis donné le 3 novembre 2020, propose :

Que le Sénat confirme et honore la décision rendue en 1999 par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Marshall, et qu’il invite le gouvernement du Canada à en faire autant en respectant le droit des traités des Mi’kmaq à une pêche de subsistance convenable, comme le prévoient les traités de paix et d’amitié signés en 1760 et en 1761 et comme le garantit l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982;

Que le Sénat condamne les gestes violents et criminels qui entravent l’exercice des droits issus de traités et exige le respect ainsi que l’application dans l’immédiat des lois criminelles du Canada, ce qui comprend la protection des pêcheurs et communautés mi’kmaq.

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de la motion que je viens de déposer et qui est le résultat de semaines de collaboration avec le sénateur Dan Christmas. En tant que seuls Mi’kmaqs à être nommés au Sénat, nous partageons le privilège et la responsabilité d’attirer votre attention sur les difficultés qu’éprouvent les Mi’kmaqs à exercer leur droit de pêcher pour s’assurer une « subsistance convenable ».

Honorables collègues, les Mi’kmaqs vivent au Mi’kma’ki depuis des temps immémoriaux. Notre territoire traditionnel couvre les régions connues aujourd’hui sous le nom de provinces de l’Atlantique et de péninsule gaspésienne, au Québec. Nous n’avons jamais cédé ni vendu notre souveraineté sur les terres et les ressources. Aujourd’hui, notre nation compte environ 170 000 personnes.

Tout au long du XVIIIe siècle, les Mi’kmaqs ont conclu une série de traités avec la Couronne britannique, qu’on appelle les traités de paix et d’amitié, dans un effort de bonne foi visant à mettre fin au conflit. Les traités de 1760 et 1761, en particulier, promettaient aux Mi’kmaqs le droit de continuer à pratiquer la chasse, la pêche et la cueillette sur leurs terres traditionnelles. Cependant, la Couronne britannique et, aujourd’hui, le Canada n’ont pas respecté cette promesse.

À compter du XIXe siècle, les Mi’kmaqs ont été forcés de vivre dans des réserves, de petites parcelles de terre qui ne représentent qu’une fraction de nos territoires traditionnels. Cette décision nous a presque entièrement privés de l’accès aux terres et aux ressources qui avaient permis à nos ancêtres d’assurer leur survie. Les Mi’kmaqs ont ensuite subi les dures épreuves associées à la Loi sur les Indiens, au système des pensionnats autochtones et à la rafle des années 1960, pour n’en nommer que quelques-unes. Ces initiatives assimilationnistes et colonialistes ont eu un effet durable sur nos vies. Entre autres exemples évidents, mentionnons : le manque d’accès aux services et aux ressources, la surreprésentation flagrante dans le système de justice pénale et les services de protection de l’enfance, et les niveaux élevés de chômage, de pauvreté et de problèmes de santé dans nos communautés. Ajoutons à cela le refus prédominant de reconnaître le droit à l’auto-détermination des Autochtones et les droits ancestraux ou issus de traités existants, y compris le titre autochtone à l’égard de nos terres traditionnelles.

Honorables collègues, au lieu de pouvoir négocier, les Mi’kmaqs ont été obligés de recourir aux tribunaux pour régler les différends en suspens au sujet de leurs droits. Dans l’arrêt Marshall de septembre 1999, la Cour suprême du Canada a rendu une décision historique sur les droits issus des traités au Canada.

Elle a reconnu et confirmé que les Mi’kmaqs continuent d’avoir le droit de pêcher et de vendre du poisson afin d’en tirer une « subsistance convenable » pour eux et leur famille, comme le faisaient nos ancêtres avant l’arrivée des Européens. Le droit a été prévu dans les traités signés avec la Couronne en 1760-1761 et fait partie de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Quelques mois plus tard, en réponse aux vives protestations des pêcheurs non autochtones, la cour a précisé que le gouvernement peut réglementer l’exercice du droit issu de traités pour des motifs de conservation ou pour tout autre motif. La cour a fait toutefois remarquer que le gouvernement doit d’abord démontrer qu’il existe un objectif législatif valable et qu’il n’empiète que de façon minimale sur l’exercice du droit issu de traités. La cour a également indiqué que le groupe visé doit être consulté et recevoir une indemnisation équitable en cas d’expropriation.

Chers collègues, il est important de noter qu’il n’y a eu jusqu’à présent aucune justification, consultation et indemnisation pour les violations du droit de pêcher et de s’assurer une « subsistance convenable » prévu par le traité avec les Mi’kmaqs. Il faut aussi se rappeler que les Mi’kmaqs pêchent de façon durable depuis des milliers d’années et que la conservation a toujours été un principe fondamental pour eux.

Dans l’arrêt Marshall, la cour n’a pas défini ce qui constitue une « subsistance convenable ». Elle a seulement statué qu’il ne s’agissait pas d’accumuler des richesses, mais d’acquérir des choses essentielles comme la nourriture, les vêtements et le logement, complétés par quelques commodités de la vie.

Il est important que nous comprenions que le rôle du gouvernement fédéral est de négocier avec les Mi’kmaqs la façon de mettre en œuvre le droit de s’assurer une « subsistance convenable » — et non de débattre ce que l’expression signifie. Ce sont les Mi’kmaqs qui doivent le déterminer — et qu’il n’y a pas de solution toute faite. Ce qui est convenable pour une communauté ne l’est peut-être pas pour une autre.

Honorables sénateurs, le plus haut tribunal du pays a décidé il y a plus de 20 ans que les Mi’kmaqs avaient le droit de pêcher et de s’assurer une « subsistance convenable » pour eux, pour leur famille et pour leur communauté. On parle donc d’un type de pêche à petite échelle comportant certains aspects commerciaux, mais bien différents des autres types de pêche mi’kmaq, la pêche alimentaire, sociale et rituelle — qui font partie de nos droits autochtones —, et la pêche à des fins commerciales et communautaires, qui nécessitent des licences fédérales et permettent l’accumulation de richesses. Le Canada n’a pas voulu collaborer avec les Mi’kmaqs pour mettre en application ce traité inhérent et ce droit protégé par la Constitution.

L’approche actuelle consiste à exiger que les Mi’kmaqs, qui exercent leur droit de tirer une subsistance convenable, le fassent conformément aux politiques et réglementations fédérales appliquées au secteur commercial. Ceux qui ont refusé se sont fait confisquer leur équipement et leurs filets par des fonctionnaires du ministère, ou ont été condamnés à payer une amende. D’autres ont été arrêtés et inculpés, et certains ont même subi de la violence. Ces gestes portent directement atteinte à notre droit de pêcher et d’assurer une subsistance convenable.

Le gouvernement continue d’ignorer le fait que les Mi’kmaqs exercent un droit constitutionnel, lequel a préséance sur la Loi sur les pêches et ses règlements. Plutôt que de travailler directement avec les Mi’kmaqs pour trouver une solution durable au conflit, les gouvernements fédéraux successifs se sont concentrés sur l’augmentation et la diversification de la participation des Mi’kmaqs dans la pêche commerciale, ce qui a contribué à renforcer l’autosuffisance économique, mais n’équivaut pas à une pêche fondée sur les droits.

Par exemple, en 2017, Pêches et Océans Canada a commencé à négocier les soi-disant ententes de réconciliation et de reconnaissance des droits, qui n’offrent qu’un accès légèrement plus important à la pêche commerciale. Ces ententes ont été largement rejetées par les Mi’kmaqs parce que, s’ils en signaient une, il leur serait interdit d’exercer leurs droits de pêche pendant un certain nombre d’années.

Chers collègues, les actes violents et criminels commis contre les pêcheurs et les communautés mi’kmaqs dans le Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse sont extrêmement troublants. Absolument rien ne justifie ce comportement. Les pêcheurs commerciaux impliqués dans le retrait de pièges à homards, la destruction de biens et toutes les autres activités criminelles doivent être tenus responsables de leurs actes. Le gouvernement et ses partenaires de la police doivent également être tenus responsables du fait qu’ils n’ont pas agi rapidement pour protéger la vie et les biens des pêcheurs mi’kmaqs et de leurs communautés, ainsi que de leur mépris continu des droits inscrits dans la loi. On a laissé tomber les Mi’kmaqs.

Toute cette situation rappelle de mauvais souvenirs de la crise de Burnt Church, un autre conflit portant sur les droits des Mi’kmaqs qui a eu lieu entre 1999 et 2002. La situation demeure instable et tendue, mais j’espère, pour la sécurité et le bien-être de tous, qu’elle ne s’aggravera pas davantage.

Un signe positif est que quelques communautés mi’kmaqs qui ont commencé à pratiquer la pêche au homard pour une subsistance convenable en utilisant leurs propres plans de gestion n’ont pas été intimidées et n’ont subi aucune pression, ce qui témoigne d’un respect mutuel et d’une collaboration qui existent depuis des décennies. Cela me donne l’espoir que d’autres communautés mi’kmaqs qui prévoient élaborer leurs propres plans de gestion de la pêche pour exercer et faire valoir leurs droits pourront également le faire sans problème.

Honorables sénateurs, les pêcheurs commerciaux non autochtones continuent de parler de conservation. Le concept n’est devenu qu’un outil politique pour enfreindre les droits autochtones. Des Mi’kmaqs s’adonnant à la pêche commerciale est un phénomène plutôt marginal. Les données scientifiques ont confirmé que la pêche de subsistance ne nuira pas à la conservation. Il faut mettre un terme à cette campagne de peur non fondée. La pêche de subsistance convenable est une pêche à petite échelle. L’objectif est de répondre aux besoins nutritionnels et au bien-être économique de la communauté. Ce type de pêche ne constitue pas une menace réelle pour la conservation ou la subsistance des autres pêcheurs.

Les plans de gestion qui régissent la pêche de subsistance convenable sont fondés sur l’ancienne philosophie mi’kmaq du Netukulimk, qui gouverne la durabilité de notre récolte. Cette philosophie se fonde sur le respect et la gratitude envers toutes les ressources naturelles fournies par le Créateur. Il s’agit d’un code de conduite qui enseigne aux Mi’kmaqs à prendre seulement ce dont ils ont besoin pour le bien-être de la personne et de la communauté. Nous ne cherchons pas à surexploiter ni à épuiser les ressources naturelles. Nous sommes les gardiens des connaissances traditionnelles et les défenseurs sacrés de la terre et des ressources. Depuis longtemps, nous partageons avec nos voisins et nos amis, et nous continuerons de le faire.

Honorables sénateurs, je tiens à parler brièvement de l’importance de l’honneur, une valeur qui nous permet de nous évaluer et qui guide nos actions. Le titre honorifique « honorable », par exemple, exige que nous nous comportions avec dignité, honneur et intégrité dans toutes nos interactions. Le principe constitutionnel de l’honneur de la Couronne, qui est au cœur de la réconciliation, vaut tout autant pour le gouvernement fédéral. Le principe découle de l’affirmation de la souveraineté de la Couronne sur les peuples autochtones et du contrôle de la terre et des ressources dont, auparavant, ils avaient le contrôle. Son objectif est de réconcilier les sociétés autochtones préexistantes à cette assertion de la souveraineté de la Couronne. Le principe établit une obligation selon laquelle la Couronne doit agir avec honneur dans tous ses rapports avec les peuples autochtones. Cela comprend d’agir avec diligence dans la mise en œuvre des droits ancestraux et issus de traités en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle.

Le non-respect de ce principe est au cœur du différend actuel à propos des droits de pêche des Mi’kmaqs au Canada. La protection des droits ancestraux ou issus de traités relève d’un engagement sacré et impératif. Nous, les Mi’kmaqs, sommes prêts depuis longtemps à négocier de bonne foi pour la reconnaissance et la mise en œuvre de nos droits issus de traités, mais nous n’avons jamais pu négocier avec un partenaire bien disposé. L’approche « c’est à prendre ou à laisser » qui a marqué les deux dernières décennies doit disparaître. Nous avons désespérément besoin d’une façon de faire repensée et améliorée, fondée sur le codéveloppement et la cogestion des ressources.

Honorables collègues, il s’agit d’une question d’honneur. Si le Canada souhaite garder sa réputation de pays honorable, il doit commencer à honorer ses obligations envers les premiers peuples à habiter ces terres.

Le gouvernement a promis d’établir une relation de nation à nation fondée sur la reconnaissance des droits des Autochtones, le respect, la coopération et le partenariat. Ces paroles sont vides si elles ne mènent pas à des gestes concrets et à des résultats.

Honorables collègues, l’adoption de cette motion annoncerait clairement que les honorables sénatrices et sénateurs qui composent cette Chambre reconnaissent sans réserve et honorent le droit des Mi’kmaqs de tirer de la pêche une subsistance convenable, un droit inhérent issu de traités et protégé par la Constitution, et qu’ils attendent la même chose du gouvernement fédéral.

Ce serait aussi une façon de dénoncer collectivement les gestes violents et criminels portés contre des pêcheurs Mi’kmaqs et des communautés qui tentent de se prévaloir de leurs droits.

Finalement, elle ferait savoir aux autorités compétentes que nous nous attendons à ce qu’elles traitent la vie, la propriété et les droits de toutes les parties en cause, y compris les Mi’kmaqs, de manière juste et équitable et que nous ne tolérerons rien de moins.

Honorables collègues, je vous invite à vous joindre sans tarder au débat et à adopter à l’unanimité cette motion d’une grande importance.

Wela’lioq. Merci.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) [ + ]

Honorables sénateurs, je prends aujourd’hui la parole pour donner mon appui à la motion no 40, qui vise à confirmer et à honorer l’arrêt Marshall de la Cour suprême du Canada.

La ministre des Pêches et des Océans et de la Garde côtière canadienne me demande en outre de transmettre sa gratitude aux sénateurs Christmas et Francis et de les remercier d’avoir su être la voix de la raison et du gros bon sens. Elle remercie également le sénateur Francis d’avoir proposé la motion dont le Sénat est saisi, car elle mérite d’être étudiée et adoptée.

Honorables sénateurs, la situation en Nouvelle-Écosse et le conflit actuel, qui ont donné lieu à cette motion et à ce débat, sont très pénibles, non seulement pour les personnes impliquées, mais aussi pour celles qui en témoignent.

Lorsque la frustration et la colère sont si fortes qu’elles incitent à la violence, il est temps d’écouter des voix calmes et fiables.

Une chose est sûre, nous condamnons tous la violence qui sévit en Nouvelle-Écosse depuis plusieurs semaines. Je joins ma voix à toutes les vôtres pour prier les parties en cause à entamer un dialogue respectueux pendant que le gouvernement collabore avec elles afin de trouver une issue pacifique au conflit. Je salue bien bas le travail de nos collègues les sénateurs Dan Christmas et Brian Francis, qui ont fait des pieds et des mains pour faire tomber la tension qui règne dans ce coin de pays.

La pêche est le véritable moteur économique des localités côtières du pays. On peut tout à fait comprendre l’exaspération des deux parties et leur détermination à protéger leurs propres intérêts pendant les négociations en cours, mais les actes criminels dont nous avons été témoins dernièrement n’auront servi qu’à ralentir le processus, voire à compromettre toute possibilité de trouver une solution raisonnable.

Le gouvernement fédéral, les autorités de la Nouvelle-Écosse et la Gendarmerie royale du Canada font tout pour assurer la sécurité de toutes les parties en cause. De son côté, la ministre des Pêches et des Océans s’emploie à désamorcer la situation en invitant chacun à discuter de manière constructive.

Comme promis, la ministre Jordan a désigné un représentant spécial pour aider à réduire les tensions. Allister Surette agira à titre de haut fonctionnaire tiers à qui les pêcheurs commerciaux pourront faire entendre leurs préoccupations. Il agira également à titre de partie neutre pour écouter les préoccupations autochtones et pour fournir des informations aux Mi’kmaq, aux Malécites et aux Peskotomuhkati.

Nos représentants spéciaux évalueront l’état des relations entre les Autochtones et le secteur de la pêche commerciale au Canada atlantique afin de mieux comprendre les circonstances qui ont mené à des relations tendues entre ces groupes, et ils essaieront de trouver des moyens pour améliorer ces relations à l’avenir.

La Constitution garantit aux peuples autochtones le droit de pêcher à des fins alimentaires, sociales et cérémonielles et le droit issu de traités de pratiquer la chasse, la pêche et la cueillette pour assurer une subsistance convenable.

Comme le sénateur Francis l’a souligné, ces droits ont été réaffirmés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Sparrow, en 1990, et dans l’arrêt Marshall, en 1999. La Couronne a l’obligation de respecter ces droits et la ministre des Pêches et des Océans a la responsabilité de prendre des mesures adéquates pour établir un juste équilibre entre la durabilité des pêches, la protection des droits autochtones et les besoins des Canadiens qui dépendent de cette ressource vitale.

La situation actuelle suscite — c’est le moins qu’on puisse dire — beaucoup de frustration. Les dirigeants autochtones et l’industrie des pêches ont fait connaître leur point de vue et leur insatisfaction par rapport à la lenteur excessive des négociations et du manque de progrès concernant l’application des droits des peuples autochtones.

Les pêcheurs de l’industrie se disent préoccupés de l’impact qu’aurait sur les pêches commerciales et les ressources une pêche visant à assurer une subsistance convenable. Toutefois, chers collègues, il faut continuer à déployer des efforts pour réduire les tensions, en invitant la participation de toutes les parties.

La ministre des Pêches a indiqué qu’elle travaillera avec l’industrie afin d’accroître la transparence, d’officialiser les lignes de communication et de veiller à ce que l’industrie ait de véritables occasions d’exprimer ses préoccupations et son point de vue. Cela inclut des efforts pour sensibiliser les gens et leur faire comprendre l’importance de la réconciliation et des droits issus de traités pour tous les Canadiens. La sensibilisation est essentielle pour faire avancer la réconciliation et le ministère des Pêches et des Océans doit prendre les rênes de ce processus.

Au cours des 20 dernières années, les gouvernements qui se sont succédé ont tenté de mettre en œuvre et de renforcer le droit à la pêche servant à assurer une subsistance convenable. Le ministère des Pêches et des Océans et la Garde côtière canadienne ont instauré plusieurs programmes qui, à ce jour, continuent de fournir un financement et un soutien aux communautés mi’kmaq et malécite afin de renforcer la capacité de leurs entreprises de pêche commerciale et communautaire et de favoriser l’autosuffisance économique de leurs communautés.

Parmi ces programmes, il y a eu l’Initiative de l’après-Marshall, puis l’Initiative des pêches commerciales intégrées de l’Atlantique de 2007, qui continue de fournir du financement pour couvrir le coût des permis, des navires, de l’équipement et de la formation en vue d’accroître et de diversifier la participation aux pêches commerciales et d’aider les pêcheurs à assurer leur subsistance.

En 2019, des politiques sur la reconnaissance et la réconciliation des droits ont également été signées par deux Premières Nations au Nouveau-Brunswick, et une au Québec, en ce qui a trait aux pêches et à l’établissement d’une approche de gestion collaborative.

Nous avons tous un rôle à jouer dans la réconciliation, y compris le gouvernement, les parlementaires et les Canadiens des trois régions côtières. Il faut qu’il y ait véritablement une compréhension et une écoute mutuelles entre les parties.

Les Premières Nations veulent se prévaloir des droits qui leur sont conférés depuis des centaines d’années au titre des traités de paix et d’amitié. Bien que l’application de ces droits doit être négociée de nation à nation seulement, les pêcheurs commerciaux ont aussi un rôle essentiel à jouer en discutant et en négociant de bonne foi afin d’arriver à une entente sur les mesures à prendre pour éviter de nuire à leur moyen de subsistance. Il faut maintenir un dialogue ouvert entre les parties et mener des négociations de nation à nation dans le respect des droits issus de traités et des arrêts de la Cour suprême du Canada.

Honorables collègues, je crois fermement que c’est en négociant que nous aurons la chance d’assurer une paix durable entre les pêcheurs et de leur offrir la stabilité et la prévisibilité qu’ils souhaitent tous.

Malheureusement, les tensions sont encore vives en Nouvelle-Écosse, et le climat ne contribue pas à assurer la sécurité de toutes les parties concernées. Le gouvernement a la responsabilité de veiller à la sécurité de tous les Canadiens et de tous ceux qui vivent au Canada. La GRC a donc accru sa présence dans le Sud-Ouest de la Nouvelle-Écosse, et des actes criminels font actuellement l’objet d’enquêtes.

À partir de maintenant, toutes les parties doivent travailler ensemble pour réduire la tension et permettre au gouvernement de négocier des ententes fondées sur les droits pour préciser et mettre en œuvre le droit à une pêche de subsistance convenable prévu par les traités. Toutes les parties doivent participer à la solution, car la frustration qui mène à la colère et la colère qui mène à la violence ne régleront rien pour qui que ce soit.

L’adoption de cette motion témoignera de notre volonté collective de voir le conflit se régler de manière pacifique et constructive. Le gouvernement du Canada appuie les droits issus de traités et enchâssés dans la Constitution des peuples autochtones du Canada atlantique et la reconnaissance des avantages économiques de l’industrie de la pêche pour tous les pêcheurs. Ils doivent coexister. C’est pour ces raisons que j’appuie vivement la motion no 40.

Le sénateur Patterson [ + ]

J’aimerais demander l’ajournement du débat à mon nom.

Son Honneur la Présidente suppléante [ + ]

Je regrette, je pense qu’il y a encore des personnes qui vont participer au débat.

La sénatrice Cordy a la parole pour la suite du débat.

Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer, comme d’autres l’ont fait, la motion du sénateur Francis.

J’aimerais remercier le sénateur Francis et le sénateur Christmas du travail qu’ils accomplissent pour trouver une solution au conflit sur la pêche en Nouvelle-Écosse. Ils le font avec calme et respect.

La triste situation qui se déroule sous nos yeux en Nouvelle-Écosse est troublante. Dans certaines régions de cette province, des actes de violence et d’intimidation physique sont commis contre les Mi’kmaqs qui exercent leur droit issu de traités de s’assurer une subsistance convenable au moyen de la pêche.

La pandémie actuelle et les difficultés économiques qui en découlent ont, bien évidemment, exacerbé les frustrations des deux parties. Nous vivons une période marquée par l’incertitude économique et les pertes d’emploi. Je sais qu’il y a aussi des restrictions et un accès réduit aux marchés mondiaux pour tous les pêcheurs canadiens. Cela dit, rien de tout cela n’excuse quelque forme de violence que ce soit.

Jusqu’à maintenant, ces actes de violence et de destruction des biens mi’kmaqs sont des cas isolés. Cependant, la situation demeure tendue dans certaines communautés. Les pêcheurs mi’kmaqs, qui ont été en mesure de pêcher — c’est leur droit —, continuent de le faire. Ils sont toutefois très conscients des tensions qui demeurent dans certaines communautés.

Comme l’a souligné le sénateur Francis dans son discours, le droit des Mi’kmaqs de pêcher pour s’assurer une subsistance convenable a été enchâssé dans les traités conclus avec la Couronne en 1760 et en 1761. Il est inscrit à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et il a été confirmé par la Cour suprême du Canada en 1999 dans l’arrêt Marshall.

Honorables sénateurs, combien de fois faudra-t-il affirmer et réaffirmer les droits de nos amis les Mi’kmaqs?

Les droits issus de traités au Canada sont constamment attaqués et les peuples autochtones doivent sans cesse avoir recours aux tribunaux pour faire confirmer la validité de leurs droits. Honorables sénateurs, même si la validité des droits issus de traités a été réaffirmée à maintes reprises, malheureusement, les bandes sont contraintes d’avoir recours aux tribunaux pour rappeler aux gouvernements l’existence de ces droits.

Or, tout ce que peuvent faire les tribunaux, c’est de réaffirmer la validité de ces droits et de les protéger. Ils ne peuvent en assurer le respect. Cette tâche revient aux gouvernements et aux forces de l’ordre. Les leaders mi’kmaqs nous disent que plusieurs membres de leur communauté considèrent que les gouvernements n’ont pas réussi à protéger leurs droits issus de traités. Ces communautés croient également que les forces de l’ordre locales ne peuvent pas les protéger contre la violence et les dommages à la propriété. Les Mi’kmaqs ont été très patients, mais, assurément, je dis bien assurément, personne ne peut nier qu’il est plus que temps que ces droits de pêche soient protégés.

Les choses seraient plus simples s’il n’y avait qu’une personne ou un gouvernement sur qui jeter le blâme pour cette omission, mais, honorables sénateurs, il y a maintenant 21 ans que l’arrêt Marshall a affirmé la validité des droits issus de traités des Mi’kmaqs quant à la possibilité de pêcher pour s’assurer une subsistance raisonnable. Les uns après les autres, les gouvernements fédéraux ont tout fait pour ne pas régler directement ces questions, et il est maintenant temps que le gouvernement fédéral agisse en leader.

Le gouvernement actuel a fait de la réconciliation un des piliers de son mandat. Il est temps qu’il passe de la parole aux actes et qu’il négocie de bonne foi afin de trouver des pistes de solution. Autrement, je crains que les cas de violence et d’intimidation isolés se poursuivent et risquent de s’étendre ailleurs dans le Canada Atlantique, voire dans l’ensemble du Canada, puisque d’autres communautés cherchent à faire respecter leurs droits issus de traités.

Chers collègues, je m’en voudrais de terminer mon discours sans saluer et féliciter les sénateurs Francis et Christmas des efforts incroyables qu’ils ont déployés pour trouver une solution à cette situation troublante. Ce sont les tout premiers sénateurs mi’kmaqs et ils collaborent avec Jaime Battiste, le premier député mi’kmaq. Pour la première fois dans l’histoire, les Mi’kmaqs sont directement représentés dans les deux Chambres du Parlement.

Je pense que cela entraînera des changements positifs, non seulement pour leurs communautés mais aussi pour tous les Canadiens. Je ne vois personne de mieux placé que le sénateur Francis et le sénateur Christmas, deux voix fortes et dévouées, pour plaider en faveur du changement au Sénat du Canada.

Honorables sénateurs, la majorité des Néo-Écossais appuient les Mi’kmaqs dans leur volonté d’exercer leurs droits issus des traités, notamment leur droit à une subsistance convenable. Les Néo‑Écossais condamnent ces actes de violence. Selon mon expérience, la violence ne résout pas les problèmes; elle ne fait qu’en créer d’autres.

J’appuie entièrement les efforts des sénateurs Francis et Christmas, et j’appuie sans réserve la motion dont nous sommes saisis aujourd’hui. Le gouvernement du Canada doit défendre le droit des Mi’kmaqs de tirer une subsistance convenable de la pêche, comme le prévoient les traités de paix et d’amitié qui — comme je l’ai dit précédemment — ont été signés en 1760 et 1761. Nous devons également faire front commun et condamner les actes violents et criminels qui entravent l’exercice de ces droits issus de traités.

Honorables sénateurs, nous devons également insister sur la stricte application des lois pénales du Canada pour protéger les personnes ciblées par ces actes d’agression.

Honorables sénateurs, nous devons adopter la motion du sénateur Francis. Merci beaucoup.

L’honorable Judith Keating [ + ]

Je vous remercie, sénateurs. J’espère que vous montrerez autant d’enthousiasme à la fin de mon discours.

Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour appuyer la motion du sénateur Francis, qui demande que le Sénat et le gouvernement du Canada confirment et honorent le droit des pêcheurs et communautés mi’kmaqs à une pêche de subsistance.

Par ailleurs, le Sénat doit absolument condamner les actes violents et criminels commis contre les pêcheurs mi’kmaqs qui exercent leurs droits et prendre rapidement des mesures pour faire appliquer les lois pénales du Canada et protéger la communauté mi’kmaq.

Chers collègues, comme vous l’avez entendu, il y a 21 ans que la Cour suprême du Canada a confirmé les droits du pêcheur mi’kmaq Donald Marshall à une subsistance convenable. Je n’entrerai pas dans les détails de la jurisprudence ou des droits qui ont été confirmés. Ce serait inutile dans le contexte actuel. Il est simplement question, ici, de la nécessité de respecter les droits et de déterminer des façons de les mettre en œuvre, puisqu’il ne sert à rien d’avoir des droits si on ne peut pas les exercer.

Honorables sénateurs, nous vivons dans une démocratie constitutionnelle et, dans une démocratie constitutionnelle, nous devons accepter et appliquer les droits conférés à tous les Canadiens. Sans vouloir manquer de respect, cela n’a pas d’importance si nous approuvons ces droits confirmés par les plus hautes instances judiciaires au pays; nous sommes tous tenus de les respecter. Nous sommes tous assujettis à la primauté du droit : le premier ministre du Canada, les premiers ministres des provinces et des territoires, de même que les millions de Canadiens. C’est ainsi que fonctionne notre démocratie, laquelle me tient profondément à cœur.

La presse continue de définir le problème comme étant « un différend entre les pêcheurs mi’kmaqs et les pêcheurs commerciaux ». C’est faux. Les pêcheurs commerciaux ne sont pas détenteurs de droits. On leur a consenti un privilège réglementé qui les oblige à respecter des quotas et des saisons. Les Mi’kmaqs ne sont pas tenus de négocier leur droit à une pêche de subsistance convenable avec les pêcheurs commerciaux. La seule négociation possible pour déterminer ce qui constitue un moyen de subsistance convenable est un dialogue de nation à nation avec le gouvernement du Canada.

Au cœur de la crise en Nouvelle-Écosse, Radio-Canada nous a appris que la zone de pêche 34, l’une des plus grandes au Canada, est exploitée par 940 détenteurs de permis de pêche, ce qui représente un total de 391 200 casiers, tandis que les pêcheurs mi’kmaqs y pêchent au moyen de 11 bateaux équipés de 50 casiers chacun, pour un total de 550 casiers.

Ne vous y trompez pas, chers collègues. Ce n’est pas une question de conservation, que les Mi’kmaqs prennent au sérieux. C’est de l’ignorance délibérée des faits; et oui, même si cela me peine de le dire, c’est du racisme.

Honorables collègues, cet été nous avons tenu un débat d’urgence au Sénat pour dénoncer le racisme contre les Noirs et les autres minorités visibles. Nous avons interrogé les ministres sur leurs intentions en ce qui concerne la question du racisme systémique au sein de leurs institutions et nous avons fait la promotion d’une approche de tolérance zéro à l’égard du racisme. J’ai participé à cette démarche.

Nous ne pouvons pas continuer d’attendre des autres ce que nous ne sommes pas prêts à appuyer nous-mêmes, c’est-à-dire :

[...] enlevez d’abord la poutre de votre œil, puis vous verrez clairement pour enlever la paille de l’œil de votre frère.

Nous devons appuyer cette motion si nous voulons conserver la crédibilité du Sénat en matière de défense des droits des Autochtones.

La Presse canadienne a récemment rapporté que Pêches et Océans Canada prévoyait saisir des engins et des casiers mi’kmaqs dans l’exercice de leur droit de pêche. Une porte-parole du ministère a dit que « [...] les représentants fédéraux ne sont pas nécessairement au courant de toutes les mesures prises par les membres du personnel. »

Si les représentants du Ministère eux-mêmes ne connaissent pas les droits des pêcheurs, ils ne devraient pas travailler à Pêches et Océans Canada.

Le temps presse. Il est impératif que les plus hauts échelons du gouvernement et le premier ministre, qui est le dépositaire de la Constitution, répètent aussi souvent que nécessaire que les droits des pêcheurs mi’kmaqs ne sont pas négociables et ne peuvent pas faire l’objet de marchandages; que la situation juridique doit manifestement être communiquée au ministère des Pêches et des Océans; que la question de savoir ce qui constitue un moyen de subsistance modéré doit être résolue rapidement, de nation à nation. Après 21 ans, le gouvernement doit avoir une compréhension de tous ces enjeux.

Enfin, les individus qui transgressent le droit criminel doivent être traduits en justice dans les plus brefs délais. Négliger de le faire revient à tolérer, voire à promouvoir, des gestes injustifiables et illégaux.

Pour citer un acteur de James Bond récemment décédé, et qui avait reçu un prix à l’âge de 85 ans : « Bien que mes pieds soient fatigués, mon cœur ne l’est pas. »

Chers collègues, je n’ai pas 85 ans, mais mes pieds sont déjà fatigués, et mon cœur aussi. Je ne peux qu’imaginer ce que mes frères et sœurs autochtones doivent ressentir. Je ne veux pas entendre de la part de mon gouvernement qu’il prend tout cela très au sérieux et qu’il y travaille. Il faut régler ce problème dès maintenant pour que tout le monde sache quelles sont les règles. Les Canadiens ne peuvent espérer moins, après plus de deux décennies d’attente. C’est la seule façon d’étouffer les germes de violence et de colère qui sont toujours présents.

Nous devons soutenir cette motion, car le processus de réconciliation ne sera jamais possible si nous n’avons pas, au minimum, le courage de défendre les droits de nos voisins signataires d’un traité de paix et d’amitié.

Je vous remercie.

L’honorable Renée Dupuis [ + ]

Je voudrais savoir si la sénatrice accepterait de répondre à une question.

Son Honneur la Présidente suppléante [ + ]

Sénatrice Keating, acceptez-vous de répondre à la question?

La sénatrice Keating [ + ]

Absolument.

La sénatrice Dupuis [ + ]

Sénatrice Keating, félicitations pour votre premier discours officiel au Sénat. J’ai une question à poser au sujet de ce que vous avez dit dans votre discours. Vous avez à juste titre, à mon avis, rappelé la responsabilité du gouvernement fédéral de mettre en œuvre la décision de la Cour suprême. Toutefois, plus loin que la décision de la Cour suprême, il y a la loi de 1982. Il y a 38 ans, le Parlement du Canada a adopté une loi qui reconnaît des droits constitutionnels particuliers aux peuples autochtones, y compris aux Mi’kmaq. Dans ce sens-là, êtes-vous d’avis que toute négociation pour régler la situation actuelle doit commencer par une affirmation très claire de la part du gouvernement fédéral qu’on parle bien de la mise en œuvre de droits particuliers, et que les lois fédérales doivent s’adapter à ces droits particuliers qui sont protégés par la Constitution?

La sénatrice Keating [ + ]

Comme je l’ai mentionné dans mon discours, je pense qu’il est impératif que le gouvernement continue de répéter, aussi souvent que possible, que l’étape de la réalisation de ces droits particuliers est grandement dépassée et qu’il est temps de trouver une résolution à ce conflit et procéder à une réelle mise en œuvre de ces droits.

Haut de page