Aller au contenu

Projet de loi sur le développement d'une économie verte dans les Prairies

Troisième lecture--Débat

15 décembre 2022


Propose que le projet de loi C-235, Loi concernant le développement d’une économie verte dans les Prairies, soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, c’est peut-être la saison, peut-être le sentiment d’honneur que j’éprouve à servir dans cette enceinte, peut-être l’honneur de parrainer le projet de loi à l’étude. Quoi qu’il en soit, je suis porté par un sentiment de joie aujourd’hui et, par conséquent, je vais m’écarter de mon style oratoire habituel austère, sérieux et sans humour.

Mon grand-père était un homme bon, dévot, craignant Dieu et pratiquant. Il n’a jamais utilisé un gros mot dans sa vie. Un jour, un ami est venu le voir et lui a dit : « Bill, j’aimerais en savoir un peu plus sur ta religion. » Mon grand-père, toujours prêt à convertir les personnes de son entourage, a emmené cet homme à la messe du dimanche. Au début du service religieux, lorsque quelque chose se produisait à l’avant de l’église, l’ami se penchait vers mon grand‑père et lui demandait : « Qu’est-ce que cela signifie? » et mon grand-père lui expliquait patiemment. Un peu plus tard, l’ami se penchait encore vers lui et lui demandait : « Qu’est-ce que cela veut dire? » et mon grand-père lui expliquait patiemment.

À peu près au milieu de la messe, le prêtre s’est approché d’un lutrin très semblable à celui-ci, a soigneusement retiré sa montre‑bracelet et l’a placée sur le lutrin, comme je le fais maintenant. L’ami s’est penché vers mon grand-père et lui a demandé : « Qu’est-ce que cela veut dire? » Mon grand-père a secoué la tête et a répondu tristement : « Absolument rien. »

Bref, Votre Honneur, quand mes deux heures seront écoulées — je pense que j’ai droit à deux heures —, quelqu’un devrait me faire signe.

Dans la même veine, mais un peu plus en lien avec le projet de loi, hier après-midi, la sénatrice Gagné est venue me parler brièvement et en toute confidentialité. Elle ne fait pas cela très souvent, alors j’avais d’assez grands espoirs. Elle venait peut-être me dire que le premier ministre voulait m’honorer en quelque sorte pour avoir parrainé le projet de loi, qu’il y avait un poste vacant à la Cour suprême du Canada ou que le gouvernement avait besoin d’un ambassadeur en Irlande. Donc, pour reprendre certaines remarques qui ont été faites tout à l’heure, j’ai brièvement pensé aux bonbons.

Je suis en train de révéler une confidence, mais la sénatrice Gagné est venue me demander quel était le minimum de temps dont j’avais besoin pour faire mes commentaires sur le projet de loi. Je m’excuse d’avoir révélé une confidence, sénatrice. La réponse est six minutes, du moins à partir de maintenant.

Permettez-moi d’abord de remercier les leaders au Sénat d’avoir trouvé un moyen pour que le projet de loi C-235 puisse être examiné en temps opportun et très rapidement — je sais que c’est trop rapide pour certains.

J’aimerais aussi remercier les leaders des groupes du Sénat. Je fais partie du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, qui est dirigé de main de maître par le sénateur Black, lui‑même appuyé avec brio par Ferda Simpson et son équipe. Nous travaillons consciencieusement, dans une merveilleuse collégialité. Toutefois, notre travail s’effectue relativement dans l’ombre comparativement à d’autres comités sénatoriaux plus prestigieux.

Mon frère me l’a rappelé il n’y a pas longtemps. Il m’a téléphoné pour me dire que sa femme et lui regardaient les travaux du Comité de l’agriculture sur CPAC. Il m’a dit que comme la séance était diffusée sur CPAC au lieu de ParlVu, elle bénéficiait d’une audience nationale, et qu’avec sa femme et lui devant la télévision, la cote d’écoute était probablement passée de cinq à sept personnes. Mon frère est retraité, mais il semble avoir un emploi à temps partiel qui consiste à me rappeler de ne pas trop m’enfler la tête. Il fait un excellent travail.

Cependant, cette semaine, nous avons été bien choyés au Comité de l’agriculture par la participation régulière du leader du gouvernement au Sénat, le sénateur Gold, et du leader de l’opposition, le sénateur Plett, ainsi que la présence des leaders des trois autres groupes, la sénatrice Saint-Germain, la sénatrice Cordy et le sénateur Tannas. Ils se sont intéressés activement aux questions relatives au projet de loi C-235 dont le comité a été saisi. Le sénateur Gold et le sénateur Plett en particulier ont participé de façon active aux délibérations du comité et aux discussions avec les témoins. Je tiens à leur exprimer ma reconnaissance. Le Comité de l’agriculture n’a pas toujours la chance d’accueillir ainsi la royauté du Sénat.

De plus, je tiens à remercier le sénateur Black ainsi que Ferda Simpson et son équipe de leur excellent travail pour faciliter l’étude du projet de loi C-235 et pour faire en sorte que la troisième lecture devienne une réalité aujourd’hui. Je remercie en outre les témoins qui, avec très peu de préavis, ont comparu devant le comité au début de la semaine, tout particulièrement, la procureure générale et ministre de la Justice de ma province, l’honorable Bronwyn Eyre, qui, à très court préavis, s’est rendu disponible pendant deux heures complètes pour témoigner devant le comité au début de la semaine.

Comme vous le savez, il s’agit d’un projet de loi d’initiative parlementaire parrainé à l’autre endroit par le député Jim Carr. M. Carr serait ravi de voir jusqu’où s’est rendu son projet de loi ici, aujourd’hui. En effet, lorsque je lui ai parlé la semaine dernière, il m’a dit que seulement 3 % des projets de loi d’initiative parlementaire de l’autre endroit franchissaient la ligne d’arrivée.

J’espérais pouvoir lui dire aujourd’hui — sous réserve du jugement que vous exprimerez sous peu — que, grâce à son excellent travail, ce pourcentage venait d’augmenter légèrement. Malheureusement, je n’aurai jamais l’occasion de le lui dire. J’aurais également aimé lui dire que je suis honoré d’avoir pu parrainer ce projet de loi.

Comme je l’ai mentionné à l’étape de la deuxième lecture, le projet de loi comporte deux parties qui visent à permettre une meilleure coordination entre certains ministères fédéraux et provinciaux clés pour l’économie des Prairies. La deuxième partie du projet de loi vise une coordination et une coopération accrues en ce qui concerne la mise en œuvre de programmes fédéraux qui contribueront à bâtir une économie verte et durable dans les Prairies, entre divers titulaires d’intérêts et intervenants de la région des Prairies, notamment les provinces, les municipalités, les dirigeants autochtones, les employeurs, les associations de travailleurs, etc.

Je me dois d’ajouter que, comme l’a souligné le sénateur Gold lors de la réunion du comité hier, le paragraphe 5 du projet de loi établit un cadre de responsabilité qui exige du principal ministre concerné la production de rapports réguliers aux deux Chambres, ainsi que la possibilité pour le Parlement de mener de façon périodique une vérification pour s’assurer que l’initiative produit de bons résultats.

Même si je n’en ai pas discuté longuement avec lui, à mon sens, l’objectif de M. Carr était que le projet de loi mène à une plus grande coordination interne des programmes de développement dans cette région — un besoin évident — et à un meilleur dialogue avec les intérêts et les collectivités touchés par ces initiatives, en particulier les partenariats avec les provinces, ce qui serait essentiel pour l’adoption, l’adaptation et, ultimement, la réussite des plans adoptés par le fédéral.

À cet égard, le projet de loi représente en quelque sorte une critique implicite des pratiques adoptées jusqu’à maintenant par le gouvernement pour le déploiement des initiatives en matière de durabilité dans les Prairies.

En ce qui a trait au projet de loi comme tel, nous avons vu des réactions mitigées. Une des préoccupations était qu’il n’y avait pas eu suffisamment de consultations au sujet du projet de loi. Je crois qu’il s’agit d’une observation légitime, mais je voudrais tout de même me porter un peu à la défense de M. Carr. On se souviendra qu’il s’agit d’un projet de loi émanant d’un député et non du gouvernement. Étant donné les faibles chances qu’un tel projet de loi franchisse toutes les étapes du processus législatif, il est quelque peu injuste de s’attendre à ce que le gouvernement lui-même se soit retroussé les manches pour mener de vastes consultations à l’égard de ce projet de loi.

Même si, en dépit de ses problèmes de santé, M. Carr a consulté de nombreuses personnes dans les Prairies au sujet du projet de loi, il n’était, après tout, qu’un député aux ressources limitées. Il semble donc légèrement injuste de laisser entendre qu’il aurait dû mener des consultations équivalant à tout un processus de consultation du gouvernement pendant l’étude du projet de loi ou avant sa présentation.

Enfin, si je peux me permettre de revenir à la critique implicite et subtile ancrée dans le projet de loi de M. Carr comme quoi le gouvernement doit s’améliorer à la fois dans son fonctionnement, mais également dans la façon dont il consulte les collectivités concernées par cet ensemble d’initiatives et doit également, comme l’a mentionné le sénateur Gold, rendre des comptes, je crois que M. Carr exprime un deuxième message au moyen de ce projet de loi : la certitude que le gouvernement peut faire mieux et, grâce à cette directive législative, qu’il fera mieux. J’ai le même espoir.

Vous connaissez sans doute l’expression « trouver des solutions et non des coupables », ce qui est également implicite dans ce cas‑ci, selon moi, et c’est ce que M. Carr tente de faire. En d’autres termes, avec ce projet de loi, M. Carr nous encourage à allumer une bougie plutôt que de maudire les ténèbres. À mon avis, cela semble être une métaphore parlante et juste tant pour le projet de loi que pour la vie de M. Carr. Si allumer une bougie ne fonctionne pas, il y aura amplement de temps pour maudire les ténèbres. Toutefois, ces jours-ci, pour rendre hommage à M. Carr, un éminent parlementaire et un grand homme, il me semble que nous devrions opter pour le scénario le plus optimiste.

Je vous remercie de votre attention. J’espère que vous appuierez le projet de loi lorsqu’il sera mis aux voix.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) [ + ]

Permettez-moi de commencer mon intervention en suivant l’exemple du sénateur Cotter. J’ai aussi une anecdote qui se passe dans une église. Il n’y est pas question de mon grand-père, mais de moi. Une église de l’Alberta que fréquentent mes enfants m’a fait l’honneur de me demander si je voulais prononcer le sermon. Beaucoup d’entre vous seront peut-être surpris qu’on me demande de prononcer un sermon lors du service du dimanche matin, mais c’est pourtant le cas. Ils m’ont donné la tribune vers 11 h 30 du matin, et j’ai demandé : « Combien de temps dois-je parler? » Le prêtre m’a répondu : « Le temps de parole est illimité. Vous pouvez parler aussi longtemps que vous le souhaitez. Je dois simplement vous prévenir qu’à midi, nous allons tous nous lever et rentrer chez nous, mais vous pouvez continuer à parler aussi longtemps que vous le désirez. »

Je ne m’offusquerai donc pas si vous partez à 13 h 30 ou à 14 h alors que je suis en train de radoter ici. Faites ce que vous pensez être approprié.

Chers collègues, j’aimerais commencer mon discours à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-235 en reconnaissant, encore une fois, le grand cœur et l’intention de son parrain — mon ami, et le vôtre — feu l’honorable Jim Carr. Comme je l’avais mentionné à l’étape de la deuxième lecture, Jim et moi avons été des adversaires politiques. Toutefois, je n’ai jamais douté de son amour pour le Canada et les Prairies ni de sa profonde admiration pour le Manitoba. C’est sa passion qui l’a inspiré à concevoir le projet de loi C-235, Loi concernant le développement d’une économie verte dans les Prairies. C’est aussi cette passion qui lui a donné la force de venir à Ottawa durant la dernière semaine de sa vie pour porter son projet de loi jusqu’à la ligne d’arrivée dans l’autre endroit. Au moins, il a pu vivre ce moment.

Jim avait un cœur d’or et je suis convaincu qu’il imaginait tout le bien découlant de ces mesures législatives. En principe, je peux comprendre quel était son but. Il s’agit d’un grand effort de collaboration entre le fédéral, les provinces, les municipalités, les peuples autochtones, le secteur industriel et les entreprises pour faciliter la concrétisation d’une priorité que Jim avait à cœur. Je félicite mon ami pour son travail et son intention. J’éprouve un très grand respect pour ce qu’il voulait accomplir.

Malheureusement, son plan comporte une lacune majeure : son plan pourra seulement se réaliser si le gouvernement fédéral met en œuvre le projet de loi dans le même esprit que Jim l’a conçu — un esprit de collégialité et de collaboration. Or, le gouvernement est clairement incapable d’agir dans un esprit de collégialité et de collaboration.

Chers collègues, nous l’avons clairement vu, même lors des réunions de notre comité. En effet, plusieurs témoins ont mentionné à quel point ils étaient heureux, voire surpris, d’être invités au comité pour parler du projet de loi. Vous pourriez considérer cela comme un compliment, mais je n’ai pas pu m’empêcher de le voir comme une grave condamnation du gouvernement. Quand des représentants de secteurs clés de l’économie sont surpris d’être invités à témoigner sur des enjeux qui pourraient avoir des répercussions considérables sur leur secteur, cela nous dit que le gouvernement actuel a un bilan déplorable en matière de consultation.

N’oubliez pas que le gouvernement n’a pas présenté ce projet de loi. Il s’agit d’un projet de loi d’initiative parlementaire, comme l’a signalé à juste titre le sénateur Cotter. Toutefois, c’est une mesure législative qui exigera des consultations et une collaboration de la part du gouvernement fédéral. Si ce dernier avait fait son travail, il n’aurait jamais été nécessaire d’élaborer un tel projet de loi. Avoir besoin d’un projet de loi d’initiative parlementaire pour favoriser la tenue de consultations et pour élaborer en commun un plan sur cet enjeu important est une condamnation accablante du bilan du gouvernement. Cela ne me donne pas l’espoir que ce projet de loi atteindra le but recherché par Jim Carr.

Je crois qu’à bien des égards, le traitement que fait subir le gouvernement aux provinces des Prairies depuis sept ans est de mauvais augure pour ce projet de loi. C’est la principale raison pour laquelle aucune de ces provinces n’en veut, et cela en dit long sur la relation entre le gouvernement actuel et les provinces des Prairies. Le député Pat Kelly a expliqué la situation en ces termes à l’autre endroit :

[...] ce projet de loi ne fera rien d’autre qu’imposer à des provinces réticentes un processus dont les personnes concernées ne veulent pas en vue d’atteindre des objectifs que les habitants des provinces touchées n’approuvent pas, tout cela pour faire rapport à un gouvernement fédéral qui n’écoute pas et dont le bilan laisse croire qu’il portera encore davantage préjudice à trois provinces canadiennes à qui il a déjà causé de graves préjudices.

Je dirais que c’est un assez bon résumé. Si vous croyez que c’est un peu sévère, vous devez comprendre que, à l’heure actuelle, les mesures phares du gouvernement en ce qui concerne l’économie « verte » des Prairies sont la taxe sur le carbone et le plan de réduction des émissions liées aux engrais, deux mesures extrêmement nuisibles à l’économie des Prairies qui n’ont pas fait l’objet de véritables consultations. Souvenons-nous par ailleurs du projet de loi C-69, le projet de loi anti-pipelines, et du projet de loi C-48, le projet de loi contre l’exploitation des ressources naturelles. Les gouvernements des Prairies se sont opposés à toutes ces initiatives, mais on leur a quand même imposé ces mesures sans leur laisser le choix. Voilà l’idée que le gouvernement fédéral se fait de la consultation.

Vous m’excuserez donc si je ne suis pas aussi optimiste que d’autres sénateurs quant à la capacité du gouvernement fédéral de mettre en œuvre un cadre exigeant une consultation et une collaboration véritables et visant à stimuler l’économie des Prairies. Cela n’a jamais fait partie de ses priorités, et rien ne laisse entendre que ce projet de loi va soudainement en faire une priorité. C’était la priorité de Jim Carr. Jim aimait les Prairies. Cependant, dans tout ce que le gouvernement dit ou fait, rien ne nous permet de croire que les Prairies lui tiennent à cœur.

Prenez simplement le fait qu’en dépit de l’opposition des trois provinces des Prairies, le gouvernement fait tout en son pouvoir pour faire adopter ce projet de loi rapidement. Si on se fie au comportement du leader du gouvernement, les libéraux considèrent ce projet de loi comme une mesure d’initiative ministérielle. Je n’ai pas souvenir qu’un leader du gouvernement au Sénat se soit déjà présenté, en tant que membre d’office, à une séance de comité portant sur l’étude d’un projet de loi d’initiative parlementaire. De toute évidence, il avait reçu des instructions du Cabinet du premier ministre à ce sujet.

Chers collègues, cette situation est regrettable, non seulement parce que nous n’avons pas vraiment eu la possibilité d’exercer une diligence raisonnable, mais aussi parce qu’elle indique aux provinces qu’elles peuvent s’attendre à la même chose à l’avenir.

Chers collègues, par respect et par admiration pour Jim Carr, je me suis engagé envers lui à ne pas m’opposer à l’étude de ce projet de loi. Même si je n’appuie pas cette mesure, je respecte mon engagement, et j’accepterai qu’elle soit adoptée avec dissidence. Cela dit, chers collègues, la décision vous revient. Merci.

L’honorable Mary Jane McCallum [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-235, Loi concernant le développement d’une économie verte dans les Prairies.

Je tiens à exprimer clairement mes inquiétudes au sujet de la procédure accélérée adoptée pour ce projet de loi au Sénat — un projet de loi d’initiative parlementaire qui bénéficie d’un traitement privilégié lui permettant d’avoir préséance sur les projets de loi d’initiative ministérielle à l’étude. C’est une procédure que je n’avais encore jamais vue.

Je suis consciente que ce traitement privilégié et cette exception ont reçu l’aval des leaders des quatre caucus. À titre de sénatrice non affiliée, je ne fais partie d’aucun caucus. Je n’ai donc pas participé à la conclusion de cette entente et je n’en ai pas été informée. De surcroît, je m’y oppose. Par conséquent, il n’y avait pas consentement unanime pour adopter cette procédure qui cherche à marginaliser, à exclure et à réduire au silence certains segments de la population canadienne.

Je sais que le projet de loi a été étudié rapidement en hommage à un regretté collègue, mais je trouve très inquiétant qu’on nous demande de précipiter l’adoption d’une mesure législative pour cette raison uniquement. Je ne connaissais pas personnellement ce collègue, mais selon les hommages que j’ai entendus, je suis portée à croire qu’il aurait voulu que son legs comprenne l’équité, la diversité, l’inclusion, le respect, les rapports humains, l’intégrité, la confiance, la réconciliation et la confiance du public. Toute étude exceptionnelle et rapide nécessite un examen rigoureux pour qu’il y ait de la transparence et pour que la confiance du public soit maintenue. Cependant, ce projet de loi n’a été étudié que trois jours au Sénat.

Le débat à l’étape de la deuxième lecture a commencé il y a seulement deux jours, et, aujourd’hui, nous tiendrons le vote final sur un projet de loi très complexe qui n’a pas besoin d’être adopté rapidement. Dans le cadre de ce processus, on a décidé de tenir seulement une réunion du comité pour entendre le point de vue des nombreux détenteurs de droits et intervenants. Lors de cette étude, absolument aucun témoin des Premières Nations n’a été entendu sur les questions qui ont une grande incidence sur elles en tant que détenteurs de droits, sur leurs droits issus de traités, sur leurs droits économiques et sur leurs droits de la personne. Toutefois, vous êtes au courant, étant donné que vous avez adopté le projet de loi C-15.

Comme beaucoup d’entre vous le savent grâce à la correspondance que nous avons tous reçue au cours des 24 dernières heures, les Premières Nations n’étaient pas au courant de la présentation imminente du projet de loi et du peu de temps accordé à son étude au Sénat. Cette situation a empêché les Premières Nations d’exprimer leurs préoccupations à l’égard du projet de loi. Dans le cadre de discussions sur le processus adopté par le Sénat, l’Assemblée des chefs du Manitoba a fait le commentaire suivant : « L’absence d’avis et de participation des Premières Nations est aussi ridicule qu’irrespectueuse. »

Cette réaction en dit long, chers collègues. Elle est directe, mais je suis tout à fait d’accord sur ce qu’elle exprime. Parmi les rôles bien établis du Sénat figure celui de faire entendre les droits et les intérêts des minorités dans notre étude des projets de loi. À titre de sénateurs, nous avons le devoir de promouvoir les principes et valeurs fondamentaux de notre système démocratique, particulièrement parce que le Sénat a traditionnellement pour rôle d’agir au nom de groupes sous-représentés à la Chambre des communes, comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la réforme du Sénat, 2014 :

Avec le temps, le Sénat en est aussi venu à représenter divers groupes sous-représentés à la Chambre des communes. Il a servi de tribune aux femmes ainsi qu’à des groupes ethniques, religieux, linguistiques et autochtones auxquels le processus démocratique populaire n’avait pas toujours donné une opportunité réelle de faire valoir leurs opinions.

Nous nous retrouvons cependant, une fois de plus, à participer à un processus qui écarte ces voix marginalisées de la conversation et les muselle délibérément. C’est particulièrement troublant, étant donné que le projet de loi à l’étude aura des conséquences considérables et immédiates pour les Premières Nations des provinces des Prairies. En tant que sénateurs, nous sommes titulaires d’une charge publique unique qui nous demande, à titre de parlementaires, de confronter le racisme sans hésitation et de veiller à l’intégrité de l’institution.

Hier, les sénateurs ont reçu un mémoire de l’Assemblée des chefs du Manitoba, dans lequel les chefs soulignent leur préoccupation à l’égard du projet de loi C-235. Dans leur mémoire, ils expriment l’impasse dans laquelle les a placés la façon d’agir du Sénat. Selon leurs mots, « cela a sévèrement réduit la capacité de l’Assemblée des chefs du Manitoba à se préparer correctement et à demander à être un témoin pour en parler ».

Nous avons reçu la même chose. Je sais que l’organisation Manitoba Keewatinowi Okimakanak avait déposé une demande afin de prendre parole.

Disons-le clairement : l’Assemblée des chefs du Manitoba a souligné son soutien au développement d’une économie verte. Cependant, comme ils le soutiennent à juste titre, cette approche :

[...] doit se faire avec les Premières Nations en tant que partenaires de traités avec la Couronne jouant un rôle beaucoup plus important dans les questions qui touchent les terres cédées en vertu d’un traité et les territoires traditionnels des Premières Nations, ainsi que les eaux qui les traversent.

L’Assemblée des chefs du Manitoba a déclaré, chers collègues, que le projet de loi C-235 représente :

[...] l’élaboration d’un cadre par un processus de consultation et de participation légiféré qui maintient le statu quo et qui ne tient pas compte des développements actuels qui ont des répercussions sur leurs droits inhérents et les droits issus de traités des Premières Nations du Manitoba et d’autres provinces.

Honorables sénateurs, l’Assemblée des chefs du Manitoba met en évidence une préoccupation plus grande et plus directe à l’égard de ce projet de loi lorsqu’elle écrit :

Le projet de loi C-235 traite des provinces du Manitoba, de la Saskatchewan et de l’Alberta, qui ont toutes autrefois adopté des lois visant à transférer le contrôle de leurs terres de la Couronne et de leurs ressources naturelles du gouvernement fédéral à leurs gouvernements provinciaux sans le consentement libre, préalable et éclairé des Premières Nations. Selon l’Assemblée des chefs du Manitoba, le fait d’appuyer un projet de loi qui touche directement la loi concernant le transfert des ressources naturelles, les terres visées par un traité, les droits issus de traités ainsi que l’autodétermination et la souveraineté des Premières Nations du Manitoba peut être interprété comme un appui au statu quo et une acceptation des questions non résolues qui restent à régler.

Honorables sénateurs, il est important de souligner que la Fédération des nations indiennes de la Saskatchewan tiendra une conférence de presse demain pour annoncer qu’elle intente une poursuite relativement aux lois concernant le transfert des ressources naturelles. Cette poursuite a l’appui des chefs des Premières Nations du Manitoba et de l’Alberta. Chers collègues, grâce à ce préavis, nous sommes tous maintenant conscients que cette poursuite est imminente. L’adoption d’une loi fédérale qui interférera avec ce processus est à la fois imprudente et contraire à la pratique habituelle du Sénat, surtout en ce qui concerne un projet de loi dont l’adoption rapide n’est pas nécessaire. En tant que sénateurs, nous avons besoin de précisions sur la poursuite à venir.

Chers collègues, nous devons réfléchir à l’importante mesure législative que nous avons adoptée, le projet de loi C-15, qui vise à harmoniser les lois canadiennes avec la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Cette chambre a voté en faveur de ce projet de loi, affirmant ainsi sa volonté que les articles de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones servent de principes directeurs pour la rédaction et la mise en œuvre des mesures législatives fédérales pour ce qui est de leur incidence sur les peuples autochtones du Canada et de leur inclusion.

Le projet de loi C-235 représente un test décisif pour déterminer dans quelle mesure le Sénat respecte les principes de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. L’une des caractéristiques fondamentales de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est qu’elle exige du Canada qu’il collabore avec les Premières Nations, qu’il les sollicite et les consulte directement, dans le cadre de relations de nation à nation. Cette preuve de respect et cette volonté de conciliation font cruellement défaut dans ce projet de loi.

Ce manque de respect et de volonté de conciliation s’est clairement manifesté dans le cadre de l’étude du projet de loi C-235 par le comité. Les Premières Nations ont fait savoir qu’elles souhaitaient être entendues comme témoins sur cette mesure législative. Comme elles n’ont pas été consultées lors de l’élaboration du projet de loi, il est essentiel de leur permettre de se faire entendre pendant l’étude en comité. Or, comme nous le savons, le comité ne s’est que très peu penché sur ce projet de loi. Cette étude a eu lieu hier soir, et un seul groupe de témoins a été entendu. Pas un seul représentant des Premières Nations n’a pu s’exprimer dans le cadre de ces travaux. Comment a-t-on décidé d’inviter certains témoins plutôt que d’autres?

Honorables sénateurs, il convient de nous interroger pour déterminer si l’adoption du projet de loi C-235 à ce moment-ci est responsable, équitable et juste. Si nous voulons rester honnêtes envers nous-mêmes, nous devons reconnaître qu’il ne nous a pas été possible d’effectuer une étude approfondie, détaillée, et donc responsable du projet de loi.

Le fait que les Premières Nations et d’autres groupes qui subiront des répercussions négatives n’aient pas eu l’occasion de se faire entendre sur cette question même s’ils ont manifesté le désir de le faire devrait être une raison suffisante pour nous inciter à reporter temporairement le vote final. Le musellement est un comportement violent et ne constitue pas un bon fondement pour un projet de loi.

Reporter le vote final jusqu’au début de la nouvelle année n’aura aucun effet délétère sur le projet de loi. Cependant, réduire au silence les Premières Nations lorsqu’elles demandent d’être entendues aurait un effet délétère sur le Canada — et sur le Sénat. Nous devons donc nous demander pourquoi nous avons adopté des projets de loi qui étaient censés favoriser l’autodétermination et l’établissement d’une relation de nation à nation.

Chers collègues, il n’est pas trop tard pour faire ce qui est juste en reportant l’adoption d’une rapidité troublante du projet de loi. Cela donnera à tous les intervenants touchés la possibilité de se faire entendre et permettra aux sénateurs de traiter le projet de loi de façon responsable et respectueuse et de procéder à un second examen objectif.

Haut de page