Aller au contenu

Les enjeux concernant l'Arctique

Interpellation--Débat

19 février 2020


Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de l’interpellation de la sénatrice Bovey, qui demande au Sénat de renouveler et d’approfondir notre intérêt pour les enjeux concernant l’Arctique. La sénatrice souhaite également que le Sénat appuie sa suggestion d’envisager la création d’un comité d’une certaine envergure — probablement un comité sénatorial spécial — pour poursuivre le travail important qui a été entrepris par le Comité sénatorial spécial sur l’Arctique au cours de la législature précédente.

Le rapport du comité, qui s’intitule Le Grand Nord : Un appel à l’action pour l’avenir du Canada, a servi d’assise aux travaux du Sénat dans ce dossier. Cependant, comme tous les membres du comité en témoigneront, nous avions à peine commencé à effleurer la surface des enjeux propres à cette région très importante et très diversifiée de notre pays. Mis sur pied sur la recommandation de l’ancien sénateur Charlie Watt, du Nunavik, le comité a fini par formuler 30 recommandations sur diverses questions allant des économies saines à l’Arctique dans un contexte mondial en passant par la culture, la science, le savoir autochtone et la conservation de l’environnement.

Notre collègue, le sénateur Patterson, a présidé le comité avec compétence après le départ à la retraite du sénateur Watt, qui a repris ses fonctions au sein de la Société Makivik. L’idée était d’établir un lien — et d’étoffer ce lien — avec le Cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord du Canada, qui a été publié en septembre dernier, trois mois après la publication du rapport du comité sénatorial.

Je participe au débat sur la présente interpellation en tant que membre du Comité sénatorial spécial sur l’Arctique, qui a examiné les changements importants et rapides dans l’Arctique et leurs effets sur ses premiers habitants. Si je prends la parole, c’est également parce que j’ai un vif intérêt pour cette région du monde, notamment en raison de liens familiaux au Nunatsiavut, au Nunavut et, maintenant, au Yukon. Je suis aussi une professionnelle du développement communautaire en milieu rural, une Canadienne qui a à cœur la réconciliation avec nos voisins autochtones et une personne qui est consciente de la force et du potentiel des gens de l’Arctique et de leurs terres.

Plus tôt au cours de la présente session, lorsque j’ai présenté une interpellation sur les parcours à suivre pour que le Canada respecte ses cibles de zéro émission nette de carbone, j’ai qualifié le Canada de pays de l’Arctique et j’ai souligné le fait qu’une bonne partie de l’Arctique est constituée de territoires autochtones. J’ai aussi qualifié l’Arctique de climatiseur de la Terre.

La Nunavimmiut Sheila Watt-Cloutier, ancienne présidente à l’international du Conseil circumpolaire inuit et auteure de l’ouvrage Le droit au froid, insiste sur ce fait. Elle a expliqué ce qui suit :

La glace est pour nous source de vie. C’est une énergie maternelle, nourricière et généreuse. C’est notre université et notre supermarché. La glace est au cœur de la santé et du bien-être de tout un peuple qui vit au sommet du monde.

Elle a aussi écrit ceci :

Pour les Inuits, la glace est beaucoup plus que de l’eau gelée, elle constitue nos routes, notre terrain d’entraînement et notre force vitale. Nous pensions qu’elle serait aussi permanente que les montagnes et les rivières du Sud. Or, ma propre génération voit déjà dans l’Arctique une diminution de la glace marine et de la neige, dont les Inuits sont tributaires depuis des millénaires.

Elle ajoute ceci :

En protégeant l’Arctique, vous sauverez la planète [...]

Ce n’est pas Las Vegas.

[...] ce qui se passe dans l’Arctique ne reste pas dans l’Arctique. Tout est relié parce que nous partageons la même atmosphère, mais aussi parce que nous sommes reliés par l’esprit et par l’humanité.

Une autre dirigeante du Nunavik, Mary Simon, qui a été présidente de l’ITK et, plus récemment, représentante spéciale de la ministre des Affaires autochtones et du Nord, a publié, en 2017, son rapport sur un nouveau modèle de leadership partagé dans l’Arctique. Dans le rapport, Mary Simon dit ceci :

À maintes reprises, on m’a parlé de l’incidence du réchauffement de l’Arctique sur la sécurité alimentaire, l’infrastructure, le logement et la sécurité au sol et sur l’eau. Le message était très clair : dans ses engagements à l’égard du changement climatique, le Canada doit faire de l’établissement d’une stratégie d’adaptation et d’un plan de mise en œuvre une priorité nationale.

Lors de notre visite à Iqaluit avec le comité sénatorial spécial en septembre 2018, les membres de la chambre de commerce nous ont parlé des répercussions complexes et sérieuses des changements climatiques sur la salubrité de l’eau potable de la collectivité. En raison des changements dans les tendances de précipitations, le niveau du lac qui était leur source d’eau potable avait beaucoup baissé. L’eau se faisait rare. Comble de malheur, le pergélisol sur lequel repose l’utilidor hors terre qui achemine l’eau partout dans la collectivité, était en train de fondre. Cela a provoqué l’effondrement et le bris de certains tronçons de l’utilidor, ce qui a fait perdre de l’eau précieuse qui se faisait déjà rare. C’était un double coup dur pour la collectivité. Dans les Territoires du Nord-Ouest, nous avons appris que des maisons étaient tombées dans la mer. Au Yukon, nous avons entendu parler du danger croissant que représentent les incendies de forêt.

Je pourrais parler pendant longtemps des répercussions cataclysmiques des changements climatiques dans l’Arctique, car il est impératif de prendre des mesures d’atténuation, de résilience et d’adaptation de toute urgence. Il est toutefois important de parler aussi des autres priorités de l’Arctique.

Aluki Kotierk, le président de Nunavut Tunngavik Inc., l’organisme de revendications territoriales du Nunavut, m’a envoyé un courriel pour dire ceci :

Je suis heureuse d’apprendre que vous tentez de relancer le comité spécial sur l’Arctique. L’Arctique fait partie du Canada et comprend la zone côtière la plus longue du pays. Il a aussi marqué profondément l’identité canadienne. Les Inuits ont servi en quelque sorte de drapeaux humains pour assurer la souveraineté du Canada. Le Canada se montre aussi fier de symboles identitaires issus de la culture inuite, comme l’inukshuk et le kayak.

Elle ajoute :

Les Inuits sont Canadiens. Les déterminants sociaux de la santé montrent toutefois qu’ils affichent des résultats considérablement inférieurs à ceux des autres Canadiens en ce qui concerne la sécurité de l’approvisionnement alimentaire, les diplômes d’études secondaires, l’accès aux soins de santé, l’emploi, etc., et des chiffres beaucoup plus élevés quand on regarde le nombre de décès par suicide, l’incarcération, la violence, etc. Il faut porter une attention spéciale à ces enjeux pour pouvoir s’y attaquer sans détour et faire en sorte que tous les Canadiens jouissent d’une qualité de vie semblable.

Nous savons que 7 enfants inuits sur 10 se couchent le soir le ventre creux. Il faut donc voir à ce que la croissance économique amène plus d’argent dans les poches des Inuits.

Une autre chef de file de l’Arctique, la première ministre des Territoires du Nord-Ouest, Caroline Cochrane, a dit ceci :

Je suis arrivée à la table en me demandant non seulement ce que nous pourrions faire pour le Nord, mais aussi ce que le Nord pourrait faire pour le reste du Canada.

Chers collègues, je le répète, nous avons le nouveau Cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord du Canada. Ce cadre est fondé sur l’engagement du Canada envers le Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies et a le même échéancier, c’est-à-dire d’ici 10 ans.

Les huit buts et les 67 objectifs du cadre guideront les investissements et les activités du gouvernement fédéral au cours des 10 prochaines années. Ils comprennent les points suivants : favoriser la santé des familles et des communautés; investir dans l’infrastructure de l’énergie, des transports et des communications dont les gouvernements, les économies et les communautés du Nord et de l’Arctique ont besoin; créer des emplois, favoriser l’innovation et faire croître les économies de l’Arctique et du Nord; appuyer les sciences, les connaissances et la recherche qui ont un sens pour les communautés et pour la prise de décisions; faire face aux effets des changements climatiques et soutenir des écosystèmes sains; veiller à ce que le Canada et les résidents du Nord et de l’Arctique soient en sécurité et bien défendus; redonner au Canada sa place de chef de file international dans l’Arctique; promouvoir la réconciliation et améliorer les relations entre les peuples autochtones et non autochtones.

Son Honneur le Président [ + ]

Sénatrice Coyle, je regrette de devoir vous interrompre, car il est 16 heures.

Haut de page