Aller au contenu

Projet de loi relative à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones

Troisième lecture--Débat

15 juin 2021


L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Je veux commencer mon discours en soulignant que, dans son appel à l’action no 53, la Commission de vérité et réconciliation demande la mise sur pied d’un conseil national de réconciliation. Le mandat du conseil serait notamment de promouvoir le dialogue public de réconciliation. Je mets l’accent sur le mot « dialogue ». Dans l’ensemble du rapport, la Commission de vérité et réconciliation parle de respect — de respect et de dialogue. Je suis tout à fait en accord avec cela.

Le processus de réconciliation sera long et probablement parfois douloureux. Cependant, il sera beaucoup plus pénible pour nous tous si le dialogue et le respect en sont absents. Lorsqu’on remet en question l’approche proposée par le gouvernement ou par une autre personne ou organisation pour promouvoir la réconciliation, cela ne devrait pas donner lieu à des accusations de racisme.

Honorables collègues, j’aimerais poser la question suivante. Est-ce que l’on sert mieux la cause de la réconciliation en lançant des accusations contre ceux qui ne souscrivent tout simplement pas à ce qui se dit dans la chambre d’écho, ou en optant plutôt pour le dialogue et le respect?

Je crois que la sénatrice McCallum comprend et convient qu’il faut du temps pour établir un dialogue et un respect véritables. Elle n’a pas cédé aux pressions lorsque le gouvernement a exigé que ce projet de loi soit adopté immédiatement et sans amendement. Il n’y a absolument aucune raison d’adopter ce projet de loi à la hâte et de se retrouver ainsi avec un résultat imparfait.

D’ailleurs, après avoir écouté la sénatrice McCallum, je crois qu’elle a compris qu’adopter à toute vapeur un mauvais projet de loi est bien pire que d’adopter un projet de loi plus réfléchi une fois qu’on a bien compris les effets de certaines dispositions législatives.

On peut être en désaccord sur ce qui constituerait le meilleur projet de loi pour le Canada lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre la déclaration des Nations unies, mais je crois que nous pouvons convenir que nous devrions comprendre pleinement les effets des dispositions législatives que nous adoptons.

Chers collègues, il y a deux ans, le caucus conservateur s’est battu bec et ongles contre le projet de loi C-262, un projet de loi d’initiative parlementaire de nature similaire au projet de loi C-15. Nous nous opposions à cette mesure principalement parce que nous pensions qu’il incombait au gouvernement de présenter un tel projet de loi et que des ministres et des fonctionnaires devraient avoir à témoigner de son incidence devant le comité. Les ministres et fonctionnaires libéraux, chers collègues, ont refusé une invitation à témoigner sur le projet de loi C-262, laissant les sénateurs dans l’ignorance de l’incidence potentielle d’une telle mesure. Forcer le gouvernement à déposer son propre projet de loi avait l’avantage, au moins, d’essayer d’obliger les ministres et les fonctionnaires à préciser leur interprétation du projet de loi et son incidence. L’intention du gouvernement est particulièrement importante en ce qui concerne le projet de loi C-15.

Je reconnais maintenant que ce projet de loi a pris une importance symbolique pour de nombreuses personnes, en particulier au sein des communautés autochtones. Je crois que des personnes très sincères voient dans ce projet de loi un nouvel espoir de réconciliation avec les peuples autochtones. C’est tout à fait compréhensible.

Cependant, je crains que leurs espoirs ne se réalisent jamais. Je sais que beaucoup de personnes souhaitent que ce projet de loi entraîne une nouvelle ère pour les peuples autochtones et pour la réconciliation au Canada. À l’écoute des témoins qui se sont présentés au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, je crains cependant que cela soit peu probable. Comme le gouvernement a maintenant été forcé de décrire les véritables répercussions du projet de loi, on peut le voir pour ce qu’il est. Au mieux, il s’agit d’une liste d’aspirations qui créeront de la déception et de la frustration. Au pire, il s’agit d’une liste d’éléments qui indiquent d’éventuelles zones de conflit.

De plus, à l’écoute de ce que la majorité des provinces ont dit directement au premier ministre, la réalisation des attentes que le gouvernement a créées avec ce projet de loi semble peu probable.

Bien entendu, la position du gouvernement est différente. On a entendu des ministres proclamer haut et fort que ce projet de loi allait entraîner une nouvelle ère de réconciliation et de coopération avec les peuples autochtones. À cet égard, je veux lire certaines observations que le ministre Lametti a faites sur le projet de loi à l’étape de la deuxième lecture dans l’autre endroit. Le ministre a dit que le projet de loi :

[...] s’inscrit également dans le cadre d’efforts plus vastes pour unir nos forces et faire progresser nos priorités communes qui sont de respecter les droits de la personne, de reconnaître le droit à l’autodétermination, de combler les écarts socioéconomiques, de lutter contre la discrimination et d’éliminer les barrières systémiques auxquelles se heurtent les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

Ce sont des objectifs extrêmement vastes. Cela dit, le ministre ne s’est pas arrêté là. Il a ajouté que le projet de loi reconnaît :

[...] l’importance de la déclaration en tant que cadre pour la réconciliation, la guérison et la paix, les droits intrinsèques, l’importance de respecter les traités et les accords, ainsi que la nécessité de tenir compte de la diversité des peuples autochtones lors de la mise en œuvre des mesures législatives.

Il a aussi dit ceci :

En imposant un processus de collaboration pour établir un plan d’action concret sur ces questions et d’autres priorités en matière de droits de la personne, nous devrions constater une amélioration du lien de confiance et une diminution des recours aux tribunaux pour résoudre des conflits sur les droits des peuples autochtones.

Ce sont des objectifs très vastes et d’une portée considérable de la part d’un gouvernement qui a dépensé près de 100 millions de dollars dans des batailles juridiques contre les Premières Nations de 2015 à 2018. En tenant compte de ce fait seulement, il y a un décalage énorme entre ce que proclame le gouvernement et ce qu’il fait réellement. Ainsi, il est probablement compréhensible que nous ayons à remettre en question la sincérité des propos du ministre.

Puis, il y a la question des consultations menées par le gouvernement au sujet de ce projet de loi et, bien honnêtement, d’autres projets de loi. Le ministre a affirmé que le gouvernement a mené de vastes consultations sur ce projet de loi. C’est un aspect crucial parce que le niveau futur de consultation et de collaboration est évidemment un pilier du plan d’action proposé dans le projet de loi C-15. Nous devrions donc nous attendre à ce que des consultations en bonne et due forme soient un pilier essentiel du processus menant à l’élaboration du projet de loi lui-même.

Le ministre a évidemment affirmé que le projet de loi avait fait l’objet de vastes consultations. Plus précisément, il a dit que le projet de loi :

[…] est le fruit d’un processus de collaboration et d’engagement qui a été mené, au cours des derniers mois, auprès de détenteurs de droit, de leaders et d’organisations autochtones.

Il a ajouté que le gouvernement a « travaillé en étroite collaboration avec l’Assemblée des Premières Nations, Inuit Tapiriit Kanatami et le Ralliement national des Métis ».

Il a également dit ceci :

Nous avons aussi reçu de précieux commentaires de la part des collectifs autochtones ayant conclu un traité moderne, des Premières Nations autonomes, des titulaires de droits, des jeunes Autochtones et d’organismes autochtones régionaux et nationaux, notamment ceux qui représentent les femmes autochtones, les personnes bispirituelles et celles de diverses identités de genre d’origine autochtone.

Tous ces commentaires ont façonné l’élaboration de la proposition législative et nous tenons à remercier tous ceux qui ont contribué. Nous avons également tenu des discussions avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, ainsi qu’avec les intervenants de l’industrie des ressources naturelles.

Le problème, chers collègues, c’est que les témoignages entendus par le Comité des peuples autochtones contredisent les affirmations du gouvernement sur les consultations menées. Par exemple, le comité a entendu que la majorité des détenteurs de droits n’ont pas été consultés au sujet de ce projet de loi. Dans l’Ouest canadien, des signataires des Traités nos 6, 7 et 8 ont tous déploré le manque de consultations sur ce projet de loi et le manque de respect du gouvernement fédéral envers les détenteurs de droits et les signataires de traités avec lesquels il entretient des relations bilatérales.

L’Association des Iroquois et des Indiens alliés soutient que les détenteurs de droits en Ontario n’ont pas été consultés en bonne et due forme. Douglas Beaverbones, chef de la Première Nation d’O’Chiese, a dit ceci :

Le symbolisme du projet de loi C-15 ne nous donne pas l’assurance que les droits et privilèges inhérents aux relations fondées sur les traités seront pleinement reconnus.

Il a ajouté :

Le projet de loi C-15 créera encore plus de tables, plus de processus, et même plus de distance par rapport à la Couronne et à notre peuple. Il ne voudra rien dire au niveau de la base des gens visés par le traité.

Le Canada doit comprendre que l’Assemblée des Premières Nations n’est pas titulaire de droits issus de traités. Ce sont les gens de ma nation qui le sont. Leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause est la norme de la DNUDPA, pas de Perry Bellegarde. Personne n’a demandé à mon peuple son consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause avant de proposer le projet de loi.

La marraine de ce projet de loi au Sénat proclame souvent haut et fort qu’elle vient du territoire du Traité no 6. Voici ce que dit la Confédération des Premières nations du Traité no 6 au sujet des consultations :

Il est clair pour la Confederacy of Treaty Six First Nations que le Canada a échoué sur tous les fronts en ce qui concerne la définition des dispositions de la Déclaration relatives au consentement préalable, librement donné et en connaissance de cause. Le gouvernement du Canada n’a satisfait à aucun des critères du consentement. Pas même une forme minimale.

Lors de son intervention à l’étape de la troisième lecture de ce projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson a énuméré une longue liste d’Autochtones qui appuient ce projet de loi du gouvernement. Mais qu’en est-il des détenteurs de droits qui n’appuient pas le projet de loi? Quelle est la valeur de leur consentement préalable donné librement et en toute connaissance de cause? Pourquoi semble-t-il que seul compte vraiment le consentement préalable des gens qui sont d’accord avec le gouvernement?

La réalité, c’est qu’un grand nombre de titulaires de droits ont parlé des consultations inadéquates au comité, et des sénateurs de tous les groupes ont reconnu qu’il s’agit d’un grave problème.

Par exemple, la sénatrice Coyle, que je tiens à féliciter, a informé le ministre Lametti et la ministre Bennett de ce fait lorsqu’ils ont comparu devant le comité lors du dernier jour d’audience. Elle a dit ceci :

Nous avons entendu beaucoup de commentaires positifs dans les derniers jours de témoignages intenses sur le projet de loi C-15 […]

Cela ne veut cependant pas dire que nous ne devons être à l’écoute de ceux qui ont de véritables préoccupations. Nous avons entendu les préoccupations des détenteurs de droits au sujet des droits issus de traités, mais aussi au sujet de tout le processus de consultation. Nous avons entendu beaucoup de méfiance.

Les représentants du secteur des ressources nous ont fait part de leurs préoccupations au sujet de ce projet de loi, qui aggrave une situation délicate en partant, un manque de clarté, et cetera, dans le secteur des ressources […]

Je pense donc que tous les sénateurs qui siègent au Comité des peuples autochtones devront probablement reconnaître qu’il y a des gens qui doutent sérieusement que le projet de loi C-15 marque l’avènement d’une nouvelle ère de réconciliation et de consultation, comme le prétend le gouvernement.

En résumé, le gouvernement prétend que ce projet de loi permettra d’accomplir plusieurs choses. Premièrement, il prétend qu’il marquera l’avènement d’une nouvelle ère de réconciliation. Deuxièmement, il prétend qu’il amènera davantage de certitude et moins de poursuites dans les dossiers touchant les Autochtones. Troisièmement, il affirme que le gouvernement a mené de vastes consultations, y compris avec les détenteurs de droits, l’industrie et les provinces.

Qu’en est-il de ces consultations avec les provinces? Qu’en est-il des opinions des représentants du secteur canadien des ressources et de celles des Premières Nations qui collaborent avec notre secteur des ressources? Quels sont leurs points de vue?

Nous savons qu’une province, la Colombie-Britannique, appuie le projet de loi. Toutefois, Arlene Dunn, la ministre des Affaires autochtones du Nouveau-Brunswick, a été très claire au sujet du projet de loi devant notre comité :

Personne ne conteste que les peuples autochtones aient des droits au Canada, des droits individuels et collectifs. L’article 35 de la Constitution du Canada reconnaît et confirme explicitement les droits ancestraux existants ainsi que les droits issus de traités.

Personne ne prétend le contraire. Par contre, la ministre a ajouté ceci en parlant plus précisément du projet de loi C-15 :

Mais le projet de loi C-15 donnerait, à notre avis, de nouveaux droits qui ne sont pas prévus dans notre Constitution, ce qui nuirait à la croissance et à la prospérité à long terme du Canada. Nous craignons que ce projet de loi ne donne à un groupe particulier un droit de veto absolu sur le développement économique sans tenir compte des intérêts des autres membres de la société canadienne.

Voilà l’analyse que le gouvernement du Nouveau-Brunswick a présentée à notre comité. Ce n’est peut-être pas une opinion partagée par tous, mais il nous incombe de ne pas en faire fi. Après tout, c’est notre responsabilité d’exercer un second examen objectif en vertu de la Constitution. Ce ne sont pas que des mots qui sonnent bien. Je crois que nous avons la responsabilité d’agir en conséquence de temps à autre.

Le problème plus grave, c’est que plusieurs provinces sont du même avis que le Nouveau-Brunswick. Six provinces — l’Alberta, l’Ontario, le Québec, la Saskatchewan, le Manitoba et le Nouveau-Brunswick — ont en effet écrit au premier ministre pour lui faire part de leurs inquiétudes au sujet du projet de loi C-15. Ce sont des provinces que le gouvernement a abondamment consultées. Dans leur lettre au premier ministre du Canada, les premiers ministres provinciaux ont déclaré ce qui suit :

Nous estimons que le gouvernement fédéral n’a pas pris suffisamment en considération nos préoccupations, et qu’il ne nous a pas consultés de manière pertinente [...]

 — intéressant —

[...], pas plus que les communautés ou les organisations autochtones d’ailleurs, à l’égard de ce projet de loi. Chacune de nos provinces a pris des mesures positives pour faire progresser la réconciliation avec les peuples autochtones et leur prospérité dans nos compétences respectives. [...] À ce jour, votre démarche relativement à l’adoption du projet de loi C-15 est contraire aux principes du fédéralisme coopératif qui exigent une collaboration pertinente et substantielle avec les provinces. La collaboration à l’égard de ce projet de loi a été insuffisante et ne tient pas compte des préoccupations des provinces. [...] Le projet de loi C-15, tel qu’il est rédigé, pose un problème et aura des conséquences importantes et d’une portée considérable, tant pour le gouvernement fédéral que pour les provinces et, potentiellement, pour les populations autochtones.

Selon la lettre des six premiers ministres provinciaux, le projet de loi C-15 risque d’avoir pour effet de remplacer le cadre de jurisprudence existant par « des décennies d’incertitude juridique qui mettront en péril les investissements et l’avancement de la réconciliation ».

Nous devons prendre cet avertissement très au sérieux. On parle en effet de « décennies d’incertitude juridique », pour reprendre l’expression utilisée dans la lettre.

Honorables sénateurs, qui en paiera le prix? Ce ne sera sûrement pas les avocats comme le ministre Lametti, ni les organisations autochtones bien financées, ni les chercheurs qui se trouvent dans les universités canadiennes ou au Sénat et qui appuient ce projet de loi. Non. Les premiers à en payer le prix seront probablement les Canadiens ordinaires, notamment les Canadiens autochtones, dont l’emploi et le gagne-pain dépendent de la certitude entourant les projets.

Les mises en garde que les premiers ministres provinciaux adressent au premier ministre sont d’autant plus préoccupantes que le comité les a aussi entendues de la part de témoins qui représentaient le secteur canadien des ressources.

Brian Schmidt est président-directeur général de Tamarack Valley Energy. Lorsqu’il a comparu devant le comité, il a dit que l’industrie des ressources et les peuples autochtones avaient un intérêt commun pour le développement responsable des ressources. Il a affirmé que le développement était la pierre d’assise de la prospérité des peuples autochtones.

C’est ce qu’a confirmé Dale Swampy, membre de la nation crie de Samson, en Alberta, et président de la Coalition nationale des chefs. Voici ce qu’a dit M. Swampy :

[...] la communauté autochtone du Canada fait face à une crise de pauvreté. La pauvreté a détruit la majeure partie de la structure familiale dont nos communautés étaient fières. La perte de notre structure familiale nous a rendus dépendants d’une société d’aide sociale [...]

La coalition est d’avis que cette pauvreté a causé ces maux sociaux et que la seule façon de les éliminer est de vaincre la pauvreté [...] La meilleure façon d’obtenir des emplois sera par l’entremise de notre plus grande industrie au Canada, l’industrie des ressources naturelles.

Je sais que certains sénateurs dans cette enceinte s’imaginent que nous pouvons nous passer du secteur des ressources. Or, ce secteur représente 10 % du PIB du Canada et emploie directement près de 300 000 personnes. Indirectement, le secteur soutient plus d’un demi-million d’emplois canadiens. Beaucoup de ces travailleurs sont issus de communautés autochtones du pays.

Le secteur est ici pour de bon. Les redevances et les impôts qu’il génère soutiennent les programmes sociaux. La dernière chose que le pays devrait faire, c’est de créer encore plus d’incertitude pour le secteur. Pourtant, selon les témoins entendus, c’est exactement ce que le projet de loi C-15 pourrait faire.

Je cite encore une fois Brian Schmidt :

[...] le projet de loi C-15, tel qu’il est proposé, créera plus d’incertitude pour notre industrie et pour l’exploitation des ressources dans son ensemble au Canada. Cela signifie que nous ne pourrons pas attirer les investissements des marchés financiers et que des projets de plusieurs milliards de dollars qui auraient valu la peine ne verront pas le jour.

Lorsque toutes les associations industrielles — l’hydroélectricité, les mines, l’électricité, la foresterie et le pétrole — vous disent qu’une mesure législative aura des répercussions négatives sur les investissements, veuillez au moins écouter nos préoccupations.

M. Schmidt a fait écho aux appels des six provinces en disant que des amendements raisonnables dissiperaient cette incertitude. Pourtant, le gouvernement refuse d’accepter de tels amendements, même si le ministre Lametti a indiqué que le gouvernement fédéral n’avait pas l’intention de renverser la jurisprudence s’appliquant à l’obligation de consulter et d’accommoder.

Au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, les amendements très raisonnables que le sénateur Patterson a proposés ont encore une fois été rejetés par la majorité des membres du comité, qui sont nommés par le gouvernement. Ce manque de clarté pose un risque significatif pour le secteur des ressources, pour les communautés autochtones qui dépendent du secteur des ressources et pour le Canada dans son ensemble.

Shannon Joseph, qui est la vice-présidente des Relations gouvernementales et des affaires autochtones de l’Association canadienne des producteurs pétroliers, a également témoigné au comité. Elle aussi s’est montrée très claire à l’égard des conséquences potentielles. Voici ce qu’elle a dit :

Nous appuyons l’objectif de faciliter et d’élargir la participation des Autochtones et le développement des ressources dans le cadre de la réconciliation économique. Cela dit, une loi ambiguë rendra cette participation plus difficile et incitera les investisseurs à transférer leurs capitaux à des milieux où toutes les parties sont conscientes de leurs obligations et savent s’en acquitter de façon pertinente et opportune.

Pourquoi diable voudrions-nous prendre le risque d’un tel résultat? À mon avis, en adoptant ce projet de loi tel quel, nous manquerions à notre devoir fondamental à titre de sénateurs. En effet, chers collègues, les sénateurs ont l’obligation nette de défendre l’intérêt des minorités, de même que l’intérêt de notre région et de notre province. J’oserais dire que s’il y a une occasion où un second examen objectif s’impose, plutôt que le conformisme aveugle pour des raisons idéologiques, c’est bien à l’égard de ce projet de loi.

Je crains, et selon moi, les témoignages le confirment, que ce projet de loi est un coup de dés de la part du gouvernement.

Des fonctionnaires du gouvernement ont dit en privé au porte-parole de notre parti pour ce projet de loi, le sénateur Patterson, que le projet de loi ne veut rien dire, qu’il oblige seulement le gouvernement à produire un plan d’action à l’égard duquel il n’est même pas tenu d’obtenir le consentement des Autochtones avant d’apporter la touche finale. Ces fonctionnaires ont peut-être raison. Le cas échéant, les déclarations des ministres ne feront que susciter des attentes en vain.

Imaginez les conséquences de la déception qui s’ensuivra une fois que le plan d’action du gouvernement aura fait l’objet du même genre de consultations que le projet de loi. Imaginez la réaction si le gouvernement tente réellement de mettre la touche finale au plan d’action sans obtenir le consentement des détenteurs de droits. Je crois que nous sommes tous conscients de la forte probabilité d’un tel résultat, étant donné le niveau de consultations effectuées par le gouvernement relativement au projet de loi proprement dit.

Y a-t-il quelqu’un qui croit sérieusement que le gouvernement se mettra soudainement à mener de vastes consultations auprès des détenteurs de droits et qu’il va enfin parachever en seulement deux ans un plan d’action qui répondra aux attentes de tous ces détenteurs de droits?

Il ne l’a pas fait pour ce projet de loi, ni même pour quelque chose de très ciblé comme le plan d’action concernant les femmes et les filles autochtones assassinées ou portées disparues. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ceux qui croient que cela va se produire soudainement à l’égard du plan d’action prévu dans ce projet de loi prennent leurs désirs pour des réalités.

Par ailleurs, si les préoccupations que les détenteurs de droits ont soulevées devant notre comité et les craintes dont les provinces ont fait part au premier ministre par écrit s’avéraient fondées, que se passerait-il? Qu’arrivera-t-il si ce projet de loi nous maintient dans l’incertitude et donne lieu à des litiges et à des pertes d’investissements? Dans ce cas, les communautés autochtones qui sont tributaires du développement seront les premières à souffrir des conséquences. En quoi est-ce dans l’intérêt de qui que ce soit, y compris la population autochtone en général?

Il est évident, chers collègues, que les consultations menées à l’égard de ce projet de loi sont inadéquates. Il ne fait aucun doute qu’il y a beaucoup d’incertitude entourant divers éléments de ce projet de loi. La majorité des provinces s’y opposent. Nombre de détenteurs de droits n’ont pas accordé leur consentement à l’égard d’un projet de loi qui, paradoxalement, porte justement sur le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

Chers collègues, pour ces raisons, je crois que le projet de loi devrait être rejeté. Compte tenu des conséquences qu’il pourrait avoir, j’exhorte tous les sénateurs à le rejeter également.

Il faut dire au gouvernement qu’il doit reprendre son travail en adoptant vraiment une approche collaborative, responsable et inclusive cette fois-ci. Je suis pleinement conscient qu’il sera loin d’être facile de reprendre les discussions, mais elles pourraient à tout le moins se faire dans un cadre axé sur l’ouverture, l’honnêteté, le dialogue et le respect.

Je crois qu’il serait approprié, chers collègues, que je conclue pour la première fois un discours sur ce projet de loi en disant merci et meegwetch.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui depuis Mi’kma’ki, le territoire non cédé du peuple mi’kmaq, pour appuyer avec enthousiasme le projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Il y a deux ans, j’ai pris la parole pour appuyer un projet de loi similaire, le projet de loi C-262, qui avait été présenté et défendu par l’ancien député Romeo Saganash. À l’époque, j’ai eu le privilège de siéger au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, qui était alors présidé par notre ancienne et estimée collègue la sénatrice Lillian Dyck. J’ai l’honneur de toujours faire partie de ce comité, qui est présidé avec brio par mon collègue de la Nouvelle-Écosse le sénateur Dan Christmas.

Ce jour-là, il y a deux ans, un grand nombre d’entre nous ont assisté à une cérémonie historique de purification dans ce qui était alors la nouvelle enceinte du Sénat. Elle a été gracieusement menée par l’aînée algonquine Claudette Commanda. Lors de cette cérémonie de purification par la fumée, l’aîné Commanda a gentiment, mais fermement rappelé à toutes les personnes présentes de faire preuve de sagesse, de courage, d’amour et de force pour collaborer, et avec bienveillance, dans l’intérêt de tous les peuples du Canada.

Chers collègues, deux ans après ma profonde déception et ma honte de voir qu’après l’adoption en comité, la Chambre haute n’avait même pas permis la tenue d’un vote sur le projet de loi concernant la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, je suis ravie d’informer le Sénat qu’à ma grande satisfaction le Comité des peuples autochtones a travaillé de façon judicieuse et cohérente dans le respect, pour étudier le projet de loi C-15 et en faire rapport sans amendement — mais accompagné de très nombreuses observations — au terme d’un examen minutieux.

Lors de mon intervention d’il y a deux ans, j’avais dit :

Notre propre expert des droits autochtones, juriste assoiffé de vérité et défenseur de la réconciliation, le sénateur Sinclair, nous a déjà parlé de l’importance du projet de loi et de son contexte historique. Il a expliqué que le temps est venu de commencer à réparer les torts que le Canada et ses citoyens ont fait subir pendant des siècles aux Premières Nations, aux Métis et aux Inuits du pays. Bien sûr, il est aussi temps pour eux d’aller de l’avant avec une nouvelle relation fondée sur le respect mutuel.

Nous regrettons terriblement notre ancien collègue, le sénateur Sinclair, mais nous avons la chance de compter parmi nous les sénateurs LaBoucane-Benson et Patterson, qui sont dévoués à la cause et qui agissent respectivement comme marraine et porte-parole du projet de loi C-15.

Comme nous l’avons tous entendu, ce n’est qu’en 1982 que la communauté internationale a officiellement créé le Groupe de travail des populations autochtones pour élaborer les normes minimales visant à protéger les Autochtones et leurs droits. On estime qu’il y a environ 370 millions d’Autochtones, constituant 5 000 groupes répartis dans 90 pays à travers le monde. Le Canada compte environ 1,7 million d’Autochtones.

La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones définit les normes minimales requises pour garantir la survie, la dignité et le bien-être des peuples autochtones dans le monde. La communauté internationale a jugé qu’il était nécessaire d’adopter un document sur les droits fondamentaux spécifiquement pour les peuples autochtones. Nous savons que les peuples autochtones vivent encore avec les conséquences du colonialisme et ils doivent encore se battre pour faire respecter leurs droits les plus fondamentaux, notamment au Canada, comme nous le savons malheureusement.

Le préambule de la déclaration reconnaît que les peuples autochtones sont égaux à tous les autres peuples et qu’ils ne devraient faire l’objet d’aucune discrimination, qu’ils ont subi des injustices historiques et qu’il est urgent de reconnaître leurs droits intrinsèques.

Les 46 articles de la déclaration ne créent pas de nouveaux droits. Afin de nous rafraîchir la mémoire, je rappelle que ces articles disposent entre autres que les Autochtones ont le droit : de jouir pleinement de leurs droits, à titre individuel et collectif; à l’autodétermination, à l’autonomie et à l’autonomie gouvernementale; de maintenir et de renforcer leurs différentes institutions; de ne pas subir d’assimilation forcée ou de destruction de leur culture; d’observer et de revivifier leur culture, leurs coutumes et leurs traditions spirituelles; de participer à la prise de décisions sur des questions qui peuvent concerner leurs droits et d’être consultés de bonne foi sur les mesures législatives ou administratives susceptibles de les concerner; de posséder, d’utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les terres, territoires et ressources qu’ils possèdent; de donner leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause pour les affaires qui les concernent; et de préserver, de contrôler, de protéger et de développer leur propriété intellectuelle.

Le paragraphe 46(1) de la déclaration limite les droits intégrés à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, afin qu’ils ne contreviennent pas à la souveraineté des États.

Chers collègues, le projet de loi C-15 est un projet de loi concis, mais d’une grande importance, car il permettra au gouvernement du Canada de se doter d’un cadre pour mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Le préambule définit le contexte du projet de loi et a été modifié pour y inclure des références au racisme et au racisme systémique, aux doctrines de la découverte et de terra nullius, et pour préciser que les droits cités dans l’article 35 ne sont pas figés et peuvent évoluer et s’accroître.

À titre de rappel, la loi a pour objet de confirmer que la déclaration constitue un instrument universel en matière de droits de la personne qui trouve application en droit canadien et d’encadrer la mise en œuvre de la déclaration par le gouvernement du Canada. La loi exige que des mesures soient prises au fil du temps pour veiller à ce que les lois fédérales soient compatibles avec la déclaration. Elle ne lie pas les gouvernements provinciaux et territoriaux.

De plus, la loi exige que le ministre élabore et mette en œuvre, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, un plan d’action afin d’atteindre les objectifs de la déclaration. Ce plan doit comprendre les éléments suivants : des mesures visant à lutter contre la violence, le racisme et la discrimination contre les peuples autochtones, notamment le racisme et la discrimination systémiques; des mesures visant à promouvoir la compréhension grâce à de la formation sur les droits de la personne; et des mesures visant à garantir la reddition de comptes en lien avec la mise en œuvre de la déclaration. La loi exige que le plan d’action soit élaboré dès que possible ou, au plus tard, dans les deux ans suivant la date d’entrée en vigueur de la loi.

Honorables sénateurs, les sénateurs Christmas et LaBoucane-Benson nous ont déjà parlé du travail effectué par le Comité des peuples autochtones dans le cadre de l’étude du projet de loi : les 89 témoins que nous avons entendus, les 46 mémoires que nous avons reçus et les discussions approfondies que nous avons eues entre nous sur les amendements possibles et les observations dans le cadre de notre second examen objectif. Nous sommes tous conscients de l’examen minutieux dont le projet de loi a fait l’objet par tous les membres de la société canadienne et, bien sûr, à grande échelle dans les médias.

Chers collègues, je veux citer l’article de la députée et ancienne ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, publié dans le Globe and Mail le 24 avril 2021.

La députée Wilson-Raybould a dit :

Chose fort étonnante, le débat autour du projet de loi C-15 demeure quelque peu incohérent, comme par le passé. Des voix conservatrices et de l’industrie affirment que le projet de loi défend de manière trop énergique les droits des autochtones, en particulier en ce qui concerne le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause; on entend des militants autochtones et non autochtones, des spécialistes et des gens des communautés qualifier le projet de loi de colonialiste et de raciste et soutenir qu’il opprimera encore davantage les peuples autochtones; et d’autres défenseurs des Autochtones, spécialistes, dirigeants, membres des communautés, de même que des alliés sont d’avis que le projet de loi doit être adopté et qu’il jette les fondements de la décolonisation.

Mais le projet de loi est-il l’une ou l’autre de ces choses, comme le prétendent ces groupes? Non. Assurément, il ne renforce pas le statu quo, mais il ne le fait pas éclater non plus. Il s’agit d’un petit pas en avant, qui rendra nécessaires des changements considérables en matière de lois, de politiques et de pratiques pour que l’on règle véritablement le problème posé par l’héritage du colonialisme.

Plus près de chez moi, j’aimerais citer des passages du mémoire soumis par Paul Prosper, chef régional, Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve au Comité des peuples autochtones.

Celles-ci ont largement appuyé le projet de loi C-262, qui est le projet de loi de mise en œuvre sur lequel le projet C-15 est étroitement fondé. Les Premières Nations ont largement entériné les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, qui a dit de la mise en œuvre de la Déclaration qu’elle était le « cadre » de la réconciliation. Elles ont aussi appuyé les appels à la justice du Rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, avec son propre appel à la mise en œuvre de la Déclaration [...]

J’aimerais insister sur trois points à propos du projet de loi C-15. Premièrement, celui-ci dit avec une clarté si réclamée que le Canada s’engage pleinement à respecter la Déclaration, et ce, non seulement en paroles, mais aussi en gestes. Deuxièmement, le projet de loi énonce un engagement juridique à travailler de concert avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis à l’opérationnalisation de la Déclaration de manière à faire quelque chose de concret pour la santé et le bien-être de nos collectivités. Troisièmement, le projet de loi énonce l’engagement exprès d’y aller d’efforts concertés pour mettre fin au racisme, à la discrimination et à la violence sous toutes leurs formes. Selon moi, c’est là une tâche urgente qui s’imposait en vérité depuis longtemps.

Par-dessus tout, nous savons que nous aurons tous fort à faire si nous voulons resserrer les liens, honorer les traités et frayer la voie à la réconciliation. J’ai hâte de voir le projet de loi C-15 acquérir force de loi comme moyen essentiel de veiller à ce que le travail entrepris se déroule comme il se doit.

Les Femmes Michif Otipemisiwak ont également appuyé le projet de loi dans leur mémoire écrit présenté au comité de la Chambre. Elles ont ainsi affirmé ceci :

Des aînés et des représentants de la mère patrie métisse ont fait remarquer que cette mesure législative historique, si elle est mise en œuvre conformément à son esprit et à son intention, pourrait avoir le même pouvoir de transformation qu’une charte des droits des Autochtones. Le projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, représente une occasion unique de rétablir l’équilibre entre la justice et le pouvoir, afin que les femmes, les enfants et les personnes bispirituelles et de diverses identités de genre autochtones soient protégés, en sécurité et libres.

Dans son discours à l’étape de la troisième lecture, le sénateur Klyne nous a rappelé que :

[...] le projet de loi C-15 n’est pas l’œuvre de la bienveillance du gouvernement. La mesure législative est plutôt le fruit de décennies de luttes populaires et d’efforts de la part des Autochtones, d’une organisation politique, de poursuites judiciaires, de manifestations, de commissions, d’enquêtes, de témoignages de survivants et de gains progressifs.

Dans son discours à l’étape de la troisième lecture, la sénatrice LaBoucane-Benson a quant à elle affirmé ce qui suit :

En adoptant le projet de loi C-15, nous honorons les dirigeants des années 1970 qui ont entrepris les démarches pour faire respecter les droits fondamentaux des peuples autochtones.

Wilton Littlechild, ex-grand chef de la Confédération des Premières nations du Traité no 6, ex-député, avocat, survivant des pensionnats autochtones et défenseur des droits des autochtones à l’international, était un de ces dirigeants.

Ces braves dirigeants persévérants suivaient les traces du chef Deskaheh de la nation iroquoise des Cayugas, qui, en 1923 — vous m’avez bien entendue, 1923 —, est le premier à être allé à la Société des Nations afin de revendiquer les droits de son peuple, qui se battait pour les obtenir depuis près de 100 ans.

Honorables sénateurs, montrons à ces dirigeants que nous respectons et que nous honorons leur lutte soutenue et le travail acharné qu’ils ont menés pour redresser les torts du passé, pour protéger l’avenir des générations futures d’enfants autochtones et pour bâtir un avenir radieux pour leur famille et pour leur communauté.

Honorables sénateurs, avec l’adoption du projet de loi C-15, j’espère sincèrement que nous pourrons transformer notre relation avec les peuples autochtones de façon à ce qu’elle soit fondée sur la confiance et sur le respect mutuel et à ce que nous trouvions de nouveaux moyens plus efficaces pour collaborer à l’édification d’un pays généreux au sein duquel les peuples autochtones auront leur place autour de la table — la table de leur choix — et pourront s’épanouir dans toutes les facettes de leur existence : physique, spirituelle, sociale, culturelle, économique et politique.

Chers collègues, l’heure est venue de renouveler le Canada. Adoptons le projet de loi C-15 et contribuons à ce renouveau. Wela’lioq. Merci.

L’honorable Claude Carignan [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. On peut lire ce qui suit à la page 93 du Sommaire du rapport final de la Commission de vérité et réconciliation du Canada : « Nous ne connaîtrons sans doute jamais le nombre d’élèves qui ont trouvé la mort dans les pensionnats ».

Privés de nourriture, de bonnes conditions de logement et de soins adéquats et coupés par le gouvernement fédéral de leur famille et de leurs communautés, un nombre important d’Autochtones d’âge scolaire ont péri dans les pensionnats, notamment des suites de la tuberculose et d’autres maladies pulmonaires. Si l’on ignore le nombre exact de décès, c’est que des dossiers ont été détruits par les fonctionnaires et que les autorités ne déclaraient que rarement les décès, toujours selon le sommaire de ce rapport. Je donne cet exemple d’injustice grave vécue par les Autochtones, mais l’histoire canadienne en compte beaucoup trop d’autres. Les séquelles intergénérationnelles de ces injustices, engendrées par le colonialisme et les promesses brisées de l’État à l’endroit des Autochtones du Canada, se font toujours ressentir dans ces communautés. Ces séquelles et ces promesses brisées sont des faits amplement documentés par le rapport final de la Commission de vérité et réconciliation, ainsi que dans le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones de 1996.

Les témoignages d’Autochtones et d’allochtones ainsi que les travaux d’experts ont mené à trois rapports d’enquête qui ont recommandé de mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones : il s’agit du rapport de la Commission de vérité et réconciliation de 2015, du rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées de 2019 et du rapport de la Commission Viens, que le Québec a tenue en 2019. Ces rapports voient donc dans la mise en œuvre de cette déclaration un des principaux moyens d’assurer que le Canada continue, d’une part, d’améliorer les conditions de vie et l’émancipation des Autochtones et de leurs communautés et, d’autre part, de rebâtir les ponts et la confiance entre ces derniers et le gouvernement fédéral.

Pour cette raison, j’appuie les principes du projet de loi C-15. Toutefois, j’estime qu’un amendement crucial, mais très simple, doit être apporté pour s’assurer que le projet de loi respecte, d’un point de vue constitutionnel, les champs de compétence des provinces. Je vous lirai le texte de l’amendement à la fin de mon discours.

Quant aux principes, je partage le point de vue selon lequel ce projet de loi est nécessaire, parce qu’il offre, à court terme, un moyen d’accélérer le processus de réconciliation, un processus pour lequel il nous reste un très long chemin à parcourir pour arriver à destination. Cette destination est celle d’un Canada plus juste où « des personnes très différentes peuvent partager territoire, ressources, pouvoir et rêves tout en respectant et en entretenant leurs différences ». Cette phrase de l’auteur Augie Fleras a d’ailleurs été citée par la sénatrice McCallum dans son discours le 27 mai dernier.

J’estime que le projet de loi possède une qualité importante : en effet, il demande à un ministre fédéral de commencer, dès l’entrée en vigueur du projet de la loi, soit à court terme, à mener des consultations pour élaborer un plan d’action qu’il devra déposer au plus tard dans deux ans. En vertu des articles 4 et 6 du projet de loi, ce plan doit viser à atteindre les objectifs de la déclaration et à en encadrer sa mise en œuvre par le gouvernement du Canada. Je suis tout à fait d’accord pour dire que ce plan d’action doit contenir — et je cite l’alinéa 6(2)b) du projet de loi :

des mesures de contrôle ou de surveillance, des voies de recours, des mesures de réparation ou d’autres mesures de reddition de comptes en lien avec la mise en œuvre de la Déclaration.

Toutefois, des critiques importantes ont été formulées à l’égard du projet de loi. Les sénateurs MacDonald, Patterson et Stewart Olsen en ont fait mention dans le rapport du comité sénatorial du 10 juin 2021. Je partage tout à fait certaines de leurs préoccupations, notamment celles qui ont trait aux incidences potentielles du projet de loi sur les compétences provinciales. Pour cette raison, j’estime essentiel que le Sénat s’efforce de corriger ce problème en apportant un amendement au projet de loi. Cela est essentiel puisque, comme vous le savez, un des rôles primordiaux du Sénat est d’assurer la protection des intérêts régionaux au pays en participant à l’adoption de lois fédérales qui respectent les compétences des provinces. Il s’agit d’un principe bien connu et énoncé par la Cour suprême du Canada aux pages 67 et 68 du renvoi que la cour a publié en 1980 sur les compétences du Parlement relativement à la Chambre haute.

Certes, la déclaration contient de nobles et ambitieux objectifs, notamment de favoriser une plus grande autonomie des communautés autochtones pour assurer la vitalité et la pérennité de leur culture et de leur développement économique. Or, l’élaboration du plan d’action et ses effets, lorsque le plan sera établi, auront des incidences sur les gouvernements des provinces et des territoires dans l’exercice de leurs champs de compétences constitutionnelles, et ce, parce que plusieurs articles de la déclaration concernent des compétences provinciales.

À titre d’exemple, l’article 14 de la déclaration concerne l’administration du système d’éducation, une compétence des provinces. En effet, cet article prévoit ce qui suit :

Les peuples autochtones ont le droit d’établir et de contrôler leurs propres systèmes et établissements scolaires où l’enseignement est dispensé dans leur propre langue, d’une manière adaptée à leurs méthodes culturelles d’enseignement et d’apprentissage.

L’article 23 reconnaît que les Autochtones « ont le droit d’être activement associés à l’élaboration et à la définition des programmes de santé [et] de logement ». L’article 29 leur reconnaît des droits en matière d’environnement, ce qui concerne encore une fois des compétences des provinces, tout comme les articles 11 à 16 et 31, qui énumèrent des droits en matière de culture, de patrimoine et de langue. De même, les articles 20 et 24 à 28 touchent la gestion de la faune, des forêts et d’autres ressources naturelles, qui sont, encore une fois, des domaines de compétence provinciale.

Comme le rapportait le sénateur Patterson dans son discours le 3 juin 2021, six premiers ministres provinciaux, soit ceux du Québec, de l’Ontario, du Nouveau-Brunswick, de la Saskatchewan, de l’Alberta et du Manitoba, ont exprimé leurs préoccupations en ce qui a trait au fait que la portée du projet de loi, tel qu’il est rédigé, risque d’empiéter sur leurs champs de compétences.

Étant donné le temps limité qui m’est imparti pour prononcer ce discours, je ne vais nommer que deux des préoccupations de ces premiers ministres.

La première concerne le texte actuel de l’alinéa 4a) du projet de loi, qui utilise l’expression en français « droit canadien », et en anglais « Canadian law ». Le problème est que ces expressions peuvent laisser entendre que cet article s’applique non seulement aux lois fédérales, mais aussi aux lois provinciales. Le texte actuel de cette disposition prévoit en effet ce qui suit :

4 La présente loi a pour objet :

a) de confirmer que la Déclaration constitue un instrument international universel en matière de droits de la personne qui trouve application en droit canadien;

Pour vous convaincre du fait que l’expression « droit canadien » est ambiguë parce qu’elle peut inclure les lois provinciales, je vous cite un extrait de la réponse que le ministre de la Justice du Canada, M. David Lametti, a donnée à l’occasion de l’étude du projet de loi au comité de la Chambre des communes, le 21 avril dernier :

Dans le préambule, le paragraphe 2(3) et l’alinéa 4(a), le terme « droit canadien » a été utilisé pour refléter fidèlement l’état actuel du droit au Canada, à savoir que les instruments internationaux relatifs aux droits de la personne peuvent être utilisés pour aider à interpréter toute loi canadienne, c’est-à-dire les lois fédérales, provinciales et constitutionnelles.

Ma seconde préoccupation en ce qui concerne le projet de loi a été exprimée par les premiers ministres des six provinces que j’ai mentionnées précédemment. Je cite une lettre datée du 29 mars 2021, qui a été adressée au premier ministre du Canada et qui a été publiée dans un article récent de l’édition électronique du quotidien La Presse :

La collaboration à l’égard de ce projet de loi a été insuffisante et ne tient pas compte des préoccupations des provinces. Bien que nous soutenions bon nombre des principes sous-jacents de la Déclaration des Nations Unies […], le projet de loi C-15, tel qu’il est rédigé, pose un problème et aura des conséquences importantes et d’une portée considérable, tant pour le gouvernement fédéral que pour les provinces et, potentiellement, pour les populations autochtones. Ce sujet nécessite un dialogue significatif pour l’éclaircissement des dispositions clés. Malheureusement, ce dialogue n’a pas encore eu lieu.

Autrement dit, six provinces déplorent le fait qu’elles n’ont pas été suffisamment consultées par le gouvernement fédéral au sujet du texte du projet de loi. Si le projet de loi entre en vigueur, ces provinces réclament aussi que le gouvernement fédéral les consulte lorsqu’il élaborera le plan d’action, étant donné les effets que celui-ci pourrait avoir sur les champs de compétence des provinces. J’estime donc que leur demande à l’effet d’être consultées est tout à fait légitime dans le système de fédéralisme coopératif que dit promouvoir le gouvernement actuel.

D’ailleurs, je note que le projet de loi C-12, qui est actuellement à l’étude dans les deux Chambres, prévoit, au paragraphe 10(3) et à l’article 13, une mesure visant à assurer que le gouvernement fédéral consulte les provinces et les Autochtones lorsqu’un plan de réduction de gaz à effet de serre est préparé ou modifié. Je ne vois donc aucun problème à ce que l’on ajoute une mesure semblable au projet de loi C-15 pour garantir que les provinces, en plus des Autochtones, soient consultées dans l’élaboration du plan d’action.

J’ajoute évidemment que chaque ordre de gouvernement a son rôle à jouer pour mettre en œuvre la déclaration, ce que reconnaît d’ailleurs ce paragraphe du préambule du projet de loi :

que le gouvernement du Canada reconnaît que les gouvernements provinciaux et territoriaux et les administrations municipales ont chacun la faculté d’établir leurs propres façons de contribuer à la mise en œuvre de la Déclaration en adoptant, à cette fin, diverses mesures relevant de leur compétence;

Toutefois, j’estime qu’un ajout au préambule doit être fait pour souligner que la mise en œuvre de la déclaration par le gouvernement fédéral doit se faire en respectant les champs de compétence des provinces, et ce, pour permettre à ces dernières d’avoir la latitude requise pour mettre en œuvre la déclaration dans leur sphère de juridiction.

Afin de corriger les lacunes du projet de loi dont je vous ai parlé, et pour éviter que le projet de loi ne porte atteinte aux champs de compétence des provinces, je vous recommande d’adopter cet amendement qui compte trois volets.

Haut de page