Un avenir à zéro émission nette
Interpellation--Ajournement du débat
3 mars 2022
Ayant donné préavis le 24 novembre 2021 :
Qu’elle attirera l’attention du Sénat sur l’importance de trouver des solutions pour faire la transition de la société, de l’économie et de l’utilisation des ressources du Canada dans la poursuite d’un avenir juste, prospère, durable et paisible à zéro émission nette pour notre pays et la planète.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au Sénat, à partir du territoire non cédé du peuple algonquin anishinaabe, pour lancer ma deuxième interpellation concernant le climat. J’attire l’attention du Sénat sur l’importance de trouver des solutions pour faire la transition de la société, de l’économie et de l’utilisation des ressources du Canada dans la poursuite d’un avenir juste, prospère, durable et paisible à zéro émission nette pour notre pays et la planète.
Cette interpellation vise à explorer, avec vos contributions, des solutions à ce qui représente à la fois le plus grand défi et la plus grande source de possibilités de notre génération et de notre monde à l’heure actuelle, les changements climatiques.
Je compte, tout d’abord, expliquer pourquoi je lance cette interpellation. Je parlerai ensuite brièvement de la portée de l’interpellation et de ce que j’espère vous voir contribuer tandis que nous travaillerons ensemble à l’avancement de ce dossier. Enfin, je tenterai d’élargir l’enquête autour de l’une des principales pistes de solution, soit la recherche d’une transition équitable pour les gens, les travailleurs et les communautés.
Chers collègues, lorsque je me suis assise pour rédiger le titre plutôt alambiqué de l’interpellation, j’ai choisi chaque mot avec grand soin. Lorsque j’ai inclus le mot « paisible » comme modificateur de l’avenir à zéro émission nette que nous visons, je pensais à la fois aux conflits internationaux et aux bouleversements nationaux potentiels qui surviennent lorsque des personnes sont gravement blessées et, dans certains cas, déplacées par les effets dangereux des phénomènes météorologiques violents causés par les changements climatiques. J’ai également pensé aux perturbations pour les travailleurs, les familles, les collectivités et des régions entières du Canada, alors que notre économie se transforme en une économie à zéro émission nette.
Chers collègues, mon souci d’un avenir paisible sans émission de gaz à effet de serre a également été renforcé par ce que nous voyons si manifestement à l’œuvre aujourd’hui : cette machine de désinformation puissante, bien réseautée et dotée de ressources suffisantes qui accélère le déversement de mensonges au Canada et dans toutes les régions du monde.
Nous voyons cette machine à l’œuvre en Russie, où Poutine fait de la propagande pour justifier son invasion brutale de l’Ukraine. Nous avons vu et voyons cette machine à l’œuvre au sud de notre frontière, entraînant des millions d’Américains dans le mensonge selon lequel le président Biden n’a pas gagné les dernières élections.
Honorables collègues, nous voyons à quel point cette machine à colporter des faussetés peut influencer un grand nombre de nos concitoyens, y compris ceux qui ont soutenu ce qui a pris la forme de barrages illégaux ainsi que l’occupation d’Ottawa, en les exposant constamment à un mélange toxique de fausses informations sur la COVID-19, l’efficacité des vaccins, la Charte canadienne des droits et libertés, le système de gouvernement du Canada et la façon dont on y apporte des changements politiques, et la tendance à confondre la Loi sur les mesures d’urgence avec la loi qu’elle remplace depuis très longtemps : la Loi sur les mesures de guerre.
Honorables collègues, il est consternant que cette machine à fabriquer des mensonges, principalement diffusés en ligne, implore même les gens :
[...] de se concentrer sur le Canada plutôt que sur l’Ukraine. Tout cela est une diversion, car la vraie guerre, la guerre contre votre liberté, se déroule au Canada actuellement.
Honorables collègues, nous savons qu’il y a des gens au Canada qui sont las de la COVID-19. Nous savons qu’il y a des gens qui, pour toutes sortes de raisons, hésitent à se faire vacciner ou s’y opposent. Nous savons qu’il y a des gens qui s’opposent au port du masque, à l’imposition d’une limite au nombre de personnes dans les établissements et aux exigences vaccinales. Il y a aussi, bien sûr, des Canadiens qui se plaignent du gouvernement actuel et de son leadership pour toutes sortes de raisons.
Chers collègues, je crois que personne ne contredirait le droit de ces personnes à entretenir ces croyances, ces valeurs et ces opinions, à participer à des manifestations pacifiques pour exprimer leur désaccord envers certaines politiques et à voter pour un parti différent lors de la prochaine élection générale, si c’est leur choix. Là n’est pas la question. Je m’inquiète pour les personnes susceptibles d’être influencées — voire même incitées — à agir de manière inappropriée en fonction d’informations erronées propagées en ligne par des individus manipulateurs.
Chers collègues, la semaine dernière, le Globe and Mail a publié plusieurs articles brillants sur cet enjeu, notamment celui d’Andrew Coyne, intitulé « Notre réalité commune — et le savoir sur lequel elle repose — est attaquée », et celui de David Shribman, intitulé « De Trump à Poutine : l’avènement de l’ère des grandes perturbations ».
Chers collègues, pourquoi est-ce que je vous parle de cette inquiétude et quel est le lien avec ma volonté de présenter une interpellation sur les solutions climatiques aujourd’hui? Je le fais parce que la crise climatique est victime d’une longue campagne de fausses informations et d’une tentative de désinformation intentionnelle. Nous savons aussi que la promotion efficace et généralisée de mensonges peut mener à la prolifération de cette dangereuse trinité : la peur, la colère et la division.
Chers collègues, le besoin n’a jamais été aussi criant de pouvoir avoir confiance dans les données probantes. Nous devons faire preuve d’unité, car il est urgent de respecter nos engagements en matière de lutte aux changements climatiques. Pas plus tard que cette semaine, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ou le GIEC, a publié son plus récent rapport où il souligne l’urgence d’agir pour nous attaquer aux changements climatiques.
Ko Barrett, la vice-présidente du GIEC, a affirmé : « [...] chaque fraction de degré de réchauffement compte et chaque mesure prise est utile. »
Il faut mobiliser tout le monde et voguer le plus rapidement possible vers la carboneutralité. Nous n’avons pas besoin de tsunamis de la désinformation qui nous font dévier de notre trajectoire et qui nous font oublier les mesures urgentes que nous devons prendre pour lutter contre les changements climatiques.
Julia Langer, la PDG de l’organisme Atmospheric Fund, affirme que nous devons répondre à l’écoanxiété par l’écoaction.
Chers collègues, une approche pansociétale, qui est axée sur les solutions et les mesures pratiques et qui mobilise les Canadiens plutôt que d’inspirer la peur, l’aliénation et la division est ce dont nous avons besoin en ce moment. Une telle approche nécessite un leadership de bien des milieux. J’espère que cette interpellation nous permettra de montrer le rôle de premier plan que le Sénat joue dans cette entreprise capitale.
Chers collègues, nous savons que la prochaine étape de la transition vers la carboneutralité nécessitera que les gouvernements, le secteur privé et la société civile prennent des mesures d’une portée, d’une ampleur et d’une rapidité sans précédent.
Nous savons que les gouvernements doivent jouer un rôle essentiel et central dans l’établissement des bonnes conditions pour atteindre nos cibles en matière de lutte contre les changements climatiques. Les gouvernements peuvent ajuster les réglementations ou en créer de nouvelles. Ils peuvent avoir recours au régime fiscal. Ils peuvent faire des investissements stratégiques. Ils peuvent offrir des subventions aux industries et ils peuvent prendre des mesures pour s’assurer que personne n’est laissé pour compte.
Honorables collègues, dans le cadre de cette interpellation, j’ai l’intention de mettre la table pour y accueillir tous les sénateurs qui souhaitent contribuer à ce festin de solutions pour lutter contre les changements climatiques. Alors que nous garnirons cette table d’interpellation métaphorique de solutions pour lutter contre les changements climatiques, certains d’entre vous souhaiteront peut‑être définir des chemins ou des feuilles de route menant à l’élimination des émissions de gaz à effet de serre.
Certains collègues seront désireux de mettre l’accent sur des solutions d’adaptation et de résilience. D’autres pourraient vouloir jouer les comptables et calculer les coûts des mesures climatiques requises ou se pencher sur les débouchés économiques.
Certains voudront mettre l’accent sur le rôle que les peuples autochtones peuvent et doivent jouer pour déterminer, concevoir et mettre en œuvre des solutions climatiques et en tirer des avantages. Des collègues apporteront d’importantes perspectives nordiques, côtières, régionales, provinciales et municipales. Des collègues souhaiteront faire des observations sur la transition énergétique, notamment sur le charbon, le pétrole et le gaz, les combustibles écologiques, l’énergie éolienne, l’énergie solaire, l’hydroélectricité, l’hydrogène, l’énergie nucléaire, la géothermie, l’énergie marémotrice, la technologie des batteries, les minéraux stratégiques, le stockage du carbone, les réseaux de distribution de l’électricité et de l’énergie, l’efficacité de solutions éconergétiques de tous types et le rôle de l’intelligence artificielle.
Étant donné l’avantage canadien, certains de mes collègues auront des contributions à apporter dans le domaine des solutions axées sur la nature : nos forêts, océans, prairies et sols; le rôle important joué par l’agriculture dans notre avenir carboneutre; la décarbonisation de l’industrie, de tous les moyens de transport et des immeubles, et les moteurs d’innovation requis pour y parvenir; la puissance et le rôle du secteur financier privé dans l’atteinte de la carboneutralité; ainsi que la tarification du carbone et son lien avec d’autres mesures incitatives et dissuasives.
Certains de mes collègues voudront examiner les enjeux mondiaux : la compétitivité mondiale et les débouchés, les mesures d’aide et les investissements commerciaux dans les pays en développement. Ils voudront aussi chercher des solutions aux problèmes des réfugiés et des migrants climatiques, ainsi que se pencher sur l’importance de nouer des alliances mondiales.
Alors que le monde entier regarde ce que font actuellement l’Ukraine et la Russie, nous réfléchissons au lien qui existe entre le climat et la sécurité nationale et internationale, ainsi qu’à la question de la sécurité énergétique.
Honorables collègues, nous sommes prêts à envisager toutes sortes de solutions climatiques, et nous désirons votre apport.
Comme je l’ai mentionné plus tôt, la dernière partie de mon intervention d’aujourd’hui introduit le concept d’une transition équitable : trouver des moyens novateurs et efficaces de s’assurer que les personnes, les collectivités et les régions les plus touchées par la transition vers une économie carboneutre sont prises en considération, qu’elles ont voix au chapitre et qu’elles reçoivent du soutien.
Dans son rapport de juin 2021 intitulé Trajectoires vers la carboneutralité : Observations initiales, le nouveau Groupe consultatif pour la carboneutralité du Canada recommande une approche qui consiste à « [s]aisir tous les avantages possibles », déclarant que « [l]es mesures relatives au climat sont créatrices d’emplois et d’avantages économiques nets, et ont le potentiel de faire avancer la justice, si elles sont faites correctement [...] Personne ne [doit] être laissé pour compte [...] en raison de son lieu de résidence, de son travail ou de son identité. »
Dans son ancien rôle en tant que président du Congrès du travail du Canada, notre collègue, le sénateur Yussuff, a dit :
Le mouvement syndical s’attendra à ce que le gouvernement fédéral honore son engagement à appuyer la création d’emplois locaux, la formation professionnelle, y compris en apprentissage, et les salaires acceptables, particulièrement pour les personnes sous-représentées par le passé dans les métiers spécialisés, dont les femmes et les travailleurs autochtones et racialisés [...] Le Canada a besoin de fortes mesures de transition juste pour aider les travailleurs et les travailleuses des communautés tributaires de l’industrie primaire et de l’économie fondée sur les combustibles fossiles à accéder à de nouvelles possibilités d’emploi dans les domaines des énergies vertes, des transports verts, des bâtiments efficaces sur le plan énergétique et des économies d’énergie [...]
Honorables sénateurs, dans leur plateforme électorale de 2019, les libéraux ont promis de présenter un projet de loi pour une transition juste. Un processus de consultation a été lancé en juillet 2021. Un rapport ainsi qu’un projet de loi pour une transition juste sont attendus prochainement, de même que la création d’un groupe consultatif sur la transition juste. Ces éléments serviront de fondement au plan du Canada pour une transition juste, qui, logiquement, devrait fonctionner en tandem avec le plan de réduction des émissions attendu plus tard ce mois-ci.
L’IndustriAll Global Union, qui représente 50 millions de travailleurs des secteurs des mines, de l’énergie et de la fabrication, a décrit ce que les syndicats membres veulent pour une transition équitable. Premièrement, ils veulent un dialogue social et que les travailleurs soient présents à la table. Deuxièmement, ils veulent des politiques et des plans industriels durables. Ils veulent que les politiques publiques soient conçues dans l’intérêt public dans le but de créer des emplois décents. Troisièmement, ils veulent qu’il y ait des programmes d’adaptation au marché du travail qui tiennent compte de l’importance de la personnalisation : une transition équitable réussie ne passe pas par une solution universelle.
Honorables sénateurs, il y a de nombreux exemples de stratégies de transition équitable à l’étranger, mais aussi au pays, avec les expériences passées et actuelles d’abandon du charbon en Nouvelle‑Écosse, au Nouveau-Brunswick, en Saskatchewan et en Alberta, dont nous pouvons tirer des leçons. Il est impératif de parvenir à faire une transition équitable. C’est complexe et la solution passe en grande partie par la capacité du Canada à saisir les bonnes occasions économiques axées sur l’avenir. En même temps, l’atteinte de la carboneutralité dépend de la réussite de la stratégie de transition équitable. Nous devons porter une attention particulière à la création d’emplois et nous devons nous assurer que les Canadiens de toutes les régions aient ce qu’il faut pour occuper ces emplois.
Honorables sénateurs, alors que j’arrive à la fin de cette première intervention, je vous invite tous à participer à cette interpellation et à proposer vos solutions en matière de climat. L’engagement du Sénat du Canada en matière de changements climatiques est important. Nous avons l’occasion collectivement d’être des leaders dans l’examen et l’orientation des mesures concernant cet enjeu capital du siècle.
Honorables sénateurs, il y a deux ans, l’ex-gouverneur général David Johnston a parlé de la responsabilité partagée des parlementaires en tant que gardiens de la confiance envers les institutions démocratiques du pays et il a comparé cette confiance au mortier qui fait que la société reste unie et au lubrifiant qui nous permet d’avancer. Honorables sénateurs, je crois qu’en montrant notre engagement sincère à lutter contre les changements climatiques et notre engagement collectif à aider le Canada à mener une transition équitable, prospère et pacifique vers la carboneutralité, nous pouvons contribuer à accroître cette confiance. Honorables sénateurs, c’est ce que les Canadiens attendent de nous. Merci et Wela’lioq.
Honorables sénateurs, je m’adresse à vous depuis le territoire du traité no 1, soit les terres traditionnelles des Anishinabes, des Cris, des Oji-Cris, des Dénés et des Dakotas, le berceau de la naissance de la nation métisse et le cœur de la patrie de la nation métisse.
Sénatrice Coyle, j’accepte votre invitation. Je prends la parole pour ajouter une perspective visuelle et muséologique à votre interpellation, qui attire notre attention sur l’importance de trouver des solutions pour faire la transition de la société, de l’économie et de l’utilisation des ressources du Canada dans la poursuite d’un avenir équitable, prospère, durable et pacifique à zéro émission nette pour notre pays et la planète.
Je soutiens pleinement cet objectif et je crois que nous pouvons trouver ces solutions. Nous savons que la collaboration entre de multiples secteurs, au Canada et dans le monde, sera nécessaire, avec une vision constructive et un engagement des individus, des collectivités, de l’industrie, des scientifiques, des environnementalistes et des organismes sans but lucratif — de tous.
Chers collègues, j’applaudis les nombreuses façons dont les comités permanents du Sénat et les groupes de travail relèvent ces défis. Les intersections de ces approches sont encourageantes et importantes.
Les musées réagissent à la crise en modifiant leurs collections, leurs expositions, leurs modes d’expédition, leurs systèmes mécaniques, voire le menu de leur restaurant. Le rôle des musées et des galeries est de montrer les réalités, notamment la conscience écologique, afin de sensibiliser le public à l’aide de leurs expositions et de leurs programmes. Plus de 550 organismes ont formé la coalition internationale des galeries pour le climat afin de « faciliter la décarbonisation du secteur des arts visuels et de promouvoir les pratiques de zéro déchet ». Ils ont un plan de décarbonisation.
Toutefois, les musées doivent aussi tenir compte de leur empreinte carbone. Un article paru dans Canadian Art, intitulé « The Green Cube », indique ceci :
Les musées sont régulièrement des tribunes pour ce genre de grandes idées. Cependant, on se demande rarement s’ils les mettent aussi en pratique.
Si l’art et les expositions ont un coût environnemental, quels sont leurs effets? Comment les musées les réduisent-ils? Un sondage effectué par Statistique Canada en 2021 a révélé que près des deux tiers des organismes et des entreprises du secteur des arts, du divertissement et des loisirs au Canada disposent d’un certain type de pratique ou de politique environnementale, mais que :
« Les exigences relativement aux mesures environnementales se font encore plutôt rares du côté de la politique culturelle nationale », tout comme les liens entre les ministères responsables de la culture et de l’environnement.
et que
La communauté culturelle a besoin « de cadres politiques, d’autorité, de financement et de responsabilisation pour être pleinement intégrée à la planification environnementale nationale ».
Je sais que des améliorations seront apportées. Ce secteur est conscient des objectifs et il effectue une transition tout en faisant avancer le débat, dont il s’inspire également.
Depuis des années, des artistes expriment visuellement les préoccupations liées à l’environnement et aux changements climatiques. Je remercie les sénateurs Coyle et Kutcher de leur idée d’inclure l’art dans la commande éventuelle d’une œuvre annonçant les objectifs du groupe de travail du Sénat. Plutôt que de passer une commande, ce qui est complexe, coûteux et long et qui comporte des processus clairement définis, nous avons envisagé d’emprunter des œuvres d’art.
Nous avons plutôt choisi d’emprunter deux œuvres de deux artistes canadiens bien établis et de renommée internationale : Roberta Bondar et Ed Burtynsky. Le contexte est le suivant : Visual Voices: Climate Change & Environment.
Pendant des décennies, les artistes ont dépeint les réalités de la protection de l’environnement, et ils nous permettent depuis peu d’appréhender les répercussions du changement climatique. L’une d’entre ces artistes, Roberta Bondar, qui est aussi astronaute et neurologue, et qui travaille avec la NASA, photographie les espèces en voie de disparition. Un autre artiste, Ed Burtynsky, qui a reçu le Prix du Gouverneur général en arts visuels, documente les répercussions de l’activité humaine sur divers sites, avec le soutien de diverses industries et entreprises. Avec leurs photographies, ces deux artistes illustrent honnêtement ce qu’ils voient et nous incitent à préserver notre planète et à entretenir la vie — humaine, mais aussi de la faune et de la flore — ainsi qu’à rassembler nos efforts sur les plans individuel, communautaire et industriel.
Les expressions visuelles de ces artistes captent l’attention des citoyens du monde entier pour qu’ils prennent conscience de la crise traversée par notre planète.
Revenons en 1939. Comme je l’ai dit plus tôt, je pense qu’Emily Carr a été la première artiste canadienne à se préoccuper de la question environnementale dans ses œuvres. De 1939 au début des années 1940, elle a peint plusieurs tableaux illustrant la coupe à blanc, notamment dans Colline déboisée. Chaque été, un ami tractait sa caravane, qu’elle avait baptisée « L’éléphant » sur les sites où elle voulait peindre. Je serais enchantée de vous inviter sur certains de ses sites préférés.
Dans ses journaux intimes, Hundreds and Thousands, Emily Carr dévoile ses observations et ses espoirs de renouvellement :
Hier, je me suis rendue dans un superbe boisé, enfin, là où les arbres poussent sans perturbation depuis des années. Il y a bien longtemps, de grands, grands arbres avaient été abattus. Étaient restées seulement en terre leurs souches aux bords écharpés, hérissés en crocs acérés au centre, les dernières fibres à se briser, les fibres du cœur même de l’arbre. Le temps et la repousse avaient réparé toutes les plaies et dissimulé les cicatrices. De jeunes arbres [...] se tenaient au pied de ces puissants monarques autrefois érigés comme des flèches, qui avaient été depuis longtemps déchiquetés par des mâchoires en acier dans de grandes scieries pour être recrachés sous forme d’objets utiles, métamorphosés par les clous en maisons, en églises, en poteaux téléphoniques. De ce boisé primordial, il ne restait que du vulgaire bois.
De nombreux artistes, représentant toutes les formes d’expression, ont depuis brossé le tableau des diverses facettes des lieux et de la transformation, de la beauté et de la dévastation. Loin de vouloir être pessimistes, les artistes essaient simplement de nous montrer là où nous en sommes rendus pour nous inciter à passer à l’action afin de renverser la vapeur et freiner la dévastation environnementale annoncée.
Nous devons préserver le miracle que l’ancien grand chef, artiste et poète Ovide Mercredi a révélé dans son poème intitulé La Terre :
La Terre est un grand miracle
L’auteure de sa destinée unique
Une voyageuse dans un espace sans fin
La conceptrice de toutes ses beautés
L’orchestre de tous les phénomènes naturels
Bénins ou catastrophiques.
Carole Sabiston, récipiendaire du Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques, s’intéresse depuis longtemps à l’espace. Elle s’inquiète profondément des débris laissés là-haut, comme en font foi ses assemblages de textiles, comme sa série intitulée Take Off: Point Of Departure And Mode Of Travel, ou Décollage : point de départ et mode de déplacement, 1987-1989.
L’artiste Aganetha Dyck, récipiendaire de multiples prix, a travaillé durant des décennies avec des scientifiques reconnus mondialement pour leurs travaux sur la diminution des populations d’abeilles. Elle considérait les abeilles comme ses collaboratrices artistiques.
Don Proch, qui a grandi sur une ferme dans les Prairies, utilise ses sculptures pour attirer l’attention sur la problématique des pluies acides pour les agriculteurs depuis les années 1970. En 2019, il a créé la pièce From Asessippi to Altona, qui représente la prairie verdoyante, le ciel, le silo — avec son ouverture pour passer au travers — et le parc éolien près d’Altona, au Manitoba.
L’artiste David McMillan a photographié la dévastation instantanée à Tchernobyl après la catastrophe nucléaire. Il est retourné aux mêmes endroits chaque année pendant une longue période — près de deux décennies — pour documenter les changements, la détérioration des infrastructures construites par l’homme et la lente réapparition de minuscules parcelles de végétation.
Les artistes inuits dans tout le territoire nordique ont aussi créé des œuvres captivantes au fil des décennies avec lesquelles ils témoignent des changements dans leur mode de vie et de leurs inquiétudes à propos des changements climatiques.
Passons maintenant à la Dre Roberta Bondar et à M. Edward Burtynsky. J’ai présenté des expositions de ces deux artistes estimés. Tous deux ont un véritable amour de notre planète. Ni l’un ni l’autre n’hésite à le montrer et à appeler la société à changer les choses.
Roberta Bondar, qui est une astronaute, neurologue et artiste de renom, s’inspire de ses expériences et de ses réalisations dans chacune de ses professions et les lie à son art. Le fait de voir notre planète depuis l’espace a laissé une marque indélébile sur elle, ce qu’elle partage avec nous à travers son art.
Elle se suspend à des avions ou grimpe des arbres et se tient en équilibre sur des branches pour obtenir les photos qu’elle souhaite. Elle n’a pas peur de prendre ses photos, mais elle craint le pire pour les espèces en voie de disparition dans le monde. Sa série bien connue, intitulée Discovering Canada’s National Parks, documente la richesse du territoire canadien et nous emmène dans des régions du Canada que nous n’avons peut-être jamais vues en personne. Elle travaille à nouveau avec la NASA, cette fois en tant qu’artiste, pour créer son projet sur les oiseaux en voie de disparition.
Mme Bondar m’a écrit au sujet de sa photo intitulée Endangered Shadows :
[...] l’arrière-plan abstrait et tridimensionnel d’un étang résiduel de la région des fondrières des Prairies, en Saskatchewan, ressemble à une vague qui menace d’engloutir [les grues blanches] et qui présage des dangers auxquels elles seront confrontées au cours de leur vol biannuel. Les longues ombres automnales des grues soulignent leur évanescence.
Il y a plusieurs années, le secteur de l’énergie de l’Alberta a parrainé l’exposition de la série Oil Sands d’Ed Burtynsky, ce qui montrait clairement son rôle actif dans la recherche de solutions. Je me réjouis du développement de l’énergie propre et du nombre croissant d’installations éoliennes et solaires dans l’ensemble du Canada.
Les œuvres présentées par Burtynsky au festival de photographie de Londres en 2018, à titre d’artiste invité de renommée internationale, étaient captivantes. J’étais ravie de voir son travail dans ce contexte et d’assister à sa présentation. Ses œuvres en deux et en trois dimensions montraient des sites d’enfouissement faits de montagnes de pneus et de matériel informatique. Je suis certaine que Burtynsky sait qu’il y a un nouveau musée, au Nigéria, qui présente une exposition sur les effets néfastes des déchets.
Les expositions consacrées à Burtynsky au Musée des beaux-arts du Canada et au Musée des beaux-arts de l’Ontario et le livre Anthropocene paru en 2018 explorent ces questions avec une grande honnêteté et intégrité artistique. Burtynsky a présenté la suite. Il ne s’acharne pas sur des secteurs d’activité en particulier. Il veut plutôt bâtir une communauté d’esprit, d’action et de vision.
Nous avons besoin de combustible pour chauffer nos maisons, pour voyager et pour fabriquer les objets que nous utilisons au quotidien. Je le cite :
J’ai commencé dans le secteur de la photographie à une époque où nous étions ébahis devant les progrès de l’espèce humaine. Nos réalisations étaient devenues une source de possibilités infinies. Mais le temps a passé et ce flot de merveilles s’est mis à tourner. La voiture avec laquelle je sillonnais le pays a commencé à représenter autre chose que la liberté, quelque chose de plus dérangeant. J’ai commencé à réfléchir au pétrole, d’une part comme source d’énergie et de possibles, et d’autre part, comme source d’effroi en raison des dommages qu’il inflige inexorablement à notre habitat.
Chers collègues, l’organisme de recherche Hill Strategies décrit les liens inextricables entre les arts et l’environnement dans son billet de blogue du 12 janvier. L’organisme international Réseau Patrimoine climatique énumère certains de ces liens :
La culture permet d’ancrer les individus dans des lieux et entre eux. Elle peut créer une cohésion qui permet le développement de communautés et d’actions collectives. Les artistes et les voies du monde de la culture stimulent la sensibilisation et l’action du public; leur travail peut être un outil puissant de mobilisation en faveur du climat. Grâce à l’accessibilité et à la confiance du public, les institutions culturelles telles que les musées et les bibliothèques constituent des plateformes d’écoute des communautés et des centres d’échanges multiculturels et intergénérationnels, de renforcement des capacités et de partage des connaissances.
Chers collègues, j’ai été ravie d’apprendre que le Massachussetts Institute of Technology (MIT) a organisé une initiative en faveur de solutions environnementales intitulée Artistes et scientifiques ensemble pour les solutions climatiques, en décembre dernier, qui a rassemblé des universitaires et des musiciens. Cela prouve que la solution au changement climatique ne viendra pas d’un seul domaine en particulier, mais bien de toutes les cultures.
La professeure Dava Newman, du Département d’aéronautique et d’astronautique du MIT, a noté que pendant que les scientifiques collectent d’énormes quantités de données pour démontrer les changements qui se produisent sur notre planète, la communication est le plus grand problème auquel la communauté scientifique est confrontée. Dava Newman a déclaré que le comportement des gens les obligera à travailler ensemble dans différentes disciplines et domaines d’expertise, un élément crucial au succès de la lutte contre le réchauffement climatique.
Chers collègues, nous pouvons recueillir des appuis de toutes les régions et de tous les secteurs du pays et les sensibiliser à cet enjeu parce que nous provenons nous-mêmes de toutes les régions et de tous les secteurs. Suivons la vision des scientifiques et des artistes; collaborons de manière proactive; et soyons prêts à apprendre la dure réalité et à nous inspirer de nombreuses sources.
Faisons notre part en écoutant, en examinant, en étudiant et en changeant les choses qui doivent l’être.
Je remercie la sénatrice Coyle et mes collègues de leur attention.