Projet de loi sur la reconnaissance de la Nation haïda
Troisième lecture--Suite du débat
30 avril 2024
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi S-16. Ce projet de loi n’est pas une simple formalité législative pour la nation haïda, mais un engagement profond envers les principes de justice, de reconnaissance et d’autonomie gouvernementale. Il marque un tournant décisif dans l’approche de notre pays en matière de droits autochtones et crée un précédent pour des initiatives semblables à l’échelle nationale.
La présentation du projet de loi S-16 s’inscrit dans le cadre d’un effort global de réparation des injustices passées subies par la nation haïda et d’autres peuples autochtones. Le projet de loi découle de l’Entente de reconnaissance de Nang K̲’uula Nang K̲’úulaas et fait partie intégrante du plus vaste cadre de réconciliation « Changing Tide », sur lequel travaillent depuis de nombreuses années les gouvernements de la Colombie-Britannique et du Canada, de même que la nation haïda.
Ces cadres ont été conçus non seulement pour reconnaître la souveraineté et la gouvernance traditionnelle du peuple haïda, mais aussi pour intégrer ces éléments dans le tissu juridique de la société canadienne.
Je voudrais parler brièvement de trois aspects de ce que nous faisons cette semaine.
Je vais d’abord parler du cadre juridique et des dispositions détaillées du projet de loi S-16. Il s’agit principalement des pouvoirs de gouvernance et du statut juridique selon le projet de loi S-16, qui prévoit, à l’article 4, que « la Nation haïda exerce ses pouvoirs exécutifs », conformément à sa constitution, « par l’intermédiaire du Conseil de la Nation haïda ». C’est la partie du projet de loi qui porte sur la reconnaissance.
Actuellement, le statut juridique du Conseil de la nation haïda tient à son enregistrement en vertu de la Societies Act de la Colombie-Britannique, ainsi que sur son inscription auprès de la Société protectrice des animaux de la Colombie-Britannique et, je présume, des Chevaliers de Colomb, et ainsi de suite. On pourrait parler d’une façon inhabituelle de reconnaître légalement un gouvernement si elle n’était pas aussi insultante.
Cette initiative législative est essentielle parce qu’elle corrige ces oublis historiques et reconnaît officiellement les droits de gouvernance inhérents que détient la nation haïda. La reconnaissance de ces droits dans la loi canadienne se fait attendre depuis longtemps et est essentielle à une véritable réconciliation, puisqu’elle crée une relation fondée sur le respect, la souveraineté et l’égalité.
Plus précisément, cette disposition garantit que la gouvernance du conseil est conforme au cadre constitutionnel de la nation haïda qui est déjà en place. Ce cadre constitue une base juridique solide pour ses activités. S’appuyant sur ce fondement, l’article 5 reconnaît le Conseil de la Nation haïda comme une entité assimilable à une personne physique, et non comme un simple détenteur de droits et de pouvoirs délégués, en quelque sorte, par un autre gouvernement. Cette reconnaissance est essentielle, car elle confère au conseil les capacités juridiques nécessaires pour gouverner efficacement. Par exemple, elle lui permet de conclure des marchés, d’acheter des biens, de gérer des actifs et d’engager des poursuites judiciaires en vertu du droit canadien.
Deuxièmement, ce projet de loi établit, grâce à ces accords de reconnaissance, la possibilité de négociations futures en matière de compétence. C’est d’ailleurs l’un des principaux objectifs de la Loi sur la reconnaissance pour les années à venir. L’adoption du projet de loi S-16, la Loi sur la reconnaissance de la Nation haïda, renforcera considérablement la capacité de la nation haïda à négocier dans des secteurs clés qui sont essentiels à la viabilité de sa communauté et de son environnement. Cela se fera par voie de négociation entre le Canada, la Colombie-Britannique et le Conseil de la Nation haïda plutôt que par la voie du contentieux.
Les catégories de négociations potentielles pourraient inclure, en premier lieu, la gestion des ressources naturelles. La nation haïda aura la possibilité d’exercer un plus grand contrôle sur l’extraction et la gestion des ressources naturelles au sein de ses magnifiques territoires. Il pourrait notamment s’agir de négocier les conditions des activités minières, des opérations forestières et de l’exploitation durable des ressources marines, qui sont au cœur du mode de vie traditionnel et de la viabilité économique du peuple haïda.
En étant légalement habilitée à conclure des contrats et des accords, la nation haïda peut veiller à ce que les projets d’exploitation des ressources naturelles soient menés dans le respect de ses propres normes environnementales et de sa culture. Ce qui nous amène au prochain sujet de négociation potentiel : la protection du patrimoine culturel.
Le projet de loi prévoit un cadre permettant à la nation haïda de gérer et de protéger activement son patrimoine culturel. Il peut s’agir de négocier le retour d’artefacts importants sur le plan culturel, de créer des musées ou des centres culturels ou de gérer des sites historiques. Au-delà de la préservation, la nation haïda pourrait développer le tourisme culturel, en créant des programmes éducatifs et des expériences qui font connaître son histoire et sa culture à un vaste public, ce qui lui permettrait de générer des revenus tout en contrôlant la présentation et l’intégrité de son image culturelle.
La sénatrice Busson a décrit ce qu’elle a ressenti lors de sa récente visite à la nation haïda, et elle a expliqué l’importance et la nécessité de préserver la culture haïda.
Il y a aussi le développement économique et l’investissement. Le projet de loi S-16 permet à la nation haïda de lancer des projets de développement économique et d’y participer directement. On peut penser au développement d’entreprises appartenant à des Autochtones, à des partenariats avec des investisseurs externes et à la création de coentreprises qui s’arriment aux objectifs économiques de la nation. La capacité de s’engager directement sur le marché commercial fournit une plateforme pour l’autosuffisance économique et la possibilité de créer des emplois et des débouchés commerciaux au sein de la communauté qui concordent avec les valeurs de la communauté.
L’éducation et les services sociaux constituent un autre volet. La reconnaissance des capacités de gouvernance reconnues permettrait à la nation haïda de négocier sa compétence en matière d’éducation et de services sociaux. C’est une pratique courante dans de nombreux autres accords négociés dans tout le pays. Cela pourrait mener à l’élaboration de systèmes d’éducation qui intègrent la langue, la culture et l’histoire de la nation haïda, et qui adaptent le contenu de l’enseignement pour mieux refléter et servir les besoins de la communauté. De même, dans le domaine des services sociaux, les programmes peuvent être conçus spécifiquement pour répondre aux difficultés et à la situation de la communauté haïda, qu’il s’agisse des soins de santé, du logement et ainsi de suite.
Finalement, je passe à mon troisième sujet et aux implications plus larges pour d’autres Premières Nations. Comme dans le cas du projet de loi que nous avons adopté en juin dernier pour la Première Nation dakota de Whitecap, la mise en œuvre réussie du projet de loi S-16 créera un précédent pour les autres Premières Nations du Canada qui se trouvent dans une situation similaire à celle de la nation haïda et qui cherchent à obtenir une reconnaissance et des pouvoirs de négociation semblables. Cette mesure législative est un exemple de voie claire vers une autonomie accrue et peut servir de modèle à d’autres nations dans leurs négociations avec les gouvernements fédéral et provinciaux.
En conclusion, le projet de loi S-16, Loi sur la reconnaissance de la Nation haïda, représente une étape importante dans l’engagement à l’égard des droits et de la gouvernance de la nation haïda. En approuvant ce projet de loi, nous affirmons notre attachement à un partenariat qui respecte la souveraineté et la dignité du peuple haïda, et nous établissons une norme en matière d’engagement du Canada envers les nations autochtones, et nous favorisons un avenir où règnent l’égalité, le respect et l’intérêt mutuel.
Ce projet de loi n’est pas simplement une résolution, mais une avancée décisive dans un parcours beaucoup plus vaste menant à une réconciliation totale et à un partenariat solide. Le projet de loi fournit un cadre grâce auquel la nation haïda peut exercer un contrôle considérable sur ses ressources naturelles, son patrimoine culturel et son développement économique et social. Il marque une progression essentielle dans la reconnaissance et l’institutionnalisation des droits de gouvernance inhérents de la nation haïda. Ce projet de loi est un pas véritable sur la voie de la réconciliation, et j’exhorte tous les sénateurs à le soutenir. Merci.
Nous reprenons le débat. La sénatrice Coyle a la parole.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui sur le territoire traditionnel et non cédé de la nation algonquine anishinabe pour parler en faveur du projet de loi S-16, Loi concernant la reconnaissance de la Nation haïda et du Conseil de la Nation haïda.
Chers collègues, c’est aujourd’hui le moment de célébrer cette réalisation historique et durement gagnée par la nation haïda, dont la gestation a duré 50 ans. C’est le moment de féliciter le peuple haïda pour son leadership inébranlable et sa persévérance, et c’est le moment pour nous d’apprendre et de comprendre le rôle historique et actuel du gouvernement du Canada — notre gouvernement — dans cette histoire, ce processus, et maintenant ce dénouement positif.
Chers collègues, ce projet de loi concerne le peuple haïda, ses coutumes, ses territoires, sa gouvernance, son bien-être futur, ses relations avec le Canada et, franchement, le bien-être de notre nation.
Chers collègues, la semaine dernière, le Comité des peuples autochtones a entendu Gaagwiis, Jason Alsop, le président élu de la nation haïda, qui s’est exprimé avec passion en faveur du projet de loi S-16. Il était important d’entendre son point de vue. Il a qualifié cette mesure de « [...] projet de loi élaboré conjointement [...] » et a ajouté qu’il s’agissait d’un « [...] élément important de la réconciliation entre la nation haïda et le Canada ». Il nous a dit que les locuteurs de la langue haïda avaient formulé le concept de réconciliation dans leur propre langue — je m’excuse pour ma prononciation —
[Note de la rédaction : La sénatrice Coyle s’exprime en haïda.]
Chers collègues, cela signifie « des gens qui travaillent ensemble pour redresser la situation ».
Sur quoi travaillons-nous « ensemble » pour « redresser la situation »? Le président Gaagwiis nous a parlé de l’histoire trouble entre le Canada et la nation haïda. Le premier compte rendu écrit de cette histoire remonte à l’époque où la commission royale s’est rendue à Haida Gwaii, en 1913, avec l’intention de parler aux chefs haïdas des réserves et des limites des réserves. La position de la nation haïda était alors identique à sa position actuelle : la nation haïda n’a jamais cédé, capitulé, signé un traité ou été défaite dans une guerre, et tout Haida Gwaii est un territoire haïda. Le président Gaagwiis nous a rappelé ceci :
La loi et la politique canadiennes ont été conçues pour assimiler les peuples autochtones, nous déconnecter de notre culture, de notre histoire, de nos territoires et de nos semblables, et elles ont causé de grands dommages à nos peuples, à nos terres, à nos eaux et à nos territoires au fil des ans. Le Canada avait rendu illégal l’exercice de notre gouvernance et de nos systèmes juridiques traditionnels en interdisant le potlatch.
Le génocide culturel du système des pensionnats a été conçu pour réduire au silence notre langue, bouleverser notre culture et nos valeurs et briser nos structures familiales.
Citant un autre exemple de l’histoire problématique, le président Gaagwiis nous a dit :
Avec les lois de la Couronne et la façon dont les choses sont mises en place [...] [o]n a gagné des milliards de dollars en exploitant les forêts de Haida Gwaii [...]
— tous les arbres abattus, puis expédiés dans le Sud —
[...] mais il n’y a pourtant aucune infrastructure, aucune piscine et aucun centre récréatif sur place. Il n’y a pas grand-chose à montrer à tous les habitants de Haida Gwaii malgré toutes les ressources qui ont été extraites.
Chers collègues, de nombreux aspects de la relation entre le Canada et les Haïdas doivent être corrigés, mais les deux aspects importants suivants sont fondamentaux pour établir une relation juste, qui est l’objectif ultime du processus de réconciliation : primo, la reconnaissance de la gouvernance et des lois des Haïdas et, secundo — et ce point est essentiel —, la reconnaissance du titre foncier de leur territoire. Le projet de loi S-16 est fondamental pour la réconciliation.
Comme nous l’a dit la sénatrice Margo Greenwood, marraine du projet de loi, dans ses discours aux étapes de la deuxième et de la troisième lecture, le projet de loi fera deux choses importantes. Premièrement, il affirmera la reconnaissance par le gouvernement du Canada de la nation haïda en tant que titulaire de droits inhérents à la gouvernance et à l’autodétermination. Deuxièmement, il reconnaîtra le Conseil de la nation haïda en tant que gouvernement de la nation haïda.
À quoi ressemble cette gouvernance? Dans son témoignage, le président Gaagwiis a dit à notre comité qu’il y a 50 ans — c’est une longue période d’attente :
En réponse à cette oppression du Canada et de la Couronne dans un acte d’autodétermination, le peuple haïda a formé le conseil de la nation haïda [...] afin d’affirmer notre plein titre de Haïdas à l’égard de tous les territoires haïdas et de respecter notre responsabilité inhérente de s’occuper de Haida Gwaii — la terre et l’eau.
La nation haïda a officiellement ratifié la Constitution de la nation haïda. Cette constitution reconnaît que toutes les personnes d’ascendance haïda sont des citoyens. Elle affirme que le pouvoir de gouvernance de la nation haïda est confié au Conseil de la nation haïda. Elle établit le Conseil des chefs héréditaires. Elle reconnaît que la nation haïda est une société matrilinéaire, que les matriarches héréditaires occupent une place prépondérante et qu’elles jouent un rôle officiel au sein de l’organe directeur par l’intermédiaire de la —
[Note de la rédaction : La sénatrice Coyle s’exprime en haïda.]
— table de citoyenneté. Elle définit le rôle des conseils de village, qui doivent remplir les fonctions d’une administration locale et assumer la responsabilité du bien-être des communautés, et elle établit une assemblée législative comme pouvoir législatif. Tous les organes de la nation haïda fonctionnent avec une majorité de 75 %.
Tout cela est en place depuis un certain temps, et le président Gaagwiis a indiqué à notre comité que le projet de loi S-16 n’y changerait rien :
[...] C’est une affaire interne et inhérente à la nation haïda, mais ce projet de loi et les travaux à venir peuvent contribuer à consolider l’environnement dans lequel nous travaillons en appliquant ces lois à l’assise territoriale et, pour être honnête, à la relation entre la nation haïda, le conseil de la nation haïda et le Canada en ce qui concerne les ressources pour soutenir l’évolution continue de notre autonomie gouvernementale [...]
C’est ce dont il est question.
Chers collègues, cette base territoriale, l’archipel Haida Gwaii, que le président Gaagwiis considère comme un élément clé de toute cette équation, est, comme vous le savez, l’un des endroits les plus beaux et les plus remarquables au monde, un endroit que moi-même et beaucoup d’entre vous rêvons de visiter. La sénatrice Greenwood a décrit ces 200 îles, situées à 100 kilomètres à l’ouest de la côte nord de la Colombie-Britannique. L’archipel Haida Gwaii, ce qui signifie « les îles du peuple », est la patrie du peuple haïda. L’histoire raconte que le corbeau a créé les îles de l’archipel Haida Gwaii à partir de l’eau et qu’il a fait sortir les Haïdas de la coquille de mye pour qu’ils le rejoignent sur cette nouvelle terre magnifique.
Ce sont les terres sacrées de l’artiste haïda Bill Reid et les terres qui ont captivé l’artiste Emily Carr. Le président Gaagwiis a déclaré ce qui suit :
Le territoire — un élément fondamental pour nous dans notre mandat et nos responsabilités consiste d’abord et avant tout à s’occuper de la culture, du territoire, de tous les êtres, et tout cela revient à veiller sur nous… C’est parfois peut-être un peu différent des autres façons de voir les choses où c’est plus individualiste ou centré sur les gens.
Chers collègues, rappelez-vous qu’il y a 50 ans, lorsque les Haïdas ont créé le Conseil de la nation haïda, on a chargé cet organisme de faire respecter leur responsabilité inhérente de veiller sur Haida Gwaii, leurs terres et leurs eaux. Je ne peux même pas imaginer la frustration qu’ils ont dû ressentir pendant toutes ces années, sachant qu’ils avaient cette responsabilité à l’égard des terres et des eaux de Haida Gwaii sans être pleinement en mesure de l’exercer.
La nation haïda a travaillé d’arrache-pied aux démarches de réconciliation afin de corriger la situation. Les autres acteurs clés de ces démarches sont les gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique. Au début du mois, le gouvernement britanno-colombien a signé un pacte avec le Conseil de la nation haïda, acceptant officiellement qu’elle possède un titre autochtone sur l’ensemble des îles de Haida Gwaii, d’une superficie de 1 million d’hectares. Lors de la cérémonie, le président du Conseil de la nation haïda, M. Gaagwiis, a déclaré :
Nous pouvons maintenant nous occuper du long terme et nous préparer pour les défis que nous pourrions avoir à relever dans les années à venir en raison des changements climatiques. Notre gouvernance privilégiera les intérêts des membres de notre communauté, parce qu’ils seront responsables de tout ce qui concerne notre territoire.
Cette entente avec la Colombie-Britannique est cruciale, tout comme le projet de loi S-16, une autre étape importante vers la reconnaissance, la résolution et la réconciliation entières.
Chers collègues, il est important de nous tourner vers les prochaines étapes et, pour le Canada, les prochaines étapes sont d’adopter le projet de loi S-16 et de le renvoyer à l’autre endroit afin qu’il puisse être adopté rapidement. Cette mesure législative de reconnaissance de la gouvernance jette les bases pour la mise en place des prochains éléments essentiels. Au comité, le ministre Anandasangaree a dit :
L’autonomie gouvernementale contribue à l’évolution de notre fédéralisme, en le renforçant de sorte qu’il soit fondé sur l’équité et l’égalité plutôt que sur le paternalisme.
Le prochain élément, le plus important pour les Haïdas, est celui des titres fonciers. Le ministre a reconnu qu’il y avait du retard dans ce dossier, parce qu’il englobe différents enjeux très complexes qu’il faut régler : le système des parcs, les terres du ministère de la Défense nationale et les terres associées à Transports Canada, entre autres. Il sera important que nous suivions de près la question des titres fonciers. Il s’agit de la clé de voûte de la pleine réconciliation et de la justice. Nous ne pouvons donc pas laisser le règlement de cette question traîner en longueur.
Les autres éléments qu’il faut régler concernent la fiscalité — une solution sera bientôt proposée —, les pêches et les systèmes juridiques.
Honorables sénateurs, alors que je m’apprête à clore mon intervention, je me souviens qu’il y a deux semaines, beaucoup d’entre nous ont eu le plaisir et l’honneur de rencontrer l’une de mes héroïnes de toujours, la célèbre primatologue, anthropologue et écologiste Jane Goodall, ici au Sénat. Mme Goodall nous a parlé avec une telle sagesse et une simplicité irrésistible. Elle est connue pour avoir dit : « Ce que vous faites a une incidence, et vous devez décider du genre d’incidence que vous souhaitez avoir. »
Chers collègues, en tant que Chambre haute du Canada, les sénateurs peuvent, collectivement et individuellement, avoir une incidence, et adopter le projet de loi S-16, Loi sur la reconnaissance de la Nation haïda. Son adoption offre justement l’occasion de faire un pas de plus vers la réconciliation et le respect de nos obligations aux termes de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. C’est l’occasion de jouer notre rôle dans ce que les Haïdas appellent —
[Note de la rédaction : La sénatrice Coyle s’exprime en haïda.]
— ou « un effort commun de bonnes personnes en vue de corriger la situation ».
Honorables sénateurs, prenons cette mesure historique pour corriger la situation entre le Canada et le peuple haïda. Wela’lioq, merci.
Merci à mes deux collègues de s’exprimer sur un sujet qui est complexe, sur une partie de l’histoire du Canada qui est complexe, mais qui est encore très palpable pour la plupart des peuples autochtones.
Je suis fière d’être moitié Innue et moitié Québécoise. Je le sens au quotidien. Mon fils fait partie du peuple Gitxsan, qui est voisin du peuple haïda. J’ai été accompagnée par une grand-mère spirituelle pendant l’enquête nationale, soit Bernie William Poitras, qui vient de cette grande nation, qui est une douce guerrière issue d’une lignée familiale depuis des millénaires, qui est une matriarche, mais aussi une cheffe héréditaire.
Vous comprendrez que ma position — je vais le faire avec douceur et avec amour — est de nous rappeler collectivement que la réconciliation est un bout de vérité que nous seuls, les peuples autochtones, pouvons détenir. Par la tradition orale, nous la partageons depuis des décennies, depuis des siècles. Je me dois de nous rappeler collectivement à quel point il est important de signer ces ententes. Le droit à l’autodétermination est la première chose que j’avais lorsque je suis arrivée dans cette Chambre. J’avais un médaillon fait avec une peau de caribou où on pouvait lire « éducation, justice, droit à l’autonomie gouvernementale ». C’est très important.
En même temps, rappelons-nous que, dans ce même espace, le colonialisme nous a fait mal — surtout aux femmes autochtones. Ma mère, en épousant le plus beau Québécois, a été expulsée de son territoire. C’est la même chose pour les langues et ainsi de suite. Ce sont toutes des choses que l’on apprend au fil du temps.
Le mois de février est le mois de l’amour, mais il est aussi, pour les familles qui ont perdu un être cher, un moment où l’on réfléchit. Ce mois est pour ceux et celles qui ont perdu une sœur, un frère, une maman, et cetera. En février dernier, j’étais sur le territoire de ces matriarches, dans le Nord de la Colombie-Britannique. Elles m’ont saisie pour me dire : « Ce projet de loi va nous faire mal, parce qu’on ne nous a pas écoutées. » Je leur ai exprimé dans mes mots à moi qu’en même temps, 50 ans plus tard, il faut aller de l’avant, même si ce n’est pas parfait, même si ce n’est pas ce qu’on aurait espéré comme peuple, comme société ou comme pays. Alors, comment pouvaient-elles se faire entendre? Elles ont essayé de se faire entendre dans le cadre de nos structures ici, au sein du Sénat, mais leur voix n’a pas résonné. Elle n’a pas résonné pour toutes sortes de raisons. Je prends la parole pour elles aujourd’hui. Cinquante ans de colonialisme et de débat pour ce beau grand peuple haïda, pour enfin arriver à quelque chose.
Rappelons-nous que ces femmes ont 12 000 ans de droits, de règles, de protocoles et de fierté pour leur peuple. Je me suis souvent fait dire par des membres de gouvernements que j’ai rencontrés ici : « Oui, mais c’est entre vous, tout cela. Il faut que cela se règle entre vous. » Ce n’est pas entre nous qu’on a imposé une loi coloniale.
Vous comprendrez que je vais m’abstenir, mais vous, dans le plus profond de votre cœur, dans vos valeurs à vous, vos croyances, si vous voulez soutenir cette initiative, cela vous appartient, et tant mieux. Je ne vous demande pas de rester avec moi à ce sujet, mais comprenez bien que les prochaines nations qui témoigneront devant nos comités, pour qu’on puisse adopter avec elles des projets de loi pour assurer leur pleine autonomie... Rappelez-vous toujours qu’il y a des voix silencieuses que l’on doit entendre. C’est notre responsabilité.
Il y a tant de voix que nous connaissons qui pensent faire du bien. Je suis l’une d’entre elles, bien sûr. Je pense avoir fait preuve de diligence raisonnable. Au sein de leur propre nation, de la même nation, il y a probablement un groupe de voix que nous devons faire entendre au comité. J’espère donc que vous comprenez ma décision de m’abstenir parce qu’il y a des voix qui n’ont pas été entendues. Disons que le prochain projet de loi ou le prochain... concerne ma nation. Même là, j’aurais hâte que ses membres viennent ici pour que je leur pose les mêmes questions : Qu’en est-il des femmes autochtones? Où sont-elles? Prennent-elles part au processus? Ont‑elles rêvé de cette vision que vous avez et que vous nous présentez au Sénat? Ont-elles participé avec vous à la rédaction de cette mesure législative ou à la création de cette vision?
Nous devons faire preuve de diligence raisonnable. Nous avons cette responsabilité. Je remercie toutes les personnes ici présentes qui ouvrent leur esprit et leur cœur à cette initiative, mais n’oublions pas que beaucoup d’entre nous ne peuvent pas venir obtenir des réponses ou exposer ou révéler la vérité. Merci.
Puis-je poser une question?
Oui.
Je vous remercie sincèrement de votre intervention. Vous avez parlé de points importants, et la question des matriarches a été soulevée à plusieurs reprises au comité, tant auprès de Gaagwiis qu’auprès du ministre. Nous avons reçu des réponses de leur part, et vous les connaissez. Vous n’êtes pas satisfaite du processus, et je le comprends. Je pense qu’aucun d’entre nous ne devrait être pleinement satisfait.
Si j’ai bien compris, vous avez fait valoir que nous devrions, dans les futures délibérations, veiller à ce que les comités invitent toujours les femmes, comme les matriarches dans ce cas-ci, à prendre la parole en leur propre nom. Est-ce bien l’argument principal que vous avez présenté?
Oui, mais ce n’est pas tout. Il ne faut pas demander aux femmes ou aux personnes de présenter des mémoires. Nous sommes issus d’une tradition orale. Certains n’ont pas l’argent nécessaire pour rédiger une déclaration ou n’ont pas la capacité de demander à un expert de le faire pour eux. Nous sommes issus d’une tradition orale : il faut donc nous inviter en tant que témoins. Merci.