Modernisation du Sénat
Treizième rapport du comité spécial et demande de réponse du gouvernement--Débat
10 avril 2019
Propose :
Que le treizième rapport du Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat, intitulé Refléter la nouvelle réalité du Sénat, qui a été présenté au Sénat le 11 décembre 2018, soit adopté et que, conformément à l’article 12-24(1) du Règlement, le Sénat demande une réponse complète et détaillée du gouvernement, la ministre des Institutions démocratiques étant désignée ministre chargée de répondre à ce rapport.
— Honorables sénateurs, si vous avez le rapport devant vous — vous ne vous déplacez jamais sans lui, j’en suis certain —, vous constaterez qu’il est assez bref. Il ne compte que 20 pages. En fait, la substance du rapport et les recommandations ne font que six pages. Mais ne vous en faites pas, mes amis, mon discours ne sera pas bref.
Mesdames et messieurs, le Comité sur la modernisation a été créé afin de déterminer des façons de rendre le Sénat plus efficace dans le cadre constitutionnel actuel. Le premier rapport, publié sous la présidence du très compétent sénateur McInnis, était composé de neuf sous-rapports et contenait des recommandations sur la façon de répondre aux besoins du nombre croissant de sénateurs non affiliés.
Le grand principe formulé dans le premier rapport est l’égalité des sénateurs, qu’ils fassent ou non partie d’un caucus ou d’un groupe reconnu.
Ces travaux ont donné lieu à des modifications officielles au Règlement du Sénat pour permettre la création de groupes parlementaires et l’apport de modifications au Règlement administratif du Sénat, afin d’assurer aux sénateurs non affiliés les bureaux et le financement nécessaires pour s’acquitter de leurs fonctions.
De plus, des changements moins officiels — ou temporaires, si on veut — ont été apportés, comme l’augmentation de la taille des comités et le changement concernant les membres d’office. Ces changements ont été apportés suivant un ordre du Sénat et doivent expirer à la fin de la présente législature.
L’avant-dernier rapport du comité rend compte de la façon dont le système de Westminster a évolué au Canada et ailleurs afin de répondre aux réalités locales et aux besoins changeants.
Même s’il a été présenté au Sénat aux fins d’information plutôt que d’adoption, le rapport démontre que la souplesse inhérente au système de Westminster permet de s’adapter à l’évolution des circonstances, des réalités locales et des besoins.
À la lumière de cette information, le comité a entrepris l’étude dont ce rapport rend compte. Après avoir établi le principe d’égalité entre les sénateurs et noté le degré de souplesse du système de Westminster, on devait encore confirmer le principe d’égalité pour tout groupe ou caucus auquel les sénateurs pourraient se joindre. Il tombe sous le sens que le principe d’égalité devrait s’appliquer tant au sénateur qu’au groupe auquel il appartient, qu’il s’agisse d’un parti, d’un caucus ou d’un groupe parlementaire. Dans les circonstances actuelles, tous les groupes du Sénat ne sont pas égaux.
Par exemple, le plus grand groupe de sénateurs, soit le Groupe des sénateurs indépendants, n’a pas à être consulté au sujet de l’attribution de temps ou de la durée de la sonnerie qui convoque les sénateurs au vote. Il n’y a pas de rétroaction formelle de la part du Groupe des sénateurs indépendants ou du caucus libéral indépendant du Sénat. Autrement dit, à l’heure actuelle, plus de la moitié des sénateurs n’ont pas voix au chapitre à cet égard. Le rapport fournit d’autres exemples. En tant que sénateurs, nous avons le pouvoir d’apporter les changements nécessaires.
Premièrement, le comité recommande que le Sénat donne au Comité du Règlement le mandat de lui présenter des recommandations précises sur des modifications à apporter au Règlement du Sénat afin de régler les iniquités et de mieux tenir compte de la nouvelle réalité du Sénat.
Deuxièmement, le comité recommande que le Comité de la régie interne propose des modifications au Règlement administratif du Sénat, comme de prévoir mettre à la disposition des divers leaders et de leur équipe des bureaux attenants à l’enceinte du Sénat.
La troisième et dernière recommandation porte sur des modifications à apporter à la Loi sur le Parlement du Canada. Comme certains sénateurs l’ont dit, les premier et dernier mots sur les changements au Sénat appartiennent au gouvernement. Le premier ministre actuel a affranchi plusieurs sénateurs libéraux de leur parti et du caucus national lorsqu’il était le chef du troisième parti à l’autre endroit. Il a promis, lors de la dernière campagne électorale, de ne nommer que des sénateurs indépendants et, dans l’ensemble, c’est ce qu’il a fait depuis qu’il a été élu.
Deux modifications à la Loi sur le Parlement du Canada et à d’autres lois concernant les restrictions sur la prérogative royale et les dépenses doivent être présentées par le gouvernement à l’autre endroit.
Ce type de modifications devrait prévoir l’obligation de consulter tous les groupes sénatoriaux reconnus au sujet de la nomination de candidats à des postes comme celui de conseiller sénatorial en éthique et de vérificateur général. De telles modifications devraient également porter sur les traitements de ceux qui assument un rôle de leadership dans des groupes, mais qui ne sont pas l’un des trois représentants du gouvernement. D’ailleurs, ces derniers devraient peut-être être payés d’une façon différente : par exemple, par le gouvernement et non par le Sénat, comme c’est le cas actuellement.
Parmi les trois groupes reconnus, seuls les membres d’un groupe, le caucus conservateur, reçoivent des indemnités supplémentaires pour le rôle de leadership qu’ils assument. Je dis « trois groupes », car techniquement, le sénateur Harder et son équipe ne sont pas un parti ou un groupe parlementaire reconnu conformément au Règlement du Sénat, mais ils reçoivent néanmoins d’autres indemnités, gracieuseté de la Loi sur le Parlement du Canada. Ainsi, ceux qui occupent des postes de leadership au sein du Groupe des sénateurs indépendants et des libéraux indépendants au Sénat ne reçoivent pas d’indemnité supplémentaire.
Honorables sénateurs, n’avons-nous pas entendu parler du principe d’un salaire égal pour un travail égal? Comment pouvons-nous redresser ces inégalités? Devrions-nous, par exemple, demander aux sénateurs Harder et Smith de partager une partie de leurs indemnités supplémentaires avec les sénateurs Day et Woo? Peut-être que les sénatrices Bellemare et Martin devraient partager leurs indemnités supplémentaires avec les sénateurs Omidvar et Mercer? Les sénateurs Mitchell et Plett qui, nous le savons tous, sont soucieux de l’équité, ne devraient-ils pas se porter volontaires pour partager ce qu’ils reçoivent avec les sénateurs Gold et Downe?
Évidemment, selon les principes d’égalité ou d’équité, je soutiendrais également que personne ne devrait recevoir une indemnité supplémentaire. Après tout, si les sénateurs des libéraux indépendants au Sénat et du Groupe des sénateurs indépendants assumant un rôle de leadership ont pu faire leur travail sans indemnité supplémentaire pendant toutes ces années, je suis sûr que les autres pourraient en faire autant. Les contribuables canadiens n’en seraient-ils pas heureux?
J’en parle avec légèreté, mais ne devrions-nous pas tous travailler à corriger cette lacune? Nous devrions peut-être tenir une collecte publique pour les sénateurs Woo et Day et leurs équipes.
Sérieusement, cependant, ces inégalités entourant la rémunération symbolisent les inégalités et les iniquités dans le Règlement et les pratiques concernant toutes les activités du Sénat. Il est passablement honteux que nous permettions à cette situation de perdurer. Nous nous enorgueillissons d’être un exemple à suivre pour les Canadiens parce que nos pratiques seraient exemplaires; or, en ce qui concerne nos règles de fonctionnement, nous sommes plutôt négligents.
Une question me brûle les lèvres : dans quelle mesure le Sénat se lancera-t-il dans de telles modifications? Lors de son témoignage devant le comité, en mai dernier, le sénateur Harder a dit qu’il n’appartient pas au gouvernement de procéder unilatéralement à des modifications, ce qu’a répété la ministre des Institutions démocratiques, qui a dit, durant la période des questions, l’automne dernier, qu’il appartenait aux sénateurs de déterminer comment la loi devrait être actualisée.
Ces observations ont été faites avant décembre 2018, lorsque le Comité sur la modernisation a présenté son rapport. Nous aurions dû procéder rapidement peut-être — ou peut-être plus rapidement — pour profiter de cette ouverture à une modification, mais nous avons tardé. Maintenant, le premier ministre a dit à La Presse Canadienne dans une interview de fin d’année que le gouvernement étudie des façons d’intégrer les changements apportés au Sénat à une mesure législative avant les prochaines élections. Il est peu probable que ce sera fait.
Compte tenu des témoignages qu’il a entendus lors de ses séances publiques, et étant donné qu’il ne connaissait pas les intentions du gouvernement quant à la loi, le Comité sur la modernisation du Sénat a recommandé que le Comité du Règlement soit chargé d’examiner la Loi sur le Parlement du Canada et, si nécessaire, qu’il recommande des modifications précises à la loi et à d’autres lois qui concernent le Sénat.
S’il est vrai que le gouvernement entend apporter unilatéralement des modifications à la Loi sur le Parlement du Canada, j’appuierais cette mesure, parce qu’il est nécessaire d’apporter des modifications, mais ce serait à contrecœur. Je préférerais que le Sénat soit consulté et inclus dans l’élaboration d’une telle mesure législative. De toute façon, le temps est venu d’agir. Je recommande l’adoption rapide du rapport.
Tandis que j’ai votre attention, je tiens à vous faire part de quelques idées sur l’avenir du concept de modernisation. Pendant la plus grande partie de notre existence, nous avons eu recours à un modèle où il n’y avait que le gouvernement et une opposition. Ainsi, le Sénat a rarement modifié les projets de loi et il était habituellement perçu comme une copie de la Chambre des communes. Par conséquent, le public le considérait comme étant inutile et comme un gaspillage de fonds publics.
L’afflux de sénateurs non affiliés montre que l’opposition peut venir de n’importe où. Jadis, nous étions une Chambre bipolaire. Aujourd’hui, nous sommes une Chambre multipolaire. Le résultat est que le Sénat est devenu plus pertinent. Nous apportons plus d’amendements aux projets de loi, et les appels à l’abolition du Sénat se sont estompés. Cela dit, il nous faut un ensemble de règles qui reconnaît notre nature multipolaire et qui encourage l’opposition provenant de n’importe quelle banquette à l’égard de tout projet de loi.
Deuxièmement, nous devons garder à l’esprit que nous sommes habituellement la dernière étape avant la sanction royale. Nous avons un travail sérieux à faire qui nécessite effectivement un second examen objectif. À mon avis, cela signifie que les divers caucus et groupes parlementaires ne doivent pas être redevables à des intérêts partisans ou à des groupes. Être un partisan n’est pas une mauvaise chose. J’en suis un. Après tout, les partis politiques sont un moyen pour les personnes aux vues similaires de s’unir dans une institution politique, et le Sénat, à titre de Chambre du Parlement, est certainement une institution politique.
Chaque sénateur a ses propres croyances, préjugés et penchants idéologiques. Cependant, être soumis à la discipline du parti, comme on dit, est une mauvaise chose qui rend les sénateurs redevables à des intérêts partisans égoïstes au lieu de les laisser évaluer le bien-fondé des projets de loi à l’étude en se fondant sur les faits. Peut-être que le Comité du Règlement souhaitera, plus tard, examiner des façons de moderniser le rôle des whips pour refléter cela.
À cette fin, il faudrait étudier d’autres idées au fil des discussions, y compris les dangers de la pensée de groupe. Ces jours-ci, c’est une menace presque aussi grande, sinon plus, qu’une discipline de parti imposée ouvertement par les whips. La pensée de groupe, c’est lorsque les membres d’un groupe prennent une décision principalement pour favoriser l’harmonie, l’amitié ou l’esprit d’équipe au lieu de se forger leurs propres opinions après avoir examiné les faits, en fonction de leurs croyances et de leurs expériences personnelles.
Enfin, je crois qu’un caucus ou un groupe avec une majorité au Sénat menace l’indépendance de tous les sénateurs. Peu importe leur bienveillance, les majorités reconnues ont le potentiel de limiter les droits des minorités. De telles majorités pourraient réduire notre capacité à réfléchir et à agir d’une façon qui soit digne du second examen objectif.
Pour faire contrepoids, il pourrait y avoir des règles opérationnelles qui encourageraient l’existence de plus de deux groupes ou caucus reconnus et qui empêcheraient la prédominance d’un seul groupe.
En conclusion, je tiens à remercier tous les sénateurs, d’hier et d’aujourd’hui, qui ont consacré temps et efforts aux initiatives de modernisation antérieurs au Comité sur la modernisation. Je souligne en particulier l’apport des sénateurs suivants : les sénateurs Nolin, Eggleton, Ringuette, Verner, Bellemare, Lankin, Tardif, Wallace, McCoy, Joyal, Campbell, Tannas, Kirby, Segal et — le dernier et non le moindre — le sénateur Massicotte.
Merci beaucoup.
Le sénateur Greene accepterait-il de répondre à une question?
Bien sûr.
Merci.
Je sais que nous voulons tous agir en bons chrétiens et partager avec les autres. Avez-vous songé — on nous rappelle tout le temps, ou régulièrement, que vous êtes 58 de votre côté. Est-ce que votre groupe a songé à moderniser la façon dont nous faisons les choses et à faire en sorte que chacun de vous verse 3 000 $ dans une cagnotte? Vous auriez environ 175 000 $, je crois. Vous pourriez vous en servir pour payer vos dirigeants, qui seraient alors mieux payés que la sénatrice Martin, que la sénatrice Bellemare, que moi ou que le sénateur Mitchell.
C’est une idée fantastique. Je vais en parler au caucus.
Accepteriez-vous de répondre à une question?
Il reste une minute pour la question, si le sénateur Greene accepte d’y répondre. À 16 heures, je dois lever la séance.
Il est évident que les Canadiens appuient avec beaucoup d’enthousiasme l’émergence d’un Sénat indépendant. Selon un sondage d’opinion publique dont j’ai diffusé les résultats ce matin, 77 p. 100 des Canadiens veulent que tout futur gouvernement poursuive les changements au processus de nomination amorcés en 2016.
D’après la recherche que vous avez menée, que pensez-vous de toutes les idées qui ont été proposées? Selon vous, quel est le moyen le plus rapide, le meilleur et le plus efficace de concrétiser des changements? Merci.
Ce n’est pas une question facile. Le moyen le plus efficace serait d’organiser un colloque d’une semaine qui rassemblerait divers partis et groupes, et auquel participerait le Sénat tout entier afin de s’entendre sur un Règlement du Sénat opérationnel.
Le Comité sur la modernisation était une bonne idée à l’époque, mais, avec le temps, il s’est avéré impraticable en raison de la partisanerie, des dysfonctionnements et des difficultés à obtenir quelque résultat que ce soit. La meilleure approche pourrait à mon avis être celle d’un Sénat ouvert.