La Loi constitutionnelle de 1867
Projet de loi modificatif--Troisième lecture
21 juin 2022
Propose que le projet de loi C-14, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (représentation électorale), soit lu pour la troisième fois.
— Honorables sénateurs, j’ai pris la parole au Sénat hier pour appuyer le projet de loi du gouvernement, le C-14. Comme mon opinion n’a pas changé au cours des dernières 24 heures, je ne répéterai pas ce que j’ai déjà dit. Je sais que les sénateurs rient quand je dis que je serai bref — mon imitation de George Baker —, mais j’interviens aujourd’hui pour présenter seulement quelques observations à titre de parrain du projet de loi.
Je remercie mes collègues qui ont pris la parole hier et ceux qui poursuivront le débat aujourd’hui. Plusieurs sénateurs ont posé des questions sur la structure du système de représentation en place au Canada. La représentation régionale a sans contredit de l’importance pour bon nombre d’entre nous — c’est la raison d’être du Sénat — et elle constitue l’une des plus grandes forces du Canada. Je suis ravi de voir les parlementaires défendre les intérêts de leur région avec fougue.
Pour ma part, je ferai mon possible pour présenter des questions et sensibiliser le gouvernement à cet enjeu. Je tiens particulièrement à mentionner les observations de la sénatrice Simons, qui a parlé du déséquilibre dans la façon dont les Canadiens sont représentés ici, au Sénat. Je souligne qu’il s’agit de discussions importantes, qui contribuent à la santé de la démocratie canadienne. Je tiens toutefois à être clair : bien qu’il s’agisse d’enjeux graves, ils dépassent la portée du projet de loi C-14.
En bref, cette révision, qui est un élément essentiel de notre démocratie depuis 1871, comprend un nouveau calcul du nombre de sièges attribués à chaque province et un réajustement des limites des circonscriptions électorales dans chaque province, afin de tenir compte des changements démographiques et des changements au sein de la population dans tout le pays.
Le problème, c’est que le seuil minimum, c’est-à-dire la ligne de base de la représentation, n’est plus d’actualité, et il doit être revu afin qu’aucune province n’ait jamais moins de sièges qu’au cours de la 43e législature.
Ce que le projet de loi C-14 ne fait pas, c’est de mettre en œuvre une méthode précise pour déterminer la répartition des sièges à la Chambre. Le Canada a toujours eu, en principe et en pratique, une représentation modifiée en fonction de la population. C’est inscrit dans notre formule constitutionnelle. Pour modifier la formule en tant que telle et, donc, notre système de représentation modifiée, il faudra sans doute recourir à la formule de modification générale. Cela exigerait des résolutions ici, au Sénat, à l’autre endroit, ainsi que dans au moins sept provinces qui représentent 50 % de la population canadienne. Honorables sénateurs, voilà un défi de taille.
À l’opposé, le projet de loi C-14 est une mesure bien réfléchie. Il propose quelque chose de plus modeste, qui cadre entièrement avec les principes et la pratique de la représentation modifiée en fonction de la population du Canada.
Plus précisément, il propose une mise à jour modeste, mais notable de la clause d’antériorité de 1985, qui se trouve à l’article 51 de la Loi constitutionnelle de 1867 et qui permet de garantir qu’aucune province ne peut se voir attribuer moins de sièges qu’elle n’en avait au cours de la 43e législature. Plus simplement, la mise à jour permettra de fixer le seuil minimum à l’année 2021.
Ce n’est pas la première fois que nous protégeons ainsi la représentation des Canadiens. Plus récemment, la clause d’antériorité a été modifiée de la même façon dans le cadre de la Loi sur la représentation équitable de 2011. À cette époque, elle n’avait pas déclenché de formule générale de modification.
Je crois qu’aujourd’hui comme à l’époque, les propositions que contient le projet de loi C-14 sont suffisamment mineures et conformes à notre système de représentation modifié pour nécessiter seulement une résolution des deux Chambres.
Chers collègues, j’ai promis d’être bref et j’espère l’avoir été. Plus vite nous adopterons le projet de loi, plus vite la commission du Québec pourra procéder à ses travaux. J’exhorte tous mes chers collègues à appuyer l’adoption du projet de loi C-14.
Merci.
Le sénateur Dawson accepte-t-il de répondre à une question?
Avec plaisir.
J’ai suivi les questions et le débat sur le sujet, et je veux simplement bien comprendre. Rien dans le projet de loi ne favorise le Québec ou une autre province ou ne modifie le calcul de la représentation selon la population. Dans l’exemple du Québec, on établit un plancher de 78 sièges. À l’heure actuelle, la population du Québec par rapport à la population du Canada est d’environ 22,5 %, mais elle a considérablement diminué au cours des quatre dernières décennies. Si nous avancions, disons, de quatre décennies et qu’elle se chiffrait alors à 20 %, tout ce que nous ferions serait de faire correspondre les 78 sièges du Québec à, disons, 20 %, et d’augmenter tous les autres pour que cela fonctionne. Est-ce votre compréhension des choses?
Apparemment, vous m’avez écouté avec beaucoup d’attention, sénateur. Oui, c’est ainsi que je vois les choses. Comme nous l’avons fait pour les provinces maritimes il y a quelques années, il s’agit d’établir un plancher. Lorsque ce plancher est établi, cela signifie que tous les autres devront augmenter.
C’est ce que l’on fait à l’heure actuelle. Le plancher ne s’appliquait pas au Québec et maintenant, oui.
Et j’espère que le pourcentage ne continuera pas à baisser. Je ne voudrais pas me montrer aussi pessimiste que vous, mais cela dit, cela ne changerait pas l’équilibre de la représentation à la Chambre des communes.
J’ai une autre question, à titre de précision. Je crois comprendre que, bien souvent, la formule dont nous parlons ne fonctionne pas tout à fait pour assurer une représentation proportionnelle à la population de l’Ontario, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique. Toutefois, elle fonctionne plus ou moins pour le Québec, et ce sont les autres provinces — les Maritimes, la Saskatchewan, le Manitoba et, évidemment, les territoires, qui sont légèrement surreprésentés. Il est donc vrai que le Québec n’est pas favorisé de façon disproportionnée par la formule dont il a été question hier, qui ne fait pas partie du projet de loi.
Sénateur Tannas, cette mesure n’est pas en train de créer un déséquilibre différent. Il y a des déséquilibres — et on les a mentionnés hier —, mais le projet de loi ne fait qu’établir un seuil pour le Québec. On ne pénalise pas les autres provinces.
Je vous remercie.
Est-ce que le sénateur Dawson accepterait de répondre à une autre question?
Oui, sénatrice Dasko.
Sénateur Dawson, j’ai peut-être manqué cette information lors des discussions sur cette mesure au cours des dernières semaines : pouvez-vous nous expliquer pourquoi ce projet de loi n’a pas été renvoyé à un comité? Je vous remercie.
Cela dépasse mes compétences.
Avez-vous entendu quiconque expliquer pourquoi ce projet de loi n’a pas été renvoyé à un comité sénatorial?
Vous pourriez poser la question à une personne qui serait bien placée pour vous donner une réponse. Je ne suis pas habilité à vous donner une réponse à cette question.
Honorables sénateurs, je suis heureux de prendre la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-14, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (représentation électorale).
Avant tout, permettez-moi d’apporter une petite correction à mon discours d’hier à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-14. J’ai mentionné hier que le projet de loi du Bloc québécois, visant à garantir 25 % de la représentation du Québec à la Chambre des communes, était toujours à l’étude. Je vous ai même dit que je ne parierais pas sur son évolution à l’autre endroit. Or, il semble bien qu’il ne progressera pas, car le projet de loi C-246 a été rejeté le 8 juin dernier. Je vous prie donc de me pardonner pour cette erreur. Je remercie l’efficacité des médias sociaux, et plus particulièrement M. Nicholas Thibodeau, qui a rapidement porté à mon attention l’inexactitude de cette partie de mon discours. Je tenais à rectifier le tout.
Cela dit, honorables sénateurs, j’entame maintenant mon intervention à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-14.
Le Canada est une démocratie très robuste qui fait l’envie de plusieurs pays du monde. Nos valeurs démocratiques se reflètent dans notre Constitution et notre Chartre des droits et libertés, dans nos institutions, dans nos lois et dans notre processus électoral, qui offre aux Canadiens et aux Canadiennes la possibilité de participer directement au choix de leurs élus et de se porter candidats aux élections. Lorsque nous légiférons en matière de droit électoral, il est important de laisser de côté la partisanerie et de redoubler de vigilance, afin que nos acquis si précieusement obtenus au fil des ans et à travers l’histoire de notre pays ne subissent aucun recul.
L’article 3 de notre Charte des droits et libertés stipule que tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales. Pour que ces droits soient raisonnablement appliqués et respectés, ils doivent être balisés dans un processus électoral juste et équitable. Si, par exemple, aucune norme n’était appliquée pour délimiter les circonscriptions électorales, mon vote dans une circonscription de 200 000 électeurs aurait moins de valeur que si j’habitais dans une circonscription de 30 000 électeurs.
C’est la raison pour laquelle nos lois visent à établir une zone de parité entre les diverses circonscriptions. Toutefois, une parité parfaite est impossible à réaliser. Je dirais même qu’elle serait néfaste si nous cherchions à l’obtenir à tout prix. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on retrouve différentes dispositions dans la formule constitutionnelle pour délimiter les circonscriptions électorales.
Il y a d’abord la disposition populationnelle, qui est assurément la plus importante, selon moi. Par un quotient déterminé, on établit le nombre moyen d’habitants que l’on retrouve dans chacune des circonscriptions. À cet effet, les commissions électorales formées dans chacune des provinces doivent veiller à ce que chaque circonscription ait un nombre d’électeurs avoisinant le quotient électoral de la province. Cette référence au quotient électoral peut varier, avec un écart de plus ou moins 25 % dans le cas où cela s’avère utile et nécessaire. Toutefois, lors de l’adoption du projet de loi C-74 en 1986, un assouplissement de ce critère a été introduit.
Dans une note que la Bibliothèque du Parlement a préparée pour les parlementaires chargés de l’étude de ce projet de loi à l’époque, nous pouvions lire ce qui suit :
Afin de pallier aux problèmes des circonscriptions à vaste étendue et pour éviter leur accroissement géographique, le projet de loi C-74 assouplit l’application de la dérogation du 25 %, en passant du critère « utile et nécessaire » à celui de « raisonnablement possible ». À cet effet, le projet de loi C-74 inclut les critères suivants : identité culturelle, évolution historique, régions rurales et septentrionales. De cette façon, l’option d’un écart au quotient électoral se substitue à la dérogation de ce dernier.
Voilà ce qui en est de la disposition dite populationnelle.
À cela s’ajoute la disposition sénatoriale, qui veut que jamais une province ne puisse compter moins de députés que de sénateurs. Cette disposition vise surtout à protéger les plus petites provinces qui ont une croissance démographique moins forte que les provinces plus populeuses.
Il y a ensuite la clause des droits acquis, qui protège de la perte de sièges à la Chambre des communes certaines provinces qui voient la progression de leur population stagner ou même reculer. Actuellement, cette clause est désignée sous le nom de « clause de 1985 », et c’est précisément à cette clause, comme je l’ai mentionné hier, que s’adresse le projet de loi C-14, qui vient ainsi la modifier afin qu’elle corresponde dorénavant au portrait représentationnel de la 43e législature.
Enfin, il y a la clause territoriale, qui donne à chacun des trois territoires un député représentant une population qui est bien en deçà des populations des autres circonscriptions. Ainsi donc, lorsque vient le moment de délimiter les frontières des circonscriptions ou lorsque l’on crée carrément de nouvelles circonscriptions, on tient compte de plusieurs critères.
Il n’est pas exact de dire que nous avons un mode de scrutin qui représente parfaitement le nombre d’électeurs et les populations vivant dans nos circonscriptions électorales. Des facteurs comme la géographie, l’histoire, la langue commune, les traditions et d’autres facteurs peuvent être pris en compte quand vient le temps de délimiter le pourtour des circonscriptions électorales. C’est ce que la Cour suprême du Canada a appelé la « représentation effective ».
Dans un jugement qu’elle a rendu en 1991, Circ. électorales provinciales (Sask.), le plus haut tribunal du pays a écrit ceci :
La parité relative du pouvoir des électeurs est une condition primordiale de la représentation effective. Les dérogations à la parité électorale absolue peuvent toutefois se justifier pour des raisons d’impossibilité matérielle ou d’amélioration de la représentation réelle. Des facteurs comme la géographie, l’histoire et les intérêts de la collectivité et la représentation des groupes minoritaires peuvent devoir être pris en considération afin de garantir que nos assemblées législatives représentent réellement la diversité de notre mosaïque sociale. À part cela, l’affaiblissement du suffrage d’un citoyen par rapport à celui d’un autre ne saurait être toléré.
Plus loin, les juges de la Cour suprême ont ajouté ce qui suit :
[...] la parité relative qu’il est possible d’atteindre peut ne pas être souhaitable si elle a pour effet de détourner du but principal, qui est la représentation effective. Des facteurs tels les caractéristiques géographiques, l’histoire et les intérêts de la collectivité et la représentation des groupes minoritaires peuvent devoir être pris en considération si l’on veut que nos assemblées législatives représentent effectivement la diversité de notre mosaïque sociale.
C’est, en quelque sorte, pour faire contrepoids à cette représentation effective et pour la bonifier que le projet de loi C-74 de 1986 a maintenu ce droit acquis et a fixé le seuil minimal. Le projet de loi C-14 s’inscrit en parfaite harmonie avec cette approche en établissant maintenant ce seuil à la carte électorale de la 43e législature. L’effet direct pour le Québec est de contrer un recul de sa représentation à la Chambre des communes. Le fait d’affaiblir la représentation du Québec à la Chambre des communes reviendrait à renier la reconnaissance spécifique du Québec comme nation et, surtout, à le reconnaître comme l’un des deux peuples fondateurs du Canada moderne.
Avec le français comme langue commune, une culture propre, un droit civiliste, des coutumes et des traditions uniques, le Québec forme assurément une nation distincte, certes, mais cela ne l’empêche pas de participer avec vigueur, cohésion et détermination à la construction et à la vitalité de notre pays. Je crois donc qu’il est tout à fait légitime de conférer, par la nouvelle clause de 2021, une protection sur le plan de sa représentation à la Chambre des communes.
N’oublions pas une chose, honorables sénateurs : bien que les Québécoises et les Québécois forment une nation forte et fière, avec leurs concitoyens d’expression française des autres provinces, ce peuple d’expression française demeure une minorité en Amérique du Nord, une minorité francophone dans un océan anglophone. Comme sénateurs, cette réalité devrait nous interpeller au plus haut point dans notre rôle de défenseurs des minorités et des régions. Essentiellement, le projet de loi C-14 vient donner une garantie constitutionnelle d’une représentation équitable sur un territoire régional important.
Ce projet de loi n’est pas litigieux ou conflictuel. Il fait appel au sens commun, il ne brime pas les droits de personne et il confère à toutes les Canadiennes et à tous les Canadiens une garantie minimale d’une représentation effective, juste et équitable. Pour toutes ces raisons, je vous invite donc, honorables sénateurs, à accorder au projet de loi C-14 votre appui bienveillant.
Merci.
Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
L’honorable sénateur Dawson propose, avec l’appui de l’honorable sénateur Klyne, que le projet de loi soit lu pour la troisième fois.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)