Aller au contenu

Affaires sociales, sciences et technologie

Motion tendant à autoriser le comité à étudier l'avenir des travailleurs--Suite du débat

3 novembre 2020


L’honorable Frances Lankin [ - ]

Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour présenter de nouveau ma motion. Bon nombre d’entre vous se souviendront qu’elle autoriserait le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie à étudier l’avenir des travailleurs dans le contexte de l’économie à la demande.

Je souhaite, avant toute chose, remercier deux de nos collègues qui m’ont apportée une aide précieuse. Avant que nous ayons accès à des séances hybrides, le sénateur Dean a donné préavis que je comptais présenter de nouveau ma motion, et la sénatrice Deacon a proposé la motion en mon nom. J’ai donc aujourd’hui l’occasion de m’exprimer à ce sujet.

Soyez rassuré, Votre Honneur, j’ai l’intention d’être relativement brève, puisque bon nombre de sénateurs se souviendront que j’ai débattu de cette motion pendant la dernière législature, avant la prorogation. Je souhaite simplement rappeler les raisons fondamentales qui m’amènent à la présenter.

Premièrement, je crois que nous voyons tous dans notre travail une partie importante de notre vie. Il contribue à notre prospérité et à celle de notre famille. Il nous permet de subvenir aux besoins de notre famille. C’est aussi l’occasion d’établir des liens sociaux, que ce soit lors de discussions en ligne, comme aujourd’hui, ou sur les lieux de travail. Nous espérons souvent y trouver équité et dignité par rapport au travail que nous accomplissons. C’est une façon de contribuer à l’économie canadienne. Notre travail, notre contribution, fait partie des fondations d’un pays prospère. Il est donc important pour nous, individuellement et collectivement.

Deuxièmement, cette motion nous permettrait de nous pencher sur la vaste question de l’économie à la demande en adoptant un point de vue particulier. La motion que je présente propose d’étudier l’avenir des personnes qui travaillent dans l’économie à la demande. Il y a eu de nombreuses études sur l’avenir du travail dans ce type d’économie, mais peu se sont attardées aux travailleurs et aux changements apportés par la naissance et l’explosion de l’économie à la demande. Tout s’est passé beaucoup plus rapidement que notre réflexion sur les normes, les protections, les dispositions et les mesures de soutien en matière de travail, même en ce qui concerne les pensions et les avantages sociaux et d’autres aspects.

Tout le réseau d’interactions et de chevauchements entre l’emploi et les autres lois canadiennes a été négligé. Il faut se pencher sur cette question au pays. Je dirais que quelques initiatives sont lancées par certaines provinces. Toutefois, c’est surtout en Europe, aux États-Unis et ailleurs dans le monde que des progrès sont faits; ils sont en avance sur nous dans l’étude de ce dossier.

En fin de compte, ce que nous voulons tous, c’est une économie forte pour tous, et nous voulons favoriser la création d’emplois, de bons emplois et de suffisamment d’emplois pour bâtir un Canada fort.

Comme je l’ai mentionné, il s’agit d’un enjeu qui a pris de l’ampleur dans les dernières années. Derrière le développement de l’économie à la demande se cache la croissance accélérée du nombre de personnes qui occupent un emploi précaire. Je me souviens que, pendant des années, nous avons discuté de la prolifération de ces emplois temporaires à temps partiel, de ce qu’ils signifiaient pour la sécurité d’emploi et l’atteinte de la viabilité économique pour les particuliers et pour le pays.

Comme la situation s’est accélérée, cela me fait penser, en tant qu’ancienne syndicaliste militante, au rôle que les syndicats ont joué pendant des années. Il y a certainement eu un déclin de ce côté au cours des dernières décennies, malgré le fait que la liberté d’association est garantie par la Charte canadienne des droits et libertés. Pourtant, certains des emplois créés au sein de l’économie à la demande sont classés d’une certaine manière, et la façon dont ils sont conçus empêchent les gens d’avoir accès à cette possibilité, les privent de leur liberté d’association, de leur droit de former un syndicat ou de se joindre à un syndicat. À mon avis, le mouvement syndical a contribué à la solidité de l’économie canadienne. Je ne dis pas que tous les travailleurs devraient être syndiqués, mais la disparition des emplois syndiqués dans l’économie canadienne s’est traduite par une érosion des conditions de travail des gens et de la situation dans la société en général.

Ces changements sont survenus très rapidement. Nous constatons dans certains cas, en particulier chez les grands employeurs, la transformation de la classification des employés selon diverses catégories de l’économie à la demande en vue d’en faire des entrepreneurs indépendants plutôt que des employés. Cela est dû aux différences de capacité d’adaptation aux emplois fondés sur la technologie et le numérique. Il y a aussi un lien avec la taille des entreprises. Nous constatons que, dans certaines situations, toutes les entreprises ne jouent plus selon les mêmes règles, et cela se produit ici même au pays.

Je vais parler brièvement d’un exemple, qui n’est certainement pas le seul. Il s’agit des services de covoiturage commercial comme Uber et Lyft. Je pense aux nombreuses conversations que j’ai eues en me déplaçant à bord d’un taxi à Ottawa, depuis ou vers l’aéroport ou ailleurs. J’ai entendu les chauffeurs de taxi se plaindre de la manière dont l’industrie s’est fait couper l’herbe sous le pied et dont la concurrence a évolué — pas de manière positive, d’une manière qui ouvre des perspectives, mais d’une façon qui mine la capacité à gagner un salaire décent et à subvenir aux besoins de sa famille de façon durable.

Ce virage qui, comme je l’ai dit, est en cours depuis longtemps et s’est produit très rapidement, a été exacerbé par la pandémie, comme beaucoup d’autres choses, comme nous l’avons entendu ce soir dans des discours sur divers sujets. C’est la situation dans laquelle nous vivons. Nous prenons la parole afin de parler de ces problèmes aujourd’hui.

Beaucoup de gens ont perdu leur emploi, surtout ceux qui occupaient des emplois précaires. Cela entraîne des difficultés économiques pour les personnes concernées et leur famille, en plus d’avoir des répercussions sur les collectivités et le pays. Beaucoup se tournent vers le travail à la demande, qui se trouve être la seule option possible, car la pandémie fait disparaître les emplois. De plus en plus de gens vivent dans l’instabilité tandis qu’ils sont obligés d’occuper des emplois moins stables et moins sûrs. Et la situation effraie beaucoup d’entre nous.

Ceux qui avaient déjà un emploi précaire ont aussi été parmi les plus durement touchés au cours de la pandémie. Dans certains cas, le boulot qu’ils avaient dans cette économie à la demande a disparu, et, par conséquent, leur revenu aussi. Comme nous le savons, au sein du Parlement, le gouvernement, avec l’appui des partis à la Chambre des communes, ainsi que le Sénat ont adopté des mesures législatives d’urgence pour tenter d’offrir des subventions et de l’aide ainsi que de créer un filet de sécurité durable pour les gens. Toutefois, nous constatons que les travailleurs de l’économie à la demande sont incapables d’accéder à bon nombre de ces mesures d’aide et de protection. Par exemple, dans la plupart des cas, ces travailleurs n’ont pas accès aux protections comme les congés de maladie. Pensez-y un instant. Dans la pandémie actuelle, le plus important est d’éviter de tomber malade et de propager la maladie, et nous faisons tout ce que nous pouvons pour aplatir la courbe. Par conséquent, il est insensé que des gens qui tombent malades et qui doivent s’isoler à cause de leur emploi dans l’économie à la demande ou qui doivent s’isoler parce qu’ils ont pris soin d’une personne malade n’aient pas accès à une certaine protection ou à du soutien.

Nous savons également qu’un nombre démesuré de ces travailleurs sont des femmes, des immigrants, des Autochtones et des personnes de couleur. Ainsi, encore une fois, les programmes d’aide d’urgence qui sont offerts excluent une foule de personnes qui, dans bien des cas, sont malheureusement parmi les plus vulnérables de notre société et de notre économie. Ainsi, les mesures de protection qui sont proposées, la plus récente étant la Prestation canadienne d’urgence, ne sont offertes qu’aux employés. Dans la plupart des cas, les travailleurs de l’économie à la demande ne sont pas désignés comme des employés. Puisque leurs employeurs les désignent comme des travailleurs contractuels — et j’estime qu’ils le font à tort dans la plupart des situations —, ces travailleurs n’ont pas droit à la Prestation canadienne de relance économique. Ils n’ont pas accès à nombre de mesures et de protections qui sont offertes à d’autres travailleurs et à d’autres employés dans notre société. Ce sont donc les gens déjà démunis qui sont le plus durement touchés par cette nouvelle crise.

Nombre d’entre eux ont été désignés comme des travailleurs essentiels, ce qui veut dire qu’ils sont d’une importance capitale pour notre économie, notre bien-être, nos chaînes d’approvisionnement, notre alimentation, nos soins de santé, et les soins aux aînés dans les centres de soins de longue durée. Les personnes qui occupent ces emplois sont de plus en plus exclues de la catégorie des employés. Ces gens n’ont donc pas droit aux prestations.

Nous devons remettre en question cette approche, non seulement en temps de pandémie, mais de façon générale. La pandémie a braqué les feux sur le besoin urgent de prendre de mesures plus claires et plus ciblées que celles que nous avons considérées par le passé, mais il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un problème constant que nous devons tâcher de corriger.

Je pense que l’étude de la question en comité sénatorial — qui serait l’occasion de nous pencher sur les solutions à long terme — en vue d’examiner les mesures qui sont prises par d’autres pays et nous en inspirer pour orienter nos propres actions, est une contribution très importante du Sénat au débat sur la question qui se tient non seulement au Canada, évidemment, mais aussi dans le monde entier.

Nous assistons à une avalanche de procès, certains ici, d’autres aux États-Unis et d’autres encore dans des pays européens et scandinaves, qui ont renversé la classification d’entrepreneurs de ces travailleurs à la demande, ou ont jugé cette classification incorrecte et inappropriée. Ces procès ont également permis d’établir que les travailleurs concernés avaient le statut d’employé pouvant accéder à une gamme d’avantages qui doivent au préalable être définis.

Il fut un temps où, en débattant de ces enjeux, on semblait vouloir freiner l’expansion de l’économie à la demande. Je ne crois pas personnellement que c’est une solution viable, utile et productive. Je pense que cela revient à remettre en question les nouveaux emplois qui ont été créés et conçus à l’extérieur des normes actuelles de protection et de prestation d’avantages sociaux que notre pays et notre société ont jugées appropriées sur le plan économique. Comment pouvons-nous nous assurer que certaines professions offrent ce nouveau type de travail?

L’étude que je propose porterait sur plusieurs enjeux. Bien sûr, il incombe aux comités de décrire le plan de travail, mais je crois qu’il serait utile d’envisager de recueillir des données sur le travail précaire sous toutes ses formes qu’offre la nouvelle économie à la demande, d’étudier les répercussions des technologies sur les emplois et d’évaluer les conditions de travail des Canadiens, plus particulièrement cette catégorie croissante de travailleurs canadiens.

J’estime également qu’il est important de cerner nos lacunes sur le plan des connaissances. La première étude menée par Statistique Canada à ce sujet a été publiée l’année dernière. Elle se fonde sur les données d’un déclarant plus âgé, et elle comporte de nombreuses lacunes. Je pense que le Sénat pourrait faire un travail crucial en cernant ces lacunes, ainsi qu’en formulant des recommandations sur la façon de recueillir et de déclarer les données d’une manière utile pour nous et le gouvernement.

Son Honneur le Président [ - ]

Sénatrice Lankin, je m’excuse de vous interrompre, mais votre temps de parole est écoulé. Quelques sénateurs m’indiquent qu’ils aimeraient poser une question. Demandez-vous cinq minutes supplémentaires?

La sénatrice Lankin [ - ]

Oui.

Son Honneur le Président [ - ]

Que les sénateurs qui s’opposent à cette demande veuillent bien dire non. Le consentement est accordé.

La sénatrice Lankin [ - ]

Dans le cadre de cette cueillette de renseignements, nous pourrions examiner les précédents judiciaires à l’étranger de même que les modifications qu’il faudrait apporter aux lois et aux politiques pour fournir ce genre de protections et de dispositions.

Chers collègues, j’espère que je peux compter sur vous. Où que se situent nos idéologies sur le spectre, je crois que nous avons tous des points de vue importants que nous pouvons mettre à profit dans cette discussion. J’ai communiqué avec des groupes tels que des chambres de commerce et j’espère que le comité pourra inviter un large éventail de témoins pour nous aider à formuler des recommandations bien étayées fondées sur des données probantes. Je suis maintenant prête à répondre aux questions.

Son Honneur le Président [ - ]

Sénatrice Bellemare, avez-vous une question?

L’honorable Diane Bellemare [ - ]

Oui. Sénatrice Lankin, dans votre motion, vous proposez que le comité remette son rapport à la fin septembre 2022. Ne pensez-vous pas que c’est un peu tard, compte tenu du fait que plusieurs recommandations porteront sur l’assurance-emploi?

La sénatrice Lankin [ - ]

Oui, ce l’est.

La sénatrice Bellemare [ - ]

Dans ce contexte, pourriez-vous peut-être proposer un comité spécial? Ne serait-ce pas mieux que de choisir le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie qui, généralement, a plusieurs projets de loi à étudier?

La sénatrice Lankin [ - ]

Le fait que le comité a de nombreux projets de loi à étudier est l’une des raisons pour lesquelles je propose un long délai. C’est simplement la date butoir. Nous espérons que le comité sera en mesure de faire rapport avant cette date.

Je n’ai pas proposé la création d’un comité spécial parce que j’estime que le Sénat a eu et a encore beaucoup de pain sur la planche et que ces comités spéciaux accaparent beaucoup de temps en supplément du temps consacré aux travaux des comités en cours. Par le passé, certains sénateurs et certains groupes se sont parfois montrés réticents à appuyer l’idée de créer un comité spécial. J’ai donc opté pour un renvoi au Comité des affaires sociales assorti d’un long délai pour laisser au comité le temps d’étudier en priorité les projets de loi du gouvernement.

Merci, sénatrice Lankin, d’avoir de nouveau présenté cette motion. J’aimerais parler du travail précaire qu’est celui de l’entrepreneur. J’aimerais savoir si vous considérez que les entrepreneurs et les propriétaires de petites entreprises sont également visés par l’étude que vous proposez. On ne peut trouver exemple plus parfait de travail précaire; ces personnes assument un risque par rapport à leur propre emploi et par rapport à celui d’un grand nombre d’autres personnes, en plus d’essayer de faire tourner une entreprise, souvent sans vraiment avoir de position de repli. J’aimerais connaître votre avis sur la question.

La sénatrice Lankin [ - ]

Je vous remercie de votre question, sénateur Deacon. En quelques mots, je pense que le sujet mérite d’être examiné. Dans un grand nombre de cas, il s’agit de travailleurs indépendants ou de petites entreprises sont constitués en personne morale. Ils sont donc visés par des régimes et des mesures de protection qui ne s’appliquent pas aux travailleurs précaires qui ne sont pas constitués en personne morale. Je pense que c’est une question qu’il faudra soumettre au comité. Je ne peux vous donner de réponse définitive pour le moment, mais je suis d’accord avec vous sur la question de la précarité.

L’honorable Kim Pate [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer la motion no 27 et je remercie la sénatrice Lankin de s’être dévouée tout au long de sa carrière à défendre les droits des travailleurs et d’avoir joué un rôle de premier plan en exhortant le Sénat à envisager et à poursuivre de manière proactive des politiques visant à assurer le bien-être social et économique des travailleurs et, par extension, de leurs communautés et des nôtres.

Lorsque cette motion a été présentée pour la première fois l’hiver dernier, la plupart d’entre nous n’auraient pas pu imaginer l’impact qu’aurait la COVID-19 sur la vie professionnelle des Canadiens. Bien que cette pandémie soit sans précédent, ce n’est pas le cas des difficultés avec lesquelles sont aujourd’hui aux prises les personnes qui ont un emploi et celles qui en veulent un. Les problèmes mis en lumière existent depuis un certain temps et ils persisteront une fois que les urgences actuelles se seront estompées.

La pandémie a fait nettement ressortir ces réalités.

Trop de Canadiens ont du mal à trouver un travail rémunéré qui convient à leurs compétences, qui offre des avantages sociaux, une stabilité et une sécurité d’emploi adéquates et qui permet de gagner un salaire décent. Un bon nombre des types d’emplois qui étaient créés avant la pandémie se trouvaient dans le secteur des services, où les emplois sont dévalorisés et gravement sous-payés. La pandémie a mis en évidence un cruel dilemme que les gens qui ne sont pas conscients de la réalité des Canadiens qui gagnent un salaire de subsistance ne voient tout simplement pas : trop de gens ne peuvent tout simplement pas se permettre de prendre les emplois disponibles.

Dans la plupart des quartiers du Canada, une personne seule qui travaille au salaire minimum n’a pas les moyens de payer un appartement à une chambre à coucher. Au cours des trois dernières années, le nombre d’adultes en Ontario ayant un revenu d’emploi qui ont dû recourir aux banques alimentaires pour nourrir leur famille a augmenté de 27 %. La moitié des personnes qui vivent actuellement sous le seuil de pauvreté travaillent, mais elles ne gagnent pas assez pour vivre. Le résultat est que la majorité des Canadiens vivent d’un chèque de paie à l’autre ou, s’ils tombent sur des banquiers bienveillants comme moi lorsque j’étais une mère célibataire travaillant pour un organisme à but non lucratif, ils pourraient avoir la chance — si on peut dire — de vivre d’un découvert bancaire à l’autre.

Le stress et le risque constants qu’engendre un faible revenu signifient que le genre d’urgence que la plupart d’entre nous finissent malheureusement par rencontrer de temps à autre, qu’il s’agisse d’un accident, d’une maladie, d’un problème de logement, de chaudière, d’inondation ou d’une autre crise du genre, d’une perte d’emploi ou de responsabilités soudaines de soins à domicile, peut aisément causer une débâcle financière. La stabilité financière devient encore plus difficile pour ceux qui occupent des emplois ne garantissant pas l’accès à des avantages sociaux tels que les congés payés, l’assurance-médicaments, les soins de santé mentale, les soins dentaires, l’assurance-emploi ainsi que les pensions, avantages qui sont tous nécessaires pour aider les gens à faire face aux imprévus, que ce soit des urgences personnelles ou des pandémies mondiales.

Les femmes, les Autochtones, les Canadiens noirs, les gens de couleur et les travailleurs migrants sans papiers sont surreprésentés dans ce genre de situations précaires. L’instabilité du marché de l’emploi et l’économie des petits boulots alimentent et attisent le racisme systémique et le colonialisme en empêchant des gens d’obtenir le genre de salaire et d’avantages sociaux équitables conçus pour que le bien-être des gens s’améliore au même rythme que l’économie.

En effet, selon des donnés publiées en 2018 par l’Ontario, malgré sept ans de croissance économique constante, au lieu de créer des postes permanents, les employeurs ont créé des postes temporaires qui n’offrent pas d’avantages sociaux comparables, une réalité qui, comme nous l’avons constaté directement, accroit non seulement l’instabilité économique, mais aussi les inégalités économiques.

Cette tendance a des répercussions désastreuses sur de nombreuses personnes. Si nous examinons le cas des jeunes — qui représentent notre avenir — nous constatons que, en 2018, seulement 44 % de ceux qui sont nés entre 1982 et 1997 avaient un emploi à temps plein, sécuritaire et offrant des avantages sociaux. En revanche, 32 % occupaient un emploi précaire. Trois étudiants de niveau postsecondaire sur quatre ont signalé que la COVID-19 aurait une incidence durable sur leur situation financière.

Ce matin, des représentants des associations d’étudiants m’ont rappelé qu’améliorer l’accessibilité et l’abordabilité de l’éducation contribuera à renforcer l’économie et à bâtir un avenir meilleur pour tout le monde. Les décisions que nous avons déjà prises et celles que nous prendrons aujourd’hui définiront l’avenir des collectivités et détermineront si nous nous attaquerons vraiment aux inégalités systémiques, particulièrement pour ceux qui sont les plus marginalisés sur le plan économique, surtout où de telles réalités discriminatoires sont amplifiées de façon exponentielle par la race, le sexe et les capacités.

La COVID-19 a démontré de manière terriblement évidente que les travailleurs que nous considérons comme étant essentiels, comme les préposés aux bénéficiaires, les préposés au nettoyage, les employés d’épicerie et les livreurs, sont souvent sous-estimés et sous-payés, et ils n’ont pas de sécurité d’emploi ni d’avantages sociaux. Malgré de sérieux dangers pour la santé, un trop grand nombre de ces travailleurs on un emploi précaire et n’ont pas le privilège de pouvoir travailler de chez eux, tandis que ceux d’entre nous qui peuvent compter sur le soutien de leur employeur ont la possibilité de faire du télétravail et de jouir de la protection sanitaire que leur offre leur foyer.

Qui plus est, la plupart des travailleurs essentiels ont répondu à l’appel, souvent au péril de leur santé personnelle. Ils ont continué de se rendre au travail, parfois pour gagner un salaire tellement inadéquat qu’ils auraient pu gagner beaucoup plus d’argent s’ils avaient été admissibles à la Prestation canadienne d’urgence. Ils se sont exposés au danger pour aider leurs amis, leurs voisins et leurs collectivités. Beaucoup trop n’avaient pas d’autre choix que de s’exposer au risque d’attraper la COVID-19. C’était une question de nécessité économique et de survie. C’est inacceptable, dans un pays comme le nôtre, où l’on reconnaît depuis longtemps que la santé ne doit pas être réservée aux riches.

La pandémie a rapidement fait ressortir les liens entre, d’une part, les problèmes que la sénatrice Lankin a relevés en se penchant sur l’avenir des travailleurs et, d’autre part, le revenu de subsistance garanti. Après que les services de santé, les services économiques et les services sociaux se furent effrités au fil de plusieurs dizaines d’années, sans parler des répercussions de la discrimination systémique, en particulier le racisme, le sexisme et la discrimination fondée sur les capacités physiques, les plus pauvres ont subi de manière disproportionnée les conséquences sanitaires et sociales de la COVID-19.

Comme vous le savez, honorables collègues, les programmes d’aide financière d’urgence du gouvernement continuent de laisser de côté les plus marginalisés. Lorsque nous l’avons constaté au début de la pandémie, 50 d’entre nous avons décidé de nous unir afin de demander au gouvernement de faire de la Prestation canadienne d’urgence un revenu de subsistance garanti et plus accessible. Une telle mesure fournirait des transferts de revenu à tous les Canadiens dans le besoin, qu’ils aient ou non occupé un emploi rémunéré. La PCU et le revenu de subsistance garanti ont une chose en commun : il s’agit d’exemples de politiques économiques beaucoup trop rares qui reconnaissent l’importance vitale, pour une saine économie, de tirer les gens de la pauvreté et de les prémunir contre la pauvreté.

Pour fonctionner efficacement, le revenu de subsistance garanti doit être assorti de mesures adéquates de main-d’œuvre et d’emploi pour éviter qu’il soit utilisé comme une subvention ou un complément aux petits salaires. On peut en dire autant des autres services cruciaux dont tous les Canadiens et les travailleurs ont besoin pour assurer leur santé et leur bien-être, comme l’éducation, des soins de santé complets, des services de garderie, un logement accessible et abordable, ainsi que des mesures de soutien adéquates pour les personnes handicapées. En faire moins encouragerait les employeurs à payer des salaires insuffisants pour vivre et à offrir des conditions d’emploi précaires et des avantages sociaux inadéquats. Tenter d’utiliser un revenu de subsistance garanti pour remplacer l’un des droits et obligations qui existent entre travailleurs et employeurs ne permettra pas de favoriser l’égalité et de tirer les gens de la pauvreté, ce qui est l’objectif. Cela ne fera que perpétuer le statu quo.

La motion de la sénatrice Lankin fournit une occasion d’étudier des mesures vitales qui peuvent fonctionner de pair avec un revenu de subsistance garanti. J’espère qu’elle suscitera d’autres discussions et une étude plus approfondie sur les façons dont un revenu de subsistance garanti, appuyé par des mesures robustes sur le travail et l’emploi, pourrait résoudre une partie des difficultés liées aux répercussions du travail précaire. Il pourrait donner le temps et les moyens de chercher un emploi convenable dans un secteur donné, d’occuper un emploi au lieu de deux ou trois, de prendre soin de sa famille ou de répondre à des obligations personnelles, de poursuivre des études pour accéder à des possibilités d’emploi plus stables, plus gratifiantes ou mieux payées et de se recycler en cas de perte d’emploi.

Un revenu de subsistance garanti pourrait aussi contribuer à empêcher que des personnes soient coincées dans des emplois discriminatoires, dangereux, mal rémunérés ou fondés sur l’exploitation parce qu’elles n’ont pas d’autre choix. Il pourrait aussi permettre réellement aux Canadiens d’exercer leurs droits sans avoir peur de ne plus être capables de se loger ou de se nourrir.

Les travailleurs handicapés en particulier ont déclaré qu’ils exigent rarement le respect de leurs droits en milieu de travail parce qu’ils craignent la réaction de leur employeur. Un revenu de subsistance garanti pourrait aider à corriger en partie le déséquilibre des pouvoirs entre les employés et les employeurs lorsque ces derniers représentent l’unique source de revenus.

Le revenu de subsistance garanti permettrait aux Canadiens de prendre des risques et de foncer, ce qui enrichirait l’économie et la société. Ils pourraient choisir de lancer une entreprise qui créerait des emplois.

En outre, des collectivités pourraient prendre le parti de la santé et du resserrement des normes environnementales sans craindre que l’économie locale souffre du départ d’un employeur mécontent.

Le revenu de subsistance garanti pourrait atténuer le stress et le fardeau que les autres travailleurs doivent supporter, notamment les travailleurs de la santé, les préposés aux soins personnels et les travailleurs sociaux, qui se sentent souvent impuissants, en particulier lorsqu’ils savent que les besoins de leurs patients et de leurs bénéficiaires proviennent de la pauvreté systémique, qui ne peut être résolue par les services que leur formation les rend aptes à fournir. Ceux qui travaillent à l’administration de l’aide sociale ont essentiellement comme fonction de juger de l’admissibilité des gens à cette aide et de faire la police pour que les gens respectent les conditions. Ils font une espèce de travail à la chaîne sans avoir ni le temps ni les outils nécessaires pour vraiment aider les gens. Un revenu de subsistance garanti libérerait ces travailleurs des tâches administratives mécaniques pour qu’ils puissent se consacrer à leur travail d’assistance.

Le revenu de subsistance garanti pourrait nous aider à corriger les stéréotypes néfastes et discriminatoires au sujet des raisons pour lesquelles certaines personnes n’occupent aucun emploi rémunéré. Des projets pilotes ont démontré que les obstacles à l’emploi sont souvent de nature économique.

Des gens n’ont pas les moyens de payer un moyen de transport pour se rendre à une entrevue ou au travail, acheter des vêtements ou des outils appropriés pour le travail, se payer un repas ou faire garder leurs enfants pendant les heures de travail. Honorables sénateurs, la liste est malheureusement très longue.

Pour trop de bénéficiaires de l’aide sociale, l’idée de perdre les avantages d’assurance-médicaments qu’offrent les programmes d’aide sociale et la récupération des prestations dès qu’ils gagnent un revenu peuvent l’emporter sur les avantages d’un emploi offrant un revenu inadéquat pour se sortit de la pauvreté. Contrairement aux prédictions selon lesquelles les participants au Projet pilote portant sur le revenu de base en Ontario cesseraient de travailler, la plupart, et cela rejoint les données issues d’autres projets pilotes, ont continué de travailler. En effet, beaucoup ont décroché un emploi mieux rémunéré et plus stable, ont observé une amélioration de leur santé mentale et globale, se sont sentis délivrés des stigmates sociaux et de la surveillance constante associés à l’aide sociale, ont été soulagés de leurs inquiétudes constantes relatives à l’alimentation et au logement et ont eu le sentiment d’avoir retrouvé leur dignité.

Un revenu de base garanti pourrait également mieux reconnaître le travail non rémunéré qui est essentiel à l’économie et aux collectivités, tel que les soins prodigués à un proche, la garde des enfants, l’assistance fournie aux personnes âgées ou handicapées, le bénévolat ou les options non traditionnelles et régénératrices de l’environnement. Il reconnaîtrait les aspects socialement nécessaires et personnellement enrichissants du travail tout en reconnaissant que les êtres humains et leur famille ne méritent pas de souffrir de la faim ou de mourir d’exposition au froid parce qu’aucun emploi décent ne leur est accessible lorsqu’ils en ont besoin.

J’espère que, grâce à la motion de la sénatrice Lankin et grâce à l’étude plus approfondie du revenu de base garanti, nous pourrons faire la réflexion nécessaire pour déterminer le meilleur moyen de faire progresser notre façon de penser et nos actions afin de favoriser le bien-être global des travailleurs, rémunérés et non rémunérés, ainsi que de l’ensemble des Canadiens. Meegwetch. Honorables collègues, merci.

Haut de page