Projet de loi sur la diffusion continue en ligne
Rejet de la motion d'amendement
31 janvier 2023
Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :
Que le projet de loi C-11, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à nouveau à l’article 4 (dans sa version modifiée par décision du Sénat le 14 décembre 2022), à la page 10, par adjonction, après la ligne 33, de ce qui suit :
« (4) Les règlements ne peuvent assujettir à la présente loi une émission d’une entreprise de radiodiffusion qui génère des revenus annuels de moins de dix millions de dollars. ».
Le sénateur Manning accepterait-il de répondre à une question?
Oui.
Je suis un peu étonnée par votre proposition, car si le projet de loi C-11 en dit peu sur des questions très précises, c’est parce que le monde d’Internet est en changement continuel. Le seuil des 10 millions de dollars n’est pas particulièrement faible, mais on ne peut pas savoir comment Internet évoluera à l’avenir et ce qui deviendra un diffuseur important dans le contexte canadien.
Comment avez-vous choisi ce seuil de 10 millions de dollars? Est-ce vraiment une bonne idée d’inscrire cet aspect dans le projet de loi plutôt que de laisser l’évolution du marché le déterminer? Encore une fois, vous allez dire que la question reviendrait au CRTC, qui a déjà beaucoup de choses à décider.
Merci beaucoup.
Je ne prétends pas être un expert en la matière, madame la sénatrice, mais j’aime écouter les gens, et j’ai écouté bon nombre des témoins ayant comparu devant le comité.
Vous affirmez que vous êtes un peu étonnée par ma proposition. Eh bien, je suis un peu étonné que nous ne discutions pas de seuil. Revenons à Oorbee Roy, cette femme à la tête d’une famille monoparentale qui éprouvait tout un tas de difficultés financières. Elle a trouvé sa place sur Internet grâce à ses vidéos de planche à roulettes qui, d’après ce qu’elle nous a dit, lui ont permis de se sortir de la pauvreté. Elle a créé un foyer pour ses deux enfants — je crois qu’elle a deux enfants, si ma mémoire est bonne — grâce aux possibilités qui lui ont été offertes par le processus actuellement en place.
Je ne pense pas un seul instant qu’Oorbee Roy deviendra une diffuseuse nationale. Je ne pense pas un seul instant que CBC ou CTV auront à se préoccuper d’Oorbee Roy.
Ce qui me préoccupe, ce sont les personnes comme Oorbee Roy, qui a trouvé le moyen de se sortir de la pauvreté grâce à Internet. Elle vit maintenant avec une grande crainte. Non seulement elle, mais plusieurs autres personnes se sont adressées à notre comité pour exprimer une grande crainte du fait que le processus réglementaire les obligera désormais à tenter de créer du contenu canadien, trouver ce qui correspond à du contenu canadien, s’interroger sur ce que sera la décision finale du CRTC à l’égard du contenu canadien, tout en craignant de se voir écartées de ce débouché.
Lorsque j’ai examiné le projet de loi C-11 au début, avant que des amendements ne soient apportés, j’ai cru alors que son objectif était de créer un environnement où des personnes comme Oorbee Roy pourraient s’épanouir n’importe où dans le monde. Je viens d’une collectivité du Sud de Terre-Neuve qui compte 300 personnes. Or, quelqu’un de cette collectivité pourrait gagner sa vie grâce à ce processus.
Ce qui me préoccupe, c’est que la dernière chose que les gens veulent, c’est un gouvernement qui prend trop de place. Si nous n’établissons pas de seuil, je crois que nous allons faire obstacle à des gens comme Oorbee Roy et bien d’autres qui aimeraient pouvoir non seulement créer quelque chose, mais aussi en tirer profit pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles.
Il faut établir un seuil. Devrait-on le fixer à 10 millions de dollars? Je pose la question parce que nous avons commencé par un seuil de 150 millions de dollars, mais on l’a abaissé à 100, à 50, à 25, et maintenant, à 10 millions de dollars. Faut-il l’abaisser à 20 $ pour en arriver à une entente? Non, je ne sais pas. Ce qu’il faut retenir, c’est que, sans seuil, il n’y a pas de limites. Oorbee Roy sera considérée de la même façon qu’un radiodiffuseur national. Je trouve que c’est insensé.
Sénateur Manning, votre temps est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?
Si le Sénat me le permet; j’ai tout mon temps, Votre Honneur.
Est-ce d’accord, honorables sénateurs?
Merci de votre réponse, sénateur Manning. J’essaie de réconcilier votre amendement avec le fait que la sénatrice Simons et moi avons supprimé toute question ayant trait au revenu dans l’amendement que nous avons proposé et qui a été adopté.
Quand on lit l’amendement, on sait très bien que cette femme, Mme Roy, qui fait du patin à roulettes et qui, en effet, fait vivre sa famille grâce à son contenu, ne serait absolument pas touchée par le projet de loi C-11. On a donc déjà la garantie, avec cet amendement, que l’on protège les petits créateurs de contenu.
J’essaie de comprendre l’utilité de votre amendement. Ce que vous dites surtout, c’est que notre amendement risque d’être rejeté par le gouvernement et qu’il faut donc adopter le vôtre.
J’aimerais savoir pourquoi votre amendement serait davantage accepté par le gouvernement.
Parmi toutes les choses que je vais essayer de faire au cours de ma vie, surtout de ce côté-ci, essayer de répondre de ce que le gouvernement va faire n’en est pas une. J’ai peur de le faire la moitié du temps, mais je vais laisser cela pour un autre jour.
Ce qui m’inquiète, c’est que, comme je l’ai dit dans mon intervention, votre amendement pourrait ne pas être adopté. Certes, vous et la sénatrice Simons l’avez proposé de bonne foi. C’était certainement un bon amendement à ce moment-là, mais le fait est qu’il pourrait ne pas être adopté.
Je ne dis pas que le gouvernement adoptera mon amendement. Nous ne savons pas si le gouvernement acceptera des amendements. Il est arrivé que le Sénat renvoie des projets de loi au gouvernement et que celui-ci n’accepte aucun des amendements que nous avons proposés. En définitive, que nous ayons un ou dix amendements, il se peut qu’il n’en accepte aucun. Si nous en proposons plusieurs, à tout le moins, cela lui donnera matière à réflexion.
L’essentiel, c’est que nous — « protégeons » n’est peut-être pas le mot juste — donnons à tout le moins aux personnes que nous avons qualifiées, dans nos discussions, de « petits joueurs dans le domaine » l’occasion de voler de leurs propres ailes et de faire ce qu’elles font sans ingérence. Je crois que la raison d’être du projet de loi C-11 était de créer un moyen d’y parvenir.
J’ai présenté l’amendement parce que je pense qu’un genre seuil est nécessaire. Comme je l’ai dit, si nous parlons d’absence de recettes, le gouvernement pourrait ne pas l’accepter, mais il pourrait être ouvert à accepter un seuil; je ne sais pas.
Je peux vous garantir que mon amendement a été présenté avec les meilleures intentions afin de protéger les personnes que nous avons invitées à témoigner. Dans mes commentaires, j’ai parlé d’une demi-douzaine de personnes qui se sont présentées devant nous et qui nous ont fait part de cette préoccupation majeure et valide qu’elles ont toutes. J’essaie de trouver un moyen de répondre à cette préoccupation. Voici ma façon de le faire. J’espère que mes collègues appuieront mon amendement.
Sénateur Manning, l’une des préoccupations que j’ai concernant notre fardeau réglementaire au Canada — il y a tellement d’éléments qui ont été intégrés dans la loi, et nous savons combien il faut du temps pour adopter de nouveaux projets de loi dans cette enceinte.
Donc, le fait d’intégrer un élément comme celui-là dans un projet de loi, à savoir un certain seuil — que ce soit nécessaire ou non de quelque façon que ce soit, je ne sais pas —, est assurément une chose dont j’essaie de m’éloigner.
Avez-vous envisagé de conseiller au gouvernement d’intégrer ce seuil que vous jugez si important dans un règlement? Le fait est que, si nous fixons un nombre précis dans le projet de loi, il sera presque impossible de le modifier. Cela fait 30 ans que l’on attend ce changement. Est-ce quelque chose que vous avez envisagé? Avez-vous cherché ou envisagé des solutions autres que l’intégration de cet élément dans le projet de loi?
Je comprends votre inquiétude. Ce qui m’inquiète, c’est l’absence de disposition pour protéger ces personnes.
En ce qui concerne l’intégration dans le projet de loi — oui, je sais qu’il faut 30 ans pour changer quelque chose —, le fait est que, s’il n’en est pas question dans la loi, les gens ne sont pas protégés au bout du compte, à mon humble avis.
Je serais plus à l’aise d’avoir dans le projet de loi un élément auquel les gens pourraient se référer et qui deviendrait la loi du pays, que de n’avoir aucune disposition dans la loi pour protéger ces personnes.
Merci, sénateur Manning, pour cette autre tentative d’apporter un peu de bon sens dans ce projet de loi très insensé.
Honorables collègues, combien de fois avons-nous entendu — encore et encore, quand les créateurs de contenu et les créateurs essentiellement numériques de notre pays soulevaient des inquiétudes — « Faites-nous confiance »? Faites-nous confiance. Le contenu produit par les utilisateurs n’est pas inclus dans ce projet de loi.
Combien de fois avons-nous entendu le ministre, les dirigeants, les représentants du gouvernement et les parrains du projet de loi déclarer devant nous « Faites-nous confiance »?
« Absolument. Les plateformes sont incluses, les utilisateurs ne le sont pas. »
Chaque fois qu’ils prenaient la parole, les députés ministériels à l’autre endroit et les représentants du gouvernement au comité du Sénat ont fait tout leur possible pour ne pas inclure de seuils, ne pas écrire noir sur blanc un libellé clair pour les centaines de milliers— sinon les millions — de Canadiens qui, de nos jours, utilisent Internet comme outil pour promouvoir la culture canadienne, et qui ont bâti des entreprises florissantes. Ces Canadiens regardent ce projet de loi et ils disent que — sous sa forme actuelle — ce que nous avons créé est à la merci du CRTC, sans plus de clarté.
Sénateur Deacon, vous avez tout à fait raison : notre pays doit se débarrasser des lourdeurs administratives. Nous devons simplifier les choses. Le meilleur moyen d’y arriver est d’enchâsser ces protections dans le projet de loi avant qu’il n’entre en vigueur.
Vous pensez que nous pourrons simplifier la réglementation en renvoyant le problème au CRTC, en lui permettant de mener des consultations pendant une année et de nous proposer une liste de règlements, sans qu’on établisse ici et maintenant des lignes directrices afin d’atténuer les inquiétudes des producteurs canadiens de contenu généré par les utilisateurs? Je suis désolé, mais je ne vais pas permettre qu’un groupe de personnes nommées qui, au bout du compte — comme vous le lirez dans la Loi sur la radiodiffusion —, reçoivent leurs ordres du gouvernement prennent les décisions. Ils ont un pouvoir absolu. Pendant de nombreux mois, des intervenants préoccupés — ceux qui appuient le projet de loi et ceux qui s’y opposent — sont venus dire au comité que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC, a un bilan lamentable en ce qui a trait aux consultations et à la transparence. De plus, de nombreux intervenants, y compris les grands diffuseurs, nous ont dit que pour naviguer dans la bureaucratie du CRTC, on a besoin d’immenses ressources financières et d’une armada d’avocats sur sa liste de paie.
Ainsi, oui, sénateur Dawson, je suis très passionné et très stressé par ce projet de loi, plus que je ne l’ai été dans le passé, car je suis préoccupé pour les centaines de milliers de Canadiens et de créateurs numériques dans ce pays qui sont venus nous supplier de faire preuve d’un peu de bon sens à l’égard de cette mesure législative, et qui ont demandé à en être exemptés. En fin de compte, je ne crois pas que la culture canadienne soit en péril ou en danger. Je pense que notre comité a constaté dans son étude, au cours des derniers mois, que la culture canadienne est en plein essor, comme jamais auparavant. Les acteurs ont plus de travail que jamais auparavant. Les producteurs ont plus de travail que jamais, tout comme les réalisateurs, les chanteurs, les auteurs-compositeurs et les figurants. Toutes les régions du pays profitent de la situation depuis une dizaine d’années; nous en avons été témoins. Les sociétés de production de films et les producteurs de documentaires viennent utiliser le Canada comme lieu de tournage et se servent du talent et de l’art du Canada pour faire rayonner leur travail dans le monde entier.
Le Web numérique nous a donné un marché dont nous ne pouvions pas rêver il y a 30 ou 40 ans, quand le Sénat examinait cette loi archaïque sur la radiodiffusion et protégeait l’industrie de la radiodiffusion. Des milliards de personnes dans le monde entier sautent sur YouTube, Twitter, Facebook et TikTok pour regarder nos talents autochtones et nos talents francophones, et ceux-ci prospèrent comme jamais auparavant. Avec tout le respect que je vous dois, je ne crois pas à l’argument selon lequel il faut les protéger.
Qui le projet de loi protège-t-il? Il ne protège qu’un groupe d’entreprises, celles qui relèvent de l’ancien modèle de radiodiffusion et qui ont échoué, comme nous le savons tous. En 2023, elles sont toutes acculées à la faillite. Bell Média est en faillite. CBC/Radio-Canada est en faillite. Elles ne font pas d’argent parce qu’elles sont désuètes. Les Canadiens n’utilisent plus leurs plateformes pour s’informer. Il n’y a plus que les vieux hommes comme moi — les vieux baby-boomers — qui écoutent les bulletins de nouvelles télévisés le soir. Mes enfants de 23 et 26 ans passent à côté de moi et me trouvent drôle parce qu’ils s’informent sur les plateformes de diffusion en continu. Oui, ils utilisent leur iPad et leur téléphone. Je commence à réaliser qu’ils obtiennent l’information plus rapidement que moi. Je me suis appuyé sur eux pour tirer mes conclusions au sujet du projet de loi.
Les radiodiffuseurs traditionnels peuvent bien faire des pirouettes et tenter de convaincre le gouvernement d’injecter plus d’argent dans le Fonds des médias du Canada et dans Téléfilm Canada. Il faudra changer le modèle parce que, de toute évidence, il n’y a aucun diffuseur en continu qui se précipite pour devenir un adiodiffuseur, mais nous avons vu toutes les plateformes de radiodiffusion prendre le virage numérique au cours des 10 dernières années. CBC/Radio-Canada a dépensé des millions de dollars pour tenter de passer au numérique — c’est aussi le cas de CTV et de tous les autres radiodiffuseurs — parce que c’est la voie de l’avenir.
Nous devons encourager les Canadiens de tous les âges de profiter de l’occasion pour continuer à grandir, et non pas les en empêcher en disant essentiellement au CRTC de créer des règles du jeu équitables. Permettez-moi une analogie : le monde numérique est une Lamborghini et le monde de la télédiffusion traditionnelle est une voiture tirée par un cheval. Nous voulons que la course soit équitable. Eh bien, à moins de donner à la voiture à cheval une avance de 5 milles dans une course de 5,1 milles, je continuerai de miser sur la Lamborghini.
Il faut commencer à être réalistes. Il est grand temps d’entreprendre la révision de la Loi sur la radiodiffusion. Nous devons bien comprendre les réalités actuelles.
Le sénateur Deacon a mentionné que nous devons protéger notre industrie et nous assurer que les investisseurs étrangers ne viennent pas entraver le marché d’une manière ou d’une autre. Or, c’est grâce à Netflix, à Disney Plus et à d’autres investisseurs étrangers que des milliards de dollars sont investis au Canada et que les artistes de notre industrie sont plus occupés que jamais. Ils travaillent. Il y a une pénurie de main-d’œuvre. Ils gagnent des revenus. Ils paient des impôts à l’Agence du revenu du Canada. Soit dit en passant, tous ces diffuseurs en ligne, blogueurs et producteurs de contenu indépendants paient beaucoup d’impôts au Fonds des médias du Canada. Aux termes du projet de loi C-11, qui en bénéficiera? Il convient d’ailleurs de se demander qui en bénéficie à l’heure actuelle. Les radiodiffuseurs traditionnels se servent de cet argent pour continuer à produire des émissions aux frais des contribuables — des émissions que personne ne regarde. Est-il nécessaire de vous donner des cotes d’écoute pour vous faire comprendre que, par exemple, plus personne ne regarde la CBC? Or, l’objectif de ce projet de loi est de faire en sorte que certains gagnent de l’argent et d’autres pas, et pour ceux qui n’en gagnent pas, il y a des raisons pour cela. Quelqu’un a décidé qu’il fallait leur venir en aide. On peut bien les aider autant qu’on le veut, mais si c’est leur modèle de gestion qui pose problème, ces radiodiffuseurs mourront à petit feu.
Au comité, grâce au sénateur Klyne, nous avons entendu des témoins autochtones. Il s’est battu farouchement jusqu’à la toute fin pour qu’ils soient entendus, et ce sont eux qui ont exprimé le mieux la chose. Par ces nouvelles plateformes, la culture autochtone de notre pays rayonne jusqu’à des endroits comme la France et l’Amérique du Sud — aux quatre coins du monde — comme jamais auparavant. Ils ont supplié le comité de faire en sorte que ni le CRTC ni tout élément du projet de loi C-11 — ni ce qui en découlera, car nous ne savons pas à quoi ressembleront les règlements — ne fasse entrave à ce rayonnement. Ils ont dit, mot pour mot : « De grâce, laissez-nous le champ libre, car nous nous en tirons fort bien. »
Pourquoi mettrions-nous en péril la liberté de s’exprimer de tous les Canadiens qui sont sur ces plateformes en ce moment? Soit dit en passant, nous dominons. Nous jouons dans la cour des grands. Chacun des témoins qui ont comparu devant le comité a communiqué clairement que le Canada excelle. Il suffit de regarder notre empreinte artistique et culturelle dans le monde.
Notre marché est petit. Nous avons besoin du reste de la planète. Le Canada n’est pas qu’exportateur de bois d’œuvre, de produits agricoles et d’énergie. C’est aussi un pays exportateur de culture. Comme l’a si bien exprimé le sénateur Richards, le nombre de personnes qui peuvent acheter des livres est limité au Canada, mais le monde compte des milliards de personnes qui peuvent acheter les livres des auteurs canadiens qu’ils aiment.
Un des plus graves problèmes du projet de loi est sa portée. Il faut l’élargir. En tant que Canadiens, nous devons voir grand. Je crois que la sénatrice Miville-Dechêne a dit, au sujet de l’amendement qu’elle a présenté, qu’il réglerait la question des seuils et qu’il forcerait, par exemple, le CRTC à — c’est ce que demande l’amendement — tenir compte des créateurs numériques. C’est bien cela? D’ailleurs, une des expressions employées dans le libellé de l’amendement de la sénatrice est : « tient compte ».
En tout respect, chers collègues, si je voulais modifier le projet de loi et que je disais au CRTC qu’il y a une lacune que nous voulons voir abordée dans ses délibérations et sa réglementation et que mon amendement disait que je veux que le CRTC « tienne compte de A, B et C », eh bien, je trouve que « tenir compte » n’est pas assez fort. Nous savons tous comment fonctionne le CRTC. Ils vont en tenir compte, c’est certain. Ils vont tenir des audiences et faire rapport comme d’habitude. Il n’y a là rien de bien contraignant.
Nous avons lutté avec acharnement afin de faire adopter des amendements pour mettre en place des dispositions rigoureuses qui protègent les petits créateurs de contenu canadiens indépendants qui touchent un revenu modeste. Inscrire dans la loi un seuil de 10 millions de dollars, c’est la moindre des choses pour offrir une protection concrète de façon à ce que le CRTC n’ait aucune marge de manœuvre pour ne pas tenir compte de cette réalité.
Voici la seule conclusion à laquelle j’arrive pour expliquer la résistance du gouvernement. En tout respect, je ne crois tout simplement pas le gouvernement lorsqu’il dit que les plateformes sont visées et que les créateurs de contenu numérique indépendants ne le sont pas. Je suis désolé, mais je n’y crois pas. S’il n’est pas prêt à accepter un seuil de 100 millions de dollars, de 50 millions de dollars ou de 10 millions de dollars, comment pourrais-je croire qu’il serait prêt à accepter de bonne foi tout autre seuil? Combien d’entre vous seraient prêts à acheter un produit et à signer un contrat dans lequel tout est indiqué, sauf la date de livraison? Combien d’entre vous seraient prêts à accepter cela?
« Pouvez-vous seulement indiquer la date de livraison? »
« Oh, non, faites-nous confiance. Ce sera livré d’ici le 1er février. »
« Oui, mais, peut-on seulement l’indiquer dans le contrat? »
« Non, non, faites-nous confiance. »
S’il vous plaît, chers collègues, pouvons-nous au moins accepter cet amendement raisonnable qui donnera un peu d’espoir aux jeunes Canadiens de tout le pays qui recherchent un peu de clarté et de sécurité afin de pouvoir continuer à promouvoir leurs cultures et leurs entreprises dans un marché libre et équitable? Merci, chers collègues.
Honorables sénateurs, je tiens à remercier le sénateur Manning de l’intention qui sous-tend cet amendement. Cependant, je crois, si je peux me permettre, que le sénateur confond peut-être deux questions distinctes concernant le projet de loi C-11. La première concerne le contenu généré par les utilisateurs ou créé par de petits producteurs de contenu sur les médias sociaux. Je partage l’inquiétude des sénateurs Manning et Housakos, car l’alinéa 4.2.2 du projet de loi, tel qu’il était rédigé à l’origine, était une exception à l’exception qui risquait d’englober les petits YouTubers et les jeunes artistes de TikTok, étant donné que le critère était de savoir s’ils généraient des revenus directement ou indirectement. Il pouvait s’agir de revenus très modestes, ou de revenus générés non pas par la publicité ou les abonnements, mais par des commandites ou la vente de produits.
Comme je partageais largement les préoccupations exprimées par les sénateurs Housakos et Manning, la sénatrice Miville-Dechêne et moi-même avons travaillé très dur pour élaborer un amendement qui supprimait radicalement du projet de loi tout contenu généré par les utilisateurs de ce type.
Comme je l’ai expliqué au cours de mon intervention tout à l’heure, le projet de loi amendé dont nous sommes saisis corrige ce problème en supprimant tout seuil de revenu ou toute mention relative à des revenus, ainsi qu’en élargissant la portée de la mesure législative pour y inclure spécifiquement du contenu commercial ayant un numéro d’identification unique qui est seulement attribué à de la musique diffusée à des fins commerciales. Si je chante une chanson sur YouTube — et je vais épargner vos oreilles en nous ne vous faisant pas entendre un exemple —, on n’attribuerait certainement pas à cette chanson un numéro d’identification unique. Tout au plus, on pourrait émettre un avertissement à propos du contenu pour les utilisateurs. Le projet de loi amendé inclurait donc désormais de la musique produite commercialement, diffusée par de grandes maisons de production, de même que, entre autres, des chaînes spécialisées de sport retransmettant des événements sportifs sur Facebook. Ce serait les seules choses qui seraient visées maintenant par le projet de loi à l’étude.
Je comprends le raisonnement du sénateur Housakos. Nous n’avons aucune garantie que les députés accepteront notre projet de loi amendé. Cependant, je vous dirais que la meilleure façon de faire comprendre au gouvernement que cet amendement est tout à fait essentiel est de l’appuyer unanimement. Ce n’est pas une réaction politique. Nous n’agissons pas par partisanerie. Nous ne cherchons pas à attirer l’attention. Nous avons simplement écouté les 138 témoins et nous avons trouvé un compromis viable.
Parlons maintenant de la question des seuils.
J’ai pris le temps, pendant que le sénateur Housakos parlait, de passer en revue les témoignages entendus au Comité des transports. Selon mes souvenirs et ma relecture rapide des témoignages, la question du seuil n’a jamais eu de liens avec les utilisateurs des réseaux sociaux. Elle touchait plutôt les petits services de diffusion en continu.
Ce point demeure préoccupant. Il est vrai que Netflix, Disney, Amazon Prime et Apple TV génèrent d’énormes revenus; c’est une chose de les viser avec cette mesure. Toutefois, qu’en est-il d’un petit service de diffusion en continu du Nigéria, qui est écouté par des Canadiens d’origine nigériane? Qu’en est-il d’un petit service de diffusion en continu qui offre du contenu audio en pendjabi? Qu’en est-il d’un petit service de diffusion en continu qui s’adresse à une communauté ethnoculturelle ou à une communauté ayant un champ d’intérêt très pointu, sans écho chez un grand public?
C’était la question centrale du débat. Il n’a jamais été question des utilisateurs de médias sociaux, qui ne seraient jamais visés. Même le vlogueur YouTube le plus extraordinairement populaire ne gagnera pas 150 millions de dollars ni même 10 millions de dollars. D’ailleurs, en y pensant bien, cela n’aurait jamais pu inclure les youtubeurs, parce que YouTube gagne plus de 10 millions de dollars et même plus de 150 millions de dollars. Cet amendement ne protégerait pas quelqu’un qui téléverse du contenu sur une plateforme comme YouTube ou TikTok, contrairement à notre amendement à l’alinéa 4.2.2, qui figure maintenant dans le projet de loi. Ce seuil ne ferait rien pour les protéger, parce qu’ils sont sur YouTube et TikTok, qui ont des revenus bien supérieurs à 10 millions de dollars au Canada.
La question qui demeure est de savoir ce que nous faisons de ces petits services de diffusion en continu à créneaux. J’ai longuement réfléchi avant de proposer moi-même un amendement sur le seuil. Lorsque nous avons parlé aux experts, le défi était de savoir comment créer un seuil qui puisse rester statique dans la loi. Ce que je souhaite, c’est que l’intention du sénateur Manning dans son amendement, qui n’est pas mauvaise du tout, soit intégrée à la réglementation. Je tiens à dire qu’il serait ridicule qu’un petit service international de diffusion en continu qui dessert un public linguistique particulier au Canada — un pays diversifié et multiculturel — soit accidentellement visé par une loi qui a clairement pour but de cibler les plus grands services de diffusion en continu.
Ma dernière préoccupation concernant la motion à l’étude est d’ordre technique et concerne la clarté du libellé. Voici ce que dit l’amendement : « Les règlements ne peuvent assujettir à la présente loi une émission d’une entreprise de radiodiffusion qui génère des revenus annuels de moins de 10 millions de dollars. »
Je ne sais pas si les 10 millions de dollars font référence à l’entreprise de radiodiffusion ou à l’émission. Il y a une énorme différence. L’intention de l’amendement est-elle de viser une émission qui génère des revenus annuels de moins de 10 millions de dollars, ou une entreprise de radiodiffusion qui génère des revenus annuels de moins de 10 millions de dollars? Dans le premier cas, soulignons que presque aucune émission ne génère ce montant. Dans le second cas, un service comme YouTube ou TikTok serait facilement inclus dans le champ d’application, et l’amendement ne ferait rien pour aider les utilisateurs de médias sociaux dont le sénateur Manning s’inquiète à juste titre.
J’affirme donc qu’il s’agit d’un amendement imprécis qui ne permet pas de concrétiser son intention déclarée. Je soutiens également que nous devons poursuivre la discussion pour nous assurer que les petits services ciblés de diffusion en continu sont effectivement exemptés de la réglementation.
Je remercie le sénateur Manning d’avoir présenté l’amendement, mais je ne peux pas l’appuyer.
La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?
Oui.
Je suis entièrement d’accord avec vous, car il est vrai que de réglementer Internet est une aventure très complexe qui pourrait échapper à tout contrôle. Nous savons ce qui arrive quand le CRTC entreprend un dossier très complexe : il ajoute de multiples couches de complexité et il rend les choses encore plus compliquées.
Je crois comprendre que le sénateur Manning essaie d’exclure les entreprises de radiodiffusion. Vous avez entièrement raison de dire que 10 millions de dollars est une grosse somme d’argent pour les petits joueurs. C’est minuscule pour les gros joueurs, et ce sont eux que nous pourchassons. Je pense que cet amendement veut lancer le message que nous sommes tous en faveur de faire payer davantage les géants dans le secteur de la diffusion. Toutefois, il faut protéger les petites entreprises canadiennes indépendantes.
Ma question porte sur les amendements que vous et la sénatrice Miville-Dechêne avez proposés, que j’ai appuyés et que je considère des pas dans la bonne direction. Le problème est qu’ils ne sont pas très stricts ou normatifs. Ils donnent au CRTC toute la latitude voulue au bout du compte.
Dans quelle mesure pouvons-nous avoir confiance que ces amendements, dans leur forme actuelle, avec toute la latitude qu’ils donnent au CRTC, entraîneront les résultats voulus?
En tout respect, sénateur Housakos, je ne crois pas qu’il y a beaucoup de latitude. C’était le cas dans la version du projet de loi dont nous avons été saisis, mais je crois que l’amendement que vous avez appuyé — je vous en suis reconnaissante — clarifie grandement les choses. À la discrétion du CRTC, il n’inclut que la musique enregistrée et diffusée professionnellement qui possède un identifiant international unique ainsi que les émissions qui ont déjà été diffusées par des radiodiffuseurs traditionnels. C’est tout à fait clair, et je crois que cela n’inclut aucunement les utilisateurs de médias sociaux.
De plus, cet amendement ne s’adresse pas aux utilisateurs de médias sociaux. Tel que je le lis, il ne concerne aucunement une mère qui publie ses aventures en planche à roulettes sur TikTok, ou un comédien qui publie ses numéros sur Twitter, car ces plateformes engrangent beaucoup plus que 10 millions de dollars. Cet amendement n’aiderait pas les gens que vous tentez d’aider, alors que le projet de loi, tel qu’il a été amendé, le ferait.
Cela dit, je crois qu’il est important de dire qu’une inquiétude demeure au sujet des services de diffusion en continu, car les seuils n’étaient jamais censés viser des gens qui publient des conseils de cuisine sur YouTube. Ils devaient porter sur la façon de traiter les services de diffusion en continu ethnoculturels qui tombent sous le seuil des grandes sociétés.
Merci, sénateur Manning, de votre discours. J’aimerais aussi exprimer mon appréciation aux membres du comité qui ont été très patients pendant les neuf rencontres où nous avons fait l’étude du projet de loi article par article.
Je voulais tout simplement vous faire part de mon appréciation.
J’aimerais énoncer la position du gouvernement à ce sujet. L’amendement proposé créerait un seuil de revenu pour les utilisateurs de médias sociaux et le contenu généré par les utilisateurs.
Une fois de plus, je sais que le sénateur Housakos l’a dit, mais je répète que le gouvernement a déclaré que l’obligation vise les plateformes et non les utilisateurs de médias sociaux et le contenu qu’ils créent. Comme l’a fait remarquer un fonctionnaire du ministère du Patrimoine canadien lors de l’étude article par article, le CRTC ne doit réglementer que les entreprises qui sont en mesure de contribuer de façon importante aux objectifs stratégiques de la loi. De plus, le CRTC doit réglementer d’une manière qui tient compte de la nature de l’entreprise.
Je voulais simplement mentionner également que le gouvernement a clairement indiqué qu’il s’oppose à la création de seuils de cette nature. Ils sont susceptibles de causer des distorsions dans l’application de la politique. Ils créent des circonstances où les pratiques commerciales, les organisations commerciales et les procédures comptables peuvent être structurées de manière à éviter le seuil ou à rester en dessous, quel que soit le montant fixé.
J’encourage les sénateurs à voter contre l’amendement.
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
À mon avis, les non l’emportent.
Je vois deux sénateurs se lever. Y a‑t‑il entente au sujet de la sonnerie?
Le vote aura lieu à 18 h 02. Convoquez les sénateurs.