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Projet de loi no 1 d'exécution du budget de 2023

Deuxième lecture--Débat

13 juin 2023


L’honorable Tony Loffreda [ - ]

Propose que le projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi d’initiative ministérielle C-47, Loi no 1 d’exécution du budget de 2023.

C’est un honneur pour moi que le sénateur Gold et la vice‑première ministre m’aient demandé de parrainer ce projet de loi au Sénat, et je les remercie de la confiance qu’ils m’accordent. Ce fut un plaisir de travailler avec les membres de leurs équipes, et je les remercie de toute l’aide qu’ils m’ont offerte depuis le mois d’avril, lorsque j’ai accepté de parrainer le projet de loi.

Après avoir parrainé l’automne dernier la Loi d’exécution de l’énoncé économique de l’automne, il semblait aller de soi que je parraine un projet de loi d’exécution du budget. Je suppose qu’un projet de loi de 172 pages ne me suffisait pas; j’ai donc accepté d’en parrainer un de 430 pages.

Quand j’ai accepté d’en être le parrain, j’avais une idée générale de ce qu’il contenait. Après avoir été parfaitement informé de son contenu, je me sentais à l’aise avec les modifications législatives prévues et je souscrivais aux objectifs visés. Au début de notre étude préalable, je me suis rapidement rendu compte que j’avais du pain sur la planche.

Le Sénat a confié à huit comités le mandat d’effectuer une étude préalable de certaines sections du projet de loi. Il a aussi accordé au Comité sénatorial permanent des finances nationales le pouvoir de se pencher sur la teneur de l’ensemble du projet de loi. Voici donc où nous en sommes près de sept semaines plus tard.

Selon mes calculs, nous avons eu en tout 39 réunions, pendant lesquelles 210 témoins ont comparu, dont 3 ministres. Nous avons donc toutes les raisons du monde d’être fiers de notre travail. Nous devons souvent composer avec des échéances serrées, mais les sénateurs ont relevé le défi une fois de plus.

Après avoir lu les rapports des comités sénatoriaux, je suis heureux de confirmer qu’aucun d’entre eux ne demande d’amendement au projet de loi. Ils ont toutefois fait des observations constructives, dont le gouvernement tiendra sûrement compte. J’en mentionnerai plusieurs pendant mon discours aujourd’hui.

Comme le savent les honorables sénateurs, le projet de loi C-47 a été présenté à l’autre endroit le 20 avril; il comprend des mesures annoncées dans le budget de 2023 et d’autres mesures budgétaires annoncées plus tôt. Il est divisé en quatre parties. La partie 1 apporte des modifications à la Loi de l’impôt sur le revenu et à d’autres lois; elle comprend 17 dispositions.

La partie 2 contient des mesures au sujet de la taxe sur les produits et services et de la taxe de vente harmonisée.

La partie 3 modifie la Loi sur l’accise et la Loi sur le droit pour la sécurité des passagers du transport aérien.

Quant à la quatrième et dernière partie, elle contient 39 sections.

Au total, le projet de loi propose plus de 60 mesures indépendantes. Certaines d’entre elles sont très techniques, d’autres sont plutôt mineures. D’autres encore ont suscité beaucoup d’intérêt dans les médias, parmi les intervenants et au sein de nos comités.

Dans votre intérêt, je n’aborderai pas chaque mesure individuellement, car je ne dispose que de 45 minutes, ce qui est dommage, car vous savez tous à quel point je prends ce travail à cœur. Je vais plutôt me concentrer sur les mesures les plus importantes — celles qui, à mon avis, ont suscité le plus d’intérêt de la part des sénateurs et des témoins.

Avant d’aborder les mesures prévues dans le projet de loi, j’aimerais dire quelques mots sur l’état de l’économie canadienne. Certains diront que le Canada est moins performant que ses partenaires du G7 et du G20. Bien au contraire, je dirais que le Canada est dans une position enviable. Malgré les difficultés économiques mondiales, le Canada est dans une position de force économique fondamentale.

La semaine dernière, lorsque la ministre Freeland a comparu devant le Comité des finances nationales, elle a rappelé ceci :

Il y a désormais 907 000 Canadiens de plus qu’avant la pandémie qui ont un emploi. De plus, à seulement 5 %, le taux de chômage n’a presque jamais été aussi bas.

Les nouveaux chiffres de l’emploi publiés vendredi dernier indiquent que ce chiffre a légèrement baissé pour atteindre 890 000.

La ministre Freeland a ajouté qu’en 2022, le Canada a connu la plus forte croissance économique des pays du G7. Notre PIB réel a augmenté de 3,1 % au cours du premier trimestre de cette année — soit le taux le plus élevé du G7 —, et le Canada a le plus faible ratio du déficit au PIB et le plus faible ratio de la dette nette au PIB des pays du G7.

Honorables sénateurs, l’économie canadienne se porte plutôt bien. En fait, je dirais même que nous sommes en tête du peloton à bien des égards, et nous devrions être fiers de ce bilan impressionnant. Bien sûr, nous pourrions faire mieux, mais la situation n’est pas aussi désastreuse que certains pourraient le suggérer. Je pense que nous avons des raisons d’espérer que les choses ne feront que s’améliorer, car l’économie canadienne continue de rebondir avec vigueur après quelques années difficiles.

C’est un travail de longue haleine. Nous devons continuer à œuvrer pour améliorer la prospérité économique, créer et pérenniser des emplois mieux rémunérés, accélérer la croissance de la productivité et accroître notre compétitivité globale en attirant davantage d’investissements nationaux et étrangers, et trouver des moyens novateurs de générer davantage de richesses.

Je sais que le gouvernement a les mêmes objectifs. En effet, le projet de loi C-47 contient de nombreuses mesures qui visent à obtenir des résultats positifs tangibles et durables.

Ceci étant dit, je souhaite porter notre attention sur les mesures contenues dans le projet de loi. Je commencerai par les modifications proposées à la Loi de l’impôt sur le revenu, qui figurent dans la partie 1 du projet de loi C-47.

En ce qui concerne la partie 1, dans le sommaire du projet de loi, à l’alinéa b), il est indiqué que le gouvernement propose de doubler la déduction pour les outils des gens de métier de 500 $ à 1 000 $, à compter de 2023 et pour les années d’imposition ultérieures. Nous prévoyons que cette mesure coûtera 11 millions de dollars sur six ans. Vous vous souviendrez peut-être que nous avons adopté l’an dernier une autre mesure pour les gens de métier, la déduction pour la mobilité de la main-d’œuvre. Les syndicats des métiers de la construction du Canada ont informé le Comité des finances nationales qu’ils appuient cette mesure qui, comme ils le disent, « redonne de l’argent directement aux travailleurs qui bâtissent notre pays ».

À l’alinéa c), le gouvernement élargit la règle sur les reventes précipitées de biens immobiliers résidentiels, que nous avons adoptée l’an dernier, afin d’inclure les cessions d’un contrat de vente. Des exceptions continueront à s’appliquer pour certains événements de la vie comme les décès, l’invalidité et les divorces. Cette mesure pourrait toucher environ 1 400 Canadiens par an et augmenter les recettes fiscales du gouvernement d’environ 1 million de dollars par an.

Comme il est expliqué à l’alinéa g) du sommaire, le gouvernement apporte des modifications à l’Allocation canadienne pour les travailleurs. Cette prestation est un crédit d’impôt remboursable qui s’ajoute aux revenus des travailleurs à revenu faible ou modeste. À l’heure actuelle, les bénéficiaires la demandent lorsqu’ils produisent leur déclaration de revenus. Cette mesure permettrait de verser automatiquement un paiement trimestriel anticipé de l’Allocation canadienne pour les travailleurs aux personnes qui y avaient droit l’année précédente. Le coût de cette proposition est estimé à 4 milliards de dollars sur six ans, dont 68 millions de dollars en frais administratifs.

Comme l’indique l’alinéa m) du sommaire, le gouvernement espère tirer 635 millions de dollars sur cinq ans de sa nouvelle mesure sur la vente à découvert et les opérations de couverture effectuées par les institutions financières du Canada. Cette mesure, qui a été annoncée dans le budget de 2022, vise à rendre le régime fiscal plus équitable. Le gouvernement sait que certaines institutions financières mettent en œuvre des mécanismes musclés de planification fiscale par lesquelles elles réclament une déduction sur les dividendes touchés lorsque celle-ci donne lieu à un avantage fiscal non prévu.

Je tiens aussi à parler de l’alinéa p) de la partie 1 dans le sommaire du projet de loi, parce que nous avons adopté le projet de loi C-228 en avril dernier. Le gouvernement permet ici aux régimes de retraite à prestations déterminées d’emprunter une somme supplémentaire correspondant à 20 % de leurs actifs. Les administrateurs des régimes doivent continuer de respecter les dispositions des lois fédérales et provinciales sur les normes relatives aux prestations, qui font en sorte que les caisses de retraite sont bien administrées, que les investissements se font de façon réfléchie et prudente et que le financement du régime respecte les normes prescrites. Cette modification donnera toutefois une plus grande marge de manœuvre aux administrateurs pour mettre en œuvre leurs stratégies d’investissement et de liquidité.

Je sais que je ne fais qu’effleurer le sujet, mais il s’agit là de 5 des 17 mesures de la partie 1 qui modifient la Loi de l’impôt sur le revenu.

Passons maintenant à la partie 2, qui comprend quatre mesures relatives à la taxe sur les produits et services ou à la taxe de vente harmonisée.

La première mesure clarifie le traitement de la TPS/TVH s’appliquant au minage de cryptoactifs en prévoyant que lorsqu’une personne effectue des activités de minage — soit seule, soit dans le cadre d’un groupe de minage dans lequel les mineurs partagent les produits de l’activité —, cette personne ne serait pas tenue de percevoir la taxe sur la fourniture de ses services de minage et n’aurait pas non plus le droit de récupérer la TPS/TVH payée sur les intrants de ces services de minage.

Par exemple, l’entreprise Digital Asset Mining Coalition a comparu devant le Comité des banques et le Comité des finances nationales et a fait valoir que cette mesure pourrait avoir des conséquences inattendues et rendre les entreprises informatiques canadiennes moins concurrentielles sur le marché international. Elle demande une exception aux changements proposés au traitement de la TPS afin d’indiquer clairement que si une entreprise canadienne fournit sa puissance informatique à un exploitant de groupe de minage qui est un non-résidant du Canada, les règles ordinaires en matière de TPS s’appliquent à cette entreprise.

Dans notre rapport, les sénateurs du Comité des banques ont écrit ceci :

Le comité déplore le fait que, malgré les consultations menées par le ministère des Finances Canada en 2022 sur ce sujet, il y a encore de l’ambiguïté sur sa mise en œuvre. Le comité recommande que le ministère consulte de nouveau les intervenants, notamment pour répondre aux préoccupations de Digital Asset Mining Coalition.

La ministre Freeland a déclaré ce qui suit au Comité des finances nationales :

Le ministère des Finances a toujours dit aux entreprises d’informatique et à leurs représentants que les mesures proposées ne les priveront d’aucun crédit d’impôt auquel leur donnent normalement droit les règles régissant la TPS et la TVH, puisque ces entreprises ne reçoivent pas de primes de minage de la part d’une coopérative de minage, elles vendent leurs services à prix fixe.

Dans la partie 2, le gouvernement entend également préciser que la TPS et la TVH s’appliquent aux services de compensation des cartes de paiement. Tout le monde estimait que cela avait toujours été le cas, mais les tribunaux ont conclu dernièrement que non. Le gouvernement souhaite donc à mettre les pendules à l’heure et revenir à l’ancienne politique, selon laquelle ces services sont de nature administrative, ce qui les exclut de la définition de « services financiers » pour les fins de la TPS et de la TVH.

De toutes les mesures étudiées pendant les réunions du Comité des finances nationales et de celui des banques, je crois que c’est celle qui a le plus retenu l’attention. C’est en tout cas celle-là qui a laissé le plus de gens perplexes. Pour tout dire, je m’inquiète aussi de la nature rétroactive de cette mesure, mais je comprends le raisonnement du gouvernement.

Celui-ci estime que la rétroactivité permettra de protéger les recettes tirées de la TPS et de la TVH et d’éviter qu’à cause de la décision des tribunaux, les émetteurs de cartes de paiement, comme les banques, qui achètent ces services, ne fassent de bénéfices inattendus. Elle protège en outre les entreprises qui fournissent ces services et qui ont déjà réclamé des crédits d’impôt, ce qu’elles avaient le droit de le faire, mais qui pourraient aujourd’hui les perdre. Selon les calculs du gouvernement, cette mesure devrait permettre d’éviter l’équivalent de 195 millions de dollars en bénéfices inattendus. Je suis convaincu que d’autres sénateurs reviendront sur le sujet.

Passons à la partie 3 du projet de loi, qui ne contient que deux mesures. La section 1 prévoit de plafonner temporairement l’ajustement inflationniste des taux du droit d’accise applicables à la bière, aux spiritueux et au vin à 2 %, pour un an seulement, à compter du 1er avril 2023. Comme vous le savez, les droits d’accise applicables à l’alcool sont automatiquement indexés selon l’inflation de l’Indice des prix à la consommation, le 1er avril de chaque année. Nous savons que l’industrie a fait du lobbying auprès du gouvernement pour apporter ce changement, et que les secteurs de la restauration et du tourisme se réjouissent de ce gel fiscal. Vous vous souviendrez peut-être que, lorsque le mécanisme d’indexation a été instauré en 2017, le projet de loi d’exécution du budget de l’époque a été amendé au Sénat pour le retirer. Toutefois, l’amendement a ultimement été rejeté par la Chambre des communes. Je n’étais pas sénateur à ce moment-là, mais il se trouve que le Sénat avait peut-être raison, il y a cinq ans.

En outre, le gouvernement veut accroître de 32,85 % le droit pour la sécurité des passagers du transport aérien. Il s’agit des frais payés par les passagers lorsqu’ils achètent des billets d’avion. Les fonds récoltés servent à financer le système de sécurité du transport aérien, y compris l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien. La dernière fois que le droit pour la sécurité des passagers du transport aérien a été augmenté, c’était en 2010, et l’augmentation s’élevait à 52,4 %. Le gouvernement estime que les frais pour un voyage aller-retour à l’intérieur du Canada passeront de 14,96 $ à 19,87 $. Le gouvernement s’attend à ce que cette mesure lui procure 1,25 milliard de dollars de recettes au cours des cinq prochaines années. Cette mesure entrera en vigueur à partir du 1er mai 2024.

J’aimerais maintenant prendre quelques instants pour parler de la partie 4 du projet de loi C-47, qui comprend 39 sections, dont 36 ont été renvoyées à huit comités sénatoriaux pour y être examinées, en tout ou en partie. Je tiens à les remercier pour l’important travail qu’ils ont fait. Vos rapports m’ont été très utiles en tant que parrain.

Je le répète, pour épargner du temps et ménager ma santé mentale — et peut-être même la vôtre —, je ne vais pas parler de chacune des sections de la partie 4. Je vais me concentrer sur celles que je trouve les plus importantes et qui ont généré le plus d’intérêt parmi nos collègues.

À la section 1, le gouvernement modifie la Loi sur les banques afin de créer un seul organisme externe à but non lucratif de traitement des plaintes afin que les Canadiens aient accès à un processus équitable et impartial pour traiter les plaintes non réglées avec leur banque. En ce moment, il y a deux organismes, et les banques peuvent choisir celui des deux qui recevra les plaintes.

Le gouvernement compte choisir le nouvel organisme plus tard cette année en fonction de la recommandation du commissaire de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada à la suite d’un processus de sélection mené par cette agence. Les témoins qui ont comparu devant le Comité des banques ont bien accueilli la création de ce nouvel organisme. Je crois moi aussi que c’est une bonne idée.

Dans son rapport, notre comité convient que :

[...] le passage à un seul organisme externe de traitement des plaintes est à l’avantage des consommateurs, mais recommande d’envisager l’imposition d’une date butoir, par exemple une année après l’octroi de la sanction royale, pour désigner l’organisme externe [...]

Nous demandons aussi que l’Agence de la consommation en matière financière du Canada :

[...] use de ses pouvoirs pour s’assurer qu’il est assujetti aux normes les plus élevées en matière de transparence et de reddition de comptes et qu’il soit juste pour toutes les parties.

Dans la partie 5, le gouvernement retire indéfiniment le tarif de la nation la plus favorisée à la Russie et au Bélarus. Ce n’est pas une mesure controversée ni une mesure qui a attiré beaucoup d’attention, mais je pense que cela vaut la peine d’en parler, compte tenu du conflit en cours en Ukraine. Cette mesure atteint l’objectif politique d’inciter les importateurs à s’approvisionner ailleurs qu’en Russie et au Bélarus. Il convient de souligner qu’en mars 2022, le Canada a été le premier pays à retirer à la Russie et au Bélarus le statut d’admissibilité au tarif de la nation la plus favorisée. Depuis, de nombreux autres pays ont suivi notre exemple.

La section 6 modifie la Loi sur la Banque du Canada. Peut-être vous souvenez-vous qu’en réponse aux tensions que causait la pandémie sur les marchés financiers, la banque a mis en place le Programme d’achat d’obligations du gouvernement du Canada, le premier programme d’assouplissement quantitatif du Canada. Comme les taux d’intérêt ont augmenté, la banque subit maintenant des pertes nettes d’intérêt. Selon la loi, la banque doit remettre au gouvernement tout excédent ou bénéfice qu’elle génère. Les changements proposés permettront à la banque de conserver les bénéfices futurs jusqu’à ce que les pertes liées au Programme d’achat d’obligations du gouvernement du Canada aient été couvertes, ce qui l’aidera à rétablir la situation de capitaux propres négatifs. L’Australie a fait la même chose.

La prochaine section dont je souhaite parler me semble arriver à point nommé. À la section 7 de la partie 4, le gouvernement crée la Corporation d’innovation du Canada, ou CIC. Cette nouvelle société d’État aura pour mandat de maximiser les investissements des entreprises canadiennes dans la recherche et le développement dans l’ensemble des secteurs de l’économie et des régions du Canada ainsi que de promouvoir une croissance économique axée sur l’innovation, notamment en travaillant avec les entreprises dans le but de promouvoir la création et la conservation d’actifs incorporels au Canada. Avant de présenter le projet de loi, le gouvernement a mené de vastes consultations auprès de parties prenantes pendant l’été et l’automne 2022.

La Corporation d’innovation du Canada sera gérée par des experts du secteur privé et fonctionnera à la vitesse des affaires. Elle sera financée par un transfert annuel prévu par la loi, ce qui lui donnera une certaine régularité et une stabilité opérationnelle et lui permettra d’établir des partenariats durables avec le secteur privé. Son budget initial sera de 2,6 milliards de dollars sur quatre ans.

Le Comité des banques a examiné cette section du projet de loi. L’évaluation de nos délibérations en comité me donne le sentiment que les sénateurs, moi y compris, veulent s’assurer que la nouvelle société ne répétera pas les erreurs de la Banque de l’infrastructure, qui a mis du temps à prendre son envol. À ce titre, nous avons suggéré dans notre rapport que le gouvernement procède à une évaluation de la CIC trois ans après sa création afin de déterminer si elle a réussi à remplir son mandat et qu’il publie les résultats de cette évaluation approfondie dans son rapport annuel.

La partie 4 du projet de loi comporte quatre sections relatives aux politiques et programmes du Canada en matière d’immigration et de citoyenneté.

Par exemple, la section 17 propose de modifier la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés afin de permettre au ministre de donner des instructions afin de plafonner le nombre de demandes de réfugiés parrainées par le secteur privé et présentées par des groupes de cinq personnes ou un répondant communautaire.

L’absence de plafond a entraîné une augmentation du nombre de demandes et l’allongement des délais de traitement. Le gouvernement estime que cette mesure permettra aux réfugiés et à leurs répondants de bénéficier de délais de traitement plus courts et plus prévisibles.

Le Comité des affaires sociales craint qu’imposer un plafond aux demandes de parrainage privé de réfugiés en guise de stratégie de gestion de l’arriéré :

[...] ait pour effet de priver certaines des personnes les plus vulnérables se trouvant dans des situations dangereuses et à haut risque de la possibilité [de]demander la protection du Canada.

La section 19 propose des modifications à la Loi sur la citoyenneté dans le but d’améliorer le service à la clientèle en général. Si le projet de loi est adopté, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ou IRCC, pourra administrer et appliquer le programme de citoyenneté par des moyens électroniques, demander à ce que le traitement des demandes et la prestation des services se fassent en ligne, et recueillir et utiliser des renseignements biométriques sur les clients pour pouvoir confirmer leur identité et vérifier leurs antécédents criminels de façon rapide et fiable. On espère que ces changements aideront IRCC à mettre en œuvre un programme plus efficace et mieux adapté aux besoins des nouveaux arrivants en tirant parti des nouvelles technologies pour accélérer le traitement. Avec ces modifications, les demandes en ligne deviendront la norme, on utilisera des outils décisionnels automatisés et assistés par ordinateur afin de traiter les demandes plus rapidement, et on pourra également prélever les empreintes digitales des clients et prendre des photos numériques des clients.

Dans son rapport, le Comité des affaires sociales a exprimé certaines craintes concernant le recours au traitement automatisé et assisté par ordinateur. Il a écrit ceci :

Les préjugés dans l’intelligence artificielle, l’automatisation et d’autres outils d’aide automatisés ont été bien documentés, en particulier contre les personnes racisées et autres populations vulnérables [...] [C]e comité craint que ces outils et leurs méthodes de tri n’influencent les décisions finales prises par les fonctionnaires.

Le comité demande au gouvernement de créer et de mettre en œuvre des mesures de protection pour encadrer l’utilisation d’outils de prise de décision assistée par ordinateur dans ce programme, afin d’éviter que des préjugés aient une influence négative sur les décisions relatives aux demandes dans le cadre du programme. Je pense qu’il s’agit là d’une observation très judicieuse et réfléchie, à laquelle je souscris totalement.

Plusieurs modifications sont proposées à la Loi sur les transports au Canada pour améliorer la communication de renseignements entre le gouvernement du Canada et les entités prenant part aux chaînes d’approvisionnement du transport.

En outre, la section 22 propose de faire passer temporairement de 30 à 160 kilomètres la limite d’interconnexion ferroviaire en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba en vue de renforcer la dynamique concurrentielle et d’offrir aux expéditeurs d’autres options en matière de taux et de services.

Il s’agit d’un nouveau projet pilote, qui s’appuie sur un projet pilote similaire mené entre 2014 et 2017, et qui répond directement à une recommandation du Rapport final du Groupe de travail national sur la chaîne d’approvisionnement 2022.

Les compagnies ferroviaires canadiennes mettent en doute la valeur de cette mesure et s’y opposent par crainte qu’elle les rende moins concurrentielles par rapport aux compagnies américaines. C’est un argument valable, que je comprends, mais nous devons nous rappeler que le projet pilote se limite aux provinces des Prairies et vise à recueillir des données pour évaluer l’utilité de prolonger les limites d’interconnexion. Par contre, les représentants de la Canadian Canola Growers Association, laquelle représente 43 000 producteurs de canola, accueillent favorablement cette modification et nous ont dit, au comité, que « [...] ce système avantagerait aussi les secteurs miniers, de l’engrais, de la foresterie et des biens de consommation. » De plus, dans son rapport, le Comité des transports et des communications souligne que « Les mémoires soumis par les intervenants du milieu du transport ferroviaire donnent à penser qu’il n’y a pas de consensus sur les dispositions relatives à l’extension de l’interconnexion. »

La section 23 fait beaucoup parler et je remercie le Comité des transports et des communications du travail qu’il a effectué au sujet des modifications proposées à la Loi sur les transports au Canada afin de renforcer les droits des passagers aériens, de simplifier le processus d’administration des plaintes relatives au transport aérien et de faire passer du gouvernement à l’industrie une partie du fardeau financier.

L’objectif global de ces changements est de permettre à l’Office des transports du Canada de s’acquitter de son mandat plus efficacement et de récupérer adéquatement, auprès de l’industrie, les coûts d’administration du régime des droits des passagers aériens.

Ces changements sont proposés en réponse aux difficultés que nous avons pu observer l’an dernier concernant les transporteurs aériens et les aéroports. Cette section comporte de nombreuses dispositions, la plus importante étant peut-être la réforme du processus actuel de règlement des différends en ce qui a trait aux plaintes des passagers.

Le gouvernement soutient que les droits des passagers aériens seront mieux protégés, car ces modifications permettront de simplifier et de renforcer le système en rendant le régime moins complexe et moins ambigu, entre autres parce que, dorénavant, en cas de retard ou d’annulation, les indemnités seront automatiques, à moins que lesdits retards et annulations soient causés par l’une des exceptions prévues dans le règlement d’application. C’est ce point qui a suscité des interrogations dans le milieu du transport aérien.

Le Conseil national des lignes aériennes du Canada, qui a comparu la semaine dernière devant le Comité des finances nationales, estime par exemple que la sécurité doit être le grand principe directeur pour déterminer les exceptions permettant aux lignes aériennes de ne pas payer d’indemnités au-delà du simple remboursement et de l’obligation de diligence. Dans son mémoire, NAV CANADA demande que :

[...] les décisions en matière de sécurité entraînant des retards ou des annulations par tout acteur du système — y compris les compagnies aériennes — [continuent] à être protégées contre les exigences en matière d’indemnisation

Il ne fait aucun doute dans mon esprit que la sécurité sera toujours la priorité numéro un du gouvernement, et c’est ce qu’ont confirmé les représentants que nous avons rencontrés la semaine dernière.

Le Conseil national des lignes aériennes du Canada estime en outre que la responsabilité et la reddition de comptes devraient être partagées par toutes les entités de l’écosystème du transport aérien, mais NAV CANADA, de son côté, souhaite échapper à toute responsabilité financière, qu’il s’agisse de remboursements ou d’indemnités. De toute évidence, il y aura beaucoup de détails à régler dans le règlement d’application, mais je fais confiance à Transports Canada pour consulter adéquatement les parties concernées afin d’avoir leurs commentaires et suggestions.

Le Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense s’est penché sur la section 24, qui modifie la Loi sur les douanes et donne suite à certaines priorités de l’Agence des services frontaliers du Canada en ce qui concerne l’Initiative de modernisation des programmes pour les voyageurs. Cette mesure a pour but d’accélérer les contrôles frontaliers et de faciliter la vie des voyageurs qui arrivent au Canada en leur offrant notamment plus de services informatisés en libre-service et en simplifiant les modalités de vérification de leur identité.

Dans son rapport, on peut lire que le comité « appuie le principe de l’utilisation de la technologie pour faciliter le traitement des voyageurs arrivant au Canada » et que cette approche « pourrait améliorer l’expérience des voyageurs et favoriser une meilleure affectation des ressources de l’ASFC ». Les témoins ont fait quelques observations sur quatre questions d’intérêt général, à savoir la protection des renseignements personnels, les différentes répercussions selon les catégories de voyageurs, la sécurité frontalière en général et les consultations auprès du syndicat des agents des services frontaliers.

Les modifications de la section 27 donnent suite aux recommandations du commissaire à l’environnement et au développement durable, qui a relevé des lacunes dans la surveillance des produits de santé naturels. Les mesures que propose le gouvernement modifieraient la Loi sur les aliments et drogues de façon à élargir la définition de « produit thérapeutique » pour qu’elle s’applique aussi aux produits de santé naturels. Ces changements permettront à Santé Canada de recueillir plus facilement de l’information et d’intervenir rapidement en cas de risque grave pour la santé.

Le secteur des produits de santé naturels n’est pas content de ces changements, mais comme l’a expliqué le gouvernement, Santé Canada a constaté des cas de non-respect du Règlement sur les produits de santé naturels au sein de l’industrie, qui entraînent des risques pour la santé et la sécurité. De tels cas sont constatés alors que les Canadiens utilisent de plus en plus fréquemment ces produits.

Par exemple, l’Association canadienne des aliments de santé soutient que Santé Canada n’a pas consulté adéquatement les intervenants et considère que les changements sont précipités, mais elle garde tout de même espoir que les intervenants finiront par avoir une occasion réelle de donner leur avis pendant le processus de réglementation. Comme elle l’a affirmé, une approche adéquate en matière de consultations fait en sorte que les décisions prises au sujet des produits de santé naturels sont éclairées, équilibrées et dans l’intérêt des Canadiens.

Je suis certain que le gouvernement est d’accord et que Santé Canada mènera des consultations justes et adéquates.

À la section 28, le gouvernement propose d’interdire les essais de cosmétiques sur des animaux au Canada, les allégations trompeuses sur l’étiquette de cosmétiques concernant les essais sur des animaux et la vente de cosmétiques dont la sûreté ne peut être établie sans avoir recours à des données tirées d’essais conduits sur des animaux, avec certaines exceptions. Ces exceptions feront en sorte que les produits cosmétiques déjà offerts demeurent sur le marché et que l’interdiction proposée ne viendra pas interférer avec les autres régimes législatifs au Canada dans les secteurs où les essais sur les animaux sont toujours requis pour faire la preuve de l’innocuité de certains produits.

L’interdiction proposée par Santé Canada est inspirée de celle de l’Union européenne. Le Canada se joindra à 41 pays qui ont déjà mis en place cette mesure. Je suis certain que notre ancienne collègue la sénatrice Stewart Olsen appuierait cette mesure, parce qu’elle défendait les droits des animaux et qu’elle avait présenté un projet de loi visant à interdire les essais de cosmétiques sur des animaux il y a quelque temps.

La section 30 mérite d’être mentionnée parce qu’elle introduit une norme sur les motifs raisonnables de soupçonner dans la Loi sur la Société canadienne des postes, ce qui donne suite à une décision de la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador. Cela me donne également l’occasion de citer le rapport du Comité sénatorial des affaires juridiques :

Le comité note que les restrictions imposées sur l’ouverture du courrier sont plus sévères pour Postes Canada que pour les autres transporteurs privés exerçant des activités au Canada [...] De plus, ces règles empêchent la police d’ouvrir et de saisir toute lettre ou tout autre courrier pris en charge par Postes Canada.

Le rapport indique que les modifications proposées dans la loi d’exécution du budget ne règlent pas la question de la contrebande, en particulier du fentanyl, effectuée au moyen de lettres envoyées par Postes Canada. Les sénateurs demandent au Parlement et au gouvernement du Canada d’accorder une attention urgente à la résolution de ces problèmes. Je connais un sénateur qui a peut-être déjà une solution.

La section 31 modifiera la Loi sur les titres royaux et donnera à notre nouveau roi un titre canadien différent de celui de sa mère. Contrairement à la reine Élisabeth, le titre royal du roi Charles au Canada ne fera aucune référence au Royaume-Uni ni à son rôle de défenseur de la foi.

La section 32, qui traite du Fonds de croissance du Canada, m’intéresse beaucoup. Le Comité des finances nationales s’est penché sur le Fonds de croissance du Canada l’automne dernier, dans le cadre de la Loi de mise en œuvre de l’énoncé économique d’automne, le projet de loi C-32. De nombreuses questions qui étaient restées sans réponse à l’époque sont maintenant résolues. La grande nouveauté, c’est que le gouvernement a décidé de confier à l’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public la gestion des actifs du Fonds de croissance du Canada et de remplir le mandat du fonds, qui est d’attirer des capitaux privés dans l’économie propre du Canada.

La section 32 augmentera également le montant que le ministre des Finances peut prélever sur le Trésor pour acquérir des actions du Fonds de croissance du Canada, jusqu’à concurrence de 15 milliards de dollars au total. Il convient de mentionner que le fonds sera indépendant du gouvernement.

Le Fonds de croissance du Canada utilisera des instruments d’investissement qui absorbent certains risques afin de catalyser les investissements privés dans des projets, des technologies, des entreprises et des chaînes d’approvisionnement à faible émission en carbone. L’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public a été choisi pour que le Fonds de croissance du Canada puisse agir rapidement et commencer à investir à court terme.

En réponse à la question que je lui ai posée lors de sa comparution devant le Comité des finances nationales, la ministre des Finances a expliqué que pour fournir un financement concessionnel comme il se doit afin que la transition verte se fasse à la vitesse et à l’échelle nécessaire, il faut faire appel à des professionnels de l’investissement. Voici ce qu’elle a dit :

Ces professionnels possèdent une longue expérience dans le domaine et font ce genre d’opérations au quotidien. C’est pour cette raison que le gouvernement a confié ce mandat à l’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public, ou Investissements PSP, qui fait des investissements professionnels tous les jours.

La ministre a ajouté qu’en confiant cette responsabilité à Investissements PSP :

[...] les Canadiens et le gouvernement du Canada bénéficieront du travail d’investisseurs professionnels de calibre mondial qui feront fructifier notre argent.

En juin de l’année dernière, lorsque je suis intervenu au sujet du projet de loi C-19, le projet de loi d’exécution du budget de 2022, j’ai expliqué qu’il est nettement plus facile de répartir la richesse que d’attirer et de créer de la richesse. J’ai exhorté le gouvernement à présenter un plan pour remédier à la faiblesse de sa productivité et de sa croissance. Un an plus tard, j’estime que le Fonds de croissance du Canada, ainsi que la Corporation d’innovation du Canada, constituent des solutions partielles à ce problème.

Par ailleurs, je reconnais que le gouvernement fait ces investissements ciblés. S’ils sont bien gérés, ces milliards de dollars qui seront injectés dans l’économie canadienne pourraient vraiment stimuler la croissance, augmenter la productivité des entreprises, améliorer la compétitivité du Canada et l’aider à faire la transition vers une économie carboneutre. J’ose espérer que ces deux entités collaboreront avec l’ensemble des partenaires concernés pour assurer leur réussite.

Nous passons à la section 34. Je suis persuadé que la sénatrice Ringuette était ravie de la voir incluse dans le projet de loi d’exécution du budget. Cette section réduira le taux d’intérêt criminel d’un taux annuel effectif de 60 % à un taux annuel de 35 %. Grâce à cette réduction, les Canadiens qui utilisent des produits de crédit à coût élevé devront payer des frais d’intérêts moins élevés.

Voici ce que recommande le Comité sénatorial des affaires juridiques dans son rapport :

[d’]avoir un taux d’intérêt criminel clair et cohérent, fixé à un niveau raisonnable, afin de protéger les Canadiens contre les pratiques de prêt injustes ou problématiques [...]

... c’est de la plus haute importance, particulièrement parce que les personnes les plus marginalisées sur le plan économique recourent à ces prêteurs « [...] et risquent de rester piégées dans des cycles d’endettement ».

À la section 35, le gouvernement appuie les travailleurs saisonniers qui demandent des prestations d’assurance-emploi, en faisant un investissement d’approximativement 147 millions de dollars sur trois ans pour prolonger l’application des règles temporaires actuelles qui prévoient le versement de jusqu’à cinq semaines additionnelles de prestations régulières, jusqu’à concurrence de 45 semaines. Cette mesure qui s’applique dans 13 régions cibles est prolongée jusqu’au 26 octobre 2024.

Cette politique temporaire a initialement été introduite en 2018 et a été reconduite depuis. Les sénateurs qui siègent au Comité des affaires sociales attendent avec impatience l’élaboration d’une solution plus permanente. On prévoit qu’environ 60 000 travailleurs bénéficieront de cette prolongation.

La section 37 modifie la Loi sur la Société d’assurance-dépôts du Canada afin d’autoriser le ministre des Finances à augmenter la limite de protection de l’assurance-dépôts jusqu’au 30 avril 2024. Un pouvoir similaire a été accordé au ministre pendant la pandémie, mais n’a jamais été utilisé; toutefois, il est à nouveau demandé en raison des récents développements dans le secteur financier mondial.

Certains ont fait valoir que cette mesure envoie le message que notre secteur bancaire est instable. Soyez assurés, chers collègues, que nos banques sont saines et stables. Il ne s’agit que d’une mesure de précaution et d’un pouvoir temporaire, au cas où quelque chose se produirait.

Des fonctionnaires l’ont confirmé au Comité des banques :

Les banques canadiennes sont très bien réglementées, elles sont très résilientes et solides, mais il y a eu des perturbations aux États-Unis, et la ministre a pensé qu’il serait prudent de mettre en place une mesure temporaire.

Le gouvernement estime que cette mesure est nécessaire pour assurer la confiance des consommateurs dans le système bancaire. Selon moi, il est improbable que ce pouvoir soit utilisé.

La dernière section dont je souhaite parler est la section 39, qui propose d’établir un régime national uniforme relativement à l’utilisation, à la collecte, à la communication et à la conservation de renseignements personnels par les partis politiques fédéraux en modifiant la Loi électorale du Canada. Il convient de noter que les partis politiques ont déjà des politiques en matière de protection des renseignements personnels en place qui comprennent six éléments précis.

Dans son témoignage devant le Comité des affaires juridiques, le directeur général des élections a dit que ces nouvelles exigences amélioreront la transparence quant à la façon dont les partis politiques gèrent les renseignements personnels, mais que le projet de loi n’impose pas de normes minimales. Il ne prévoit pas, non plus, de mécanismes permettant de vérifier si les partis respectent leurs politiques et imposent des sanctions en cas de manquement.

Dans son rapport, le comité nous rappelle ceci : « L’amendement crée un cadre pour un futur régime potentiel. Il n’établit pas réellement un tel régime. »

Certains diront peut-être que cette section n’est pas assez rigoureuse, qu’elle ne va pas assez loin, que les choses ne vont pas assez vite. Je presse donc le gouvernement d’en faire une priorité sans plus tarder. Nos collègues auront peut-être quelque chose à ajouter là-dessus.

Honorables sénateurs, voici en gros quelques-unes des mesures que contient le projet de loi C-47. Comme je l’ai dit au début, le temps de parole limité ne me permet que d’effleurer le contenu du projet de loi. Je suis d’ailleurs content d’avoir seulement effleuré le sujet parce qu’il est assez épuisant de parler pendant 45 minutes. Vous êtes sûrement contents, vous aussi, que je n’aie pu aborder que la moitié des mesures prévues, mais vous avez sans doute lu les 430 pages du projet de loi et vous en savez certes assez pour voter en faveur du projet de loi C-47.

Avant de conclure, je voudrais faire deux remarques finales. Tout d’abord, comme vous le savez peut-être, le projet de loi a été amendé à l’autre endroit. Vous vous souviendrez que les deux principales dispositions du projet de loi C-46, que nous avons adopté le mois dernier, figuraient également dans le projet de loi C-47. Ces deux mesures — le transfert de 2 milliards de dollars aux provinces et aux territoires au titre de la santé et les 2,5 milliards de dollars pour l’augmentation ponctuelle du crédit pour la TPS, également connu sous le nom de remboursement pour l’épicerie — ont effectivement été retirées de la loi d’exécution du budget par le biais de dispositions de coordination.

En second lieu, je souhaite également faire part de ma déception, une fois de plus, quant à la nature et à la taille des projets de loi budgétaires. Je suis sûr que de nombreux sénateurs seront d’accord avec moi pour dire que les mesures non budgétaires ne devraient pas figurer dans les lois d’exécution du budget. En fait, dans leurs rapports d’étude préliminaire du projet de loi C-47, les comités ont exprimé des frustrations similaires.

Comme l’a écrit le Comité des transports et des communications :

En l’absence d’un lien clair avec la politique budgétaire du gouvernement, le comité espère qu’à l’avenir, un tel contenu [...]

 — c’est-à-dire les changements comme ceux inclus dans les sections 22 et 23 —

[ ...] fera l’objet d’un projet de loi distinct.

Le Comité des affaires juridiques est du même avis et a souligné que « les modifications aux lois criminelles devraient faire l’objet d’un projet de loi distinct afin d’en permettre une étude approfondie ».

Je comprends que c’est une pratique de longue date, et c’est un thème qui revient année après année, mais les projets de loi omnibus ne sont pas idéaux. Certaines mesures, comme la nouvelle loi visant à créer la Corporation d’innovation du Canada, les changements au processus de plaintes portées par les passagers aériens ou les modifications à la Loi sur la citoyenneté, mériteraient probablement leur propre projet de loi. Néanmoins, je pense tout de même que nos comités ont fait de l’excellent travail et qu’ils ont examiné comme il faut la teneur du projet de loi. Ils ont entendu les préoccupations de beaucoup d’intervenants concernés et ils ont reçu des dizaines de mémoires.

Je les remercie encore une fois de leur excellent travail.

En terminant, honorables sénateurs, le projet de loi C-47 est un bon projet de loi. En tant que sénateur indépendant n’ayant aucun lien avec le parti au pouvoir...

Le sénateur Loffreda [ - ]

... ce fut pour moi un honneur de parrainer le projet de loi au Sénat. Est-il parfait?

Le sénateur Loffreda [ - ]

Bien sûr qu’il ne l’est pas. Aucun projet de loi n’est parfait, à l’exception peut-être de celui que je parraine, le projet de loi S-259, qui porte sur le Mois du patrimoine hellénique. Celui-là est peut-être parfait. Je blague.

Je crois quand même que le gouvernement a présenté une série de modifications et de nouvelles mesures qui bénéficieront aux Canadiens et à de nombreux secteurs de notre économie. Elles indiqueront clairement que nous sommes sur la voie d’une croissance accrue, de meilleurs résultats économiques et de changements sociaux positifs.

J’invite humblement tous les sénateurs à voter en faveur du renvoi du projet de loi C-47 au Comité des finances nationales aujourd’hui afin que nous puissions en commencer l’étude article par article. Merci.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Je vois que deux sénateurs se sont levés pour poser des questions. Je vais commencer par le sénateur Gignac, puis ce sera au tour de la sénatrice Batters. Le sénateur Loffreda accepte-t-il de répondre à une question?

Le sénateur Loffreda [ - ]

Oui, avec plaisir.

L’honorable Clément Gignac [ - ]

Sénateur Loffreda, merci d’avoir accepté de répondre à la question. Félicitations pour le leadership que vous avez montré à titre de parrain de ce projet de loi.

J’ai appris que c’est compliqué de demander un amendement à un projet de loi, surtout quand on parle de la loi d’exécution du budget; c’est arrivé trois fois seulement depuis 2009. J’ai bien compris que je ne présenterai pas d’amendement à la loi d’exécution du budget.

Cependant, je voudrais vous interpeller sur les articles 114 à 116 du projet de loi. Vous avez fait référence au seuil de l’application de la TPS et au service de compensation des cartes de paiement. Pour les collègues qui nous écoutent, il faut bien comprendre que le gouvernement fédéral a perdu devant la Cour d’appel fédérale en janvier 2021, puisque, dans le fond, ces cartes de paiement ne sont pas imposables et sont considérées comme non taxables, puisque ce sont des services financiers. Or, le gouvernement prétend qu’il s’agit plutôt d’un service administratif.

Êtes-vous à l’aise avec une observation que l’on pourrait inclure à la fin de notre rapport et qui affirmerait que c’est totalement inacceptable que le gouvernement fédéral ait attendu 26 mois, après qu’il a perdu devant la cour d’appel, pour présenter une mesure dans le budget? Qui plus est, cette mesure est rétroactive et pourrait reculer jusqu’en 1991. Quel est votre degré de confort à cet égard, et accepteriez-vous au minimum que le comité présente une observation?

Le sénateur Loffreda [ - ]

Merci pour la question, sénateur Gignac. Comme vous le savez, nous siégeons tous les deux au comité et on y a discuté de ce point à maintes reprises. Le comité a reçu des représentants du ministère des Finances, qui nous ont expliqué que cette mesure ne devrait pas être une surprise pour les banques et que la rétroactivité était quelque chose de raisonnable, à leur avis. Selon eux, c’est tout à fait raisonnable, parce que c’est une chose à laquelle les banques devraient s’attendre, parce que cela n’avait jamais été acceptable comme tel. Je fais tout à fait confiance à notre ministère des Finances et à notre Comité des finances nationales. J’accepte que nous ajoutions une observation, parce que c’est une observation comme telle.

Présenter une mesure législative 26 mois après une décision de la cour représente un délai qui devrait être jugé inacceptable. Agir de façon rétroactive est préoccupant. L’indépendance de notre système judiciaire est aussi préoccupante. J’ai confiance que les représentants du ministère des Finances qui ont comparu devant nous et qui nous ont expliqué que cela ne devrait pas surprendre les banques et qu’on leur avait dit que ce n’était pas permis. Il s’agit d’une manne de 195 millions de dollars pour les banques. Je crois qu’une observation minutieuse sera la bienvenue. Je crois qu’il y aura une discussion avec le gouvernement à ce sujet. J’ai hâte de voir votre observation.

Merci de votre question, sénateur Gignac.

L’honorable Denise Batters [ - ]

Sénateur Loffreda, vous avez mentionné au passage dans votre intervention qu’il y a une leçon à tirer de l’expérience de la Banque de l’infrastructure du Canada, car celle-ci a mis du temps à prendre son envol.

Selon ce que j’ai entendu dire, la Banque de l’infrastructure a déjà dépensé 35 milliards de dollars, mais aucun projet n’a encore été mené à terme. Savez-vous si c’est exact?

Le sénateur Loffreda [ - ]

J’ai dit que, dans le cas de la loi d’exécution du budget, il faut éviter de répéter les erreurs qui ont été commises dans le dossier de la Banque de l’infrastructure. Or, comme vous le savez, la banque n’est pas visée par la loi d’exécution du budget. Ce n’est pas toujours aisé de démarrer ce type société. Les débuts ne sont jamais faciles. Il faut beaucoup d’efforts et de ressources et il faut que les bonnes personnes occupent les bons postes. Je suis convaincu que ce sera le cas pour la Corporation d’innovation du Canada. Dans le dossier du Fonds de croissance du Canada, les bonnes mesures ont été prises et on sait que ce fonds sera utile pour l’économie.

Pour revenir à la Banque de l’infrastructure, je ne crois pas que ce soit pertinent dans le cadre de l’étude actuelle, mais vous pourriez poser la question au gouvernement pendant la période des questions, et il pourra vous transmettre les données à jour. Je suis certain qu’elles existent. De mon côté, je préfère m’en tenir à la loi d’exécution du budget, et tous les éléments du budget n’ont pas nécessairement de lien avec celle-ci. Je suis disposé à répondre aux questions de nature économique s’il y en a, mais je laisserai le gouvernement répondre à celles sur la Banque de l’infrastructure.

L’honorable Pamela Wallin [ - ]

Je voulais poursuivre, sénateur Loffreda, sur le droit pour la sécurité des passagers du transport aérien, c’est-à-dire le supplément imposé aux passagers, qui augmente de 33 %. Ce droit est payé exclusivement par les passagers. Vous avez dit qu’il générerait 1,25 milliard de dollars par année. Cet argent est censé être recyclé dans le système pour la sécurité et les améliorations, mais on me dit qu’il aboutit dans les coffres de l’État pour des dépenses liées à un large éventail de domaines. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Il s’agit encore une fois d’un cas où, parce qu’il s’agit d’un projet de loi distinct, nous n’avons pas eu le temps de l’examiner.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Sénateur Loffreda, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?

Le sénateur Loffreda [ - ]

Oui.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Le sénateur Loffreda [ - ]

Merci de votre question, sénatrice Wallin. Les comités du Sénat se sont penchés sur cette question. Je pense qu’à peu près tout cet argent aboutit dans les coffres de l’État, mais je vous donnerai une réponse plus précise à ce sujet, ainsi qu’au comité qui a examiné cette partie du projet de loi.

La sénatrice Batters [ - ]

J’ai remarqué que vous avez effleuré le fait que le Comité des affaires juridiques, dans son rapport, a fait des observations sérieuses indiquant à quel point nous trouvions inquiétant que des articles clés du droit pénal aient été inclus dans un projet de loi d’exécution du budget de 430 pages plutôt que dans des projets de loi distincts. Il s’agit notamment de certains des articles dont vous avez parlé.

Vous n’avez pas parlé de l’article sur les actifs numériques qui traite des modifications du Code criminel. Le Comité des affaires juridiques n’a même pas eu le temps d’entendre des témoignages à ce sujet. Ne conviendriez-vous pas que c’est préoccupant et que ce type de modifications du droit pénal devrait faire l’objet de projets de loi distincts plutôt que d’un projet de loi d’exécution du budget de 430 pages?

Le sénateur Loffreda [ - ]

Merci. Comme je l’ai dit, aucun projet de loi n’est parfait. Il est maintenant pratique courante de présenter des projets de loi omnibus. Certes, je pense que certaines mesures devraient être présentées dans des projets de loi distincts. J’ai donné quelques exemples des mesures qui auraient pu être étudiées séparément. Les modifications dont vous avez parlé auraient peut-être dû l’être. Comme je l’ai dit, aucun projet de loi n’est parfait, mais il s’agit d’un bon projet de loi. Il permettra de soutenir les Canadiens et contribuera à renforcer l’économie. Je vous remercie de la question.

L’honorable Elizabeth Marshall [ - ]

Honorables sénateurs, je prends moi aussi la parole au sujet du projet de loi C-47, la loi d’exécution du budget. Je remercie le sénateur Loffreda d’avoir présenté ses observations et d’avoir passé en revue le projet de loi, ce que je n’aurai pas à faire maintenant. Je peux parler de l’économie, de l’état des finances publiques et de la situation des Canadiens.

Les Canadiens font face à de nombreux défis en cette période difficile. L’inflation a augmenté, ce qui a fait grimper le coût de la vie. Alors que l’inflation a commencé à reculer après avoir atteint un pic à 8,1 % en juin 2022 pour s’établir à 4,3 % en mars de cette année, il a rebondi en avril pour atteindre 4,4 %. Ce changement ne signifie pas que les prix sont à la baisse : l’augmentation des prix a tout simplement ralenti. Cependant, le prix des aliments demeure élevé, ce qui touche tous les Canadiens. En fait, l’inflation du coût des aliments demeure élevée, à un taux de 8,3 % en avril de cette année.

Pour composer avec la hausse du coût de la vie, bien des Canadiens ont réduit leur consommation d’aliments. Ils ont modifié leurs habitudes alimentaires et celles de leur famille. Certains Canadiens utilisent leur carte de crédit pour s’acheter de la nourriture. À une réunion récente du Comité des finances de la Chambre des communes, le PDG de la plus grande banque alimentaire du Canada, située à Toronto, a dit que son organisme recevait environ 60 000 visites chaque mois avant la pandémie. Pendant la pandémie, ce nombre a atteint 120 000 visites par mois, puis 270 000 visites en mars dernier.

Deuxième récolte, le service national qui récupère le surplus d’aliments comestibles que les entreprises ne peuvent pas utiliser et les distribue par l’entremise d’un réseau aux personnes qui en ont besoin, a mené un sondage auprès de 1 300 organismes à but non lucratif en décembre 2022 pour mieux comprendre la manière dont l’aide alimentaire est susceptible de changer en 2023. Les résultats du sondage indiquent que 2 millions de personnes par mois utilisaient ces services au Canada avant la pandémie. Ce chiffre est passé à 5 millions de personnes en 2022, et on s’attend à ce que 8 millions de personnes fassent appel à ces organismes en 2023, ce qui représente 20 % de la population du Canada. Autrement dit, un Canadien sur cinq aura probablement recours aux banques alimentaires ou à d’autres programmes d’aide alimentaire cette année. C’est certainement une statistique peu réjouissante.

Le gouvernement pense que l’économie se porte bien. S’il veut vraiment connaître l’état de l’économie, il devrait parler à quelques-uns des millions de Canadiens qui font la queue dans les banques alimentaires.

Les loyers ont également augmenté considérablement dans la plupart des villes et municipalités d’un bout à l’autre du pays. Selon un article de La Presse canadienne publié en avril, le prix des loyers au Canada a augmenté de plus de 10 % entre mars de l’année dernière et mars de cette année. Le prix moyen d’un loyer se situe à plus de 2 000 $. C’est à Vancouver qu’il faut payer le plus cher pour se loger : un appartement d’une seule chambre à coucher s’élève à 2 743 $, ce qui représente une augmentation de 17 % par rapport à l’an dernier. Il en coûte un peu moins cher pour se loger à Toronto, où un appartement d’une chambre à coucher se situe à 2 506 $, ce qui représente une augmentation de 19 % par rapport à l’an dernier. Selon le recensement de 2021, près de 5 millions de ménages canadiens louent leur logement. Par conséquent, l’augmentation des coûts de location des logements touche une partie importante de la population canadienne.

Afin d’atténuer les répercussions de la hausse du coût de l’épicerie et du loyer, le gouvernement accorde une aide financière. Par exemple, le projet de loi C-46 a fourni une aide financière à certaines familles pour les aider à payer l’épicerie fondée sur le programme de remboursement de la TPS. Toutefois, comme l’a dit le président-directeur général de la banque alimentaire Daily Bread Food Bank lors d’une récente réunion du Comité des finances de la Chambre des communes : « La prestation est certes utile, mais [...] ne réduira pas les files d’attente à l’extérieur des banques alimentaires au Canada. »

De son côté, la présidente-directrice générale de la banque alimentaire Mississauga Food Bank a dit : « Tout l’argent qui va dans les poches des personnes pauvres est bienvenu [...], mais ce remboursement ne changera pas grand-chose au bout de la semaine ou du mois où il sera reçu. »

Le remboursement pour l’épicerie est fondé sur le remboursement de la TPS. Cette aide a été fournie à 11 millions de bénéficiaires considérés par le gouvernement comme ayant des revenus faibles ou modestes. Autrement dit, 30 % de la population a reçu une aide financière pour acheter de la nourriture. Cela s’ajoute à l’aide fournie par les banques alimentaires.

Le projet de loi C-31, adopté l’année dernière, a permis aux locataires répondant aux critères du programme de recevoir 500 $. Le gouvernement avait estimé que 1,8 million de locataires seraient admissibles au programme et qu’il coûterait, au total, 1,2 milliard de dollars. Soulignons que près de 5 millions de ménages sont locataires et que 36 % des locataires ont reçu une aide financière dans le cadre de ce programme, une autre statistique qui donne à réfléchir.

Lorsque le sous-ministre délégué des Finances a comparu devant le Comité des finances nationales, je lui ai demandé comment le gouvernement savait que le remboursement de TPS destiné à l’épicerie serait réellement versé aux personnes qui en avaient le plus besoin. On pourrait se poser la même question au sujet de l’allocation pour le logement et de tous les programmes d’aide financière destinés à certains segments de la population canadienne. Étant donné la myriade de programmes d’aide financière conçus pour aider les Canadiens à payer leurs frais de subsistance et d’autres dépenses, le gouvernement doit évaluer ces programmes pour s’assurer que l’argent sert réellement à aider ceux qui en ont le plus besoin.

Pour tenter de maîtriser l’inflation, la Banque du Canada a commencé à augmenter les taux d’intérêt en mars 2022, ce qui a créé de nouveaux problèmes. Au cours de la dernière année, la Banque du Canada a fait passer son taux d’intérêt de référence de 0,25 % à 4,75 %, soit le taux le plus élevé depuis 2001, il y a de cela une génération. Les Canadiens étant très endettés, cette hausse a eu une incidence considérable sur leur hypothèque et les autres dettes des ménages. Contrairement aux Canadiens qui sont locataires, les détenteurs d’une hypothèque ne reçoivent aucune aide financière du gouvernement. Le coût des prêts hypothécaires a beaucoup augmenté. En effet, Statistique Canada a rapporté que les frais d’intérêts hypothécaires ont augmenté de 26 %.

De nombreux Canadiens ayant contracté des prêts hypothécaires éprouvent de plus en plus de difficultés à en payer les coûts croissants. Nombreux sont ceux qui prolongent la durée de leurs prêts, tandis que d’autres ajoutent des frais d’intérêt au solde de leur hypothèque.

Dans ses résultats financiers du quatrième trimestre publié le 4 mai dernier, la Société canadienne d’hypothèques et de logement a indiqué qu’une part croissante de son programme d’assurance hypothécaire couvre des maisons dont la valeur est proche de « plonger » ou a déjà « plongé »; la récente baisse des prix de l’immobilier entraînant une érosion des capitaux propres des emprunteurs. On dit que la valeur d’une maison plonge lorsqu’elle est inférieure à l’hypothèque en cours, de sorte que la valeur du prêt hypothécaire est supérieure à celle de la maison. Au quatrième trimestre de l’année dernière, 2,3 milliards de dollars de prêts hypothécaires garantis par la Société canadienne d’hypothèques et de logement, soit 1,2 % de son portefeuille, présentaient un rapport prêt-valeur supérieur à 95 %. Cette année, ce chiffre est passé à 10 milliards de dollars, soit 5,8 % du portefeuille de la Société canadienne d’hypothèques et de logement.

C’est une donnée révélatrice du stress financier que subissent les Canadiens, mais c’est aussi préoccupant parce que le gouvernement cautionne l’assurance de ces prêts hypothécaires. Les deux institutions du secteur privé qui fournissent également une assurance hypothécaire affichent des résultats similaires. La Société d’assurance hypothécaire Canada Garanty a indiqué que 5 % de ses prêts hypothécaires assurés, soit près de 4 milliards de dollars, sont des prêts hypothécaires qui dépassent la valeur de la maison. Il faut comparer ce chiffre avec les 532 millions de dollars de l’année dernière, qui représentaient moins de 1 % du portefeuille de cette société.

Selon Sagen MI Canada Inc., 10 % de ses prêts hypothécaires assurés, d’une valeur de 14 milliards de dollars, excèdent la valeur de la propriété grevée de l’hypothèque. Il s’agit d’une hausse par rapport à l’an dernier, où 5 % de ses prêts hypothécaires assurés, d’une valeur de 7 milliards de dollars, excédaient la valeur de la propriété grevée de l’hypothèque. Donc, en un an, cela a doublé.

La hausse des taux d’intérêt n’est pas terminée. La semaine dernière, la Banque du Canada a fait passer le taux directeur de 4,5 % à 4,75 %, en précisant que d’autres hausses sont à prévoir. Le rapport du mois dernier concernant l’inflation laisse croire que l’inflation est peut-être en train d’accélérer de nouveau, ce qui exacerbera les pressions exercées sur l’économie et sur les Canadiens.

L’automne dernier, le gouverneur actuel de la Banque du Canada, Tiff Macklem, ainsi que son prédécesseur, Mark Carney, ont dit au Comité sénatorial des banques que l’inflation au Canada est le résultat de facteurs propres au Canada et reflète ce qui se passe au Canada.

Dans une récente entrevue qu’il a accordée au Hill Times, Ian Lee, professeur de commerce à l’Université Carleton, a déclaré que la Banque du Canada refroidit l’économie en haussant le taux directeur alors que, de son côté, le gouvernement injecte de l’argent dans l’économie. Selon lui, même si le gouvernement nie qu’il stimule ainsi l’économie, tout déficit constitue un stimulant. L’économiste Don Drummond, ancien sous-ministre adjoint des Finances et économiste en chef de la Banque TD, est d’accord pour dire que les dépenses du gouvernement qui causent un déficit sont absolument à l’origine de cette hausse de l’inflation.

Il y a plusieurs mois, le gouvernement a dit aux Canadiens que les taux d’intérêt commenceraient à redescendre l’été venu. Il a ensuite été question de décembre, puis du printemps. Or, les taux d’intérêt sont plus élevés que jamais et ils pourraient le rester encore longtemps.

Le mois dernier, la Banque du Canada a publié sa Revue du système financier, dans laquelle elle affirme que les taux d’intérêt élevés font ressortir les vulnérabilités du système financier mondial. Même si, à son avis, les banques canadiennes demeurent robustes, elles ne sont pas à l’abri de ce qui se passe ailleurs dans le monde. La banque conclut qu’elle « s’inquiète plus que l’an passé de la capacité des ménages d’assurer le service de leur dette ». Elle ajoute ceci :

On s’attend à ce que davantage de ménages subissent des pressions financières dans les prochaines années, à mesure qu’ils renouvelleront leurs prêts hypothécaires. De plus, la baisse des prix des logements a réduit l’avoir propre foncier des propriétaires, et on commence à voir apparaître des signes de stress financier, particulièrement chez les acheteurs récents.

Dans sa revue, la Banque du Canada prévoit ceci :

La part des ménages touchés par l’augmentation des taux d’intérêt continuera de progresser au cours des prochaines années à mesure que les emprunteurs renouvelleront leurs prêts hypothécaires.

Depuis le début de l’année, le tiers des prêts hypothécaires ont connu une majoration des versements, mais d’ici trois ans, ce sera le cas de la quasi-totalité d’entre eux.

De plus, les acheteurs de logement ont davantage recours aux cartes de crédit pour financer leur dette. On peut aussi lire ceci dans la Revue du système financier de la Banque du Canada :

Un gros choc négatif, comme une grave récession mondiale accompagnée d’un taux de chômage élevé qui ferait baisser davantage les prix des logements, pourrait avoir pour effet d’accroître les défauts de paiement des ménages. Des défauts de paiement à grande échelle sur des prêts hypothécaires non assurés associés à une situation d’avoir propre foncier négatif pourraient se solder par des pertes de crédit substantielles pour les prêteurs canadiens.

Cela comprend les institutions bancaires canadiennes.

La Banque du Canada affirme que la part de ménages endettés, toutes catégories de cotes de crédit confondues, qui ont au moins 60 jours de retard sur leurs paiements est en deçà de la moyenne prépandémique, mais qu’elle augmente depuis la mi-2022. Le gouverneur de la Banque du Canada a récemment dit que personne ne devait s’attendre à ce que les taux d’intérêt redeviennent aussi bas qu’ils l’étaient au cours de la dernière décennie. Il ne faut pas s’attendre à revoir les taux d’intérêt être près de zéro comme c’était le cas dans les deux premières années de la pandémie de COVID-19 ou dans les années qui ont suivi la crise financière. Les taux d’intérêt seront plus élevés que ce à quoi les gens se sont habitués, et la transition amène certains risques.

À 4,75 %, le taux directeur de la banque centrale n’a jamais été aussi élevé depuis 2001. En fait, le niveau d’endettement des ménages du Canada est le plus élevé du G7. La Société canadienne d’hypothèques et de logement nous a récemment indiqué que l’endettement des ménages au Canada avait augmenté de manière considérable, en raison de la hausse des prix de l’immobilier. Les prêts hypothécaires représentent actuellement environ trois quarts de la dette des ménages au Canada. La dette des ménages canadiens représentait 80 % de l’ensemble de l’économie canadienne pendant la récession de 2008. Elle est passée à 95 % en 2020 et, en 2021, elle a dépassé la taille de l’ensemble de l’économie canadienne. Contrairement aux autres pays du G7, la dette des ménages aux États-Unis est passée de 100 % du PIB en 2008 à 75 % en 2021. La dette des ménages a également diminué au Royaume-Uni et en Allemagne, et est restée pratiquement inchangée en Italie, alors qu’elle continue d’augmenter au Canada.

En cas de récession ou d’autre choc économique négatif, il pourrait s’avérer difficile, voire impossible, pour les débiteurs de rembourser leurs dettes.

L’économiste en chef adjoint de la Société canadienne d’hypothèques et de logement a également déclaré que la société d’État perçoit déjà des signes avant-coureurs indiquant que de plus en plus de consommateurs éprouvent des difficultés financières. Un rapport récent d’Économique RBC indique qu’une récession imminente et un taux de chômage qui devrait atteindre 6,6 % au début de 2024 sont susceptibles de « faire basculer un plus grand nombre de Canadiens dans le défaut de paiement et l’insolvabilité ». Le rapport ajoute qu’avec la fin des mesures de soutien du gouvernement liées à la pandémie et la montée en flèche du coût de la vie, les défauts de paiement des prêts hypothécaires pourraient augmenter de plus d’un tiers par rapport aux niveaux actuels au cours de l’année à venir.

Les économistes de Desjardins Marché des capitaux ont publié un rapport le mois dernier avertissant que les taux d’intérêt élevés pourraient infliger encore beaucoup plus de dégâts au marché hypothécaire et au marché du logement. Ils ont qualifié la dette hypothécaire du Canada de « bombe à retardement ». Le rapport indique que les difficultés des détenteurs de prêts hypothécaires n’en sont qu’à leurs débuts. La majorité des hypothèques prises pendant la pandémie de COVID-19 — alors que les taux étaient bas et le prix des maisons élevé — seront renouvelées en 2025 et en 2026. Si les taux d’intérêt demeurent élevés, bon nombre de ménages devront faire face à une hausse considérable de leurs paiements hypothécaires.

Les Canadiens ne sont pas les seuls à devoir payer davantage en intérêts. Le gouvernement doit assumer une dette considérable de plus de 1,6 billion de dollars. La hausse des taux d’intérêt et l’augmentation des emprunts font croître le coût du service de la dette pour le gouvernement.

De 2013 à 2022, le coût du service de la dette pour le gouvernement se situait entre 20 et 25 milliards de dollars par année. Cependant, étant donné que le gouvernement a emprunté plus d’argent et que les taux d’intérêt ont commencé à augmenter, les frais de la dette publique ont aussi augmenté. Pour l’exercice qui vient de se terminer, au mois de mars, les frais de la dette publique s’élevaient à 34,5 milliards de dollars. Le gouvernement s’attend à ce que ces frais augmentent pour l’exercice en cours, passant de 34,5 à 43,9 milliards de dollars, et à ce qu’ils continuent d’augmenter d’année en année par la suite. Selon le document budgétaire, on estime que, d’ici 2027-2028, le gouvernement devra payer environ 50 milliards de dollars pour le service de la dette.

Cependant, dans la foulée de l’augmentation du taux directeur de la Banque du Canada la semaine dernière, le coût du service de la dette va également augmenter. Lorsque la ministre des Finances a comparu devant le Comité sénatorial permanent des finances nationales la semaine dernière, je lui ai demandé de combien augmenterait le coût du service de la dette dans la foulée de l’augmentation du taux d’escompte. Elle n’a pas voulu le dire. Elle a plutôt répondu que le gouvernement tiendrait régulièrement les Canadiens au courant de l’évolution de la situation économique, et qu’il le ferait certainement dans sa mise à jour économique de l’automne, en décembre. Je pense que la ministre craignait de nous faire peur avec ces nouveaux chiffres.

Le coût du service de la dette est maintenant l’un des postes les plus élevés du gouvernement. En effet, il dépasse le coût du programme de péréquation, le coût du ministère de la Défense nationale, le coût du nouveau programme de services de garde d’enfants, et se rapproche du montant du Transfert canadien en matière de santé. En fait, si le gouvernement n’avait pas à assumer le service de la dette, il dégagerait un excédent de 3,8 milliards de dollars cette année.

Quelle est la fiabilité des prévisions du gouvernement concernant le coût du service de la dette? En décembre 2020, dans sa mise à jour économique de l’automne, le gouvernement estimait que le coût du service de la dette s’élèverait à un peu plus de 25 milliards de dollars pour l’exercice actuel.

Or, 30 mois plus tard, ce montant s’élève à 43,9 milliards de dollars, soit au moins 70 % de plus que ce que le gouvernement estimait il y a à peine 30 mois, et il continue d’augmenter.

Maintenant que la Banque du Canada a haussé le taux d’intérêt de référence, la semaine dernière, nous savons que le coût du service de la dette dépassera les 43,9 milliards de dollars indiqués dans le budget. Nombre d’analystes et d’économistes s’attendent à ce que la Banque du Canada hausse de nouveau le taux d’intérêt de référence en juillet ou en septembre, ou même pendant ces deux mois.

Dans le budget de 2023, le gouvernement justifie la hausse des coûts du service de la dette en expliquant que, selon les prévisions, ces coûts devraient augmenter pour atteindre 1,6 % du PIB jusqu’en 2024-2025, pour ensuite tomber à 1,5 % du PIB pour le reste de la période de projection ou, comme le gouvernement le dit dans son budget, à « un niveau qui est faible d’un point de vue historique », mais c’est faux.

Les frais de la dette publique correspondaient à 0,9 % du PIB en 2021, à 1 % du PIB en 2021-2022, et à 1,2 % du PIB en 2022-2023, et ils ont grimpé à 1,6 % cette année.

Il existe d’autres façons de mesurer les frais de la dette publique. Par exemple, dans un article publié par le Forum des politiques publiques, David Dodge, ancien gouverneur de la Banque du Canada, propose de ne plus se fonder sur le ratio de la dette par rapport au PIB pour mesurer les frais de la dette publique, et d’adopter plutôt une approche fondée sur les recettes selon laquelle les coûts gérables du service de la dette ne devraient pas dépasser 10 % des recettes gouvernementales annuelles.

Cependant, les coûts du service de la dette en pourcentage des recettes augmentent également. Il y a deux ans, ils représentaient 5,9 % des recettes. Cette année, ils seront de 9,6 %. Ce chiffre est tout juste inférieur à la limite de 10 % préconisée par l’ancien gouverneur de la Banque du Canada. En fait, le directeur parlementaire du budget, dans les Perspectives économiques et financières qu’il a publiées le 23 mars, calcule les coûts du service de la dette en pourcentage des recettes fiscales et non de l’ensemble des recettes, auquel cas ils s’élèveraient cette année à 11,5 % — bien plus que les 10 % préconisés par M. Dodge.

Quelle confiance pouvons-nous accorder aux projections du gouvernement concernant les coûts du service de la dette, alors que les projections antérieures ont été si erronées et si loin du compte?

Quoi qu’il en soit, les coûts du service de la dette en pourcentage des recettes sont également sur une trajectoire ascendante. Les coûts du service de la dette augmentent de manière importante, quelle que soit la manière dont on les mesure. Les parlementaires, les Canadiens et, oui, même le gouvernement du Canada devraient s’en préoccuper.

Honorables sénateurs, comme je l’ai déjà mentionné, les Canadiens sont les plus endettés des pays du G20, et la dette des ménages au Canada est la plus élevée du G7. Cependant, les Canadiens ne sont pas les seuls à avoir un fort endettement. Notre propre gouvernement a également augmenté notre dette de manière significative depuis 2015.

En 2015, la dette du gouvernement s’élevait à 665 milliards de dollars. Le budget de cette année indique que le gouvernement devra emprunter 63 milliards de dollars, ce qui portera la dette de cette année à 1 319 milliards de dollars. Comparons ce montant aux 665 milliards de dollars de 2015. C’est presque le double. Enfin, c’est 98,3 %. Voilà qui explique l’augmentation des coûts du service de la dette. C’est le résultat combiné de l’augmentation de la dette et de la hausse des taux d’intérêt.

Le plafond actuel de la dette du gouvernement est de 1,831 billion de dollars, et il a été relevé par rapport au plafond initial par l’entremise du projet de loi C-14 en décembre 2021. De nombreux parlementaires ainsi que d’autres personnes se sont alarmés de cette augmentation majeure. Toutefois, la ministre a tenté de nous rassurer en disant que le montant de 1,831 billion de dollars constitue la limite maximale. Cela ne signifie pas que le gouvernement contractera ces emprunts. Toutefois, le gouvernement se rapproche du plafond.

Le plafond de la dette de 1,831 billion de dollars comprend non seulement les emprunts du gouvernement, mais aussi la dette des sociétés d’État. Le directeur parlementaire du budget estime que le total des emprunts devrait s’élever à 1,622 billion de dollars d’ici la fin de l’année. Étant donné que le gouvernement en place n’a jamais remboursé aucune de ses dettes, il s’agit de l’héritage que nous laissons à nos enfants et à nos petits-enfants. Autrement dit, nous leur disons qu’à l’avenir, ils devront payer pour les programmes gouvernementaux dont nous profitons aujourd’hui.

Honorables sénateurs, je voudrais parler du document sur le budget de 2023, parce qu’il appuie le projet de loi C-47 et que les projections financières sont décrites dans ce document.

Le document qui appuie le projet de loi C-47 est cité en référence; il compte 255 pages. Il définit les nouvelles initiatives que le gouvernement a l’intention d’entreprendre et il fournit l’information relative aux coûts des deux nouvelles initiatives, ainsi que des détails sur les projections économiques et financières. Il comprend également la stratégie de gestion de la dette du gouvernement et un résumé des mesures législatives figurant dans le projet de loi C-47.

En 2015, le gouvernement a promis des déficits modestes pendant trois ans, suivis d’un budget équilibré. Plus précisément, il a promis un déficit de 10 milliards de dollars pour 2016-2017, suivi d’un déficit de moins de 10 milliards de dollars en 2018 et d’un plan pour équilibrer le budget en 2019. Il a également promis de réduire à 27 % le ratio de la dette fédérale au PIB.

Depuis 2015, nous avons connu des déficits chaque année. Pour l’année qui vient de s’achever en mars, le gouvernement estime un déficit de 43 milliards de dollars, suivi d’un déficit de 40 milliards de dollars cette année, en 2023-2024, puis d’un déficit de 35 milliards de dollars l’année prochaine, d’un déficit de 27 milliards de dollars l’année suivante, puis d’un déficit de 16 milliards de dollars et d’un déficit de 14 milliards de dollars. Autrement dit, tel qu’il est présenté dans le document budgétaire, le déficit est censé diminuer chaque année.

Il n’y a cependant pas de budget équilibré dans notre avenir. Aucun budget équilibré ne figure dans ce document budgétaire.

Quand le gouvernement a publié l’énoncé économique de l’automne en novembre dernier, il prévoyait un excédent budgétaire de 4,5 milliards de dollars pour l’exercice 2027-2028. Cependant, lorsque le budget de 2023 a été présenté en avril, à peine quatre mois plus tard, l’excédent s’était évaporé pour faire place à un déficit de 14 milliards de dollars. Force est de constater que les projections financières du gouvernement tendent à se détériorer au fil du temps.

À titre d’exemple, dans l’énoncé économique de l’automne présenté en novembre, le gouvernement estimait que le déficit pour l’exercice qui vient de se terminer serait de 36 milliards de dollars. Toutefois, en mars, à peine quatre mois plus tard, le déficit de 36 milliards de dollars avait grimpé à 43 milliards de dollars. Puis, toujours dans l’énoncé économique de novembre, le gouvernement estimait que le déficit pour l’exercice en cours serait de 30 milliards de dollars. Maintenant, à peine quatre mois plus tard, ce déficit a grimpé à 40 milliards de dollars, et l’année n’est pas encore terminée. Bref, les chiffres qui figurent dans le présent budget vont dans une seule direction : vers le haut. Et cette tendance se maintient pour les exercices à venir. Les déficits prévus pour chaque exercice augmenteront au fil du temps.

Le déficit total estimé pour la période de six ans entre 2022 et 2028 est plus élevé de 69 milliards de dollars dans le budget que dans l’énoncé économique de l’automne, publié il y a quatre mois à peine.

Le budget de 2023 met également en évidence un autre problème, soit le fait que trois dépenses importantes dans l’exercice en cours sont inscrites dans les comptes de l’année dernière, dont le déficit passe ainsi de 35,5 milliards de dollars à 43 milliards de dollars. Il s’agit d’une augmentation de 7,5 milliards de dollars. Deux de ces dépenses étaient incluses dans le projet de loi C-46 — le sénateur Loffreda en a déjà parlé — et la troisième est l’entente de règlement du recours collectif de la bande de Gottfriedson d’une valeur de 2,8 milliards de dollars, qui est incluse dans le Budget principal des dépenses de cette année, mais qui n’a pas encore reçu l’approbation du Parlement.

Pourquoi le gouvernement a-t-il décidé d’inscrire ces dépenses dans les comptes de l’année dernière? Pourquoi les autres dépenses ne sont-elles pas incluses? Par exemple, il conviendrait peut-être d’inscrire une partie du coût des avions de chasse F-35 dans les comptes de l’année dernière ou une partie du règlement salarial conclu avec le syndicat. En tant qu’ancienne vérificatrice, il me semble que le gouvernement essaie de maintenir chaque déficit annuel dans une certaine fourchette et de ne pas faire fluctuer les déficits de manière considérable d’une année à l’autre. Si vous examinez le budget de 2023, vous constaterez que les déficits prévus pour les prochaines années — selon le budget de 2023 — diminuent nettement chaque année.

Je voudrais également aborder la question des projets de loi omnibus. Le sénateur Loffreda en a parlé. En fait, avant de devenir premier ministre, Justin Trudeau a déclaré que les « projets de loi omnibus [empêchent] les parlementaires d’étudier [les] propositions et d’en débattre convenablement ». Il a ajouté : « Nous mettrons un terme à cette pratique antidémocratique [...] » Nous voici donc avec un projet de loi omnibus, le projet de loi C-47, qui compte 430 pages et qui modifie ou ajoute 51 lois du Parlement, y compris un certain nombre de modifications à la Loi de l’impôt sur le revenu, qui est déjà complexe, et deux nouvelles lois — l’une créant la Corporation d’innovation du Canada et l’autre créant le Régime canadien de soins dentaires.

Le sénateur Loffreda a mentionné les rapports des comités sur le projet de loi C-47 dans ses remarques, mais je ne pense pas qu’il leur ait rendu justice. En effet, dans leurs rapports, un certain nombre de comités ont exprimé des préoccupations au sujet du projet de loi omnibus et du manque de temps accordé pour en examiner la teneur. J’encourage mes collègues du Sénat à lire les rapports des comités, car j’ai été vraiment frappée par le ton de leurs remarques. Elles étaient plutôt négatives et presque désobligeantes à l’égard du gouvernement. Les comités se sont inquiétés du fait que de nombreuses modifications n’étaient pas liées au budget et que beaucoup d’entre elles auraient dû faire l’objet de projets de loi distincts afin de pouvoir être étudiées convenablement.

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles s’est plaint de ne pas avoir eu suffisamment de temps ou d’occasions pour analyser les dispositions du projet de loi renvoyées au comité et l’impact de ses amendements. Il a ajouté que cela ne rend pas service au processus législatif et que c’est particulièrement préoccupant en ce qui concerne les amendements au Code criminel et à la Loi électorale du Canada qui auraient dû faire l’objet de projets de loi distincts.

Le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles s’est dit insatisfait des réponses données par les représentants d’Environnement et Changement climatique Canada concernant les modifications proposées à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement.

Dans son rapport, le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie déclare rester préoccupé par le fait que le gouvernement fédéral choisisse d’apporter des changements de fond au droit canadien dans un projet de loi d’exécution du budget, ce qui signifie que le comité ne dispose pas de suffisamment de temps pour examiner adéquatement le projet de loi et entendre les préoccupations des intervenants.

Enfin, le Comité sénatorial permanent des transports et des communications reconnaît que le libellé de la section 22 et de la section 23 de la partie 4 du projet de loi C-47 est très complexe. En l’absence d’un lien clair avec la politique budgétaire du gouvernement, le comité dit espérer qu’à l’avenir, un tel contenu fera l’objet d’un projet de loi distinct.

Je crois qu’il serait vraiment bénéfique que tous les sénateurs lisent ces rapports.

Je regarde l’horloge et je crois que je risque de manquer de temps.

En examinant le budget de plus près, on s’aperçoit que les 5,3 milliards de dollars affectés au coût de la nouvelle initiative budgétaire représentent en réalité le coût net de cette dernière. Le véritable coût de cette initiative est de 10,9 milliards de dollars. De nombreux chiffres qui figurent dans le budget n’ont pas de référence précise. Il est donc difficile de savoir à quoi ils correspondent. On a réduit le coût de la mesure budgétaire en procédant à un certain nombre d’ajustements. L’un d’entre eux, d’un montant de 3,4 milliards de dollars, est décrit comme le recentrage de dépenses gouvernementales. Ensuite, on trouve un ajustement de 665 millions de dollars, décrit comme des fonds affectés précédemment dans le cadre financier. Enfin, on trouve un montant de 500 millions de dollars d’économies sur les services de consultants et les frais de déplacement.

Sur ces 665 millions de dollars, 561 millions concernent le ministère de la Défense nationale. J’ai demandé où se trouvaient ces fonds dans le cadre financier. Impossible de le savoir. J’ai l’impression que personne ne le savait. On s’est engagé à fournir au Comité des finances les renseignements nécessaires, mais nous ne les avons jamais reçus, bien que nous les ayons demandés il y a un bon bout de temps.

Lorsque j’ai interrogé le directeur parlementaire du budget sur ces ajustements budgétaires, il m’a répondu que personne, même avec tout le savoir et la meilleure volonté du monde, ne pourrait les trouver dans les documents budgétaires. Il m’a expliqué que ces dispositions faisaient partie du cadre financier, qu’elles n’étaient pas faciles à suivre, et qu’elles n’étaient pas toujours transparentes. C’est quand même quelque chose de la part d’un gouvernement qui ne cesse de se vanter de sa transparence.

Il y a aussi 500 millions de dollars d’économies sur les services de consultants et les frais de déplacement pour l’exercice en cours. Le directeur parlementaire du budget a affirmé qu’il serait relativement facile de réaliser ces économies, mais il a aussi ajouté qu’une partie du travail mené par les consultants pourrait être effectué par les fonctionnaires. Alors, si on estime à 500 millions de dollars les économies possibles pour l’exercice en cours, ce sont 15 milliards de dollars qui pourraient être épargnés au cours des quatre prochaines années. Ces 15 milliards de dollars comprennent d’autres réductions relatives aux services de consultants, 7 milliards de dollars de réductions supplémentaires dans l’ensemble des ministères et organismes et 1,2 milliard d’économies dans les sociétés d’État. Rien n’indique cependant comment le gouvernement réalisera ces économies. Au total, on commencera à réaliser 15 milliards de dollars d’économies à partir du prochain exercice.

Cette information est pertinente, parce que ces économies sont incluses dans le plan financier et les prévisions relatives au déficit des quatre prochaines années et que 15 milliards de dollars d’économies sur quatre ans représentent un engagement majeur.

Je voudrais maintenant parler du Fonds de croissance du Canada, parce que j’en ai parlé l’année dernière et je sais que le sénateur Loffreda en a parlé. Je voudrais revenir sur ce que j’avais dit l’année dernière et sur ce qui s’est passé depuis. J’ai encore des préoccupations au sujet du Fonds de croissance du Canada. En fait, j’en ai encore plus cette année.

Le budget de l’an dernier a annoncé l’intention du gouvernement de créer le Fonds de croissance du Canada. Comme la Banque de l’infrastructure du Canada, il devait s’agir un véhicule d’investissement public indépendant dont le but serait d’attirer les capitaux privés pour contribuer à l’atteinte des objectifs de la politique économique du gouvernement et aider à remédier au manque d’investissement au sein de l’économie canadienne.

Le fonds a été établi l’an dernier par la voie du projet de loi C-32, au sujet duquel j’ai pris la parole à l’époque. Il n’y avait aucune information concernant le fonds, sauf pour dire qu’il s’agirait d’une filiale à part entière de la Corporation de développement des investissements du Canada, laquelle serait responsable de l’administrer. Rien n’indiquait comment les fonds seraient administrés.

Contrairement à la Banque de l’infrastructure du Canada et à la Corporation d’innovation du Canada nouvellement créée, le Fonds de croissance du Canada n’a pas été édicté en application de son propre projet de loi. Le projet de loi C-32 était très bref. Il a créé le Fonds de croissance du Canada, mais ne prévoyait aucune reddition de compte au Parlement. On en sait très peu à son sujet.

L’énoncé économique de l’automne disait alors que le fonds serait administré d’une façon indépendante du gouvernement fédéral et qu’il utiliserait, pour investir, un vaste ensemble d’instruments financiers, notamment toutes sortes de capitaux propres, de dette et de contrats sur produits dérivés. Il offrira des formes de financement concessionnel et aura pour objectif de faire en sorte que chaque dollar du gouvernement investi attire au moins 3 $ en capitaux privés. L’objectif d’attirer du capital privé est identique à celui de la Banque de l’infrastructure du Canada, qui, comme nous le savons tous, a connu un succès qui laisse à désirer. L’objectif est d’attirer 45 milliards de dollars d’investissements privés, en plus des 15 milliards de dollars que fournit le gouvernement fédéral, pour un investissement de 60 milliards de dollars en tout.

En plus de mes préoccupations au sujet de l’absence de mesures législatives pour définir le mandat et la structure de gouvernance du fonds, le projet de loi C-32, vous vous en souviendrez, a accordé 2 milliards de dollars à la ministre pour l’achat d’actions dans la filiale. Le problème était que la filiale n’existait pas. La ministre, dans sa réponse, a expliqué que le Fonds de croissance du Canada devait agir rapidement et établir des partenariats avec des entités du secteur privé. Elle a dit que des retards étaient susceptibles d’entraîner la perte de certaines occasions. Finalement, en décembre, le fonds a été incorporé comme filiale de la Corporation de développement des investissements du Canada.

C’est ici qu’entre en jeu la Loi sur la gestion des finances publiques, car elle prévoit une mesure législative très importante. En effet, elle établit le cadre de gestion financière du gouvernement, en plus de fournir une orientation aux ministères, aux organismes et aux sociétés d’État en matière de gestion financière. C’est l’une des mesures législatives fondamentales du gouvernement du Canada. En vertu de cette section de la Loi sur la gestion des finances publiques, certaines transactions d’une société d’État mère ou des filiales des sociétés d’État doivent être approuvées par le gouverneur en conseil. Cela signifie qu’elles doivent consulter le Cabinet pour obtenir une approbation. Parmi ces types de transactions, on retrouve l’acquisition d’actions de sociétés, l’achat de certains actifs ou de l’ensemble des actifs d’une autre société d’État ou la vente et la cession d’actions.

Le 21 décembre de l’année dernière, un règlement pour modifier le Règlement général sur les sociétés d’État a été publié dans la Gazette du Canada pour exempter le Fonds de croissance du Canada et ses filiales de cette section de la Loi sur la gestion des finances publiques. Le Fonds de croissance du Canada étant exclu de l’article 91 de la Loi sur la gestion des finances publiques, il n’a aucune obligation de rendre des comptes au Parlement. De plus, comme il n’y a aucune loi de mise en œuvre, le Fonds de croissance du Canada sera administré derrière un voile opaque. Les demandes d’accès à l’information à son égard ne seront pas recevables.

Le résumé de l’étude d’impact de la réglementation a indiqué que cette exemption à l’article 91 de la Loi sur la gestion des finances publiques est nécessaire parce que le fait d’exiger l’approbation du Cabinet ralentirait la participation du fonds à des transactions. On espérait que le fonds serait en mesure de faire des investissements dès le premier trimestre de 2023.

La section 32 de la partie 4 du projet de loi C-47 propose de modifier la Loi sur l’Office d’investissement des régimes de pensions du secteur public afin que celui-ci puisse gérer les actifs du fonds. Elle permettra à l’office de créer une filiale qui fournira au fonds des services de gestion de placements. De plus, la section 32 modifiera le projet de loi C-32 afin d’augmenter la somme de 2 milliards qui a été approuvée en décembre dans le cadre du projet de la Loi d’exécution de l’énoncé économique de l’automne; ainsi le paiement de décembre portera cette somme à 15 milliards de dollars, lesquels seront versés immédiatement. Nous croyons que ce sera ensuite terminé, mais le financement n’est toutefois pas plafonné à 15 milliards de dollars, puisque le projet de loi C-47 prévoit aussi la possibilité d’obtenir des fonds supplémentaires au moyen d’un projet de loi de crédits.

Il n’y a pas de loi habilitante ni de structure de gouvernance qui encadre le Fonds de croissance du Canada. Bien que le projet de loi C-47 prévoie qu’on consacre 15 milliards de dollars à ce fonds, personne n’a l’obligation de présenter de rapports annuels au Parlement, et le fonds est exempté des exigences en matière de reddition de comptes prévues à l’article 91 de la Loi sur la gestion des finances publiques.

Il y a également une certaine confusion par rapport à la possible structure du fonds. Selon le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, le fonds n’est censé être une filiale de la Corporation de développement des investissements du Canada qu’à titre provisoire. Pourtant, des fonctionnaires qui ont témoigné devant le Comité sénatorial des finances la semaine dernière ont indiqué que le fonds demeurerait une filiale de la Corporation de développement des investissements du Canada.

Même si l’objectif du gouvernement était de permettre au fonds de faire des investissements au premier trimestre de cette année — comme l’a dit la ministre, il fallait agir rapidement —, il n’est toujours pas actif. On repassera pour un fonds qui agit rapidement, au rythme accéléré du secteur privé. Le gouvernement n’a même pas été en mesure d’établir le fonds de façon appropriée. De toute façon, j’en sais suffisamment sur le Fonds de croissance du Canada pour pouvoir dire que je ne pense pas que cette mesure finira bien.

Je vais maintenant parler de la Loi sur la Corporation d’innovation du Canada. La section 7 de la partie 4 du projet de loi propose d’édicter cette loi. La corporation a sa propre loi. Le projet de loi prévoit ce qui suit :

[...] maximiser les investissements des entreprises dans la recherche et le développement dans l’ensemble des secteurs de l’économie et des régions du Canada afin de promouvoir une croissance économique axée sur l’innovation.

Qu’entend-on par « maximiser les investissements des entreprises » et « une croissance économique axée sur l’innovation »? Comment le gouvernement évaluera-t-il le respect de ces critères s’il doit investir de l’argent dans cette organisation?

La mesure législative ne précise pas ce que le gouvernement attend de la corporation, ni comment il mesurera son succès ou son échec. C’est particulièrement inquiétant parce que le gouvernement dispose déjà de nombreux fonds visant à stimuler la croissance économique.

Par exemple, il y a le Fonds stratégique pour l’innovation, le Fonds pour un gouvernement vert, le Fonds des collectivités innovatrices et des fonds pour appuyer les grappes et les supergrappes, qui déboursent des milliards de dollars. Pourtant, le sous-ministre d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada et le sous-ministre des Finances ont déclaré au Comité sénatorial des banques qu’on n’a jamais évalué ces fonds pour déterminer leur incidence sur l’économie. Cela signifie que le gouvernement ne sait pas si ces fonds qui versent des milliards de dollars sont vraiment avantageux sur le plan économique.

Puisque cette corporation a été créée pour maximiser les investissements des entreprises et promouvoir une croissance économique axée sur l’innovation, le gouvernement doit définir la structure et les critères par rapport auxquels la corporation sera évaluée.

L’article 20 de la Loi sur la Corporation d’innovation du Canada fournit l’argent nécessaire au fonctionnement du gouvernement. Étant donné que l’argent provient du Trésor et qu’il est prévu dans la loi, il s’agit de paiements législatifs. Cela signifie que l’argent sera versé automatiquement chaque année et qu’il n’est pas nécessaire de le demander dans un projet de loi de crédits. Il n’y aura donc plus de débat parlementaire à ce sujet.

Le projet de loi C-47 accorde 198 millions de dollars cette année à la Corporation d’innovation du Canada. L’année prochaine, elle recevra 775 millions de dollars. L’année suivante, 800 millions de dollars, et l’année d’après, encore 800 millions. En tout et pour tout, au cours des quatre premières années, 3 milliards de dollars lui seront versés.

Les sommes accordées à cet organisme ne s’arrêtent pas là. La loi prévoit que le ministre lui versera 525 millions chaque année à compter de mars 2027, et aucune date limite n’est prévue. Elle prévoit explicitement 525 millions de dollars pour chacune des années suivantes, et rien de plus n’est ajouté. Comme je l’ai dit, cette somme est aussi inscrite dans la loi.

Une fois que le projet de loi C-47 sera adopté, le gouvernement sera habilité à verser cet argent sans qu’il y ait d’autres délibérations parlementaires. Les sommes prévues pour la Corporation d’innovation du Canada ne s’arrêtent pas là. En plus d’octroyer 3 milliards de dollars au cours des quatre premières années et 525 millions de dollars, à jamais, pour chacune des années suivantes à compter de 2027-2028, le projet de loi C-47 prévoit aussi une loi de crédits qui lui allouera des sommes supplémentaires. On accorde ainsi des milliards de dollars à un organisme dont le mandat n’est pas bien défini, et sans savoir précisément ce qu’il est censé accomplir avec tout cet argent.

Le projet de loi précise que la corporation n’est pas une société d’État, sauf pour ce qui est de certaines activités précises, mais les fonctionnaires n’ont pas pu nous expliquer clairement l’avantage qu’en retirera la corporation ni les avantages ou les inconvénients que cela entraînera pour le gouvernement. Même s’il est dit dans le projet de loi C-47 que la corporation ne constitue pas une société d’État, elle est créée par une loi fédérale et elle est financée par des deniers publics. Cette mesure législative confère aussi toute une série de responsabilités au ministre des Finances et au ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie. En fait, le mot « ministre » se trouve 46 fois dans la Loi sur la Corporation d’innovation du Canada.

Même si le projet de loi C-47 comprend des éléments d’une structure de gouvernance, une référence à la nomination de vérificateurs ou à l’exigence que la corporation présente ses rapports annuels au Parlement brille par son absence. Le projet de loi mentionne la Loi sur la gestion des finances publiques, qui exige l’inclusion de certaines informations dans les rapports trimestriels et annuels de la corporation, mais ne va pas jusqu’à exiger la présentation des rapports au Parlement.

Comme l’a dit le sénateur Loffreda dans son discours, le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie suggère dans son rapport sur le projet de loi C-47 que le gouvernement évalue la corporation trois ans après sa création afin de déterminer si elle a réussi à remplir son mandat, et qu’il publie les résultats de cet examen approfondi dans son rapport annuel, qui doit être présenté au Parlement.

Je suis tombée sur un sondage très intéressant, car il y a un lien à faire avec ces deux organismes, qui reçoivent beaucoup d’argent du gouvernement. Le gouvernement se tourne vers le secteur privé pour accroître les investissements au Canada. J’ai trouvé les résultats de ce sondage aussi intéressants qu’informatifs. Mené pour le compte du Globe and Mail, il a été réalisé par Nanos Research du 15 mars au 12 avril de cette année auprès de 30 chefs d’entreprise. Ces 30 dirigeants sont à la tête d’entreprises publiques et privées provenant de tous les secteurs de l’économie canadienne. Les résultats ne risquent d’ailleurs pas de surprendre les membres du Comité des banques, car ils correspondent aux témoignages qu’ils ont entendus au sujet des investissements commerciaux au Canada.

Plus de 6 dirigeants sur 10 estiment que le Canada est de moins en moins un bon endroit où les entreprises devraient investir. Seulement le tiers des chefs d’entreprise estiment au contraire qu’il l’est de plus en plus, ce qui constitue un recul par rapport à il y a cinq ans. Les obstacles mentionnés vont du fait que les politiques industrielles et commerciales manquent généralement de clarté à l’hostilité du gouvernement envers les entreprises, quelles qu’elles soient, en passant par le peu de consultations menées auprès des grandes entreprises et le manque de collaboration avec ces dernières.

Les résultats de l’enquête correspondaient aux conclusions du Conseil canadien des affaires, dont les membres comprennent les plus grandes entreprises canadiennes. Le président et chef de la direction du Conseil canadien des affaires a également déclaré que l’appui du gouvernement fédéral au secteur de la production d’énergie à faibles émissions de carbone, à la stratégie sur les minéraux critiques, et à la fabrication de technologies propres, doit cibler des projets prêts à démarrer, et que si la politique du gouvernement ne garantit pas que les projets peuvent être approuvés et mis en œuvre, les entreprises seront réticentes à investir. On a beaucoup entendu parler du régime réglementaire du gouvernement et de la difficulté de faire approuver les projets.

La fiscalité est un autre sujet de préoccupation, dans la mesure où le Canada a le quatrième taux marginal d’imposition le plus élevé parmi ses pairs, et un taux d’imposition des sociétés qui défavorise les entreprises canadiennes par rapport aux entreprises américaines. Les nouvelles mesures fiscales, notamment la taxe sur les banques, l’impôt sur les dividendes des sociétés de services financiers, et la taxe sur les rachats d’actions ne font rien pour aider les entreprises à demeurer concurrentielles. L’enquête indique également qu’environ 8 chefs d’entreprise sur 10 pensent que le Canada sera en récession au cours du deuxième trimestre.

Contrairement au gouvernement fédéral, qui continue à dépenser, les chefs d’entreprise interrogés se préparent activement à un ralentissement économique en maîtrisant leurs coûts et en renforçant leurs bilans.

Je pense qu’il me reste quelques minutes.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Sénatrice Marshall, votre temps est écoulé. Si vous souhaitez quelques minutes de plus, vous pouvez en faire la demande. Sénatrice Marshall, demandez‑vous cinq minutes de plus?

La sénatrice Marshall [ - ]

Puis-je avoir cinq minutes de plus pour parler du système de santé au Canada?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Le consentement est‑il accordé?

La sénatrice Marshall [ - ]

Je remercie tous mes collègues.

Je voulais parler du Transfert canadien en matière de santé, car on propose un montant supplémentaire de 2 milliards de dollars à la section 8 de la partie 4 du projet de loi. On propose de répartir cette somme entre l’ensemble des provinces et des territoires en fonction de la population. Plus tôt, nous avons parlé de l’économie, et j’ai parlé des banques alimentaires et des gens qui peinent à payer leur loyer ou à faire leurs paiements hypothécaires. Je sais que certains disent que l’économie se porte bien, mais il y a aussi des gens qui ont beaucoup de difficultés.

En ce qui concerne le Transfert canadien en matière de santé, l’introduction du chapitre 2 du budget commence par cette phrase :

Les Canadiens sont fiers de leur système public et universel de soins de santé. Quel que soit votre lieu de naissance et peu importe combien d’argent vous gagnez, ou ce que font vos parents, vous recevrez les soins dont vous avez besoin.

Mais nous savons maintenant que ce n’est pas vrai. Le système de santé universel n’est pas accessible à de nombreux Canadiens. En fait, beaucoup d’entre eux affirment que le système de santé s’est effondré et qu’il est en crise. Healthy Debate, qui publie des articles sur les soins de santé au Canada, a mené une enquête de septembre à octobre de l’an dernier, à laquelle ont répondu plus de 9 000 personnes dans tout le pays. Selon les résultats de l’enquête, plus d’un Canadien sur cinq — c’est un chiffre important : 6,5 millions de personnes — n’a pas accès à un médecin de famille ou à infirmier praticien qu’il peut consulter régulièrement pour se faire soigner. C’est vrai, car je suis l’une de ces personnes à Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sondage a permis de constater que la situation est particulièrement sombre dans certaines régions du pays — en Colombie-Britannique, au Québec et dans les provinces de l’Atlantique, où environ 30 % des adultes, soit un adulte sur trois, n’ont pas accès à un médecin de famille ou à un infirmier praticien. Le pourcentage est cependant meilleur en Ontario, où seulement 13 % des répondants ont dit ne pas avoir accès à un médecin de famille ou à un infirmier praticien.

Mais 21 % de ceux qui n’ont pas de médecin de famille ont dû payer des honoraires, et selon l’enquête, certaines personnes paieraient pour obtenir des services de soins primaires. Je peux affirmer que certaines personnes paient pour obtenir des services de soins primaires qui devraient être couverts en vertu de la Loi canadienne sur la santé, ce qui ajoute au débat sur un système de soins de santé à deux vitesses au Canada.

Les urgences sont pleines alors que les Canadiens font la file pour obtenir des soins médicaux et attendent pendant de longues heures. Dans certaines localités, les urgences ont fermé et les services d’ambulance sont irréguliers. Pour se rendre aux urgences ou dans un centre de soins, il faut apporter un oreiller, une couverture et un casse-croûte.

Au cours des 30 dernières années, l’Institut Fraser a régulièrement évalué l’état des soins de santé au Canada. J’ai parlé de son rapport l’année dernière, mais il vient d’en publier un plus récent.

En décembre dernier, les médecins spécialistes interrogés ont signalé un temps d’attente médian de 27,4 semaines entre le moment où le patient est recommandé par un omnipraticien et la réception du traitement, ce qui dépasse le temps d’attente de 25,6 semaines déclaré en 2021 et le temps d’attente de 20,9 semaines déclaré en 2019. Le temps d’attente de cette année est donc le plus long jamais enregistré au cours des 30 années d’existence de l’enquête, et il est 195 % plus long qu’en 1993, où il n’était que de 9,3 semaines.

Les Canadiens ont également dû attendre pour obtenir des diagnostics reposant sur diverses technologies. Cette année, les Canadiens doivent se préparer à attendre 5,4 semaines pour un tomodensitogramme, 10,6 semaines pour une IRM et 4,9 semaines pour une échographie.

La section 8 de la partie 4 du projet de loi C-47 autorise le ministre de la Santé à fournir 2 milliards de dollars supplémentaires aux 10 provinces et aux 3 territoires, répartis, comme je l’ai dit plus tôt, en fonction du nombre d’habitants, afin de répondre aux pressions dans les urgences, dans les salles d’opération et dans les hôpitaux pédiatriques. Un nouveau financement de 46,2 milliards de dollars sera également fourni au cours des 10 prochaines années, en plus des 195,8 milliards de dollars de transferts en matière de santé.

Je dois dire que le chapitre 3 du document budgétaire décrit le financement. On y trouve un graphique, et j’ai essayé pendant un certain temps d’obtenir les chiffres associés à ce graphique parce que les lignes sont illisibles. Je ne peux donc pas vous donner une idée de ce qui augmente chaque année, mais j’ai fait le total et il y a un nouveau financement de 46,2 milliards de dollars. Cependant, les professionnels de la santé affirment que cet argent supplémentaire n’est pas suffisant pour redresser le système de santé et pour y apporter un changement fondamental.

L’année dernière, l’Institut Fraser a publié un rapport comparant les performances du système de santé canadien à celles de ses homologues internationaux. Ce rapport définit le coût des systèmes de santé ainsi que de la prestation des services de santé, elle-même axée sur la disponibilité des ressources, leur utilisation et l’accès à celles-ci, ainsi que sur les performances cliniques et la qualité.

Tous les indicateurs dont l’institut s’est servi pour le rapport sont soit accessibles au public, soit dérivés des données accessibles au public de l’OCDE, du Fonds du Commonwealth et de l’Organisation mondiale de la Santé. Pour être admissible à l’étude, chaque pays doit être un membre de l’OCDE, il doit fournir une couverture universelle ou quasi universelle pour les services médicaux essentiels, et il doit être classé comme pays à revenu élevé par la Banque mondiale. Parmi les 37 pays de l’OCDE...

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Sénatrice Marshall, je suis désolée de vous interrompre, mais pourriez-vous conclure rapidement?

La sénatrice Marshall [ - ]

Notre système de soins de santé coûte cher et nos résultats sont modestes ou pauvres.

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-47, Loi no 1 d’exécution du budget de 2023. Peut-être vous attendez-vous à ce que je parle des milliards de dollars prévus pour favoriser les investissements commerciaux, mais je pense que les sénateurs Loffreda et Marshall ont fait de l’excellent travail à ce sujet, alors je vais parler d’un autre élément qui m’intéresse un peu plus, soit la section 39 de la partie 4, à la toute fin de ce projet de loi de 430 pages.

Cet élément peut sembler plutôt anodin, puisqu’il propose ce qui paraît être une modification raisonnable à la Loi électorale du Canada dont l’objectif est :

[...] d’établir un régime national, uniforme, exclusif et complet applicable aux partis enregistrés et aux partis admissibles relativement à la collecte, à l’utilisation, à la communication, à la conservation et au retrait de renseignements personnels par ceux-ci.

Cependant, à la lecture de cette disposition, différentes choses me sont venues à l’esprit. Premièrement, la modification de la Loi électorale du Canada au moyen d’une loi d’exécution du budget rompt avec la tradition de longue date qui veut qu’on discute ouvertement de telles modifications au Parlement et établit sans doute un dangereux précédent. Deuxièmement, comme il n’y a pas de régime national, uniforme, exclusif et complet qui régit la conduite des partis fédéraux relativement à la collecte, à l’utilisation, à la communication, à la conservation et au retrait de renseignements personnels, qu’attend-on?

Vous vous souvenez peut-être que nous avons adopté la Loi sur la modernisation des élections en décembre 2018. Elle permettait aux partis politiques de réglementer eux-mêmes la façon dont ils recueillent et utilisent les renseignements personnels liés aux électeurs canadiens, à la condition qu’ils publient leur politique sur la protection des renseignements personnels. C’est à cela que le commissaire à la protection de la vie privée faisait référence lorsqu’il s’est adressé au Comité des affaires juridiques. Il a déclaré que la publication de ces politiques était un bon début, mais qu’elles ne respectaient pas les 10 principes énoncés dans la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. Il a ajouté qu’il n’était pas de son ressort d’enquêter sur ces politiques ni de les commenter.

Ces politiques élaborées volontairement ne sont pas uniformes. Elles ne sont pas complètes non plus, surtout si on les compare à des normes internationales raisonnables. Elles ne reflètent pas les mesures de protection de la vie privée que les entreprises et les gouvernements doivent respecter, en particulier en ce qui concerne le consentement, la transparence et la responsabilité. Avec le recul, j’ai été un peu naïf de penser que tout groupe devrait être entièrement libre d’établir ses propres politiques de protection de la vie privée, mais voilà où nous en sommes : à l’heure actuelle, il n’y a pas de politique de protection de la vie privée uniforme et complète qui régit les partis politiques fédéraux.

Dans le cadre de l’étude sur le projet de loi C-47, le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles a souligné que les mesures de protection de la vie privée, ou leur absence, peuvent avoir un impact sur la confiance des Canadiens envers les partis politiques et, par ricochet, le processus électoral. Les membres du comité ont recommandé que les modifications de la Loi électorale du Canada fassent l’objet de consultations auprès du directeur général des élections et du commissaire à la protection de la vie privée, en plus d’être présentées dans un projet de loi distinct pour permettre une étude exhaustive. Le comité a d’ailleurs fait remarquer qu’aucune de ces deux recommandations n’a été respectée.

Bien avant le scandale Facebook–Cambridge Analytica, qui porte sur l’utilisation non consensuelle des renseignements personnels de dizaines de millions de personnes de manière frauduleuse afin d’influencer le vote dans diverses élections, le directeur général des élections et le commissaire à la protection de la vie privée s’étaient prononcés sur la protection de la vie privée des électeurs. Par exemple, en 2012, ils avaient soulevé de sérieuses inquiétudes à propos des lacunes en matière de protection de la vie privée pour les électeurs canadiens.

Deux ans plus tard, en 2014, Pierre Poilievre, qui était à l’époque ministre d’État (Réforme démocratique), a présenté le projet de loi C-23, intitulé Loi sur l’intégrité des élections. Ce projet de loi n’offrait aucune protection de la vie privée pour les électeurs canadiens.

Quatre autres années se sont écoulées. Puis, en 2018, Karina Gould, qui était à l’époque ministre des Institutions démocratiques, a témoigné devant notre Comité des affaires juridiques pour défendre le projet de loi C-76, Loi modifiant la Loi électorale du Canada. Quand on lui a posé la question sur l’application de la législation en matière de protection de la vie privée, elle a déclaré ce qui suit :

[...] qu’une étude soit menée à l’intention des parlementaires afin d’examiner comment les partis politiques pourraient s’inscrire dans un régime de protection des renseignements personnels.

Fait intéressant, au moment même où le projet de loi C-76 recevait la sanction royale, le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique de la Chambre des communes publiait justement une étude, intitulée Démocratie menacée : risques et solutions à l’ère de la désinformation et du monopole des données. L’étude du Comité de l’éthique de la Chambre était une réponse directe au scandale Facebook-Cambridge Analytica. Ce groupe de députés élus de toutes les allégeances politiques a recommandé de prendre des mesures de toute urgence, notamment en assujettissant les partis politiques et leurs sous-traitants, comme les plateformes de médias sociaux, les courtiers en données, les maisons de sondage et les consultants, à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. Une autre recommandation se lit comme suit :

[...] octroie le mandat et l’autorité au commissaire à la protection de la vie privée ou à Élections Canada de mener des audits proactifs des partis politiques [...] à l’égard de leurs pratiques relatives à la protection des renseignements personnels et d’émettre des ordonnances et des sanctions monétaires.

Les auteurs ont également recommandé au gouvernement, entre autres, d’adopter un projet de loi qui oblige les entreprises de médias sociaux à créer des bases de données consultables par le public de publicités politiques en ligne, à étiqueter la publicité politique, à étiqueter le contenu produit automatiquement ou algorithmiquement, à supprimer les comptes qui se font passer pour d’autres pour des raisons malveillantes et à supprimer le contenu harcelant, menaçant ou manipulé à des fins malveillantes comme les vidéos contrefaites appelées « deep fake ».

À ce jour, les dirigeants des partis politiques fédéraux du Canada ont ignoré les recommandations des membres de leur propre caucus qui siégeaient au Comité d’éthique de la Chambre.

Peu après, le commissaire à la protection de la vie privée et le directeur général des élections ont publié une déclaration commune demandant que nos partis politiques fédéraux adoptent volontairement des politiques sur la protection des renseignements personnels conformes aux normes internationales en la matière et fondées sur les principes du consentement, de la transparence et de la responsabilité. Rien ou presque n’a changé depuis.

Je vous encourage tous à lire les diverses politiques sur la protection des renseignements personnels de nos partis politiques fédéraux pour vérifier si l’un d’entre eux a volontairement donné suite aux recommandations que je viens de mentionner. D’après mes recherches, il semble que non.

Alors, pourquoi la section 39 figure-t-elle même dans le projet de loi d’exécution du budget? Il semble que, en 2022, le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique a déclaré que les partis politiques fédéraux doivent se conformer au régime de protection des renseignements personnels de la province qui régit les partis politiques, et je soupçonne que c’est en réponse à une inaction persistante.

Le commissaire a dressé la liste des données personnelles collectées sans le consentement de l’électeur. C’est très révélateur. Les politiques de confidentialité des partis politiques donnent aux électeurs le droit de corriger les renseignements inexacts, mais ces électeurs n’ont pas le droit d’accéder auxdits renseignements. Il s’agit de données provenant du registre électoral, mais aussi d’informations extraites d’Internet, recueillies par le biais d’applications ou de médias sociaux, ou encore par l’intermédiaire des militants qui font du porte-à-porte. Actuellement, vous n’avez pas le droit de demander aux partis politiques de cesser de partager vos données avec un tiers, tel qu’un consultant, un institut de sondage ou une plateforme de médias sociaux. S’ils sont victimes d’une cyberfraude, comme celle qui a touché la base de données du gouvernement et qui a affecté 100 000 Néo-Écossais la semaine dernière, ils n’ont aucune obligation d’en informer qui que ce soit. Les entreprises et les gouvernements, eux, sont tenus de le faire, et ce pour de bonnes raisons.

Pendant plus d’une décennie, les partis politiques fédéraux ont ignoré les recommandations des deux mandataires du Parlement responsables de ces questions. Ils ont ignoré les recommandations soigneusement documentées du Comité de l’éthique de la Chambre. Et lorsque la Colombie-Britannique a décidé que c’en était assez, le Parti libéral, le Parti conservateur et le NPD ont contesté cette décision devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique. En ces temps où la partisanerie fait rage, je dois dire qu’il est vraiment remarquable que les conservateurs, les néo-démocrates et les libéraux soient tous d’accord sur cette question.

Pourquoi donc se battent-ils si vigoureusement? Pour commencer, chaque parti possède une énorme base de données détaillées qui portent directement sur des électeurs en particulier. Les conservateurs ont leur système de gestion de l’information sur les électeurs, les libéraux ont Libéraliste et les néo-démocrates ont NDP Vote. Chaque parti a aussi des applications qui recueillent de vastes données et des systèmes avancés de gestion des informations pour traiter toutes ces données.

Les données sur les électeurs canadiens peuvent être utilisées à de nombreuses fins, comme cibler des électeurs aux vues similaires parmi la population générale avec des messages politiques. Lorsqu’on combine les bases de données des partis politiques avec la quantité astronomique de données très personnelles que possèdent Facebook, d’autres médias sociaux et les grandes sociétés technologiques, leurs méthodes sophistiquées peuvent prédire avec précision qui répondra à quel type de message politique, avec des résultats quasi instantanés.

Selon moi, le microciblage s’apparente au remaniement arbitraire numérique des circonscriptions et intensifie la politique de la division.

Les organisateurs politiques admettent ouvertement que les électeurs ne choisissent plus leur parti politique; ce sont les partis politiques qui choisissent leurs électeurs. Personnellement, je trouve cela inquiétant.

La première fois que j’ai entendu parler de microciblage, c’était il y a 11 ans, alors que j’écoutais l’émission Under The Influence de la Première chaîne de la radio anglaise de Radio-Canada, animée par Terry O’Reilly. Je vous encourage à écouter ce balado de 30 minutes datant du 28 avril 2012, disponible dans les archives. Vous commencerez alors à comprendre pourquoi le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique de la Chambre des communes a intitulé son rapport Démocracie menacée : risques et solutions à l’ère de la désinformation et du monopole de données. Le comité a constaté que les pratiques actuelles des partis politiques en matière de protection des renseignements personnels représentent un risque pour nos processus démocratiques et électoraux et a recommandé la prise de mesures immédiates en vue de protéger les Canadiens et la démocratie.

Que pensent les électeurs canadiens des pratiques des partis politiques en matière de protection des renseignements personnels?

Dans son rapport sur les élections de 2021, Élections Canada révèle que 96 % des électeurs canadiens souhaitent que la collecte et l’utilisation de leurs renseignements personnels par les partis politiques soient régies par des lois. Or, les lois fédérales actuelles font carrément l’opposé de ce que souhaitent les électeurs canadiens en ce qui concerne cette question de confiance.

Quoi qu’il en soit, les trois partis politiques continuent sans vergogne de ne pas tenir compte des recommandations répétées voulant qu’ils adhèrent aux normes internationales en matière de protection des renseignements personnels et à la surveillance par un tiers, qu’ils obtiennent le consentement des citoyens avant de recueillir leurs renseignements personnels et qu’ils les avisent de toute atteinte à la sécurité de leurs renseignements personnels risquant de leur causer des préjudices importants.

Ces risques ne sont pas hypothétiques. En janvier de cette année, le Parti vert a volontairement révélé qu’il y avait eu une diffusion accidentelle de noms, d’adresses, de numéros de téléphone et de dates de naissance des membres et des partisans du parti, ainsi que d’autres données les concernant. Il convient de souligner que rien ne l’obligeait à le faire. D’autres partis feraient-ils de même? Nous ne le saurons peut-être jamais.

Les données hautement personnelles détenues par les trois autres partis politiques nationaux bénéficient-elles de protections exceptionnelles en matière de cybersécurité? J’espère certes que oui.

En effet, des adversaires étrangers pourraient utiliser ces renseignements personnels détaillés et précieux pour semer la division à l’échelle du Canada. Cette année, on a beaucoup parlé de l’ingérence étrangère dans notre démocratie, mais ces partis continuent d’ignorer les risques mis en évidence par leurs propres députés il y a cinq ans.

Imaginez comment des quantités sans précédent de données détaillées sur des électeurs canadiens identifiés pourraient faciliter les efforts clandestins des adversaires du Canada, surtout avec l’avènement de l’intelligence artificielle générative fondée sur de grandes bases de données. Cela fait de nos partis politiques des cibles de choix pour les cyberattaques. Si cela se produit, ils ne sont pas obligés de nous le dire.

Les Canadiens sont de plus en plus la cible du siphonnement de leurs données. On estime maintenant que chaque Canadien génère en moyenne quelque deux mégaoctets de données par seconde. Pour mettre les choses en perspective, l’œuvre complète de Shakespeare représente cinq mégaoctets de données, ou ce que chacun d’entre nous génère en environ 2,5 secondes au moyen de nos appareils et de nos activités en ligne. C’est pourquoi les citoyens veulent avoir le contrôle de leurs données. C’est le cas dans la plupart des pays. Nous savons qu’il y a d’énormes quantités de données, mais nous ne savons pas vraiment à quelles fins elles sont utilisées.

Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie s’est penché sur les investissements des entreprises à l’ère numérique. Nous avons entendu le témoignage d’investisseurs de capitaux de risque et de fondateurs de certaines des entreprises de haute technologie à la croissance spectaculaire. Tous dépendent des données pour créer de la valeur qu’ils exportent à l’international. Ils ont tous insisté sur le fait que la réussite de leur entreprise requiert l’établissement et le maintien d’un solide contrat social avec les citoyens — il s’agit du droit des personnes à contrôler leurs données et de leur capacité à avoir confiance dans les façons dont ces données sont utilisées.

Du point de vue de ces entrepreneurs et investisseurs ayant réussi sur la scène internationale, ce contrat social — ce lien de confiance — est fondamental pour la prospérité future du Canada.

Dans une lettre d’opinion publiée récemment dans le Hill Times, le professeur de sciences politiques de l’Université de Victoria Colin Bennett, qui mène des recherches sur ce sujet depuis une dizaine d’années, a écrit ce qui suit :

Les partis politiques sont régis par les lois sur la protection de la vie privée dans presque tous les autres pays démocratiques du monde, y compris ceux qui sont régis par le règlement général sur la protection des données, ou RGPD, de l’Union européenne.

Il a aussi déclaré que le vide réglementaire au Canada est devenu intenable et indéfendable.

Que faire maintenant?

Nous savons ce qui ne fonctionne pas. Les dirigeants, les cadres et les conseils d’administration du Nouveau Parti démocratique, du Parti libéral et du Parti conservateur persistent à ignorer la volonté et les conseils des deux mandataires du Parlement responsables de la protection de la vie privée et des élections. Ils ont ignoré le comité d’éthique de la Chambre des communes et ont refusé d’adopter volontairement des politiques de protection de la vie privée conformes aux normes internationales.

Au lieu de tenir compte de ce conseil, le gouvernement inclut maintenant — dans la loi d’exécution du budget, croyez-le ou non — un expédient qui permet aux trois partis de maintenir le statu quo. Peut-être devrions-nous inviter les présidents de ces partis fédéraux à expliquer les raisons et les faits qui justifient leur inaction. Peut-être ont-ils des preuves que, d’une manière ou d’une autre, la démocratie en Europe a été minée par les protections de la vie privée des électeurs prévues par le règlement général sur la protection des données.

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