Projet de loi de crédits no 3 pour 2020-2021
Troisième lecture--Suite du débat
25 juin 2020
Honorables sénateurs, je suis surpris d’être appelé si rapidement et je me réjouis de pouvoir aborder quelques points concernant le projet de loi C-19. Prendre la parole au sujet d’un projet de loi de crédits est un acte courageux pour quiconque, mais il s’agit d’un sujet pour lequel j’ai cumulé de l’expérience au fil des années. Cela me fait penser à une anecdote à propos du septième mari d’Elizabeth Taylor qui, le soir de ses noces, a dit : « Je sais ce qu’on attend de moi, mais je ne sais pas comment le rendre intéressant. » Ainsi, honorables sénateurs, je sais ce qu’on attend de moi et je vais essayer de le rendre intéressant.
Les subsides sont, en temps normal et à juste titre, l’affaire de la Chambre des communes. Ceux d’entre nous qui se rappellent d’Anne Cools savent qu’elle avait parlé, dans ses dernières semaines de mandat, de son expérience personnelle, en commençant en 1215 avec la Magna Carta — elle était un peu plus jeune à cette époque. Elle avait expliqué comment la négociation de la Magna Carta est à la base de nos subsides, et c’est vrai.
À l’époque où j’ai été nommé sénateur, l’examen des crédits était un processus encore plus opaque qu’il ne l’est maintenant. Les documents relatifs aux crédits consistaient littéralement en de multiples cartables, organisés selon le vote, et le processus des crédits était très complexe, surtout à la Chambre des communes. Cela a suscité une réforme à l’époque du gouvernement Mulroney, présidée par Jim McGrath, qui est devenu le lieutenant-gouverneur McGrath. Cette réforme tentait d’offrir aux parlementaires un échéancier plus facile à comprendre pour l’examen des crédits. Ainsi, la réforme a traité du processus, mais pas vraiment du contenu.
Lorsque je suis arrivé au Conseil du Trésor, il y a 25 ans, et que j’ai connu pour la première fois le processus d’examen des crédits, j’ai dit à mes employés que cela me faisait penser à Moscou sous le régime Brejnev. J’ai dû leur expliquer que là, les travailleurs faisaient semblant de travailler, et les gestionnaires faisaient semblant de les payer. Ainsi, nous faisons semblant de fournir des renseignements au Parlement, et celui-ci fait semblant de nous demander des comptes.
Le niveau de complexité des documents était trompeur et incompréhensible. Nous avons donc lancé un processus, le projet d’amélioration de l’information fournie au Parlement, dont la première étape était d’écouter les parlementaires, comme Anne Cools; c’est alors que je l’ai rencontrée pour la première fois. Le projet était fondé sur la conviction que si nous pouvions présenter des renseignements plus clairs aux parlementaires dans les plans ministériels, il en résulterait un meilleur processus d’examen des crédits, plus participatif.
Bon, je m’aperçois avec le recul que nous étions sans doute plus idéalistes que réalistes, mais nous étions néanmoins convaincus que nous pouvions tirer des leçons des réformes réalisées ailleurs pour améliorer la communication avec le Parlement et les assemblées législatives afin qu’ils comprennent mieux ce que les ministères essaient de faire, bref qu’ils ne s’intéressent pas seulement aux sommes dépensées, mais à ce qui est fait avec cet argent.
Je crois que mon ancien voisin serait au désespoir. Comme vous le savez tous, Grant Mitchell a longtemps voulu être premier ministre de l’Alberta. Aussi suprenant que cela puisse paraître, l’une des plus grandes innovations dans le domaine des crédits est venue de Ralph Klein. C’est en effet sous sa direction que l’on a tenté certaines expériences et commencé à regrouper l’information en fonction des résultats à atteindre afin de faciliter les communications avec les parlementaires. Comme Tony Dean occupait un poste hiérarchique très élevé, c’est sous Mike Harris — rien de moins — que l’Ontario a commencé à faire de même.
Les ministères fédéraux ont longtemps traîné la patte, mais c’est finalement eux qui ont fait accepter la notion voulant que, même si les chiffres et les intrants ont leur importance — n’en doutons point —, ce qui compte, c’est le résultat à atteindre. Que veut-on faire et comment rend-on compte de ce qui a été accompli? Il y a des comptables pour s’occuper des chiffres. Les parlementaires, selon moi, devraient avoir pour rôle de déterminer si les résultats escomptés sont atteignables ou pas.
Parmi les innovations de l’époque, mentionnons la reconnaissance du fait que les résultats ministériels étaient acceptables à l’échelle des ministères, mais que, dans bien des cas, les résultats à l’échelle gouvernementale concernaient plusieurs ministères. On se demandait comment regrouper les résultats à l’échelle gouvernementale?
Il y avait un processus qu’on appelait « rendre compte des résultats aux Canadiens ». Il s’agissait de regrouper certaines activités ministérielles et d’amener les gouvernements à viser certaines réalisations à l’échelle du gouvernement et du pays pour une période donnée, et j’ajouterais que les gouvernements hésitaient quelque peu à adopter cette approche. Cependant, nous avons entamé des discussions avec les provinces. On se demandait si on pouvait produire un document permettant d’harmoniser les résultats à l’échelle de l’ensemble des gouvernements.
Ce travail était déjà entamé. Il fallait adapter ce qu’on appelait une fonction de contrôle moderne au sein de la fonction publique afin de passer d’une approche axée seulement sur la vérification des chiffres à une méthode consistant véritablement à exercer la fonction de vérification et de contrôle au sein du gouvernement en se concentrant sur les résultats et les réalisations. Le vérificateur général de l’époque a participé à ce processus. Ce travail se poursuit en partie aujourd’hui; on le voit avec les rapports sur les résultats ministériels et les plans ministériels.
Toutefois, il y a eu des défis à relever. Je pense notamment à la création d’organismes parlementaires dont j’ai parlé quand nous avons questionné celle qui était alors la vérificatrice générale désignée, plus précisément de la notion que c’est le titulaire de ce poste qui évalue l’optimisation des ressources. Ce n’est pas de cette façon que je ferais les choses. Les vérificateurs généraux devraient vérifier l’intégrité des chiffres, comme le font tous les vérificateurs, et le Parlement, lui, devrait vérifier s’il y a eu optimisation des ressources.
Il s’agit là d’une notion plutôt subjective. Le sénateur Patterson n’est pas ici, mais j’ai peut-être une opinion différente de lui sur l’optimisation des ressources de la Prestation canadienne d’urgence, par exemple.
On a récemment inclus les directeurs parlementaires du budget. Je vous encourage à lire les ouvrages de Donald Savoie, qui a été l’un des uniques détracteurs de la création d’organismes parlementaires. Les partis politiques détestent ces organismes quand ils sont au pouvoir, mais les aiment quand ils forment l’opposition, et ce, pour une très bonne raison. Ils sont le cerveau de l’opposition — à l’exception, bien sûr, de l’opposition au Sénat —, mais ils empoisonnent souvent la vie des gouvernements.
Quelques obstacles sont venus perturber ce que j’appellerais la modernisation de la fonction de contrôle. Il y a notamment eu le scandale de Développement des ressources humaines Canada. Pour aider les sénateurs à bien saisir de quoi il s’agit, l’équivalent moral de ce scandale serait l’approche efficace qu’a adoptée le Bureau du vérificateur général lors de son étude du Sénat. Le processus d’innovation dans la fonction publique a été gelé. À ma grande surprise, même si les sénateurs prennent les enquêtes de ce bureau comme un affront, ils veulent faire subir la même chose à d’autres ministères. Cela dit, c’est une question que j’aborderai un autre jour.
Bien sûr, la crise financière a complètement fait dérailler les travaux en cours. Il y a eu un nouveau gouvernement, qui a adopté la Loi fédérale sur la responsabilité. Cette mesure visait à rétablir les règles et les règlements et à supprimer les innovations — c’est ce que j’appelle développer une équipe de gardiens de but.
Ô surprise, le vérificateur général devient la vedette de l’actualité de l’année à cause du scandale de Développement des ressources humaines Canada. Il aurait peut-être dû être la personnalité de l’année pour le Sénat.
Ainsi, nous avons élaboré la fonction de contrôle, soit un ensemble de règles supplémentaires qui allaient empêcher qu’une telle chose se reproduise. Nous avons tous déjà entendu, à la suite d’un cas évident de gaspillage de fonds publics : « Nous avons fait appel au vérificateur général. Il a mené un examen. Nous imposons de nouvelles règles. Cela ne se reproduira jamais. » Combien de gouvernements ont-ils affirmé ceci jusqu’à l’arrivée d’un nouveau cas?
Selon moi, nous devons revenir à un accent plus net sur les résultats et tenir un dialogue intelligent sur la reddition de comptes, ce qui est certainement plus approprié pour une Chambre qui se perçoit comme la Chambre du second examen objectif.
Je pose la question : à quoi ressemblent la surveillance parlementaire et la reddition de comptes dans le contexte de la pandémie de COVID-19? Je vous donne cinq éléments auxquels réfléchir sous l’angle des implications de ce que je dis au sujet du cycle budgétaire, des budgets et du travail du Sénat.
Le premier élément est le suivant : habituons-nous aux scénarios et non à un plan unique. Dans ses questions, le sénateur Massicotte a parlé une ou deux fois de l’excellent document de Bennett Jones, un cabinet d’avocats avec lequel je n’ai aucun lien, rédigé notamment par David Dodge et deux sous-ministres, dont un ancien sous-ministre des Finances. Le document présente deux scénarios — car qui sait quelle tournure prendront les événements — à partir desquels les auteurs fondent leur analyse du bien-être économique et financier du Canada. Une semaine après la publication de ce rapport, l’OCDE, une organisation de très bonne réputation, a présenté, dans son rapport sur le Canada, deux scénarios qui s’apparentent pas mal à ceux de Bennett Jones, car elle n’arrivait pas à n’en envisager qu’un seul.
Mon conseil à l’intention des parlementaires est le suivant : n’exigez pas un plan unique; exigez un dialogue plus intelligent sur divers scénarios. Si je peux prédire une chose au sujet de la déclaration du ministre Morneau le mois prochain, c’est qu’il devrait éviter de présenter un plan unique pour l’avenir. Je prédis également que, quoi qu’il dise, le sénateur Plett s’y opposera.
Le deuxième point que je souhaite soulever, c’est que nous devons récompenser l’innovation, l’adaptation et les ajustements rapides pour combler les lacunes. L’innovation dont on a fait preuve, notamment dans l’élaboration du projet de loi à l’étude et dans l’étude des projets de loi d’urgence présentés auparavant, est formidable quant à la façon extraordinaire dont ces projets de loi ont été traités. Les ébauches de projet de loi ont été communiquées de façon confidentielle aux leaders à l’autre endroit. Des amendements et des réponses aux préoccupations soulevées concernant les ébauches de projet de loi ont été inclus par le gouvernement avant qu’il présente ses projets de loi.
On pourrait dire que c’est logique en contexte de gouvernement minoritaire, mais il s’agit d’une innovation à laquelle il serait bon de réfléchir, puisque, à l’évidence, si de telles consultations sont menées en amont, les débats à la Chambre sont moins longs. Ce n’est qu’une question de négociation. Je regrette que, lorsque cette façon de faire a été mise de côté à l’autre endroit, ce soient les prestations pour personnes handicapées qui ont écopé, car les Canadiens défavorisés en avaient vraiment besoin. C’est pourquoi il faut y réfléchir à deux fois avant de souhaiter le retour des processus antérieurs; ils ne sont peut-être pas adaptés aux circonstances actuelles. Nous devrions préconiser et récompenser la souplesse et la capacité d’adaptation afin de répondre aux lacunes.
Troisièmement, nous étions mal outillés en matière de politiques et de systèmes pour répondre à la COVID, et le gouvernement a dû agir rapidement et innover, autant en ce qui concerne les politiques que les systèmes.
Sénateur Harder, demandez-vous cinq minutes de plus?
Pourrais-je avoir cinq minutes de plus, s’il vous plaît?
Les honorables sénateurs sont-ils d’accord?
L’ex-maire de New York Mario Cuomo a déjà dit que « pour bien gérer les affaires publiques, il faut savoir manier à la fois poésie et plomberie ». L’approbation des crédits est très proche de la plomberie. Je crois que nous devrions prendre le temps d’apprécier les innovations qui ont vu le jour. Qui aurait cru qu’Emploi et Développement social Canada réussirait à modifier ses systèmes à ce point pour s’adapter aux nouvelles politiques innovatrices, et ce, presque sans heurts?
J’aimerais dire quelques mots sur l’équilibre entre la reddition de comptes et la transparence, car à mon avis, l’innovation dans le domaine des politiques a entraîné un plus grand degré de transparence. Là encore, je m’inscris en faux contre certaines des choses qui ont été dites. Les appels quotidiens, le rapport financier bihebdomadaire : jetez-y un œil, vous allez voir. C’est le document le plus intéressant à avoir été produit par le gouvernement du Canada depuis des années, et il vient du ministère des Finances. J’estime que nous avons accès à davantage de données et que nous y avons davantage accès en temps réel, alors nous devons continuer à exiger qu’il en soit ainsi.
Quatrièmement, je souhaiterais que nous tirions des leçons du passé et que nous adaptions l’examen des crédits. Personnellement, j’estime que le travail accompli par le Comité des finances nationales nous a facilité la vie et qu’il nous a permis d’étudier plus rapidement le projet de loi de crédits, car nous avons passé des semaines à parler des mesures liées à la COVID, et il y a eu certaines redites. Les choses devraient continuer ainsi au moins jusqu’à un semblant de retour à la normale.
C’est ce qui m’amène à mon cinquième et dernier point. Je ne pensais pas en parler, mais je me lance. Je dirai seulement que les questions belliqueuses et irrespectueuses, qu’elles s’adressent à un ministre ou à un fonctionnaire, ne pourront jamais se substituer à un dialogue constructif. Je vous remercie.
Le sénateur Harder a-t-il le temps de répondre à une question?
Il lui reste deux minutes.
Vous l’avez vu : je n’ai pas pu m’empêcher de rire lorsque vous avez parlé des gros cartables d’il y a des années. Eh bien, vous savez quoi? Nous les avons toujours.
L’un des problèmes, selon moi, c’est la quantité d’information. Les parlementaires doivent travailler sans relâche pour se tenir informés de ce qui se passe. Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est un travail de tous les instants, mais il s’agit néanmoins d’un travail très exigeant. Les informations abondent, et les parlementaires ont vraiment besoin d’obtenir aussi bien les données que les rapports sur les résultats ministériels, par exemple. En plus de recueillir tous ces renseignements, nous devons chercher à trouver ceux qui manquent.
Auriez-vous des perspectives, des observations ou des suggestions? J’aimerais savoir ce que vous en pensez. Hier soir, en faisant le ménage de mon bureau, je suis tombée sur un vieux rapport du vérificateur général. Vous pouvez être certains que je l’ai ouvert pour voir ce qu’il contenait. C’était un rapport de Michael Ferguson et il parlait du problème que posent les informations tout éparpillées.
J’aimerais vraiment que vous me disiez ce que vous pensez de cela, car vous pourriez m’épargner beaucoup d’heures de travail.
J’ai essayé d’aborder ce point quand j’ai posé une question au ministre Duclos, en parlant des nombreuses fenêtres qui permettent d’observer ce qui se fait sur le plan de la transparence, mais qui ne permettent pas d’avoir une vue d’ensemble. Il me semble que nous devons nous demander à quoi ressemblerait un tableau de bord avec l’information dont nous avons vraiment besoin. Pourrions-nous collaborer avec le Conseil du Trésor pour en arriver à un tableau de bord adapté à la réalité parlementaire qui fournirait des renseignements à jour sur ces séries de questions à intervalle régulier, ce qui favoriserait la surveillance parlementaire et la reddition de comptes? Il pourrait s’agir d’un ensemble de questions différent de celui que le Conseil du Trésor utilise avec ses ministères, mais ce serait au moins un début.
Je suis d’accord avec vous, je pense que les vrais renseignements se perdent dans une surabondance d’information.
Vous disiez que le rapport bihebdomadaire est intéressant, mais présente des lacunes. Alors, où trouver les renseignements manquants? Ai-je le temps de poser une autre question ?
Je suis désolé, sénatrice Marshall...
J’aimerais avoir votre avis concernant les rapports ministériels.
Sénatrice Marshall, votre temps de parole est écoulé.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-19, ou, de façon plus générale, des travaux des subsides. J’aimerais vous lire chaque ligne du troisième rapport du Comité sénatorial permanent des finances nationales, qui a été déposé au Sénat mardi, mais je ne suis pas certaine que ce serait apprécié. Je tiens plutôt à souligner certains des éléments qui ont attiré l’attention de mes collègues du Groupe des sénateurs indépendants qui siègent au Comité des finances et qui ne peuvent pas être au Sénat aujourd’hui. Je suis aussi très tentée de consacrer tout mon temps de parole à parler des cinq grandes suggestions du sénateur Harder, mais je vais tenter de ne pas dévier du sujet.
Le premier problème est le retard dans l’acquisition des deux navires de soutien interarmées pour la Marine royale canadienne. Comme le montre le rapport, nous avions de grandes inquiétudes au sujet de ce processus, compte tenu des dépassements de coûts et des retards. Nous estimons que la sous-ministre du ministère de la Défense nationale devrait être invitée à témoigner devant le Comité des Finances pour expliquer la gestion de la politique de défense Protection, Sécurité, Engagement. La fiabilité de l’approvisionnement est cruciale pour la planification à long terme des Forces canadiennes. D’autres retards ne feront que saper ces efforts.
Une autre préoccupation concerne les pratiques de divulgation du Compte du Canada, qui est utilisé pour des opérations que le gouvernement juge être dans l’intérêt national. Inutile de dire qu’on peut améliorer le processus. On ne rend pas public le fait que les entreprises qui ont reçu un prêt ont réalisé le travail comme promis, que le prêt nécessite des compléments, qu’il a été remboursé comme prévu — ou simplement remboursé. Le Compte du Canada utilise des fonds publics. Il expose donc les ressources du gouvernement et l’argent des contribuables à des risques.
Le projet de loi C-13 a autorisé le ministre des Finances à augmenter la limite de responsabilité du Compte du Canada, ce que le ministre a fait à hauteur de 93 milliards de dollars. Les parlementaires et les Canadiens qu’ils représentent ont le droit de toujours savoir où va l’argent et s’il est dépensé judicieusement.
Par ailleurs, les versements d’Exportation et Développement Canada ont aussi été exclus du budget supplémentaire des dépenses parce que ses programmes ne reçoivent pas de fonds du Trésor. Il s’agit de sommes énormes que nous ne pouvons pas examiner. Il est important que nous recevions des rapports plus détaillés d’Exportation et Développement Canada au sujet des opérations du Compte du Canada, et que les fonds qui lui sont accordés soient inclus dans le budget supplémentaire des dépenses.
Le président du Comité des finances nationales, le sénateur Mockler, nous rappelle au moins une fois par réunion que, au nom des Canadiens, nous devons garantir la transparence, la responsabilité, la prévisibilité et la fiabilité.
C’est sur ce point que je souhaite concentrer mes propres remarques. Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’année a été inhabituelle. Cela ne fait aucun doute. Le 13 mars, nous avons adopté la première loi de crédits sans débat ni étude. Nous avons tous compris l’urgence de la situation, et même avec le recul, nous n’avons pas remis en cause cette décision. Nous étions face à une pandémie, et nous ne savions pas quand nous pourrions retrouver une vie normale. Le gouvernement devait être en mesure de dépenser, et c’est ce que nous avons facilité. La rapidité avec laquelle nous avons réagi en procédant à des changements presque quotidiens pour soutenir les Canadiens est vraiment remarquable. Nous ne devons pas l’oublier.
Pour en revenir à aujourd’hui, nous ne sommes toujours pas en mesure d’accorder aux dépenses le type d’examen qu’elles méritent. Outre le comité plénier de mardi, le Comité des finances a tenu une réunion sur le Budget supplémentaire des dépenses. Nous étudions bien sûr les dépenses liées à la COVID-19. Je tiens à remercier les sénateurs Mockler, Forest et Richards pour le leadership dont ils ont fait preuve dans l’accomplissement de cette tâche complexe, ainsi que le personnel très compétent et brillant qui nous soutient au sein du comité.
Nous avons rapidement écouté et interpellé des dizaines d’experts et de témoins. Or, même si ce rapport va sans aucun doute lever le voile sur les dépenses publiques liées à cette crise, ce ne sera qu’après l’examen de ces deux lois de crédits.
La situation actuelle est inédite. Je comprends que nous ne pouvons pas étudier ces dépenses aussi en profondeur que nous l’aurions voulu, mais je dois admettre que j’ai de plus en plus l’impression que le rôle du Sénat dans l’étude des crédits est quelque peu flou, pour ne pas dire nébuleux.
Je crois que c’est la faute de l’article 53 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui lie les mains des sénateurs dès qu’il est question d’argent. Je rappelle en outre qu’il n’est écrit nulle part dans nos règles que nous devons étudier les projets de loi de crédits. Nous ne les renvoyons à aucun comité — même s’il est vrai que celui des finances étudie tous les budgets des dépenses, ce qui est loin d’être une mince tâche.
Toutes ces études m’ont vite fait réaliser — et je suis persuadée que beaucoup d’entre vous pourraient en dire autant — que les sénateurs sont là pour braquer les projecteurs sur les dépenses du gouvernement. Or, ce rôle est encore plus capital quand un parti détient la majorité des sièges à l’autre endroit ou quand, comme présentement, l’approbation des crédits doit se faire en quatrième vitesse parce que le pays et la planète sont aux prises avec une urgence sanitaire.
Peu de Canadiens ont le temps de comparer les postes horizontaux des différents budgets des dépenses avec les lois de crédits que nous étudions à intervalles réguliers. On est loin du roman de gare, disons. Pourtant, les contribuables ont le droit de savoir à quoi sert leur argent et comment il est dépensé. C’est là que nous entrons en scène.
Chers collègues, je vais donc mettre mon chapeau d’enseignante et vous inviter à faire des travaux supplémentaires cet été. L’exercice vous paraîtra peut-être un peu pénible — ce fut mon cas à mon arrivée ici —, mais l’exercice en vaut la peine.
Il ne s’agit pas de mettre en doute les compétences de mes collègues, qui les ont largement démontrées au cours de la séance en comité plénier de mardi dernier. Je sais seulement que, lors de ma première réunion du Comité des finances nationales, la langue que j’entendais n’était ni l’anglais ni le français.
Qui plus est, si la sénatrice Marshall dit qu’elle a eu du mal à faire le suivi de l’argent cette fois-ci, je peux affirmer avec certitude que le reste d’entre nous avons eu aussi des difficultés à cet égard.
Mon apprentissage n’est pas terminé, mais ce que j’ai appris jusqu’à maintenant a fait de moi une meilleure sénatrice. Je sais désormais que plus il y aura de gens pour suivre la trace de l’argent, mieux les Canadiens se porteront. Ce sera d’autant plus important au cours des prochaines années. Le gouvernement a ouvert les valves pour tenter d’éviter un désastre économique et a accumulé une dette considérable. Dans cette enceinte, les opinions diffèrent quant au bien-fondé et à l’efficacité de ces dépenses, mais nous pouvons tous convenir que la manière dont l’argent est dépensé sera une question prioritaire au cours des prochaines années.
Si à notre retour à l’automne nous avons plus de 105 paires d’yeux pour scruter chaque détail du Budget supplémentaire des dépenses, le pays s’en portera mieux. Je ne parle pas seulement des éléments assortis des plus grandes enveloppes, mais aussi des éléments les plus insignifiants. La qualité des débats sur les budgets grimperait d’un cran. Les ministres seraient mal à l’aise à l’idée de devoir se tenir prêts à justifier leurs dépenses et à rendre des comptes sur chaque dollar utilisé. Cela enverrait un message clair au gouvernement que ses dépenses seront mises à nu devant le Sénat.
Merci, chers collègues, de m’avoir permis de prendre la parole sur ce sujet. Je vous souhaite la santé et le bonheur d’ici à ce que nous soyons à nouveau réunis.
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-19 pour dire que je suis moi aussi inquiet de ce qui est arrivé au Canada et au Parlement au cours des dernières semaines et des derniers mois. C’est une tendance qui a commencé à se dessiner non pendant les derniers mois et pendant la situation de crise que nous traversons, mais bien avant, même avant la COVID-19.
Je sais qu’on se sert du coronavirus comme justification pour expliquer qu’un quart de billion de dollars ont été ajoutés à la dette nationale en quelques semaines seulement. Or, la vérité, c’est que cela fait depuis 2015 que nous observons la même irresponsabilité dans la gestion des finances et que nous devons faire le même constat déplorable.
Le sénateur Harder fait valoir que peu importe le plan présenté par le gouvernement, il était certain que le sénateur Plett s’y opposerait. Je suis tout aussi certain que même en l’absence d’un plan, le sénateur Harder aurait pris la parole pour entonner les louanges du gouvernement.
Je ne pense pas qu’il s’agit d’une réponse adéquate compte tenu des vives préoccupations que j’ai en ce moment. Nous avons incontestablement traversé une pandémie et nous tentons toujours de la surmonter. Chaque jour, nous en apprenons davantage sur nos bons et nos mauvais coups. En temps et lieu, nous pourrons dresser un bilan. Cela viendra. Une chose est certaine : si la pandémie ne nous achève pas, il ne fait aucun doute que la situation économique telle qu’elle l’est maintenant aura raison de nous au cours des prochaines années.
Le gouvernement doit agir avec le même empressement pour rétablir la situation financière du pays que celui dont il a fait preuve au cours des dernières semaines pour lutter contre les répercussions de la COVID-19.
Nous, chers collègues du Sénat, avons la responsabilité fondamentale d’être la voix des Canadiens. Nous sommes une Chambre du Parlement qui représente les citoyens. Nous sommes également les gardiens des droits et des privilèges des contribuables. Nous devons incarner la dernière ligne de défense en posant des questions au gouvernement, en le rappelant à l’ordre chaque fois que nous le jugeons nécessaire et en lui demandant de rendre des comptes.
Je demande à chacun d’entre vous de faire un examen de conscience et de réfléchir à ceci. Nous venons de dépenser 250 milliards de dollars dans les dernières semaines. Au cours des prochaines semaines, nous aurons ajouté un quart de billion de dollars à la dette du pays, un pays qui a 153 ans. Pendant votre réflexion, demandez-vous si nous avons fait l’étude nécessaire au nom des contribuables ou si, comme nous le faisons si souvent au Parlement, nous nous sommes laissé convaincre par un gouvernement qui, profitant de l’urgence de la situation, nous a dit qu’il ne fallait pas nous en faire, qu’il fallait adopter ces mesures rapidement, faute de quoi, il faudrait en subir les conséquences.
Évidemment, c’est un argument convaincant. Ils nous ont acculés au pied du mur. Qui oserait dire : « Attendez une seconde, il ne faut pas adopter ces mesures en une demi-heure; il faudrait peut-être le faire en trois heures ou en trois ou quatre jours. » Appelons un chat un chat. Certains programmes ont été mis en place à la hâte en mars et en avril. Le gouvernement s’est engagé à mettre en place d’autres programmes, mais nous les attendons toujours.
Au bout du compte, les politiciens font toujours des choix en fonction de la politique. Les choix des gouvernements sont toujours fondés sur des considérations politiques. Il incombe aux Parlements de faire des choix en fonction des intérêts des Canadiens.
Dans son discours convaincant, le sénateur Harder a dit un peu plus tôt que, à la Chambre des communes, tous les partis sont consultés et que toutes les négociations sont menées comme à l’habitude. Selon lui, rien n’est fait en vase clos, et l’opposition a, bien sûr, amplement l’occasion d’examiner soigneusement les projets de loi.
L’opposition n’a pas vraiment l’impression d’avoir eu suffisamment de temps pour mener un examen en profondeur, mais là n’est pas la question. Je vais parler du Sénat. Avons-nous eu suffisamment de temps? Une ou deux réunions de comité suffisent-elles pour présenter un projet de loi de crédits de 18 milliards ou de 53 milliards de dollars? Certainement pas. On nous a convaincus d’accélérer le processus de toute urgence. La vérité, c’est que nous n’avons pas joué notre rôle de gardiens des intérêts des contribuables, même s’ils nous paient généreusement pour le faire.
Je suis inquiet. Je suis arrivé ici en 2009. Année après année — ce n’est pas propre à un parti politique en particulier —, j’ai remarqué l’érosion de l’influence et de la responsabilité du Parlement. La vérité, c’est que les politiciens qui sont élus et qui forment l’exécutif considèrent la Chambre haute, l’autre endroit, comme un obstacle. Comme nous le savons tous, au bout du compte, ils veulent faire avancer leurs plans; ils considèrent qu’ils ont une obligation envers l’électorat et qu’ils doivent prendre des mesures maintenant. Or, nous avons, nous aussi, une obligation.
À notre arrivée ici, nous avons prêté serment et avons été nommés au Sénat à titre de gardiens des intérêts des contribuables et des citoyens de ce pays. Nous devons aussi nous demander comment le moindre dollar est dépensé. C’est le gouvernement qui prend la décision finale, mais c’est nous qui devons poser les questions difficiles.
Le fait est que lorsque le gouvernement a été élu, en 2015, il a hérité d’un budget équilibré. Certains parleront d’un surplus de 2 milliards de dollars, d’autres d’un déficit de 2 milliards de dollars, mais quoi qu’il en soit, le bilan financier était assez bon en 2015. Même aujourd’hui, par rapport à la situation avant la COVID, en 2019, ce bilan était vraiment bon.
Le premier ministre actuel a été élu en 2015 en déclarant à qui voulait l’entendre que le Canada avait le meilleur ratio dette-PIB au monde. Il avait raison. Nous avions le meilleur ratio dette-PIB au monde en 2015. Cela ne fait aucun doute.
Cet exploit était le résultat de deux décennies d’efforts — non seulement de la part du gouvernement Harper, mais aussi de la part du gouvernement Chrétien — visant à équilibrer le budget.
Bien entendu, le gouvernement précédent a aussi hérité d’une crise. Ce n’est rien de nouveau, il s’en produit régulièrement. Les gouvernements en place lorsque la conjoncture économique est favorable se préparent pour la crise qui ne manquera pas de survenir un de ces jours.
En réalité — encore une fois, le sénateur Harder dit que ce gouvernement —, il ne faut pas un seul plan, le gouvernement doit avoir tout un lot de plans. Le fait est que le gouvernement est bien meilleur pour les beaux discours que pour les plans et les chiffres.
En matière de nombrilisme et de beaux discours, il obtient une excellente note. Pendant le comité plénier, le ministre nous a dit que si les ministres comparaissaient devant nous, c’était grâce à la réforme du Sénat. Allons donc, chers collègues, nous savons tous comment fonctionne le Parlement. Il n’y a pas eu de réforme du Sénat.
Le Sénat a toujours eu le pouvoir d’inviter un ministre à comparaître devant le comité plénier et l’a toujours fait au besoin. C’est un droit et une obligation que nous avons en tant que parlementaires. Aucun changement n’a été apporté par un gouvernement, que ce soit celui-ci ou un autre auparavant.
Selon moi, les libéraux peuvent rendre des comptes au sujet des chiffres. En 2015, ils ont été élus après avoir promis qu’ils augmenteraient le budget — c’est l’engagement qu’ils ont pris devant la population quand ils ont été élus — et que le déficit ne dépasserait pas 10 milliards de dollars. Ils ont dit que le déficit serait gérable. Ils se sont engagés à renouer avec l’équilibre budgétaire au plus tard en 2019. Eh bien, l’année 2019 est derrière nous, et la vérité, c’est que le budget n’a jamais été équilibré. Le déficit contrôlé — modeste et raisonnable — qui devait atteindre 10 milliards de dollars est passé à 30 milliards. Le gouvernement a donc dû se passer de ces 30 milliards de dollars pour faire face à la crise de la COVID-19.
Le gouvernement n’a pas su gérer convenablement la situation financière du pays. Les investissements étrangers au Canada ont diminué de moitié après avoir atteint 41 ou 43 milliards de dollars en 2014-2015, du jamais vu.
La valeur du dollar canadien a dégringolé comparativement à ce qu’elle était entre 2008 et 2015. Notre secteur des ressources naturelles en a pris pour son rhume et a il été réduit à néant. La vérité, c’est que, en période de prospérité, on pouvait faire des réserves en vue de crises éventuelles, comme celle qui a frappé le pays en 2008 et en 2009.
Maintenant, le directeur parlementaire du budget tente de comprendre la situation financière du pays et il prévoit un déficit de 280 milliards de dollars cette année. Le gouvernement dit : « Non, selon nous, c’est 240 milliards. » Chers collègues, le gouvernement ne se trompe pas de seulement quelques milliards de dollars; il se trompe de 20 milliards de dollars.
Vous savez pourquoi il se trompe de 20 milliards de dollars, voire de 30 milliards de dollars? C’est parce que le gouvernement actuel n’a, par défaut, aucun sens de la responsabilité financière. Il n’a aucun plan. Chers collègues, à quand remonte le dernier budget du gouvernement? Le premier ministre et le ministre des Finances admettent et répètent depuis des semaines qu’ils ne sont même pas capables de fournir un énoncé économique parce qu’il ne connaissent pas les chiffres. Ils n’arrivent pas vraiment à faire le calcul.
Pouvez-vous imaginer, sénateur Loffreda, si le président et chef de la direction de votre ancienne banque disait : « Je ne peux vous fournir d’états financiers ou de budget cette année parce que j’ignore quels seront les chiffres »? Je doute que les actionnaires accepteraient cela de bon gré. Si les actionnaires de la Banque Royale ou de n’importe quelle société de taille moyenne ou grande ne toléreraient pas cela, pourquoi les contribuables de ce pays le toléreraient-ils? Pourquoi nous, à la Chambre haute, le tolérerions-nous? Pourquoi tolérons-nous cela?
Je vais vous permettre à tous d’y réfléchir et de vous poser ces questions lorsque nous nous regarderons dans le miroir en rentrant chez nous dans quelques jours. Je pense que nous connaissons tous les réponses. Ce n’est tout simplement pas acceptable.
Nous avons bien entendu appris tout récemment que la cote de crédit du Canada est passée de AAA à AA+. Je rappelle qu’il a fallu 20 ans de travail pour obtenir la cote AAA. Ce n’est pas une tâche facile.
Chers collègues, on ne peut pas se contenter de dire que c’est à cause de la pandémie. Non, ce n’est pas seulement à cause de la pandémie de COVID-19. C’est parce que nous n’avions pas mis en place de plan financier pendant les périodes de prospérité, alors que notre économie allait relativement bien, pour être en mesure de faire face à la tempête que nous traversons en ce moment.
Chers collègues, l’Australie, le Danemark, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Norvège et Singapour sont tous des pays qui jouissent d’une cote de crédit AAA. Pourtant, ces pays ont eux aussi été frappés par la pandémie. Ce n’est pas le propre du Canada. Ils ont réussi à s’en sortir, certains mieux que d’autres. Il s’agit là d’un tout autre débat pour une autre fois.
Toutefois, dans un pays comme le Canada, avec la capacité économique et la force des ressources humaines que nous avons au pays, avec la plus grosse classe moyenne du monde au sud de nos frontières, le fait est que nous nous trouvons sur une pente glissante. Croyez-moi, le ratio dette-PIB sera une catastrophe dans quelques mois — de meilleure au monde, notre situation deviendra une catastrophe.
Des collègues se demandent où est l’urgence. Pourquoi critiquons-nous le gouvernement? Pourquoi sommes-nous si sévères envers les ministres? Il ne suffit pas que des ministres défilent devant le comité plénier pendant une heure ou deux pour débiter leurs messages politiques et qu’on nous accorde cinq minutes pour poser des questions cruciales — cela ne l’est pas lorsqu’il s’agit du racisme et certainement pas lorsqu’il s’agit des finances publiques.
Lorsqu’il s’agit d’adopter un projet de loi qui prévoit des dépenses de 53 milliards de dollars sur une période très courte et que nous en faisons l’étude en une ou deux réunions du Comité des finances, pour ensuite tenir les débats aux étapes de la deuxième et de la troisième lecture ici, c’est comme la Formule 1 — je vous le dis. Je viens de remplacer le système de climatisation dans ma maison. J’ai remplacé le compresseur. Croyez-moi, j’ai fait preuve de plus de diligence pour cela que nous le faisons ici, aujourd’hui, pour des dépenses de milliards de dollars.
Alors, pourquoi traitons-nous les finances des contribuables et des gens que nous représentons avec autant de négligence alors que nous traitons nos finances personnelles avec une telle diligence et un tel intérêt?
Chers collègues, je sais comment cet endroit a évolué au fil des ans et je sais que le Parlement a commencé à s’affaiblir et qu’il s’est affaibli. C’est ce que je constate depuis 2009, quand je suis arrivé au Sénat et que le premier ministre de l’époque se montrait très agressif contre cette institution. Je suis conservateur. Je l’admets. J’ai eu de nombreuses disputes avec lui.
Au bout du compte, je l’ai constaté à maintes reprises de la part de premiers ministres consécutifs. Quand ils sont dans l’opposition, ils ont tout le temps du monde à consacrer à la Chambre des communes et au Sénat et ils croient que nous devons faire preuve de diligence raisonnable et poser les questions difficiles. Aussitôt qu’ils deviennent premiers ministres, ils veulent réaliser leur programme. Ils veulent faire ce qui est politiquement opportun. Ils s’empressent pour les prochaines élections. Je ne suis pas pressé. Vous ne l’êtes pas non plus. Nous ne devrions pas l’être en raison de notre mandat, et pour aucune autre raison, comme nos allégeances politiques. Nous avons nos opinions. En définitive, nous devons aux personnes qui nous ont nommés ici de faire preuve de diligence avec les deniers publics.
Chers collègues, c’est avec réticence que je vais voter en faveur du projet de loi, car, comme vous tous, on me met un fusil sur la tempe. Il en est ainsi depuis trois mois. Voilà la vérité. Une fois que la poussière sera retombée, nous serons tout aussi responsables du déficit qui se chiffrera d’ici la fin de l’année à un quart de billion de dollars ou plus. Nous sommes aussi directement responsables — je crois que, au point où en sont les choses aujourd’hui, le Canada a dépassé la barre du billion de dollars pour ce qui est de la dette.
Je n’ai pas toutes les solutions, et je ne prétends pas les avoir, mais je sonne l’alarme concernant certains problèmes qui devraient inquiéter chacun d’entre nous, maintenant et à l’avenir. Nous nous sommes jetés dans un fossé et il nous faudra au moins trois décennies pour en ressortir. Merci, chers collègues.
Le temps de parole du sénateur Housakos est écoulé. S’il souhaite répondre à la question, il doit demander cinq minutes de plus.
Je serai heureux si la Chambre m’accorde cinq minutes de plus.
Sommes-nous d’accord pour cinq minutes de plus? D’accord.
Sénateur Housakos, je vous ai écouté attentivement. Il est tout à fait vrai que le gouvernement libéral, même avant cette crise, dépensait beaucoup, et il est vrai aussi que nous avons beaucoup dépensé. Cela dit, je trouve qu’il est toujours plus facile de faire la leçon après que pendant une crise.
J’aimerais vous interroger plus particulièrement sur un de vos énoncés. Vous avez dit que, lorsqu’on a commencé à annoncer les programmes d’aide, on aurait pu rester deux ou trois jours dans cette Chambre pour étudier tout cela sérieusement. J’aimerais que vous vous rappeliez l’état d’esprit et l’état du pays lorsque nous avons adopté la Prestation canadienne d’urgence, soit le premier programme. Les gens perdaient leur emploi en grand nombre. Les gens ne possèdent pas tous un compte en banque bien garni; certains vivent au jour le jour, semaine après semaine. Il y avait donc urgence. Je dois vous dire que, comme sénatrice, je me sentais moi-même incapable de dire à ces gens : « Attendez, nous allons étudier tout cela; nous allons parler pendant trois jours et nous vous reviendrons plus tard. »
Si l’on parle de trouver un amendement ou une solution pour qu’il y ait possiblement moins d’erreurs, ou qu’il n’y ait possiblement aucune fraude dans la distribution de la Prestation canadienne d’urgence, si l’on parle de trouver la solution parfaite pour envoyer rapidement les chèques, tout en contrôlant à qui on les envoyait, bien franchement, ce n’est pas une question de législation, mais plutôt de machine bureaucratique. Pour ce qui est de cet aspect, le Sénat a assez peu d’influence.
Sur cette partie de votre argumentaire, je vous avoue que je ne suis pas sûre que le Sénat a la bonne réputation ou la solidité requise pour arrêter le pays pendant trois jours et dire : « Attendez, nous allons en parler et nous vous reviendrons un peu plus tard. » Qu’en pensez-vous?
Sénatrice, j’apprécie la question. D’abord et avant tout, la beauté du gouvernement — ceux parmi nous qui sont à Ottawa depuis assez longtemps l’ont constaté —, c’est de voir les politiciens demander ouvertement de l’argent de toute urgence, parce qu’ils doivent le distribuer le plus rapidement possible. Comme nous l’avons vu, les projets de loi ont été adoptés rapidement. À l’opposé, les programmes n’ont pas été déployés aussi rapidement que promis. Par exemple, le secteur pétrolier attend toujours la réalisation des promesses que le gouvernement actuel lui a faites.
Cela dit, nous devons également être conscients du fait que la population canadienne est passée par un stade transitoire. Ce n’est pas le cas du gouvernement; permettez-moi de reformuler la réponse.
Ma critique est que, pendant les quatre années au pouvoir du gouvernement avant la COVID, le pays s’est endetté de 30 milliards de dollars, alors qu’il aurait été très utile de pouvoir distribuer cet argent au début de la crise.
La crise a débuté en mars et, trois mois plus tard, nous ne connaissons toujours pas les détails relatifs aux dépenses. Il semble qu’elles s’accélèrent, mais nous ne savons pas où fixer la limite et où cibler les dépenses.
Trois mois, c’est une éternité en matière de fonctionnement et de réactions du gouvernement, entre autres. C’est là que se situe ma critique. Mon point est que, en tant que parlementaires, si nous avions pris quelques jours de plus, une semaine, dix jours ou trois semaines de plus, je ne crois vraiment pas que nous aurions mis des vies en péril.
Par ailleurs, nous avons vu que le gouvernement n’est pas pressé de rappeler le Parlement. Les épiceries fonctionnent à plein régime. Les gens reprennent le travail à toute allure. La première chose que le gouvernement a suspendue au pays, c’est le Parlement. À l’heure actuelle, la dernière chose qui recommencera à fonctionner à plein régime, c’est le Parlement. Voilà ce que je trouve insensé.
Nous comprenons tous l’urgence de la situation. J’étais prêt à siéger dans cette enceinte et à travailler pendant cette situation d’urgence. Je sais que la plupart d’entre vous y étaient également disposés. Encore une fois, vous pouvez constater à quel point cette Chambre siège de manière plus intensive que l’autre Chambre. Se pourrait-il que, étant donné que le gouvernement est minoritaire, l’autre endroit soit moins susceptible de travailler autant que le Sénat devrait le faire?
J’irai encore plus loin. Je pense que tous les parlementaires ont l’obligation de ne pas être les premiers à plier bagage et à rentrer chez eux pendant la crise. En temps de crise, les dirigeants doivent diriger. Voilà, à mon avis ce que nous aurions dû faire.
Avez-vous une question, sénatrice McPhedran?
Le sénateur Housakos accepterait-il de répondre à une question?
Bien sûr.
Monsieur le sénateur Housakos, rafraîchissez ma mémoire. Je ne me souviens pas que vous ayez participé aux séances d’information technique par téléconférence qui ont lieu presque tous les jours depuis maintenant trois mois pour permettre à des parlementaires de poser des questions à des fonctionnaires ministériels. Est-ce que je me trompe?
Je n’ai pas participé à ces séances.
Comme j’y participe régulièrement, j’ai pu me rendre compte d’un phénomène très intéressant, à savoir que presque tous les partis, presque tous les groupes partisans, sont représentés lors de ces séances. Un certain nombre de sénateurs y participent aussi. Durant chacune de ces séances, les parlementaires ne cessent de dire aux représentants du gouvernement que les Canadiens sont dans une situation extrêmement difficile. Nous posons des questions très précises et nous relayons des cas très réels et détaillés de personnes qui n’obtiennent pas l’aide dont elles ont besoin.
Le thème qui revient le plus souvent lors de ces appels est le besoin de soutien supplémentaire. La question que j’aimerais vous poser est donc la suivante : qu’auriez-vous fait de différent?
Sénatrice, j’ai fait des démarches moi aussi. J’ai été en communication continue avec les bureaux des ministres Morneau et Champagne. Certains des citoyens de ma région sont aussi aux prises avec des difficultés, et je m’en suis occupé directement par l’entremise des bureaux des ministres. Ces séances d’information technique par téléconférence sont une bonne chose, mais ils ont lieu a posteriori. Dans les faits, les fonctionnaires se présentent devant les parlementaires pour nous dire ce qui est à notre portée. Les décisions ont déjà été prises lors de ces appels. De façon générale, ils ne font que nous faire un résumé des programmes, sénatrice. Lorsqu’ils donnent de l’information sur les programmes, le train a déjà quitté la gare.
Et ajuster les programmes...
Au fur et à mesure que les choses évoluent, certainement. Toutefois, j’aurais fait en sorte que les comités parlementaires siègent de façon plus intensive. J’aurais convoqué les intervenants pour pouvoir leur poser directement des questions afin de connaître leurs besoins. Je crois que cela aurait été la meilleure manière pour le Parlement d’aborder cette problématique. Tous ces intervenants ont le droit de prendre la parole devant les parlementaires. Combien avons-nous de comités permanents au Sénat? Combien y a-t-il de comités permanents à la Chambre des communes? Tous ces comités auraient dû siéger et être prêts à agir.
Ce qui est plus important encore, le gouvernement aurait dû utiliser ces mécanismes comme un mécanisme de consultation afin de mieux comprendre où en est la population, quelles sont ses préoccupations et ses besoins. Je peux vous affirmer une chose à propos de notre pays : le premier programme mis en œuvre par ce gouvernement a été la Prestation canadienne d’urgence pour...
Désolé, sénateur Housakos, votre temps de parole est écoulé.
Nous reprenons le débat.
Honorables sénateurs, nous sommes saisis aujourd’hui du projet de loi C-18, le deuxième projet de loi de crédits provisoires du gouvernement, puis du projet de loi C-19 pour le Budget supplémentaire des dépenses (A) et ainsi de suite. Mes remarques seront très brèves et de portée générale.
Voici où nous en sommes. La dette du Canada, grâce au gouvernement Trudeau, pourra probablement dépasser le billion de dollars. Chers collègues, cela ne vaudra qu’un instantané économique. Pas de budget, pas de mise à jour économique, pas de détails, pas de projections, pas de plan économique pour relancer officiellement l’économie et, bien sûr, ce qui caractérise le présent gouvernement depuis qu’il est au pouvoir, pas de responsabilité, pas de transparence.
Le premier projet de loi de crédits provisoires, le projet de loi C-11, a été adopté par le Sénat à la vitesse de la lumière. Nous parlons d’un montant de 44 milliards de dollars, pour lequel il n’y a eu aucun débat. Nous avons maintenant le deuxième projet de loi de crédits, le projet de loi C-18, à hauteur de 55 milliards de dollars. Aucune étude détaillée et approfondie n’a été réalisée, à l’exception de ce qui a été fait au Sénat.
Ensuite, il y a un Budget supplémentaire des dépenses (A) qui n’a été étudié en comité que pendant quatre heures — quatre heures pour étudier des autorisations budgétaires s’élevant à 87 milliards de dollars, dont 6 milliards au titre des autorisations de crédits et 80,9 milliards de dollars au titre d’autorisations législatives déjà approuvées. Quant au prolongement prévu de huit semaines de la Prestation canadienne d’urgence, le directeur parlementaire du budget a annoncé hier qu’il coûterait à Ottawa 17,9 milliards de dollars de plus.
Chers collègues, nous avons appris au cours d’une séance du comité plénier qu’un troisième projet de loi de crédits sera présenté cet automne. Espérons au moins que nous pourrons l’étudier correctement.
Il est vrai que nous sommes confrontés à des temps sans précédent et extrêmement difficiles, mais ce n’est tout simplement pas une excuse pour ne pas effectuer une véritable mise à jour économique. Aujourd’hui, plus que jamais, les Canadiens ont besoin de savoir comment l’économie se porte et où nous en sommes. Quelles seront les répercussions de la pandémie sur notre économie ? Quel sera le plan du gouvernement une fois la pandémie dernière nous? Qu’en sera-t-il des recettes, des dépenses, des emprunts, du déficit, etc. La population canadienne a le droit de savoir comment les fonds publics sont dépensés, et elle a le droit de demander des comptes au gouvernement. Tout cela se produit alors que le gouvernement et notre démocratie ont été mis au rancart et remplacés par le cirque matinal quotidien du premier ministre, où il balance une accroche en terminant ses conférences de presse par l’inévitable « restez à l’écoute, nous annoncerons d’autres mesures demain et cette semaine », comme si les Canadiens et les entreprises canadiennes qui luttent pour rester à flot, et ceux qui envisagent le suicide avaient vraiment le luxe de rester à l’écoute et d’attendre.
Maintenant que le premier ministre s’invite dans chaque maison tous les jours grâce à ses conférences de presse matinales, il n’aura pas besoin de frapper aux portes pour préparer sa campagne électorale. Au moins, cette fois-ci, il n’aura pas besoin de deux avions ni même d’un seul.
C’est ce qu’il fait, bien à l’aise devant le perron de son chalet, d’où il annonce des mesures d’aide. Les gens doivent ensuite attendre pendant des semaines, voire des mois, avant d’obtenir l’aide promise. Hélas, dans certains cas, l’aide annoncée n’arrive jamais. Je pense notamment à l’aide promise le 25 mars au secteur de l’énergie et qui devrait être versée dans les heures, voire les jours suivants. Trois mois plus tard, l’aide se fait toujours attendre.
Un autre exemple déchirant est celui de nos aînés. Fin mars également, le premier ministre a déclaré que les personnes âgées obtiendraient de l’aide. Après avoir suscité de l’enthousiasme pendant près d’un mois et demi en promettant une aide importante aux aînés, la décision a été annoncée le 12 mai : un paiement unique non imposable de 300 $ pour ceux qui ont droit à la Sécurité de la vieillesse. Pour compléter cette aide vraiment extraordinaire, le gouvernement a fait une offre supplémentaire de 200 $ aux personnes admissibles au Supplément de revenu garanti, ce qui représente un total de 2,5 milliards de dollars. On parle de 2,5 milliards de dollars pour les aînés, comparativement à 9 milliards de dollars pour les étudiants.
Mettons les choses en perspective. Le gouvernement a lamentablement laissé tomber les courageux Canadiens qui ont aidé à bâtir le pays, mis leur vie en danger pour défendre le Canada et versé pendant des décennies des taxes et des impôts dans les coffres fédéraux. Que fait le gouvernement? Il dit implicitement à ces personnes qu’elles ne sont pas aussi importantes que les étudiants et qu’elles ne contribuent pas assez au pays pour mériter une aide financière importante. Quelle honte.
Je pense que la majorité des Canadiens sont étonnés du manque de respect dont le gouvernement fait constamment preuve à leur égard. La semaine dernière, pendant un de ses points de presse quotidiens, le premier ministre a dit qu’il y a :
[...] tant de choses que nous ne savons pas que faire des projections sur ce à quoi pourrait ressembler notre économie dans six mois serait un exercice d’invention et d’imagination.
Le gouvernement a les ressources financières et humaines nécessaires pour présenter une mise à jour économique détaillée, mais refuse intentionnellement de le faire alors que des provinces l’ont fait. Même le directeur parlementaire du budget, M. Giroux, s’efforce de mettre à jour ses conclusions régulièrement et fait de son mieux pour fournir aux parlementaires et aux Canadiens des détails qui leur donnent une idée de la situation de l’économie, et ce, avec des ressources humaines et financières moindres. Qui plus est, M. Giroux n’a même pas accès à autant d’information que le gouvernement. Honorables sénateurs, il a vraiment fait un travail incroyable jusqu’ici. Au début de juin, il a dit que ce n’était « pas sorcier » pour le gouvernement fédéral de fournir des prévisions financières.
Honorables collègues, pour être honnête, je suis étonné, pour ne pas dire bouleversé. Lorsqu’une ancienne vérificatrice générale comme la sénatrice Marshall nous dit qu’elle a du mal à comprendre les chiffres après avoir effectué des recherches, consulté tous les sites Web et analysé les graphiques de la Banque du Canada, c’est assez inquiétant. Sénatrice Marshall, je tiens à vous remercier de votre travail exceptionnel.
Pour terminer, je suppose que la seule chose qui reste à faire est d’attendre l’instantané économique. Ce qui doit arriver arrivera. Que sera sera. Je vous remercie de votre attention.