La Loi sur le gouverneur général
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat
1 juin 2021
Propose que le projet de loi S-232, Loi modifiant la Loi sur le gouverneur général (pension de retraite et autres prestations), soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, après la démission de la gouverneure générale, la très honorable Julie Payette, les Canadiens ont découvert une incohérence aberrante dans la loi. En fait, lorsqu’un gouverneur général ne termine pas son mandat habituel de cinq ans, il a quand même droit à une pension à vie assortie de nombreux avantages financiers. Le 30 mars dernier, j’ai déposé un projet de loi pour corriger cette situation.
Comme la majorité des Canadiens, j’ai été estomaqué de constater que la gouverneure générale, après sa démission, bénéficiera d’une pension à vie de 150 000 $ par année et d’une allocation annuelle de 206 000 $ pour ses frais de représentation. Pour moi, il était hors de question de simplement m’indigner et de ne rien faire. Il fallait essayer de faire quelque chose de concret pour mettre fin le plus rapidement possible à cette incongruité qui dérange beaucoup de Canadiennes et de Canadiens.
Dans les faits, le salaire moyen au Canada s’élève à 48 800 $. De plus, pour qu’un salarié puisse accumuler un fonds de pension digne de ce nom, il doit y avoir contribué durant plusieurs années.
Si l’on adopte le simple point de vue d’une administration publique rigoureuse, il est inconcevable et insoutenable qu’une personne qui n’a pas terminé son mandat de cinq ans reçoive automatiquement une pension à vie, et ce, peu importe le nombre d’années au cours desquelles elle a exercé ses fonctions.
Déjà, le fait de bénéficier d’une pleine pension après cinq ans représente un privilège extraordinaire et unique au Canada. En fait, la gouverneure générale a occupé son poste pendant environ trois ans et quatre mois. Conformément à la Loi sur le gouverneur général actuelle, une personne pourrait occuper son poste trois ans, deux ans, six mois, deux semaines, ou même deux jours, et elle aurait automatiquement droit à ces avantages financiers. Cela n’a aucun sens. Il est clair que le législateur n’avait pas prévu une telle situation, qui est à l’origine de cette incongruité.
Si le projet de loi S-232 est adopté, un gouverneur général aura droit à sa pension de retraite s’il termine son mandat, qui est habituellement de cinq ans. De plus, tout ancien gouverneur général qui n’aura pas exercé la totalité de son mandat, sauf pour des raisons médicales, verra sa pension de retraite à vie suspendue, ainsi que les budgets de fonction.
Ce n’est pas le cas de Mme Payette, qui a occupé ses fonctions durant seulement trois ans et quatre mois et qui a quitté son poste pour des raisons autres que médicales.
Revenons sur les faits. L’objectif n’est pas de faire le procès de l’ex-gouverneure générale, mais bien d’identifier des situations où un individu démissionne de son poste pour des raisons non valables aux fins du droit et du sens commun et dont on ne peut justifier qu’il continue de retirer des bénéfices après avoir occupé une fonction pendant une très courte période.
En juillet 2017, Mme Payette a été nommée 29e gouverneure générale du Canada. Elle est entrée en fonction le 2 octobre 2017. À la suite d’un reportage de la CBC publié le 21 juillet 2020, dans lequel il était question d’un climat toxique qui régnait à Rideau Hall, le Bureau du Conseil privé a déclenché une enquête relativement à des plaintes qui avaient été déposées sur ses relations avec ses collègues de travail et ses subalternes.
Le mandat d’enquête a été confié à une firme privée qui a rencontré, à l’automne 2020, un très grand nombre d’employés actuels et d’anciens employés. Le rapport d’enquête a été déposé au Conseil privé le 12 janvier 2021. Ce rapport était accablant à l’endroit de Mme Payette. Malgré le fait que le rapport d’enquête était largement caviardé, certains extraits laissaient peu de doutes sur ce qui s’était passé à Rideau Hall depuis l’arrivée de Mme Payette au poste de gouverneure générale du Canada.
À la page 193, on peut lire ce qui suit, qui fait sans doute référence aux employés et anciens employés de Rideau Hall :
La grande majorité a soulevé de manière confidentielle des préoccupations au sujet du climat de travail ou du traitement que leur réservait personnellement [...]
Quarante-trois participants ont décrit l’environnement de travail comme étant hostile et négatif. Vingt-six participants ont utilisé les mots « toxique » et « empoisonnée » pour décrire l’atmosphère générale au travail au Bureau du secrétaire du gouverneur général pendant le mandat actuel.
Puis, à la page suivante, on peut lire ceci : « Les allégations des participants comprenaient notamment des allégations de cris, de hurlements, d’agressivité, de dénigrement et d’humiliation publique. »
Une dernière citation tirée du rapport indique assez clairement les conséquences concrètes de ce climat toxique. À la page 241, on peut lire ceci :
Il a été signalé que depuis 2017, soit le début du mandat, de nombreuses personnes ont quitté le Bureau, de façon permanente ou temporaire, ou en congé de maladie, dont un certain nombre qui y travaillaient depuis longtemps. Les participants ont observé que le roulement de personnel a atteint un niveau record, que les employés partaient en bloc; certains ont parlé d’exode d’un certain nombre de personnes compétentes, accomplies et chevronnées. Plusieurs ont affirmé que beaucoup des personnes ayant démissionné pendant le mandat [venaient] principalement de la Chancellerie des distinctions honorifiques et plus récemment, de l’équipe des communications. Il a été mentionné que les personnes parties « adoraient » l’organisation, mais estimaient ne pas pouvoir rester. Plus précisément, 17 personnes ont mentionné avoir quitté le Bureau pendant le mandat en cours en raison de l’environnement de travail qui y régnait.
En parcourant ce rapport, ce genre d’affirmations peu élogieuses revient très fréquemment. Par exemple, on y retrouve le mot « toxique » à 34 endroits différents. Je vous disais donc que le rapport d’enquête, déposé le 12 janvier dernier, était accablant à l’endroit de la gouverneure générale, qui a remis sa démission neuf jours plus tard, soit le 21 janvier 2021.
J’ai fait des recherches pour voir s’il existait un code d’honneur pour la gouverneure générale; je n’ai rien trouvé. Par contre, on a pu trouver le code d’honneur auquel doivent s’engager les employés de Rideau Hall. Je vous en cite un passage :
C’est avec honneur et dévouement que nous travaillons ensemble pour aider le gouverneur général à servir les Canadiens et les Canadiennes avec intégrité, de manière politiquement neutre, en faisant passer l’intérêt public avant nos propres intérêts. Nous sommes fiers d’offrir des services professionnels d’une grande qualité qui respecte les besoins et la dignité de toutes les parties. Nous reconnaissons que toute interaction réussie repose sur la confiance et le respect. Nous encourageons la collaboration en favorisant un milieu de travail sécuritaire, respectueux et sain où les employés et les partenaires sont valorisés pour leur diversité et leurs compétences. Nous reconnaissons que le perfectionnement professionnel nous aide à croître et nous permet de fournir de meilleurs services. Nous reconnaissons et célébrons nos réalisations et tentons d’atteindre un sain équilibre entre notre travail et notre vie personnelle.
Voilà, chers collègues, ce qu’on exige des employés qui travaillent à Rideau Hall avec la gouverneure générale.
Je vous rappelle que celle-ci est la chef d’État de notre pays. Elle doit donc observer des comportements irréprochables et inspirants. Elle doit respecter les plus hautes normes de conduite, au moins aussi élevées que les comportements qui sont exigés dans la fonction publique, parmi ses propres employés et parmi les sénateurs. Quand on étudie le rapport d’enquête sur son administration, et face aux très nombreux témoignages d’employés et d’anciens employés de Rideau Hall, ce n’est assurément pas ce qu’elle fait. Elle a certainement rendu service au premier ministre en lui donnant sa démission. Il aurait été plus que gênant de la maintenir en poste.
La population canadienne a été ébranlée, à juste titre, en prenant connaissance du climat de travail empoisonné qui régnait sous l’égide de la gouverneure générale. La population canadienne n’aurait pas accepté que le premier ministre passe l’éponge sur le passage de Mme Payette à Rideau Hall, et que ce passage n’ait pas de conséquences.
Julie Payette a remis sa démission le 21 janvier 2021. Nous avons été stupéfaits d’apprendre que, malgré le fait que Mme Payette n’a pas terminé son mandat régulier de cinq années consécutives, elle aura néanmoins droit à une pension annuelle à vie de 150 000 $. Pour ajouter à l’incongruité, nous avons également appris qu’elle aura droit à une allocation annuelle de 206 000 $ pour ses frais de fonctionnement et de représentation.
Encore une fois, je n’ai nullement l’intention de faire le procès de la gouverneure générale, mais, pour être tout à fait honnête, chers collègues, j’ai été stupéfait de constater que la Loi sur le gouverneur général n’offre aucune balise en ce qui a trait au versement d’une pension à vie aux anciens gouverneurs généraux.
Comme je le mentionnais d’entrée de jeu, une personne pourrait être nommée gouverneur général, pourrait occuper cette fonction pendant une semaine, pourrait démissionner et bénéficierait de sa pension à vie et des autres avantages financiers que j’ai énumérés tout à l’heure. Cela n’a aucun sens. Il s’agit, de toute évidence, d’une coquille dans la loi et d’une situation qui n’a jamais été envisagée auparavant.
Voici ce que dit le paragraphe 6(1) de la partie II de la Loi sur le gouverneur général :
Le titulaire de la charge de gouverneur général qui cesse de l’exercer reçoit une pension égale à la somme des montants suivants :
a) un tiers du traitement afférent au poste de gouverneur général le 1er mars 1967;
b) la prestation de retraite supplémentaire qui lui serait versée dans l’année de cessation de fonctions aux termes de la Loi sur les prestations de retraite supplémentaires, si elle était calculée comme s’il avait cessé d’exercer sa charge le 1er janvier 1952.
À l’article 6 de la Loi sur le gouverneur général, il n’y a aucune mention de la durée minimale de l’exercice de la fonction qui permet d’avoir le droit de bénéficier d’une pension à vie. À mon avis, c’est une grave lacune dans cette loi.
Dans mon projet de loi, je propose que le texte de l’article 6 de la Loi sur le gouverneur général se lise plutôt comme suit :
Pension
6 (1) Le titulaire de la charge de gouverneur général ayant exercé cette charge pendant au moins cinq années consécutives reçoit, lorsqu’il cesse de l’exercer, une pension égale à la somme des montants suivants :
Deuxièmement, la même loi est modifiée par adjonction, après le paragraphe 6(1), de ce qui suit :
Raisons médicales
(1.1) Un gouverneur général qui, de l’avis du gouverneur en conseil, ne peut, pour des raisons médicales, exercer cette charge pendant cinq années consécutives est réputé l’avoir exercée pendant au moins cinq années consécutives pour l’application du paragraphe (1).
Puis, j’ajoute cette disposition pour traiter de la question du budget de fonctionnement et de représentation des anciens gouverneurs généraux :
Autres prestations
12 Il ne peut être prélevé sur le Trésor une somme destinée à la prestation d’un soutien administratif à un ancien gouverneur général ou au remboursement de dépenses qu’il a engagées que si celui-ci a exercé cette charge pendant au moins cinq années consécutives.
Enfin, j’ajoute, dans mon projet de loi, cette disposition transitoire pour les anciens gouverneurs généraux :
4 (1) Le paiement, au titre de la partie II de la Loi sur le gouverneur général dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de la présente loi, d’une pension à un ancien gouverneur général ayant exercé cette charge pendant moins de cinq années consécutives cesse le jour de son entrée en vigueur.
Cela signifie que, le jour où le projet de loi sera adopté, la pension à vie de la gouverneure générale démissionnaire cessera d’être versée. Elle ne devra pas rembourser ce qui lui aura été versé depuis sa démission, mais ses paiements futurs cesseront à la date à laquelle le projet de loi recevra la sanction royale.
Honorables sénateurs, lorsque j’ai présenté mon projet de loi, j’ai clairement invité le premier ministre à s’en inspirer pour modifier la Loi sur le gouverneur général au moment de présenter son budget. M. Trudeau n’a malheureusement pas accepté mon invitation et le projet de loi C-30 est muet sur cet enjeu. Étonnamment, le projet de loi C-30 modifie pourtant la Loi sur les juges afin de mieux encadrer le versement de leurs pensions.
Cette modification fait suite au cas d’un ancien juge qui a profité de certaines lacunes dans la Loi sur les juges pour bénéficier de sa pension à vie, même s’il n’avait siégé que quelques années et avait été suspendu avec son plein salaire à la suite d’une plainte déposée contre lui. Il a étiré les procédures de façon outrancière, soit jusqu’au 10e anniversaire de sa nomination, ce qui le rendait ainsi admissible à une pension à vie. Je parle ici de l’ancien juge Michel Girouard.
Lorsque le ministre LeBlanc est venu témoigner au Sénat le 12 mai dernier en prévision de l’étude du projet de loi C-30, je lui ai demandé pour quelles raisons son gouvernement n’avait pas inclus un amendement à la Loi sur le gouverneur général dans le projet de loi C-30. Le ministre a eu cette réponse assez surprenante :
Pour ce qui est de la situation de Mme Payette, vous avez absolument raison. Je ne pense pas que les gens ont compris que, effectivement, si on occupe le poste pour cinq minutes ou pour cinq ans, les avantages sont les mêmes en matière de retraite. Je comprends la frustration que les gens ont ressentie dans le cas de Mme Payette. Nous sommes ouverts à examiner ce genre de question.
Honnêtement, je n’ai pas fait le parallèle avec les amendements que mon collègue le ministre Lametti a amenés devant vous dans le cas du juge Girouard. Toutefois, vous avez raison, c’est peut-être quelque chose qu’il faudra considérer.
Je comprends l’inquiétude; on espère que cela ne se produira qu’une fois pour les 154 prochaines années. Il faut présumer qu’il y a quelque chose à apprendre de cette situation. Je prends votre commentaire comme une suggestion et j’y suis assez sensible.
En entendant la déclaration du ministre responsable du Conseil privé de la Reine pour le Canada, qui est responsable de recommander des candidats pour le poste de gouverneur général, je conclus qu’il estime que ce projet de loi mérite sérieusement d’être étudié, et j’ose espérer que ce n’était pas seulement des paroles en l’air. Ce projet de loi est simple et clair et il répond efficacement à une situation problématique dénoncée par un grand nombre de Canadiens et de Canadiennes. Si le gouvernement choisissait d’établir des priorités, il pourrait être adopté très rapidement. L’étude du projet de loi S-232 par un comité du Sénat nous donnera l’occasion d’approfondir notre réflexion sur cet enjeu qui a soulevé la colère de la population. Je vous invite donc, honorables sénateurs, à l’appuyer à l’étape de la deuxième lecture et à le renvoyer à un des comités permanents au Sénat. Je vous remercie.
Est-ce que le sénateur Carignan accepterait de répondre à une question?
Oui, évidemment.
Sénateur Carignan, j’aurais quelques questions à poser au sujet du projet de loi. Je crois que vous avez parlé d’un effet prospectif dans le projet de loi pour les prochains gouverneurs généraux, mais il y a également un effet rétroactif dans le paragraphe 4(1), où vous revenez en arrière pour faire une correction ayant trait aux sommes qui pourraient potentiellement être versées à l’avenir à la gouverneure générale démissionnaire.
Ma question concerne les litiges. Puisque vous êtes avocat, quels pourraient être les litiges associés à une telle situation si l’ancienne gouverneure générale choisissait de contester l’entente contractuelle grâce à laquelle elle est devenue gouverneure générale? Qu’est-ce que cela pourrait engendrer comme litiges et comme coûts potentiels pour le Canada?
Évidemment, il n’y a pas d’effet rétroactif. Si le projet de loi est adopté, la gouverneure générale qui a quitté ses fonctions n’aurait pas à rembourser les sommes qu’elle a perçues entre le moment de sa démission et le moment où le projet de loi a reçu la sanction royale. L’effet du projet de loi est rétrospectif, et non pas rétroactif dans toutes les situations, non seulement pour la gouverneure générale, mais également pour les futurs gouverneurs généraux.
En ce qui a trait au potentiel de contestation, toutes les lois que nous adoptons sont susceptibles d’être contestées. J’ai consulté quelques constitutionnalistes avant de déposer ce projet de loi. Cela explique d’ailleurs pourquoi j’ai pris un peu plus de temps. J’ai attendu que le gouvernement corrige cette coquille, ce qui n’a pas été fait, mais j’ai également consulté les constitutionnalistes afin de m’assurer que, lorsqu’on touche à une disposition ayant trait à la Couronne, au chef d’État du Canada, il n’y a pas d’enjeu constitutionnel. La Loi sur le gouverneur général est adoptée par le Parlement. Par conséquent, elle peut être modifiée par le Parlement. Évidemment, les tribunaux doivent appliquer les lois adoptées par le Parlement si elles ne contreviennent pas à la Constitution. Je n’ai rien vu de tel dans ce projet de loi, et les constitutionnalistes que j’ai consultés ont confirmé que rien dans ce projet de loi n’enfreint une disposition de la Constitution.
Et s’il y avait un litige présenté en cour? Vous n’avez pas répondu à cette partie de ma question. Je voudrais savoir si l’ancienne gouverneure générale peut exercer ces recours et quel effet cela aurait sur la situation de notre pays.
Dans toute décision, toute personne a le droit, lorsqu’elle a un intérêt, d’ester en justice et de tenter sa chance. Selon moi, elle n’aurait à peu près aucune chance de réussir. Cependant, on ne peut pas empêcher qui que ce soit d’exercer un recours dans toute décision administrative, gouvernementale ou individuelle. Il y a toujours un risque que quelqu’un qui subit un préjudice tente sa chance en entamant des procédures. C’est la raison pour laquelle les tribunaux existent. Ils doivent régler des litiges de façon équitable et conforme à la loi, et c’est ce qu’ils feront si la gouverneure générale touchée par ce projet de loi décide d’en contester les dispositions. Dans toutes les décisions que nous prenons ici, si nous nous empêchions d’agir parce que quelqu’un, un jour, est susceptible d’ester en justice et de contester les dispositions de quelque projet de loi que ce soit, nous ne ferions jamais rien.
Nous avons tout récemment adopté une loi spéciale de retour au travail pour les employés du port de Montréal. Nous l’avons adoptée même si elle était susceptible d’entraîner des procédures judiciaires. Une procédure a été déposée devant les tribunaux une semaine après l’adoption de la loi spéciale. C’est la prérogative de tous ceux qui vivent dans une société libre et démocratique, en vertu de notre système de justice.
Sénateur, je ne suis pas sûr de partager votre point de vue sur la non-rétroactivité du projet de loi. Aussi désagréable que nous trouvions l’idée de verser une pension à l’ancienne gouverneure générale, ce n’est pas sa faute si, lorsqu’elle a accepté les modalités de son poste, ce sont ces modalités qui s’appliquaient.
Je ne suis donc pas en faveur d’une disposition rétroactive dans votre projet de loi, mais j’accepte l’esprit du projet de loi, à savoir que nous pouvons corriger la situation à l’avenir, non seulement en ce qui concerne la pension, mais aussi la rémunération supplémentaire pour les autres dépenses encourues après le départ du gouverneur général.
Je ne sais pas pourquoi la disposition est là. Je sais que les anciens premiers ministres n’en bénéficient pas. C’est également le cas, par exemple, pour l’ancien juge en chef de la Cour suprême et d’autres postes semblables. Je ne sais pas pourquoi la demande pour les anciens gouverneurs généraux après la fin de leur mandat est si grande qu’ils nécessitent des fonds supplémentaires. C’est comme si les sénateurs avaient besoin de fonds après avoir quitté le Sénat pour assumer une responsabilité publique. Nous n’en recevons pas. Notre mandat est terminé, le mandat est terminé. Avez-vous envisagé de laisser tomber la disposition pour le plus récent gouverneur général et de passer à d’autres initiatives prévues dans votre projet de loi? Merci.
Merci, sénateur Downe, de votre question. J’y ai pensé. Par contre, c’est le propre d’un projet de loi de faire avancer les débats, les discussions et les réflexions. J’ai déposé ce projet de loi en raison de la situation qui est survenue au bureau de la gouverneure générale, Julie Payette. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi l’effet rétrospectif plutôt que rétroactif. On peut argumenter ce point de vue, mais, selon moi, il faut miser sur l’effet rétrospectif. Évidemment, il revient au Sénat d’en débattre et de proposer des amendements. Ma position consiste à corriger principalement ce que j’ai appelé une « coquille ». À mon avis, aucun législateur n’avait prévu qu’un gouverneur général puisse être en poste pendant deux semaines et recevoir une pension à vie. C’est cette correction qui doit être faite de façon prioritaire, étant donné qu’un nouveau gouverneur général pourrait être nommé dans quelques jours, selon ce qu’a affirmé le ministre LeBlanc. Il vaut mieux adopter les futures conditions de travail immédiatement afin qu’elles soient connues de la personne qui acceptera le poste.
Encore une fois, le but de ce projet de loi est de donner au Sénat l’occasion d’en débattre, d’entendre des témoins et de proposer des amendements. Je ne suis pas du tout contre les amendements. Mon objectif est de corriger la situation. Si des amendements sont proposés à cet égard et qu’ils sont adoptés par une majorité de sénateurs, comme j’ai l’habitude de le faire, je vais respecter la volonté de la Chambre.
Sénateur Carignan, accepteriez-vous de répondre à une question?
Oui, bien sûr.
Je suis d’accord avec l’esprit de votre projet de loi, qui vise à corriger la situation. Toutefois, avez-vous soupesé la possibilité d’avoir une notion de proportionnalité? Mettre fin à ses fonctions pour des raisons médicales fait perdre tous ses droits quant à une indemnité de retraite. Avez-vous analysé cette possibilité dans vos réflexions et vos consultations?
En fait, j’y ai réfléchi un peu, mais la pension de la gouverneure générale ou du poste de gouverneur général est unique au Canada. Cela n’existe pas dans aucun autre système de pension. Les lieutenants-gouverneurs des provinces doivent contribuer à leur fonds de pension pour y avoir droit. Ils doivent y contribuer. Donc, le système pour les lieutenants-gouverneurs est complètement différent de celui du poste de gouverneur général du Canada. Cette pension ne provient pas d’une contribution de l’individu. C’est une espèce de droit inné, qui provient de dispositions législatives, et le gouverneur général n’y verse aucune contribution. C’est pourquoi je n’ai pas voulu aller vers une question de prestations en fonction du temps pendant lequel la personne a occupé les fonctions. Si la personne avait contribué au fonds de pension, j’aurais peut-être été plus ouvert à votre proposition ou à votre suggestion. J’y aurais réfléchi, mais étant donné qu’il n’y a pas de contribution, je voyais mal comment on pouvait en tenir compte.
J’avais une autre question. Je réfléchis tout haut. Il s’agit d’une question d’équité pour la personne qui démissionne après un mois ou quatre ans, c’est un « tout-inclus » ou pas. Je me posais la question, mais on aura l’occasion d’en discuter plus longuement en comité.
Si vous me le permettez, quand vous parlez du « tout-inclus », cela rappelle un peu les éléments des régimes de retraite des parlementaires. Par exemple, on doit travailler pendant six ans. Malheureusement, si on travaille cinq ans et deux mois, même si on verse une contribution, c’est tout ou rien. Il faut avoir travaillé six ans pour avoir droit à la pension. C’est une question d’admissibilité. Selon moi, la condition d’admissibilité devrait être fixée à cinq ans.
Le sénateur Carignan accepterait-il de répondre à une question?
Oui, avec plaisir.
Le Canada n’est pas le seul pays à avoir un gouverneur général. Nous sommes membres du Commonwealth. Il y a un gouverneur général à Antigua, à la Barbade, en Australie, au Belize, à la Grenade, en Jamaïque, en Nouvelle-Zélande, et j’en passe. Que font-ils? Pouvez-vous faire un peu de lumière sur les pratiques exemplaires d’autres pays?
En fait, non. J’ai vu que certains postes de gouverneur général dans d’autres pays étaient non rémunérés, et accordés à titre honorifique, par exemple. D’ailleurs, le Bloc québécois a déposé un projet de loi à l’autre endroit dans lequel il est prévu que le salaire serait de zéro. Il s’agirait simplement d’un poste honorifique sans salaire, une idée que je ne partage pas non plus. Je n’ai pas fait de droit comparé dans le monde. Je n’ai pas consacré de ressources à cet aspect. On pourrait le faire, ce serait peut-être intéressant. L’idée, selon moi, c’était de miser sur le Canada. Je crois que l’on doit être à l’écoute de la population canadienne. De toute évidence, lorsqu’on a rédigé la loi actuelle, on n’avait pas prévu le départ hâtif d’une personne qui occuperait le poste de gouverneur général pendant trois jours, et cette lacune doit être corrigée. Voilà la solution que j’ai proposée. Comme dans le cas de tout projet de loi que je présente dans cette enceinte, mon objectif est d’obtenir un consensus pour arriver à une solution.
Sénateur Carignan, accepteriez-vous de répondre à une question?
Oui, bien sûr. Je crois qu’on a encore du temps.
C’est une courte question. Sénateur Carignan, comment êtes-vous arrivé à la décision de prévoir un mandat d’une durée de cinq ans plutôt que de six ans, ce qui est le cas pour les autres parlementaires, ou un mandat d’une durée de moins de cinq ans? Pourriez-vous expliquer la logique de votre décision?
Selon le libellé de la loi actuelle, le mandat du gouverneur général est d’une durée de cinq ans. Il était donc logique de compléter le mandat original de cinq ans, soit la durée du poste ou des fonctions.
Étant donné que l’intention vise la durée du mandat, pourquoi ne pas le préciser dans le projet de loi pour plus de clarté, puisqu’il est possible que le mandat soit inférieur à cinq ans dans certaines circonstances?
J’ai précisé une durée de cinq ans dans le projet de loi. On a prévu une exception dans le cas de personnes qui quitteraient leur poste pour des raisons de santé. À ma connaissance, cette situation est arrivée une fois dans l’histoire, dans le cas du père du ministre LeBlanc qui avait quitté son poste pour des raisons médicales avant la fin de son mandat. En fait, le seul cas actuellement en vigueur est celui de l’épouse de Roméo LeBlanc qui reçoit une pension à la suite du décès de son mari. La disposition a donc pour but d’éviter qu’elle soit touchée par cet effet rétrospectif.
Est-ce que le sénateur Carignan accepterait de répondre à quelques questions?
Bien sûr.
Au sujet du commentaire que vous venez de faire quant aux droits du survivant, à la disposition transitoire, vous indiquez dans le projet de loi que le paiement commencé au titre de la partie II de la Loi sur le gouverneur général continuerait d’être versé dans le cas d’un survivant. Est-ce que cela voudrait dire que, si Mme Payette devait décéder avant que le projet de loi n’entre en vigueur, par exemple si la Chambre des communes adoptait le projet de loi à l’automne, sa pension de retraite continuerait d’être versée à la personne qui se qualifierait à titre de survivante, mais pas pour elle?
Je ne suis pas sûr d’avoir bien saisi votre question.
En fait, il y a un seul cas, et il s’agit de celui de Roméo LeBlanc, qui a quitté son poste pour des raisons médicales avant d’avoir pu exercer ses fonctions pour une période de cinq années complètes. Il est décédé, et une partie de sa pension est payable à sa veuve, qui continue de la recevoir — à ma connaissance, elle est encore en vie. Pour l’avenir et pour les personnes qui n’avaient pas exercé la fonction pendant une période de cinq ans, on ne voulait pas que, en raison de l’annulation, elles soient touchées par cet effet rétrospectif. Or, comme Roméo LeBlanc a quitté ses fonctions pour des raisons de santé, nous avons appliqué la disposition transitoire de cette façon.
Lors de votre allocution ou en réponse à une question, vous avez fait une analogie avec la situation du juge Girouard. J’aime beaucoup votre projet de loi, parce qu’il comporte aussi une analogie sur la mise à la retraite anticipée pour des raisons qui sont à l’avantage du pays ou pour des raisons de santé, ce que la Loi sur les juges prévoit aussi. Cependant, dans le cas du juge Girouard, avant de modifier la Loi sur les juges, le procureur général a demandé l’opinion de la Commission quadriennale d’examen de la rémunération des juges, pour connaître l’effet sur la pension des juges. La commission quadriennale a jugé qu’il serait inacceptable que l’application de la modification soit immédiate et que la loi s’applique au juge Girouard, en précisant qu’elle ne devrait s’appliquer qu’aux juges subséquents et à ceux qui se trouveraient dans une situation semblable à celle du juge Girouard à l’avenir.
La différence entre votre projet de loi et la situation des juges, c’est que l’application est immédiate; il n’y a pas de rétroactivité, et dès que la loi entre en vigueur, elle est d’application immédiate.
Est-ce que vous ne pensez pas que vous modifiez ainsi les conditions de travail de la gouverneure générale, ce qui est contraire à la situation au moment de l’acceptation des fonctions, alors qu’il y avait des conditions qui s’y appliquaient? Or, vous les changez, pour l’avenir, alors qu’elle les avait acceptées et que, lorsqu’elle a été nommée, elle savait que son poste était assorti de certains avantages. Par conséquent, vous lui retirez, pour l’avenir, des avantages.
Oui, effectivement. C’est une question d’opinion. C’est l’opinion du comité; j’ai aussi mon opinion. Je ne pense pas que l’opinion du comité était basée sur une question de droit constitutionnel, mais peut-être sur l’indépendance des juges. En effet, il peut y avoir un questionnement quant à l’indépendance des juges, parce que cela touche la rémunération et que le juge a quand même contribué pendant cette période à sa pension, ce qui n’est pas le cas de la gouverneure générale.
Je ne sais pas, sénateur Carignan, si vous avez eu l’occasion de lire certains professeurs de droit constitutionnel qui affirment que votre projet de loi requerrait une modification constitutionnelle, parce qu’il a un impact sur la fonction de gouverneur général. Je ne sais pas si vous avez lu cela et si vous avez une réponse à donner à ce sujet.
Je sais qu’il y a aussi un article du National Post selon lequel le projet de loi est une bonne idée, et, finalement, une moins bonne idée.
Oui, mais ce ne sont manifestement pas les constitutionnalistes que j’ai consultés qui, eux, m’ont dit l’inverse. Encore une fois, on peut se poser la question; je pourrais argumenter, mais de toute façon, c’est pour cette raison qu’il y a des juges, et si nous nous retrouvons à la Cour suprême, c’est parce qu’il y a des avocats qui ne sont pas d’accord. Il y a une vieille blague qui dit ceci : « L’avocat est le plus pauvre du village lorsqu’il est le seul avocat en ville. Ajoutez un second avocat, et ils deviennent les deux plus riches du village! » Il peut bien sûr y avoir autant d’opinions qu’il y a de constitutionnalistes, mais en ce qui a trait aux consultations que j’ai menées, il en résulte que la Loi sur le gouverneur général est une loi du Parlement qui peut être modifiée par le Parlement.