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Le Sénat

Motion tendant à reconnaître que les changements climatiques constituent une urgence--Ajournement du débat

2 décembre 2021


L’honorable Rosa Galvez [ - ]

Conformément au préavis donné le 24 novembre 2021, propose :

Que le Sénat du Canada reconnaisse que :

a)les changements climatiques constituent une urgence qui exige une réponse immédiate et ambitieuse;

b)l’activité humaine est, sans équivoque, responsable du réchauffement de l’atmosphère, de l’océan et de la terre à un rythme sans précédent, et est en train de provoquer des extrêmes météorologiques et climatiques dans toutes les régions du globe, incluant l’Arctique, qui se réchauffe à un rythme plus de deux fois supérieur au taux global;

c)l’incapacité de répondre aux changements climatiques a des conséquences catastrophiques, surtout pour les jeunes Canadiens, les peuples autochtones et les générations futures;

d)les changements climatiques ont un effet négatif sur la santé et la sécurité des Canadiens et la stabilité financière du Canada;

Que le Sénat déclare que le Canada est en période d’urgence climatique nationale, qui requiert que le Canada maintienne ses obligations internationales par rapport aux changements climatiques et augmente ses actions climatiques conformément à l’objectif de l’Accord de Paris de maintenir le réchauffement climatique bien en dessous de deux degrés Celsius et de poursuivre les efforts afin de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5 degré Celsius;

Que le Sénat s’engage à prendre des mesures d’atténuation et d’adaptation en réponse à l’urgence climatique et qu’il tienne compte de cette urgence d’agir dans le cadre de ses travaux parlementaires.

— Chers collègues, je m’adresse à vous, en ce début de 44e législature, en espérant que nous, législateurs, puissions tous ensemble répondre à la crise urgente des changements climatiques, qui est maintenant omniprésente dans la vie de tous les Canadiens et Canadiennes.

Au cours des deux dernières années, nous avons été témoins d’événements catastrophiques de plus en plus destructeurs pour l’humanité et la planète entière. Nous avons été accablés par des feux de forêt dévastateurs en Amérique du Nord, en Australie, dans le Nord de l’Afrique et dans les pays de la Méditerranée, des pluies torrentielles et des inondations en Europe, des canicules mortelles en Colombie-Britannique et une saison record d’ouragans en 2020.

Au mois d’août dernier, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat a publié le premier volet de son sixième rapport d’évaluation. Le rapport sur les données scientifiques les plus récentes souligne que les changements climatiques sont, sans équivoque, attribuables aux activités humaines, que ses effets se font sentir dans toutes les régions de la planète et que l’objectif de limiter le réchauffement planétaire à 2 degrés Celsius sera hors de portée si nous ne réduisons pas immédiatement et massivement nos émissions de gaz à effet de serre.

Le secrétaire général des Nations unies, M. Antonio Guterres, a qualifié ce rapport de « code rouge » pour l’humanité. En novembre dernier, le monde entier s’est réuni dans le cadre de la COP26, à Glasgow, pour négocier les modalités d’une action climatique plus ambitieuse et une mobilisation financière accrue pour la lutte contre les changements climatiques. Plusieurs promesses d’actions et d’investissements ont été faites, mais le résultat de ces engagements demeure incertain, alors qu’il est minuit moins et qu’il est primordial de stabiliser le climat de la planète.

Au Canada, les répercussions sont terribles et se font sentir dans l’ensemble du pays. Si on les compare au réchauffement moyen de l’ensemble de la planète, le réchauffement moyen du Sud du Canada est deux fois plus élevé, et celui de l’Arctique est trois fois plus élevé. Ces changements ont d’importantes répercussions dans toutes les facettes de notre vie.

Les changements climatiques influent sur les déterminants sociaux et environnementaux de la santé : air pur, eau potable, nourriture en quantité suffisante, logement sûr. Ils constituent déjà la plus grande menace qui plane sur la santé humaine.

À titre d’exemple, avec le réchauffement du climat, des maladies infectieuses comme la maladie de Lyme se propagent jusqu’à de nouveaux endroits; il y a chaque année de plus en plus de jours où la température est tellement élevée qu’elle peut causer des décès, une situation qui coûtera de 3 à 4 milliards de dollars par année d’ici le milieu du siècle; on prévoit aussi que les pertes de productivité causées par la chaleur atteindront les 14,9 milliards de dollars d’ici la fin du siècle.

Les changements climatiques détruisent des infrastructures de base et des infrastructures essentielles. Les infrastructures du Canada ne sont pas adaptées aux changements climatiques de plus en plus destructeurs et elles n’y sont pas résistantes non plus. Le Canada, qui accuse déjà un énorme déficit infrastructurel estimé à quelques centaines de milliards de dollars, ne peut pas se permettre d’accroître les risques et de perdre d’autres infrastructures s’il veut maintenir la qualité actuelle des services de base. Voilà la crise qui sévit en Colombie-Britannique, et vous en êtes bien conscient. La destruction d’infrastructures de base a isolé des collectivités du reste du pays. La crise a une incidence sur les chaînes d’approvisionnement et les entreprises : comme une grande partie des exportations canadiennes dépendent de seulement quelques corridors de transport vers la côte du Pacifique, les perturbations permanentes ou à long terme causées par des phénomènes météorologiques extrêmes auront des répercussions négatives durables sur le PIB du Canada.

Toutes les provinces et tous les territoires ont été frappés par des phénomènes météorologiques extrêmes qui ont causé des pertes sans précédent pour les Canadiens. En 2020 seulement, ces phénomènes catastrophiques ont causé 2,4 milliards de dollars en dommages assurés.

Au cours de la dernière décennie, il y a eu deux fois plus de dommages et de pertes causés par des phénomènes météorologiques extrêmes qu’au cours des 30 années précédentes, et le coût moyen des pertes subies chaque année a augmenté pour atteindre l’équivalent de 5 à 6 % de la croissance annuelle du PIB.

Si la tendance actuelle se maintient, les changements climatiques pourraient coûter au Canada environ 20 à 43 milliards de dollars par année d’ici 2050. Cette année, les inondations en Colombie-Britannique pourraient dépasser les incendies de forêt de Fort McMurray en tant que catastrophe la plus coûteuse de l’histoire du Canada.

En outre, les conditions climatiques de plus en plus instables représentent un risque pour le système financier canadien, car elles l’exposent à des vulnérabilités multiples qui s’additionnent. L’Institut canadien pour des choix climatiques nous explique la chose suivante :

« [...] les risques à long terme de la transition ne se reflètent pas entièrement dans les prix du marché, ce qui pourrait orienter les mouvements de capitaux vers des actifs plus risqués, à forte intensité d’émissions plutôt que vers des actifs sobres en carbone. »

Chers collègues, les prévisions du marché évoluent à cause de l’accélération des politiques mondiales et des progrès technologiques, mais aussi en raison de ces événements climatiques extrêmement dévastateurs pour les infrastructures. Des actifs à forte intensité d’émissions qui valent des milliards de dollars se retrouvent immobilisés. Ces pertes se répercutent sur l’ensemble de notre système financier. Les plus grandes institutions et organisations financières mondiales nous mettent en garde. Le Conseil de stabilité financière, qui relève du G20, fut l’une des premières institutions financières mondiales à faire le lien entre le changement climatique et l’instabilité financière.

Le réchauffement climatique bouleverse la stabilité sociale et politique partout dans le monde. Au Canada, les Forces armées canadiennes sont de plus en plus souvent sollicitées pour intervenir en cas de catastrophes. Au printemps 2019, davantage de soldats étaient déployés au Canada pour répondre à des catastrophes naturelles qu’à l’étranger.

L’agriculture canadienne souffre aussi des variations de la température et des précipitations. L’été 2021 aura probablement été le plus aride jamais enregistré dans les Prairies, ce qui a entraîné une hausse marquée du prix du blé. L’incertitude entourant nos systèmes agricoles sera source d’importantes hausses du prix des aliments et d’insécurité alimentaire.

Pour les peuples autochtones et les communautés racialisées du Canada, les changements climatiques et la protection de l’environnement constituaient déjà une priorité et une urgence depuis des décennies. Les communautés racialisées ont systématiquement subi les contrecoups des changements climatiques de façon beaucoup plus marquée à cause du racisme environnemental. Les peuples autochtones ont également été la cible d’industries polluantes, ce qui a entraîné la destruction de leurs terres.

Pourquoi une déclaration sur l’urgence climatique, et pourquoi maintenant?

Depuis 2016, 2 044 administrations et gouvernements dans 37 pays représentant plus de 1 milliard de personnes ont déclaré une urgence climatique, la dernière administration en lice étant la Ville de Calgary, qui a adopté cette déclaration il y a deux ou trois semaines dans la foulée de l’élection de sa nouvelle mairesse, Jyoti Gondek. Au Canada, 518 administrations de tous les niveaux ont déclaré une urgence climatique, dont la Chambre des communes, l’Assemblée nationale du Québec et l’Assemblée législative du Yukon.

Il est temps que le Sénat se joigne à ces gouvernements en déclarant une urgence climatique nationale. L’environnement et l’action climatique figurent depuis quelques années parmi les enjeux prioritaires au Canada selon une multitude de sondages, un résultat qui n’est pas surprenant étant donné les urgences climatiques qui sont déclarées partout au pays.

Selon Abacus Data, 73 % des Canadiens avouaient en 2019 avoir déjà senti les effets des changements climatiques et, le mois dernier, les deux tiers des Canadiens exprimaient une frustration face au rythme de l’action climatique du gouvernement fédéral. L’appel des Canadiens est clair, et nous, législateurs, devons l’écouter et agir.

En adoptant cette motion, le Sénat démontrera la solidarité tant attendue par nos concitoyens, et nous enverrons un message fort à la Chambre des communes et au gouvernement selon lequel le Sénat est enfin prêt à être à la hauteur de la situation et qu’il s’attendra dorénavant à une réelle action climatique plus ambitieuse.

J’implore ceux qui hésitent encore à appuyer cette motion de parler à leurs enfants et à leurs petits-enfants et de leur demander ce qu’ils pensent des changements climatiques.

Honorables collègues, je crois que nous ne pouvons faire autrement que d’unir nos efforts et d’appuyer cette motion, car l’enjeu des changements climatiques n’est pas une question partisane; il s’appuie sur des données scientifiques. Nous sommes tous concernés. Les données recueillies par des milliers de scientifiques dans tous les pays du monde représentent l’un des efforts de collaboration les plus impressionnants de l’humanité. Les changements climatiques ont déjà des répercussions concrètes au Canada. Ce n’est pas quelque chose qui arrivera plus tard; les effets se font déjà ressentir. Les conséquences sont coûteuses et dévastatrices, et il est urgent d’agir pour assurer notre santé, notre sécurité et notre stabilité financière.

La façon dont nous devrions nous attaquer au problème des changements climatiques a suscité de nombreux débats et des délibérations intenses, non seulement au Sénat, mais partout ailleurs, et ce débat est nécessaire, car il fait partie du processus démocratique. Cependant, en proposant l’adoption de cette déclaration, je m’attends non pas à ce que nous soyons tous d’accord sur la façon de combattre les changements climatiques, mais à ce que nous reconnaissions l’urgence de la situation, à ce que nous fassions preuve de solidarité envers nos concitoyens, et à ce que nous nous engagions à trouver des solutions constructives dans le cadre de nos travaux parlementaires.

On dit que le Sénat est le défenseur des régions. Or, toutes les régions du pays souffrent actuellement. Les Canadiens méritent que nous reconnaissions qu’il y a une urgence climatique et qu’elle a des répercussions sur leur vie. Ce serait la moindre des choses. J’espère que l’adoption de cette déclaration nous encouragera à unir nos efforts pour trouver des solutions et aider les Canadiens dans le besoin.

J’implore votre aide. Merci. Meegwetch.

Chers collègues, c’est avec plaisir que je prends la parole aujourd’hui au sujet de la motion de la sénatrice Galvez, afin que l’on déclare une urgence climatique nationale pour que le Canada augmente ses actions contre les changements climatiques, conformément aux objectifs de l’Accord de Paris.

Je remercie la sénatrice Galvez de cette motion visant à ce que le Sénat se joigne à la Chambre des communes et aux 500 administrations provinciales et municipales du Canada qui ont déclaré une urgence climatique, y compris la Ville de Rimouski, qui a adopté une résolution officielle en ce sens, en novembre 2018.

Cette résolution survient à un moment charnière alors que la Conférence de l’ONU sur les changements climatiques, la COP26, s’est terminée sans remplir ses promesses.

Malgré certaines avancées, il semble que l’accord final ne permettra pas de freiner le dérèglement du climat. Même si la communauté internationale n’est pas aussi résolue qu’on le souhaiterait pour faire face aux changements climatiques, je crois qu’il est important d’entretenir notre espoir et de continuer la bataille. Le pire qui puisse arriver à ce stade-ci serait de baisser les bras.

J’ai écouté attentivement le discours du Trône et je me réjouis du fait que le gouvernement fasse de cette question une priorité en annonçant certaines mesures : le plafonnement des émissions de gaz à effet de serre, des investissements dans les transports en commun, des contraintes concernant la vente de véhicules à zéro émission et de l’aide pour les communautés qui font face aux effets des changements climatiques. Le moment d’épiphanie du gouvernement fédéral est peut-être tardif, mais c’est en soi une bonne nouvelle.

Personnellement, c’est en regardant les gouvernements locaux que je vois le plus d’espoir quant à la lutte aux changements climatiques. L’espoir vient des villes et de nos communautés locales. On dit souvent qu’il faut penser globalement et agir localement; l’adage n’a jamais été aussi vrai.

Plusieurs sondages sur les priorités des citoyens dans le cadre des élections municipales ont démontré que la question des changements climatiques était la principale priorité des citoyens et des citoyennes dans plusieurs régions du Canada. Il est également rafraîchissant de voir que bon nombre des jeunes qui ont soutenu ces idées ont été élus. Je pense par exemple au nouveau maire de Laval, Stéphane Boyer, qui a présenté une plateforme verte très élaborée et s’est adjoint la réputée écologiste Laure Waridel à titre de conseillère à la transition écologique. Je pense aussi à la cheffe de Transition Québec, Jackie Smith, qui a réussi à se faire élire à Québec avec une plateforme électorale qui met principalement l’accent sur la transition écologique, et à la nouvelle mairesse de Sherbrooke, Évelyne Beaudin, qui a promis de doter la ville d’un plan crédible et ambitieux de lutte aux changements climatiques, élaboré en collaboration avec les partenaires concernés afin d’atteindre les cibles de réduction de gaz à effet de serre prévues dans la Déclaration sur l’urgence climatique.

Plusieurs médias québécois ont remarqué que les environnementalistes semblent prendre d’assaut les élections municipales. Le Québec suit ainsi une tendance lourde qui a été observée ailleurs dans le monde. Il semble que les citoyens préoccupés par l’environnement choisissent de réorienter leur activisme politique vers la sphère municipale, où ils ont l’impression de pouvoir changer les choses concrètement.

En France, par exemple, les écologistes ont obtenu les meilleurs résultats à vie aux élections municipales de juin 2020, l’emportant même dans plusieurs grandes villes, telles que Lyon, Marseille, Bordeaux et Strasbourg.

Regardons rapidement les impacts des changements climatiques sur les municipalités.

L’intérêt des élus locaux à l’égard de la question des changements climatiques s’explique par le fait que les municipalités sont en première ligne lorsqu’il s’agit de subir les effets du dérèglement du climat.

Les risques associés aux changements climatiques sont bien réels : incendies, tempêtes, érosion et inondations qui détruisent des quartiers et des infrastructures publiques, comme on le voit en ce moment en Colombie-Britannique et dans les Maritimes; smog et îlots de chaleur qui menacent les citoyens les plus vulnérables; sécheresses qui réduisent les approvisionnements en eau potable; usure prématurée des canalisations en raison des conditions différentes de celles prévues lors de la construction. L’urgence climatique affecte déjà énormément nos municipalités et nos localités ont tout intérêt à passer à l’action.

Quel est le rôle des municipalités dans un tel contexte? Responsables de l’aménagement du territoire, les municipalités posent des gestes qui se répercutent directement sur nos émissions de gaz à effet de serre. Les municipalités ont le pouvoir d’influencer le choix des modes de déplacement.

La présence de corridors cyclables sécuritaires, de traverses pour piétons adéquates et de transports en commun adaptés et efficaces permet aux citoyens de faire des choix plus respectueux de l’environnement. La même chose se produit lorsqu’on se donne la peine de concevoir des communautés qui minimisent les déplacements et facilitent l’accès au transport public.

Toutefois, l’argent doit suivre.

En tant que gouvernements de proximité, les municipalités peuvent mettre en place des mesures qui visent à contrer les changements climatiques et qui nous préparent à faire face aux événements climatiques extrêmes. Encore faut-il qu’on leur en donne les moyens.

Il est illusoire de penser que les municipalités pourront faire face à l’urgence climatique uniquement avec l’assiette fiscale dont elles disposent, qui repose de façon trop importante sur l’impôt foncier. Selon une étude réalisée par le Groupe AGÉCO en 2018, les investissements requis par les 10 principales villes du Québec pour adapter leurs infrastructures aux changements climatiques s’élèveraient à plus de 2 milliards de dollars sur cinq ans, et à 4 milliards de dollars pour l’ensemble du Québec. À cela s’ajoutent les autres responsabilités qu’on leur impose, notamment dans le secteur du développement social.

En conclusion, j’appuie cette motion avec enthousiasme.

Les changements climatiques, la pire menace pour l’humanité et les finances de l’État, constituent une situation d’urgence qui exige une réponse immédiate et musclée.

Cela dit, j’aimerais que le gouvernement fédéral reconnaisse que les municipalités sont responsables de 60 % des infrastructures publiques, et qu’elles sont à la fois victimes des changements climatiques et en mesure de répondre de façon pertinente aux défis occasionnés par l’urgence climatique.

Le gouvernement actuel, qui dit vouloir prioriser la lutte aux changements climatiques au cours de son prochain mandat, doit profiter du prochain budget pour faire équipe avec les municipalités et s’assurer qu’elles disposent des fonds et de la latitude nécessaires pour contribuer pleinement à la lutte aux changements climatiques.

L’honorable Julie Miville-Dechêne [ - ]

Chers collègues, si je prends la parole aujourd’hui, c’est que j’ai beaucoup cheminé sur la question du changement climatique.

Cet enjeu n’a pas toujours été prioritaire pour moi. Il n’y a pas si longtemps, je jugeais qu’il fallait concentrer nos efforts sur les plus vulnérables, nourrir les êtres humains qui ont faim et contrer la violence envers les femmes avant de pleurer sur le sort des baleines ou des écosystèmes en danger. Évidemment, j’avais tort. Tout est lié, notre survie et celle de la planète; les enjeux sociaux et les enjeux environnementaux.

Alors que nous soulignons aujourd’hui la Journée internationale pour l’abolition de l’esclavage, rappelons-nous que 40 % de la déforestation mondiale se fait par des personnes victimes du travail forcé. Lorsque je vois les déplacements et les migrations d’êtres humains désespérés qui veulent sauver leur famille en fuyant les sécheresses et les catastrophes, je suis bouleversée par leur désespoir et les barrières que l’on érige.

Historiquement, certains se sont intéressés à l’enjeu climatique par la voie de la science. D’autres y sont arrivés en raison de ses impacts économiques. Personnellement, c’est mon engagement social qui m’a amenée à accorder plus d’importance au climat et à l’écologie.

Il faut dire que, pendant plusieurs années, l’enjeu climatique était surtout scientifique. Il fallait mesurer les variations du climat, en analyser les causes et tenter d’en prédire l’évolution. C’était une affaire de climatologues, d’océanographes, de biologistes et de statisticiens.

Cependant, aujourd’hui, maintenant que la science est bien établie, la question climatique est devenue un enjeu politique, pas partisan mais politique au sens noble du terme. C’est à nous, législateurs, de prendre le relais des scientifiques et de mettre en œuvre les changements qui s’imposent. Ces changements toucheront vraisemblablement plusieurs aspects de nos vies : nos sources d’énergie, nos infrastructures, nos habitudes de consommation et les règles qui régissent notre gouvernement et notre économie.

L’objectif de la motion que nous étudions n’est pas de débattre de mesures concrètes. Je vois plutôt l’initiative de la sénatrice Galvez comme un préambule à l’action, un geste qui vise à concentrer notre attention sur le travail à venir. Si la motion d’aujourd’hui est symbolique, nos prochaines actions, elles, ne devraient pas l’être.

En apportant mon soutien à la motion, je voudrais exprimer trois souhaits. Les débats autour de la question climatique sont parfois complexes, remplis d’acronymes, de méthodes de calcul, d’accords internationaux, de protocoles techniques, d’initiatives de l’industrie, de stratégies réglementaires et de solutions technologiques. On peut rapidement avoir la tête qui tourne, et je ne vous cache pas que c’est mon cas.

Dans les débats et discussions à venir, il faudra toutefois garder les idées claires et résister à la tentation de chercher des faux-fuyants, des voies d’évitement, des calculs faussés, des solutions faciles, des slogans à la mode ou des moyens techniques ou rhétoriques d’esquiver les changements nécessaires. Peu importe ce dont il sera question, il faudra toujours chercher les portraits les plus complets, considérer tous les impacts et privilégier les vraies solutions. Nous avons un devoir de réalisme écologique.

Contrairement aux humains, notre planète ne reconnaît ni les frontières, ni les juridictions, ni les changements cosmétiques, ni le marketing vert. Pour cette raison, l’urgence climatique exige de nous, politiciens et législateurs, que nous réfléchissions de manière nouvelle. Elle exige également que nous pensions à long terme, au-delà des calculs partisans, en plaçant l’intérêt de la planète et des générations futures avant notre intérêt immédiat, régional ou national. Je nous encourage donc tous, moi la première, à regarder la réalité écologique en face et à agir en conséquence.

Lorsqu’on entend certains discours sur la question du climat, on a parfois l’impression que la transition à venir consiste à s’acheter une voiture électrique, à installer des machines pour capter le CO2 ou à planter un arbre, alors qu’en réalité, la transition que nous devrons effectuer exigera du courage.

Au chapitre des émissions cumulatives par habitant, le Canada a le deuxième pire bilan au monde. Selon les chiffres de 2018 de la Banque mondiale, le Canada arrivait au septième rang mondial pour les émissions de GES par habitant, devant l’Arabie saoudite et les États-Unis, et ce, même sans tenir compte de ses exportations d’énergies fossiles.

Si nous prenons au sérieux la nécessité d’opérer une transition majeure, il faudra s’éloigner des réflexes du business as usual et oser repenser notre système.

Dans une lettre d’opinion publiée en janvier 2020, Stephen Jarislowsky, un investisseur canadien bien connu, a écrit ceci :

[...] nous devons malheureusement être prêts à faire des sacrifices, comme l’ont fait ceux de ma génération pendant la guerre. Autrement, des milliards de vies seront en péril à l’échelle mondiale et les structures sociales pourraient s’effondrer.

En matière de politique économique, cela signifie que nous n’avons d’autre choix que d’agir urgemment de façon décisive. Il faut qu’acheter des produits ou des services qui contribuent aux changements climatiques devienne plus coûteux et qu’acheter des produits ou des services qui n’y contribuent pas soit moins coûteux.

Stephen Jarislowsky parle de sacrifices. Il a raison, mais pour réussir cette difficile transition, tout le monde devra contribuer aux efforts. Les régions du pays qui sont en meilleure posture devront soutenir celles pour qui la transition sera plus pénible. Si tout le monde ne pense qu’à ses intérêts à court terme, que ce soit une région du pays face à l’autre ou un pays face aux autres, nous n’atteindrons pas notre but. Il ne faut pas abandonner les travailleurs déplacés et les industries dépassées. Nous ne pouvons pas demander aux pays en développement de contribuer sans que nous leur offrions une aide colossale et le Canada, en tant que pays riche et vaste, devra probablement aussi faire sa part en accueillant les réfugiés climatiques qui viendront cogner à sa porte.

La bonne nouvelle, c’est que les sondages montrent que les Canadiens sont déjà prêts à faire des changements fondamentaux. Un sondage Abacus de 2019 indiquait que 62 % des Canadiens disent être prêts à procéder à des changements d’envergure ou des changements fondamentaux dans le fonctionnement de l’économie afin de lutter contre les changements climatiques. Les deux groupes d’âge qui présentaient l’appui le plus élevé étaient les jeunes — de 18 à 29 ans — et les adultes de plus de 60 ans, comme nous. La question des changements climatiques n’intéresse donc pas seulement les jeunes. Pour ceux qui se le demandent, elle n’intéresse pas seulement la population du Québec non plus. La volonté de changement est souvent la plus forte dans les provinces de l’Atlantique et en Colombie-Britannique, aux deux extrémités du pays.

Un sondage réalisé en octobre, soit il y a seulement six semaines, indique une tendance similaire avec 66 % des Canadiens qui estiment que le gouvernement devrait en faire plus pour réduire les émissions de gaz à effet de serre au pays. Une forte majorité, c’est-à-dire 75 % d’entre eux, pense qu’il est nécessaire de mettre en place des mesures législatives plus directes et ciblées afin d’y parvenir.

Le public nous demande d’agir et d’avoir le courage de remettre en question le statu quo. Nous devrions accorder la priorité aux Canadiens, surtout les jeunes, au lieu des personnes qui tentent de préserver un système qui fait leur affaire même s’il n’est pas viable.

En résumé, je pense que nous devrions agir en gardiens de l’intérêt du public et des générations futures. Nous ne devrions pas essayer d’adapter ou d’abaisser nos standards sociaux et environnementaux émergents dans le but de servir des intérêts économiques à court terme. Nous devons plutôt veiller à aligner immédiatement notre économie sur les limites de la planète et la viabilité de la société.

Voilà ce que signifie pour moi la motion présentée aujourd’hui, que j’appuie sans réserve.

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