Projet de loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat
14 février 2023
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-22, car les conditions de vie des personnes en situation de handicap me tiennent à cœur et parce que l’on a pris note de plusieurs problèmes liés à l’intervention gouvernementale dans ce domaine. Je serai bref afin de ne pas retarder indûment l’étude de ce projet de loi, qui bénéficie d’un large appui tant à la Chambre des communes que dans la société civile.
Je tiens d’abord à reconnaître les efforts du gouvernement en vue de mettre en place un cadre législatif entourant la Prestation canadienne pour les personnes en situation de handicap (PCPSH), un soutien nécessaire pour les Canadiennes et les Canadiens qui sont en âge de travailler, mais qui ont besoin d’une aide supplémentaire pour surmonter les difficultés liées à la pauvreté. Malgré les nombreux programmes de soutien offerts par les différentes instances gouvernementales, les personnes en situation de handicap, en particulier celles qui sont en âge de travailler, restent vulnérables à la pauvreté.
Parmi les 4,1 millions de personnes handicapées en âge de travailler au Canada, deux fois plus vivent dans la pauvreté comparativement aux personnes sans handicap. Il s’agit d’un taux de 22,5 % par comparaison à 11,6 %. Les personnes atteintes d’incapacités plus graves sont particulièrement touchées par cette réalité, car elles sont moins susceptibles de travailler et plus susceptibles de dépendre de l’aide sociale. Les données proviennent de l’Enquête canadienne sur l’incapacité de 2017 et du seuil de la pauvreté tel qu’il a été mesuré par le panier de consommation de 2018.
L’explosion du coût des logements et de l’épicerie ainsi que l’augmentation du coût de la vie en général touchent particulièrement les plus vulnérables. On comprend que les personnes en situation de handicap sont encore plus affectées, car elles doivent assumer des coûts supplémentaires liés à leur condition. Il est malheureusement bien connu que le filet social canadien est particulièrement mal adapté pour aider les personnes en situation de handicap.
En 2018, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a produit un rapport très critique à l’égard du crédit d’impôt pour les personnes handicapées et du Régime enregistré d’épargne-invalidité. Tout comme le mouvement Le handicap sans pauvreté, je suis optimiste, mais prudent, face à cette loi-cadre, car les modalités de la prestation seront adoptées par décret, ce qui laisse beaucoup de place à la spéculation.
J’aimerais aborder trois enjeux qui me semblent importants. Parlons d’abord de l’admissibilité. La définition d’incapacité a évolué, tout comme la mesure de la sévérité de l’incapacité. Malheureusement, les limites administratives peuvent avoir des impacts importants sur les bénéficiaires.
Pour avoir droit au crédit d’impôt pour les personnes handicapées, par exemple, l’incapacité doit être présente pour une période continue de 12 mois. Les personnes qui souffrent de sclérose en plaques savent que les symptômes de cette maladie chronique dégénérative varient d’un mois à l’autre. Je cite cet exemple pour illustrer la complexité de circonscrire l’incapacité d’un individu. Pour déterminer les handicaps et les obstacles donnant accès à la Prestation canadienne pour les personnes en situation de handicap, le projet de loi C-22 renvoie simplement aux définitions de l’article 2 de la Loi canadienne sur l’accessibilité, qui, comme on le sait, sont très problématiques à certains égards.
Je n’ai pas de solution concrète à proposer à ce moment-ci. J’aimerais toutefois souligner que le Comité permanent des ressources humaines de la Chambre des communes a adopté en avril 2022 un rapport recommandant au gouvernement :
[…] d’envisager la possibilité de codifier toutes les personnes qui reçoivent un soutien provincial pour leur handicap en tant que personnes handicapées afin de faciliter le paiement d’une future prestation pour une personne handicapée [...]
Je ne suis pas certain de saisir la pleine mesure des implications de cette recommandation. Je crois toutefois qu’il vaut la peine d’explorer cette proposition afin de simplifier l’accès à la Prestation canadienne pour les personnes en situation de handicap. Cela constitue, à mon avis, un enjeu majeur.
Qu’est-ce qu’un revenu minimum acceptable? Voilà un autre enjeu et voilà l’éléphant dans la pièce qu’on nous demande d’ignorer. Quel supplément au revenu devrait offrir la nouvelle prestation? Nous savons que, d’une part, le Supplément de revenu garanti permet de percevoir un revenu de 1 500 $ par mois. D’autre part, en Ontario, un projet pilote permet aux personnes en situation de handicap de recevoir 1 915 $ par mois. L’assurance-emploi offre jusqu’à 2 600 $ par mois. Nous savons aussi que, pendant la pandémie, le gouvernement a reconnu que la prestation minimale devait être de 2 000 $ par mois.
Inclusion Canada, qui regroupe plus de 300 associations locales à l’échelle nationale, recommande que la nouvelle prestation permette au minimum de gagner un revenu de base de 2 200 $ par mois, ce qui constitue le seuil minimal de revenu qu’a reconnu le gouvernement fédéral pendant la pandémie, en plus de 10 % pour couvrir les dépenses supplémentaires liées aux limitations fonctionnelles des personnes vivant avec un handicap. Lorsque l’on considère que la mesure du faible revenu au Canada est d’environ 2 100 $, cette demande me paraît plus que raisonnable. Bien sûr, il faudra veiller à ce que ce nouveau programme s’arrime convenablement aux autres programmes de revenus fédéraux et provinciaux, afin d’éviter que cette prestation ne finisse dans les coffres des divers ordres de gouvernement.
Le troisième enjeu important est le problème des non-déclarants. Je l’ai d’ailleurs évoqué la semaine dernière. Comme vous le savez, la réduction de la pauvreté est étroitement liée à la production de la déclaration de revenus, car bon nombre de crédits et de prestations dépendent du dépôt annuel d’une déclaration de revenus. Malheureusement, on note que plus les familles sont pauvres, plus elles sont marginalisées et plus elles ont tendance à ne pas produire de déclaration de revenus.
Selon une étude réalisée en 2020 par deux professeurs de l’Université Carleton, de 10 % à 12 % des Canadiens omettent de produire une déclaration de revenus. Les professeurs estiment que les avantages perdus pour les non-déclarants en âge de travailler s’élevaient à environ 1,7 milliard de dollars en 2015. En 2001, on a appris qu’au moins 270 000 personnes âgées, parmi les plus démunies, ne touchaient pas le Supplément de revenu garanti, alors qu’elles y avaient pourtant droit. Un comité parlementaire avait alors révélé que le ministère des Ressources humaines était au courant du problème depuis 1993, mais n’avait à peu près rien fait pour rejoindre les ayants droit, permettant ainsi au gouvernement fédéral d’économiser plus de 3 milliards de dollars sur le dos des Canadiens et Canadiennes les plus fragilisés.
Pour éviter que des Canadiens à faible revenu ne soient privés de prestations gouvernementales, y compris la nouvelle Prestation canadienne pour les personnes en situation de handicap, je crois qu’il est essentiel de talonner le gouvernement afin qu’il fasse tout en son pouvoir pour favoriser la production des déclarations de revenus, en particulier celle des personnes fragilisées financièrement.
Permettez-moi de vous citer quelques exemples. Depuis plus de 45 ans, le gouvernement fédéral soutient le Programme communautaire des bénévoles en matière d’impôt pour appuyer les organismes communautaires qui aident les Canadiens à produire leur déclaration de revenus. Or, ce programme connaît des ratés.
L’ombudsman des contribuables a produit une série de recommandations en vue de bonifier la formation des bénévoles, favoriser la transmission électronique des déclarations et améliorer la notoriété des comptoirs d’aide.
Il y a un autre chantier : dans le discours du Trône du 23 septembre 2020, le gouvernement s’est engagé à mettre en place :
[...] un système gratuit de production automatisée des déclarations d’impôt pour les déclarations simples afin que les citoyens reçoivent les prestations dont ils ont besoin [...]
— et auquel ils ont droit.
Un projet pilote destiné aux personnes à faible revenu dont la situation financière est inchangée d’une année à l’autre a été mis en place avant la pandémie. Le service consiste à préremplir un formulaire et à demander ensuite aux contribuables d’en confirmer le contenu par téléphone. Il est temps de passer à la deuxième vitesse et d’étendre ce projet de façon universelle.
Enfin, je crois qu’il faudrait demander à l’Agence du revenu du Canada d’estimer annuellement le nombre de Canadiens de 18 ans et plus qui ne produisent pas de déclaration de revenus, un peu comme le proposait le sénateur Downe relativement à l’évitement fiscal. Il est possible de le faire en croisant le nombre de déclarations de revenus reçues avec les données de certaines études de Statistique Canada, comme l’ont fait les universitaires de l’Université Carleton. Ces données permettraient de mieux cibler des moyens de rejoindre les non-déclarants et permettraient également d’évaluer les efforts du gouvernement en vue de rejoindre ces ayants droit.
L’essentiel de mon message aujourd’hui est de féliciter le gouvernement pour cette nouvelle prestation qui a le potentiel de sortir de la pauvreté des milliers de personnes vivant avec un handicap. Cependant, il est important de noter que la mise en place de cette prestation n’est qu’une première étape. Il est essentiel de continuer à travailler ensemble pour améliorer significativement la vie des personnes handicapées en s’assurant que les ayants droit reçoivent les prestations qui leur sont dues.
Je suis convaincu que cette prestation pourrait être un catalyseur vers une société plus inclusive, plus équitable et plus solidaire. Si l’on s’assure de bien calibrer le programme, il pourrait faire une grande différence dans la vie des personnes qui sont parmi les plus marginalisées au pays.
Merci.
Honorables sénateurs, je vous souhaite une bonne Saint-Valentin.
Je prends la parole sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe pour parler du projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées, une prestation qui, on nous l’a promis, devrait changer la vie de toute une génération.
Honorables sénateurs, je voudrais commencer mon discours en racontant l’histoire de ma famille.
Quand j’avais 10 ans, ma mère, Betty, était enceinte. Nous étions six enfants et nous avions tous très hâte. Les trois sœurs voulaient une petite sœur et les trois frères, un petit frère. À la Saint-Jean-Baptiste, en 1965, mon petit frère John Patterson est né, et ce qui comptait pour nous au bout du compte, c’était que notre famille accueillait un adorable petit bébé. J’avais l’impression que ma mère avait eu un enfant rien que pour moi. J’étais aux anges. Johnny était adorable et tellement joyeux. Je jouais avec lui et je m’occupais de lui constamment. Je l’adorais, et c’est encore le cas.
Mon frère Johnny était un enfant adorable et actif. Il était brillant, drôle, athlétique et extraverti. Johnny a obtenu un diplôme d’études secondaires et il a fait des études dans divers domaines : la télédiffusion, les loisirs et, plus tard, l’informatique. Il a travaillé dans le secteur de l’hébergement, notamment à Banff, il a travaillé en garderie et il a fait de la radio, du théâtre et de l’improvisation.
Au fil de temps, alors que j’avais déjà quitté le foyer familial pour fonder ma propre famille, mon frère cadet adoré a développé, à partir de l’âge de 14 ans, de graves problèmes de santé chroniques, des problèmes de santé mentale. Il a fallu des années avant d’en arriver aux bons diagnostics et aux bons traitements. Évidemment, ce fut une période très houleuse et souvent douloureuse pour Johnny, alors qu’il tentait de terminer ses études, de travailler, de payer ses factures, d’entretenir de bonnes relations et de construire sa vie comme le souhaite chacun de nous. C’était simplement très difficile et parfois impossible pour Johnny en raison de son état de santé.
Comme bien des Canadiens, Johnny est atteint du trouble bipolaire et souffre d’anxiété grave. Dans son cas, ces maladies sont très débilitantes. Aujourd’hui, ce qui occupe Johnny à temps plein est, disons-le franchement, de demeurer en santé, et je peux vous dire qu’il y travaille assidûment. Il fait du bénévolat dans la communauté, visite notre mère âgée de près de 96 ans, pratique la natation pour se garder en forme et travaille à entretenir ses relations avec un cercle de parents et d’amis proches. Johnny est une personne gentille et bienveillante qui a eu la malchance de développer un handicap très difficile à gérer.
Johny avait de plus en plus de mal à conserver un emploi — c’est plutôt difficile à faire quand on ne peut pas dormir la nuit et qu’on éprouve d’autres symptômes graves d’anxiété et de dépression. On l’a d’abord jugé inadmissible au Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, mais sa demande a finalement été approuvée après une hospitalisation en 2001. Ce programme verse 1 230 $ par mois à une personne seule comme Johnny. Dans ma province, la Nouvelle-Écosse, il devrait vivre avec 950 $. Même si ce modeste soutien du revenu est le bienvenu, Johnny dit que le stress financier lié à sa prestation d’invalidité a des répercussions sur sa santé mentale.
Chers collègues, il est éprouvant de ne pas avoir assez d’argent pour couvrir ses besoins essentiels. Le projet de loi C-22 et la prestation canadienne pour les personnes handicapées visent à mettre fin à l’insécurité financière des personnes comme mon frère Johnny ou certains de vos proches et à réduire la pauvreté qui est disproportionnellement élevée chez les Canadiens handicapés.
Ce projet de loi vise également à restaurer la dignité humaine. Mon frère vous dirait qu’il est difficile de se débarrasser des stigmates qui entourent la santé mentale. Johnny ressent toujours de la honte et de la culpabilité, car il pense que sa situation est en quelque sorte de sa faute.
Honorables sénateurs, la prestation canadienne pour les personnes handicapées apportera un soutien matériel indispensable pour les gens comme Johnny, et elle pourrait également leur envoyer un signal important indiquant que notre société comprend, respecte et valorise les personnes vivant avec un handicap.
Le sénateur Cotter, le parrain du projet de loi C-22, nous a présenté de façon éloquente et exhaustive les éléments essentiels de ce projet de loi crucial lors de son discours à l’étape de la deuxième lecture jeudi dernier.
Le projet de loi C-22 est une loi-cadre qui établit la prestation canadienne pour les personnes handicapées. Il s’adresse aux personnes en âge de travailler dont le revenu est faible et qui ont un handicap quelconque. Il constitue la pierre angulaire du Plan d’action pour l’inclusion des personnes en situation de handicap du Canada, ainsi que sa principale priorité.
Le projet de loi prévoit que la plupart des éléments conceptuels de la prestation seront mis en œuvre au moyen de règlements, lesquels seront élaborés en collaboration avec des personnes handicapées. Comme le dit si bien la maxime, nihil de nobis, sine nobis, ce qui signifie que « rien de ce qui nous concerne ne doit se faire sans nous ». On ne peut prendre aucune décision sur les Canadiens handicapés sans les consulter.
Chers collègues, quand j’ai étudié la mesure législative, j’ai cherché à savoir comment cette nouvelle prestation est liée à des politiques et à des initiatives connexes comme le revenu de base garanti, l’aide médicale à mourir et la nouvelle entente nationale sur les soins de santé. Durant ma première année au Sénat, je me suis jointe au caucus anti-pauvreté composé de représentants de tous les partis, qui était dirigé par notre ancien collègue, le sénateur Art Eggleton. Nous avons étudié un certain nombre de mesures visant à réduire la pauvreté, y compris le projet pilote sur le revenu de base de l’Ontario, qui a maintenant été annulé.
Lorsqu’on lui a demandé au cours d’une de nos réunions si le gouvernement envisageait de jouer un rôle dans l’établissement d’un revenu de base garanti suffisant pour les Canadiens, le ministre Duclos, alors ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social, a expliqué très clairement que le gouvernement avait l’intention de concentrer ses efforts de réduction de la pauvreté sur des groupes ciblés de la population, c’est-à-dire les enfants avec l’Allocation canadienne pour enfants et les aînés vulnérables avec le Supplément de revenu garanti.
Nous savons que la prestation canadienne pour les personnes handicapées est calquée sur le Supplément de revenu garanti pour les aînés. Or, à l’heure actuelle, le montant maximal du Supplément de revenu garanti pour les retraités célibataires est de 1 026 $. Nous ne savons pas encore quel sera le montant de la prestation canadienne pour les personnes handicapées.
Honorables sénateurs, lorsque j’ai pris la parole au sujet du projet de loi C-7 sur l’aide médicale à mourir, j’ai cité une lettre émanant de défenseurs des droits des personnes handicapées qui disait ceci :
[...] il existe un risque véritable que les personnes qui n’ont pas de réseau de soutien adéquat constitué de parents ou d’amis, qui sont plutôt âgées, qui vivent dans la pauvreté ou qui sont peut-être marginalisées davantage en raison de leur race, de leur origine autochtone, de leur identité de genre ou de leur statut, seront plus vulnérables aux pressions en vue d’accéder à l’aide médicale à mourir.
Ces craintes sont largement répandues.
Chers collègues, un certain nombre de défenseurs des personnes handicapées ont indiqué que la prestation canadienne pour les personnes handicapées, si elle est bien conçue et dotée de ressources appropriées, pourrait atténuer considérablement ces craintes concernant l’aide médicale à mourir.
Le troisième aspect à prendre en considération est la nouvelle entente en matière de santé actuellement négociée entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux. Sœur Elizabeth Davis, qui a coprésidé l’équipe qui a produit le plan de mise en œuvre de l’entente en matière de santé pour la province de Terre-Neuve, a dit à CBC que les nouveaux fonds proposés par le gouvernement fédéral permettraient d’exécuter la moitié de ce plan. Cependant, si on ne trouve pas de façons d’exécuter l’autre moitié, on ne pourra pas mener le plan à bien.
Or, l’autre moitié, qui porte sur les déterminants sociaux en santé, est peut-être la plus importante et celle qui demande le plus d’attention. Le plan indique notamment que les facteurs sociaux, économiques et environnementaux ont une incidence sur 60 % des résultats en santé, tandis que le système de soins de santé comme tel compte pour 25 %, les 15 % restants étant attribuables à la constitution génétique d’une personne. Sœur Davis affirme que la réduction de la pauvreté est cruciale. Encore une fois, cela a un lien évident avec la prestation canadienne pour les personnes handicapées.
Honorables collègues, les arguments en faveur de la création d’une prestation pour les Canadiens handicapés dans le besoin sont à la fois clairs et convaincants. Nous savons que 22 % des Canadiens ont un handicap; dans ma province, la Nouvelle-Écosse, le pourcentage s’élève à 30 %. Quarante pour cent d’entre nous ont une personne handicapée dans leur famille. Vous avez entendu parler de mon frère, Johnny. Nous savons qu’au Canada, 41 % des personnes qui vivent dans la pauvreté sont handicapées, 10 % des aînés handicapés vivent dans la pauvreté; et les personnes handicapées comptent pour plus de 50 % des personnes souffrant d’insécurité alimentaire.
Comme le disait un grand titre du journal The Province de Vancouver le 9 février, un diagnostic d’invalidité mène à la pauvreté. C’est une honte nationale, chers collègues.
Le mouvement Le handicap sans pauvreté a soumis, à propos du projet de loi C-22, un mémoire qui fournit encore plus de détails sur la pauvreté que vivent les personnes handicapées. Le mouvement souligne que la pandémie a aggravé la pauvreté parmi ses membres et que l’inflation et la crise du logement touchent de façon disproportionnée les Canadiens handicapés.
Chers collègues, le préambule de la Loi sur la réduction de la pauvreté affirme que « le Canada aspire à être un chef de file mondial en matière d’élimination de la pauvreté »; la loi contient aussi une cible de réduction de la pauvreté ambitieuse, soit une réduction de 50 % par rapport au taux de pauvreté de 2015, d’ici 2030.
Chers collègues, dans ce contexte où l’aspiration du Canada est clairement exprimée et où il est évident qu’il faut créer, à l’intention des Canadiens handicapés, une prestation dont ils ont grandement besoin, la communauté des personnes handicapées nous demande de faire notre part afin que le projet de loi C-22 puisse recevoir la sanction royale le plus tôt possible. Les personnes handicapées ont besoin d’une aide financière, et ce, immédiatement.
Le projet de loi C-22 a été adopté à l’unanimité à la Chambre après une étude détaillée et des amendements. Notre tâche n’est pas de retarder indûment le projet de loi; toutefois, en même temps, nous devons travailler efficacement pour nous acquitter de notre responsabilité d’adopter une loi permettant la création d’une prestation canadienne pour les personnes handicapées qui soit robuste et qui aura les résultats escomptés, à savoir de réduire considérablement la pauvreté et de soutenir la sécurité financière des personnes handicapées. Autrement dit, une loi qui répond clairement aux attentes des personnes handicapées.
Elles réclament du gouvernement fédéral qu’il empêche les provinces et les territoires — ainsi que les sociétés d’assurance-invalidité privées — de récupérer les prestations, et qu’il veille à ce que la prestation entre en vigueur et que les versements aux bénéficiaires se fassent dans un délai d’un an. Il doit y avoir des délais stricts pour chaque étape du processus d’élaboration et de mise en œuvre.
Les personnes handicapées demandent également au gouvernement fédéral de s’assurer que le montant des prestations est suffisant pour que les bénéficiaires puissent dépasser le seuil de pauvreté officiel; d’établir des critères d’admissibilité clairs, équitables et élaborés en consultation avec les personnes handicapées; d’élaborer un processus à deux volets pour déterminer l’admissibilité afin que les personnes admissibles aux prestations provinciales et territoriales n’aient pas à prouver à nouveau qu’elles ont un handicap et qu’elles vivent dans la pauvreté; de s’assurer que le groupe cible de personnes en âge de travailler n’exclut pas les aînés handicapés — d’ailleurs, je suis une aînée et je travaille encore; et de s’assurer que toutes les personnes qui pourraient être admissibles soient contactées de façon proactive. Les plus vulnérables ne produisent pas toujours de déclaration de revenus, comme nous avons entendu le sénateur Forest le mentionner, et certains n’ont peut-être même pas de numéro d’assurance sociale; il faut leur tendre la main.
En outre, on demande au gouvernement de s’assurer que le droit de faire appel en cas de refus existe, qu’il y a un tribunal à cet effet, et que des mécanismes de plaintes sont en place; et d’inclure les détails cruciaux dans le projet de loi lui-même plutôt que de laisser les règlements énoncer tous les détails.
C’est ce que beaucoup nous demandent. L’organisme Accessibility for Ontarians with Disabilities Act Alliance qualifie le projet de loi C-22 de projet bien intentionné, mais faible. Il souligne que nous ne savons toujours pas quel sera le montant de la prestation, qui y sera admissible et quand le gouvernement commencera à la verser. D’autres expriment une plus grande confiance dans le gouvernement et dans le processus de codéveloppement promis.
Honorables sénateurs, mon frère Johnny avait 55 ans lorsque l’on a promis de créer la prestation canadienne pour les personnes handicapées dans le discours du Trône de septembre 2020. Dans quatre mois, il aura 58 ans. Déjà presque trois ans se sont écoulés depuis cette promesse. Honorables sénateurs, renvoyons ce projet de loi transformateur au comité pour que nos collègues puissent examiner si — et comment — il peut mieux tenir en temps opportun ses importantes promesses de sécurité financière, de réduction de la pauvreté et de dignité — des promesses faites à mon frère Johnny et à d’autres Canadiens vivant avec un handicap. Honorables sénateurs, assurons-nous que le changement générationnel promis s’entame dès maintenant.
Merci, wela’lioq.
Acceptez-vous de répondre à une question, honorable sénatrice?
Volontiers.
Merci. Vous avez évoqué l’importance et la manière d’atteindre les personnes possiblement marginalisées à qui il est très difficile d’avoir accès. Je tiens seulement à dire que c’est une priorité. Après l’adoption du projet de loi, quand deux ou trois années se seront écoulées, quels seraient les éléments dans l’examen qui montreraient, selon vous, que le programme fonctionne bien? Quelles sont vos attentes quand vous pensez au processus d’examen?
Je pense que cette question aurait aussi pu être adressée à mon collègue, le sénateur Forest, qui a abordé les problèmes d’accessibilité au programme pour les Canadiens qui ne produisent pas de déclaration de revenus. Si nous nous fions uniquement à ce système pour accorder la prestation à ceux qui en ont besoin, nous passerons à côté de nombreuses personnes vulnérables. Comme je l’ai mentionné, il y a aussi les personnes qui n’ont même pas de numéro d’assurance sociale et qui ont besoin de cette aide financière plus que quiconque.
Le temps est écoulé.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à titre de porte-parole de l’opposition au sujet du projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu.
Je félicite et remercie mon collègue le sénateur Cotter, qui est parrain de ce projet de loi, pour son important travail. J’ai hâte de continuer à collaborer avec lui afin de veiller à l’efficacité et à l’efficience du processus.
La communauté des personnes handicapées s’entend généralement au sujet de l’importance de cette mesure législative, et je comprends parfaitement pourquoi nous devons procéder dans l’urgence.
Au Canada, les antécédents en matière de soutien aux personnes handicapées sont relativement peu nombreux, en particulier à l’échelon fédéral. Dans un article intitulé Disability in Canada: An Historical Perspective, Aldred Neufeldt, professeur émérite au programme d’études en réadaptation communautaire et sur la condition des personnes handicapées à l’Université de Calgary, note que pendant les premières décennies des années 1900, le Québec, puis l’Ontario, ont adopté des lois d’indemnisation des accidents du travail, mais que c’est la guerre qui a incité le gouvernement à créer des services de réadaptation. Après la Deuxième Guerre mondiale, les vétérans revenant au pays ont insisté sur le fait qu’ils avaient le droit d’être traités comme des citoyens pouvant encore contribuer à la société. C’est ainsi que les indemnisations des travailleurs et les allocations aux anciens combattants ont fait partie des premières formes d’indemnisation destinées aux Canadiens ayant certains types de handicaps.
Dans son livre, Struggling for Social Citizenship: Disabled Canadians, Income Security, and Prime Ministerial Eras, Michael Prince, professeur titulaire de la chaire Lansdowne en politique sociale à l’Université de Victoria, observe que, bien que l’indemnisation des travailleurs et les allocations aux anciens combattants aient été établies dans le cadre de programmes distincts, la plupart des programmes ultérieurs pour les personnes handicapées, y compris les prestations initiales pour les aveugles, les prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada, l’aide sociale et l’assurance-emploi, font partie de cadres stratégiques plus larges. Comme l’affirme M. Prince : « Ces divers points d’accès et ces différents modèles de programmes donnent lieu à une citoyenneté sociale irrégulière pour les personnes handicapées. »
En effet, dans son étude de 2018 sur le crédit d’impôt pour personnes handicapées et le régime enregistré d’épargne-invalidité, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a entendu de nombreux témoins parler de la complexité entourant les demandes de participation aux programmes de soutien pour personnes handicapées. Les témoins nous ont exhortés à simplifier et à clarifier les processus relatifs aux mesures de soutien fédérales. Dans notre rapport, nous avons recommandé :
Que le ministre des Finances et le ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social travaillent en étroite collaboration avec les autres ordres de gouvernement afin d’harmoniser les processus de demandes relatifs à des programmes de soutien pour personnes handicapées.
Notre rapport recommandait également que les deux ministres établissent « un revenu de base ou un revenu garanti pour les personnes ayant de graves incapacités ».
Un rapport antérieur, intitulé Pauvreté, logement, itinérance : les trois fronts de la lutte contre l’exclusion, a été publié en 2009, toujours par le Comité des affaires sociales et son Sous-comité sur les villes. Le rapport décrit comment la source et le niveau de revenu d’une personne handicapée dépendent de la date et de la cause de l’incapacité et des prestations d’assurances, publiques ou privées, qu’a pu recevoir la personne lorsqu’elle est devenue handicapée.
Le rapport donne l’avertissement suivant :
Compte tenu de la complexité des programmes actuels et leur interaction, trop de personnes [...] peuvent se faire renvoyer d’un « système » à l’autre pour finir par ne pas disposer d’un revenu adéquat, voire n’en avoir aucun.
Ce manque de continuité dans l’admissibilité aux mesures de soutien du revenu pour les personnes handicapées ne fait qu’ajouter encore plus d’incertitude dans la vie des Canadiens.
Le rapport de 2009 recommande également l’élaboration et la mise en œuvre d’un revenu de base pour les personnes ayant une incapacité grave, bien que le revenu de base envisagé par le Sous‑comité sur les villes visait à remplacer le revenu tiré de l’aide sociale provinciale, ce qui aurait permis aux provinces de réaliser des économies substantielles. Lors de son témoignage devant le comité, M. Prince a souligné que ce modèle aurait permis à un demi-million de Canadiens de ne plus dépendre de l’aide sociale provinciale et que les provinces auraient ensuite pu réaffecter des fonds aux services d’aide aux personnes, à l’éducation, aux écoles inclusives, aux parcs et aux services de loisirs qui favorisent l’intégration de tous, aux services d’aide aux familles et au transport en commun.
Ce n’est pas ce que propose le projet de loi C-22. Comme l’a souligné la ministre Qualtrough dans son discours en deuxième lecture à l’autre endroit, cette nouvelle prestation sera un supplément de revenu, et non un revenu de remplacement. Cette prestation ne vise pas non plus à remplacer les mesures d’aide qui existent déjà dans les provinces et les territoires. Lorsqu’elle sera disponible, la prestation canadienne pour les personnes handicapées devrait fournir un revenu mensuel supplémentaire aux personnes handicapées. Il convient toutefois de noter que ce type de programme ne réduira pas les exigences financières des provinces. Une approche différente aurait pu permettre d’investir davantage dans les services destinés aux personnes handicapées.
Le Canada s’est toujours distingué des États-Unis et de la plupart des pays européens pour ce qui est des mesures de soutien pour les personnes handicapées. En effet, au sein de la fédération canadienne, les provinces assument la principale responsabilité des services de santé, de l’éducation et des services sociaux. Selon l’OCDE, le Canada est à la traîne au chapitre des dépenses publiques destinées aux cas d’incapacité, c’est-à-dire d’invalidité, de maladie et d’accident du travail.
Parmi les pays du G7, le Canada se classe au septième rang pour ce qui est des dépenses publiques en matière d’incapacité, en pourcentage du produit intérieur brut total. En effet, le Canada n’y consacre que trois quarts de 1 % de son PIB. Les États-Unis y consacrent 1 % de leur PIB, et le Japon environ autant. Nos homologues européens y consacrent une part beaucoup plus importante de leur PIB : la France, 1,7 %; l’Italie, 1,8 %; le Royaume-Uni, 1,9 %; et l’Allemagne, 2,25 %.
Nous avons l’obligation morale d’en faire plus. Le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies affirme que :
[...] l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme.
Depuis trop longtemps, les personnes handicapées du Canada ne peuvent pas vivre libérées de la misère, une situation aux effets dévastateurs.
Selon l’Enquête canadienne sur l’incapacité de 2017, qui contient les données les plus récentes dont nous disposons, un Canadien sur cinq âgé de 15 ans et plus présentait au moins une incapacité. La probabilité d’avoir une incapacité augmente avec l’âge : 13 % des personnes de 15 à 24 ans avaient une incapacité, alors que ce pourcentage était de 47 % chez les personnes de 75 ans et plus. Il existe également une forte corrélation entre incapacité et pauvreté, comme l’ont souligné toutes les personnes qui ont pris la parole. Ainsi, parmi les Canadiens de 25 à 64 ans, 28 % de ceux qui ont une incapacité sévère vivent dans la pauvreté, alors que ce pourcentage est de 10 % parmi les personnes sans incapacité.
La professeure Deborah Stienstra, titulaire de la Chaire Jarislowsky sur les familles et le travail à l’Université de Guelph, souligne que les personnes handicapées se butent à des obstacles en matière d’éducation et d’emploi, à des coûts élevés notamment pour obtenir les mesures de soutien dont elles ont besoin, et à des obstacles concernant les systèmes de transport, de télécommunication et de santé. Voici ce qu’elle dit :
En plus de favoriser la stigmatisation liée aux handicaps, chacun de ces groupes d’obstacles restreint la possibilité, pour les personnes handicapées, de participer pleinement à la vie citoyenne et peut mener à une vie marquée par la pauvreté et l’exclusion.
Le projet de loi C-22 nous arrive avec des amendements du Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées — le comité HUMA — de l’autre endroit. Il n’offre pas beaucoup de détails — il s’agit de ce qu’on appelle souvent un projet de loi-cadre. Il établit des dispositions générales pour l’administration de la prestation et autorise le gouverneur en conseil à mettre en œuvre la plupart des éléments de conception de la prestation par voie de règlement. Comme l’ont souligné des députés à l’étape de la deuxième lecture, le projet de loi C-22, dans sa version d’origine, était davantage une promesse d’agir qu’une vraie proposition. Grâce aux neuf amendements apportés par le comité HUMA, le projet de loi est amélioré dans une certaine mesure.
Le premier amendement ajoute la définition de « handicap » au projet de loi, la même que celle qui se trouve dans la Loi canadienne sur l’accessibilité.
Le deuxième amendement exige du gouvernement fédéral qu’il rende public tout accord fédéral et provincial-territorial conclu au sujet de la prestation canadienne pour les personnes handicapées.
Le troisième amendement exige que la prestation soit indexée au taux d’inflation.
Le quatrième amendement exige que le processus de demande soit exempt d’obstacles.
Le cinquième amendement exige que, au moment d’établir le montant de la prestation, le gouverneur en conseil tienne compte du seuil officiel de la pauvreté.
Le sixième amendement exige du ministre qu’il dépose à la Chambre des communes, dans les six mois suivant la date d’entrée en vigueur de la loi, un rapport sur le dialogue et la collaboration auprès de la communauté des personnes handicapées et qu’il dépose, dans l’année suivant la date d’entrée en vigueur de la loi, un rapport concernant l’état d’avancement du processus réglementaire.
Le septième amendement précise que le ministre est tenu d’offrir à des personnes handicapées des possibilités de collaborer à l’élaboration et à la conception des règlements.
Le huitième amendement resserre l’échéancier relatif aux examens parlementaires de la loi, faisant passer les échéances de trois ans et cinq ans après l’entrée en vigueur à un an et trois ans après l’entrée en vigueur puis tous les cinq ans par la suite. Enfin, le neuvième amendement fixe la date d’entrée en vigueur au plus tard un an après la sanction royale.
Le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des communes a fait de l’excellent travail. Lorsque le comité sénatorial étudiera le projet de loi, il sera de notre responsabilité d’examiner ce travail et d’entendre le témoignage d’experts et de parties intéressées pour nous assurer qu’aucun problème n’a été créé par inadvertance et que le projet de loi n’omet rien d’important.
C’est peut-être l’occasion tout indiquée de rappeler à mes honorables collègues que nous nous sommes retrouvés dans une situation comparable il y a à peine trois ans et demi concernant un autre projet de loi d’importance vitale pour la communauté des personnes handicapées : le projet de loi C-81, Loi canadienne sur l’accessibilité. Tout le monde appuyait ce projet de loi à l’unanimité et on nous pressait, un peu comme aujourd’hui, d’adopter le projet de loi sans amendement.
Bien que pratiquement tous les témoins entendus au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie nous aient demandé d’adopter le projet de loi de toute urgence, quelques membres de la communauté des personnes handicapées avaient exprimé des préoccupations à l’égard de certaines omissions. Le comité a estimé que nous pourrions nous concentrer sur quelques amendements clairs qui rehausseraient la valeur du projet de loi C-81 sans en compromettre l’adoption. Bien que l’appui manifesté à l’égard de ce projet de loi était fort, le désir de l’améliorer était encore plus fort. Le Sénat — vous tous, sénateurs — s’est mis d’accord, nous avons adopté le projet de loi modifié à l’étape de la troisième lecture, et la Chambre a accepté tous nos amendements. Il est important de se rappeler de l’essentiel de ces amendements, car cela met en lumière la valeur d’un véritable second examen objectif.
Premièrement, les échéances. Le projet de loi C-81 ne prévoyait aucun échéancier précis pour que le Canada devienne un pays entièrement accessible. Sans échéancier, il n’y a pas de reddition de comptes, les progrès ne peuvent pas être mesurés et les normes risquent de ne jamais être élaborées et promulguées par la loi. Nous avons donc recommandé de fixer l’année 2040 comme date limite pour la mise en œuvre complète des exigences en matière d’accessibilité. Dans le même ordre d’idées, nous avons ajouté un amendement visant à garantir que les mesures d’accessibilité ne soient pas retardées ou reportées en raison de circonstances imprévues, mais qu’elles soient adoptées dès que possible.
Deuxièmement, l’amendement suivant concernait la reconnaissance de langues des signes particulières qui seraient désignées dans le projet de loi comme étant les langues des personnes sourdes. Cela permettait de s’assurer que les personnes sourdes ne seraient pas oubliées et qu’elles auraient un accès équitable à l’information, à la communication, à l’emploi, aux services gouvernementaux, aux transports et aux autres secteurs sous réglementation fédérale. Honorables sénateurs, ces ajouts à un bon projet de loi ne sont pas négligeables.
Pour en revenir à la situation actuelle et au projet de loi C-22, il y a plusieurs questions qu’il sera utile d’examiner en comité. Tout d’abord, le neuvième amendement au projet de loi, qui modifie la date d’entrée en vigueur, mérite une réflexion approfondie. L’organisme Accessibility for Ontarians with Disabilities Act Alliance a publié sur son site Web une réponse aux amendements dans laquelle il fait valoir ce qui suit :
Tel que modifié par le comité HUMA, l’article 14 ne précise pas de date d’entrée en vigueur du projet de loi. L’article 5(2) de la Loi d’interprétation fédérale comble ce vide en faisant entrer le projet de loi en vigueur dès la sanction royale.
Je ne suis pas une spécialiste du domaine législatif, mais j’ai consulté une personne qui l’est, et elle est d’avis que cet amendement pourrait être problématique. Nous devrions accorder l’attention voulue à cet article et le modifier si c’est dans l’intérêt des Canadiens.
Deuxièmement, le comité devrait examiner les programmes de soutien aux personnes handicapées qui sont actuellement offerts au Canada et la façon dont ils pourraient interagir avec cette nouvelle prestation. Jennifer Robson, professeure agrégée et directrice du programme de gestion politique de l’Université Carleton, a dit au Hill Times en septembre 2022 que les programmes de soutien provinciaux et fédéraux ont chacun des définitions différentes du terme « handicap », diverses catégories de prestations et des règles distinctes concernant les autres sources de revenus. Elle a décrit les programmes actuels comme des passoires dans les trous desquelles on tentait d’introduire la nouvelle prestation.
Nous devons nous assurer que le processus de demande des prestations provinciales et fédérales n’est pas excessivement bureaucratique pour empêcher les personnes handicapées d’être laissées pour compte. Il devrait y avoir un processus bien défini de surveillance et de dépôt de plaintes pour interjeter appel d’un refus, d’une réduction ou d’une récupération des prestations, peut-être auprès d’un tribunal ou d’un défenseur des droits des personnes handicapées. L’une des plaintes formulées au Comité sénatorial des affaires sociales sur le crédit d’impôt pour personnes handicapées est que l’Agence du revenu du Canada est chargée du processus d’examen et de traitement des plaintes, mais que son travail laisse à désirer et est extrêmement lent.
Troisièmement, le comité devrait prendre en considération l’avantage d’établir les montants de la prestation en fonction du revenu net du demandeur et non du revenu de son ménage. Louise Bourgeois, présidente du Mouvement personne d’abord de Sainte‑Thérèse, a dit ceci au comité de la Chambre :
Les personnes vivant avec une déficience intellectuelle sont parmi les plus pauvres de notre société. Elles sont aussi plus à risque de vivre de la violence économique. Il sera important que le montant donné aux personnes ne dépende pas du revenu de leur conjoint. Ce montant devra être calculé et remis à la personne individuellement. Après tout, le projet de loi vise à renforcer la sécurité financière des personnes.
Les données de Statistique Canada indiquent également que les personnes handicapées sont plus susceptibles d’être victimes de violence entre partenaires intimes que les personnes qui ne sont pas handicapées. Dans le cadre d’une analyse des données de 2018, Laura Savage, du Centre canadien de la statistique juridique et de la sécurité des collectivités, de Statistique Canada, note ce qui suit :
Le fait d’avoir une incapacité peut accroître la vulnérabilité de certaines femmes à la violence entre partenaires intimes. Par exemple, les femmes ayant une incapacité pourraient être plus susceptibles de souffrir d’isolement ou de dépendre davantage d’un partenaire intime que celles n’ayant aucune incapacité.
Ces liens de dépendance sont souvent de nature économique.
Lorsque le député du Parti vert Mike Morrice a présenté un amendement au comité de la Chambre pour cibler cette préoccupation, un représentant du ministère lui a souligné que la plupart des prestations fédérales sont fondées sur le revenu familial. La prestation canadienne pour les personnes handicapées permettrait-elle, en particulier, d’accroître la sécurité financière du bénéficiaire afin de favoriser l’autonomie financière? Un amendement pourrait contribuer à tenir compte de cette vulnérabilité.
Dans le même ordre d’idées, une autre question importante concerne le caractère suffisant de la prestation pour les personnes handicapées et la nécessité de définir clairement que la prestation elle-même doit être supérieure au seuil de pauvreté. Le montant de la prestation n’est pas précisé dans le projet de loi actuel, qui laisse au gouverneur en conseil et aux règlements le soin de le fixer. Ce défi a été abordé dans la question que la sénatrice Pate a posée au sénateur Cotter la semaine dernière. Cette question a toutefois été jugée irrecevable à l’autre endroit. Le comité sénatorial devrait se pencher sur le caractère suffisant de la prestation. On peut établir des comparaisons détaillées avec de nombreux pays. En effet, la plupart des pays européens ont une prestation pour les personnes handicapées. La Suisse, la Norvège et le Danemark offrent les prestations mensuelles les plus élevées, et la Norvège offre des prestations universelles, contrairement à de nombreux autres pays, qui n’offrent des prestations qu’aux personnes qui sont sur le marché du travail.
Bien que le comité de la Chambre des communes ait adopté de nombreux amendements utiles et qu’il ait vraiment étoffé cette loi‑cadre, ce projet de loi laisse néanmoins beaucoup de points à régler dans la réglementation. Le gouverneur en conseil, c’est-à-dire la gouverneure générale agissant sur l’avis du Cabinet, est chargé d’élaborer les règlements pour la substance même de la mesure : les critères d’admissibilité, le montant de la prestation, les périodes de paiement, le processus de demande, l’examen ou le réexamen des décisions, les appels, le versement rétroactif des prestations, les demandes faites au nom de personnes incapables de gérer leurs propres affaires, l’application de la loi lorsqu’un demandeur ou un bénéficiaire décède et la désignation des créances.
Chers collègues, nous devons tous réfléchir à la grande considération qui est accordée au Cabinet dans le projet de loi. Cette approche restreint le débat au Parlement et ouvre la porte à de futurs changements, non pas par voie législative, mais par des décrets du gouverneur en conseil. De plus, s’il est essentiel que le gouvernement ait l’intention de consulter pleinement la communauté des personnes handicapées pour ce qui est de la teneur et de la mise en œuvre de cette mesure législative, je demeure préoccupée par le peu de détails fournis dans le projet de loi au sujet du processus et des échéances.
Pour conclure, j’appuie les principes du projet de loi C-22, mais je déplore que le cadre présenté soit aussi dégarni. Le gouvernement aurait pu — et aurait dû — faire mieux. Maintenant, honorables sénateurs, accomplissons notre travail et renvoyons le projet de loi au comité. Merci.
La sénatrice Seidman accepterait-elle de répondre à une question?
Oui, bien sûr.
Dans le cadre de l’étude de ce projet de loi par le Comité sénatorial permanent des affaires sociales du Sénat, comme vous l’avez suggéré, ne croyez-vous pas que le comité devrait aussi considérer l’aspect des droits de la personne en relation avec la situation de handicap?
Autrement dit, on dit trouver que c’est dommage et que nous avons une obligation morale de sortir des gens de la pauvreté; cependant, il y a aussi un corps de lois qui dit qu’on n’a pas le droit de faire de la discrimination fondée sur le handicap.
En ce sens, ne croyez-vous pas que le comité devrait aussi examiner la question du point de vue de la discrimination que subissent les personnes qui sont en situation de handicap dans le monde du travail, afin de voir comment cette nouvelle prestation pourrait également permettre de remédier à cette discrimination? Ce n’est pas qu’une obligation morale; il y a une obligation juridique claire dans notre système qui vise à s’assurer que les gens qui veulent exercer un emploi puissent le faire, y compris s’ils sont en situation de handicap.
Je vous remercie de la question, sénatrice. C’est une question complexe. Elle n’est pas simple et elle exige une profonde réflexion.
Comme je l’ai dit, le projet de loi est extrêmement mince. C’est un projet de loi-cadre qui vise à faire beaucoup de choses et qui promet beaucoup, mais il n’est pas très substantiel et, comme je l’ai dit, bien des détails sont laissés à la discrétion du gouverneur en conseil et de la réglementation.
Je pense que ce sera au comité de convoquer des témoins qui sauront répondre aux questions que vous posez, notamment lorsqu’il s’agira de déterminer comment cette mesure législative permettrait de verser aux personnes handicapées une prestation mensuelle qui leur permettrait de subvenir à leurs besoins quotidiens. Je pense que c’est l’objectif du projet de loi. Je pense que le comité pourrait se pencher sur le genre de détails que vous mentionnez.
La sénatrice Seidman accepterait-elle de répondre à une autre question?
Oui.
Je vous ai écoutée attentivement, et j’ai lu le projet de loi ainsi que les modifications qui y ont été apportées.
À la lecture du projet de loi, il semble possible qu’une allocation pour les personnes handicapées visant à contrer la pauvreté fasse l’objet d’une entente avec les provinces. Verriez-vous d’un bon œil la possibilité d’offrir un type d’aide qui serait différent d’une province à l’autre, et croyez-vous que c’est une possibilité dans le cadre de ce projet de loi?
Merci, sénatrice. Cela me rappelle la conversation que nous avons eue au sujet des prestations pour soins dentaires, où nous avions reconnu qu’il s’agit d’une situation complexe, car chaque province a des prestations différentes et des critères d’admissibilité différents.
Le gouvernement fédéral a promis qu’il prendrait un engagement individuel avec chaque province. Nous ne savons pas encore en quoi consistera exactement cet engagement.
Lorsque le sénateur Cotter a pris la parole la semaine dernière en tant que parrain du projet de loi, il a présenté la situation très clairement. Il a proposé de mettre son expérience à profit afin d’aider le gouvernement fédéral dans son engagement avec les provinces. Espérons que cela se produira.
Merci beaucoup pour votre discours, qui était très réfléchi, comme d’habitude.
Je veux connaître votre impression sur un sujet que nous étudierons, je l’espère, en comité. Ce projet de loi prévoit une prestation qui sera destinée aux personnes handicapées en âge de travailler. J’ai lu qu’environ 30 % des personnes handicapées sont plus vieilles que celles qui appartiennent à ce groupe.
Pensez-vous que nous devrions consacrer du temps à cette question pour faire en sorte qu’elles soient elles aussi tirées de la pauvreté?
Je vous remercie, sénatrice Petitclerc. Le Comité des affaires sociales s’est déjà penché un peu sur cet enjeu.
Je sais très bien, en fait, que des membres de la communauté des personnes handicapées aimeraient que nous déclarions que le groupe des personnes en âge de travailler va jusqu’à 70 ans au lieu de 65 ans. Il y a des discussions à ce sujet. C’est une question que le comité devrait examiner, comme je l’ai dit.
Il existe des exemples. Comme je l’ai mentionné pendant mon discours, la Norvège offre une prestation universelle. À cet égard, elle se distingue de la plupart des pays, qui offrent plutôt une prestation destinée aux personnes en âge de travailler. C’est une question que le comité devrait examiner, en effet.
La sénatrice Seidman accepterait-elle de répondre à une question?
Oui.
L’une de mes plus grandes inquiétudes concernant le projet de loi est liée à la possibilité que les provinces récupèrent une partie de cette prestation.
Comme vous le savez, les provinces administrent leurs propres programmes. Je dirais qu’il y a toujours eu une certaine mesquinerie dans leur application, notamment envers les personnes handicapées, car ce sont les plus vulnérables. Dans ce contexte, le fait d’offrir une prestation fédérale sans avoir la certitude que les provinces ne tenteront pas de la récupérer est une véritable source de préoccupation. Le comité devrait-il se pencher sur cet aspect? Cela a été mentionné par de nombreux militants.
Nous devons nous assurer qu’il ne s’agira pas de donner d’une main pour reprendre de l’autre simplement parce que les provinces ont le pouvoir de le faire. Je pense que ce serait bien triste, et cela irait à l’encontre des objectifs du projet de loi.
Plus important encore, essayer de sortir les gens — notamment les personnes handicapées — de la pauvreté devrait être un objectif louable pour tous. Les provinces et le gouvernement fédéral devraient régler ce problème afin de nous garantir que les fonds accordés ne seront pas récupérés par les gouvernements provinciaux.
Je vous remercie, sénateur. En effet, ce problème a été soulevé très souvent. On nous a très clairement indiqué que le gouvernement fédéral a l’intention de négocier avec les provinces.
Il existe de nombreux types de régimes d’assurance et, comme je l’ai indiqué dans mon intervention, le fait qu’il existe une grande diversité de cas de figure soulève de réelles inquiétudes, et la façon dont nous allons nous assurer que les prestataires ne seront pas soumis à des mesures de récupération représente un défi. Encore une fois, c’est pour cela que j’ai indiqué dans mon discours que nous pourrions envisager de mettre sur pied une sorte de tribunal ou d’organisme de défense des droits auprès duquel les prestataires pourraient porter plainte, faire appel, ou faire d’autres démarches, sans avoir à passer par une administration gouvernementale, pour qu’ils puissent se manifester rapidement, et qu’ils n’aient pas à attendre un, deux, voire trois ans, comme cela a été le cas dans le cadre du crédit d’impôt pour personnes handicapées. En effet, les personnes handicapées ont eu beaucoup de difficulté à se faire entendre et à obtenir ce à quoi elles avaient droit.