La Loi sur le ministère de l'Emploi et du Développement social—La Loi sur l'assurance-emploi
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture
13 juin 2023
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S- 244, Loi modifiant la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social et la Loi sur l’assurance-emploi (Conseil de l’assurance-emploi). Comme l’a expliqué la marraine de cette mesure, la sénatrice Diane Bellemare, ce projet de loi vise à constituer, au sein de la Commission de l’assurance-emploi du Canada, un conseil de l’assurance-emploi qui favorisera un dialogue social au sujet de questions liées à l’assurance-emploi.
Comme vous le savez peut-être, chers collègues, le filet social offert aux Canadiens sans emploi existe depuis 1940. On l’a tout d’abord appelé l’assurance-chômage mais, dans ma région, nous utilisions plutôt l’acronyme anglais « UIC », popularisé par une chanson du groupe 1755. Ce programme est finalement devenu l’assurance-emploi en 1990.
De 1940 à nos jours, en 2023, le programme a connu peu de transformations. Au lieu de moderniser le programme, les gouvernements successifs ont lancé de nombreux projets pilotes afin d’aider le marché du travail à trouver des travailleurs tout en aidant les Canadiens à trouver des emplois.
Par exemple, il y a actuellement un autre projet pilote visant à aider les Canadiens qui occupent des emplois saisonniers à survivre au « trou noir ». J’ai déjà parlé de cette question. Le « trou noir » est une période de l’année où les travailleurs saisonniers n’ont plus d’heures assurables, mais où leurs emplois saisonniers n’ont pas encore commencé. Encore une fois, la réaction pour aider les gens immédiatement a toujours été un projet pilote, qui est une solution à court terme. Cependant, les travailleurs saisonniers attendent toujours une solution à moyen et à long terme.
Je suis certain qu’ils ne sont pas les seuls à avoir besoin d’un meilleur filet de sécurité lorsqu’il n’y a tout simplement pas d’emplois. Le marché du travail a énormément évolué depuis 1990 avec Internet. Depuis les années 2000, les télécommunications ont changé notre façon de vivre et de travailler. Les nouvelles technologies ont été bénéfiques pour certains acteurs de l’économie, mais elles ont perturbé les travailleurs. Au cours des derniers mois, l’émergence de l’intelligence artificielle pourrait constituer une nouvelle perturbation majeure sur le marché du travail. Qui sait où en sera l’intelligence artificielle d’ici deux à cinq ans?
Tout cela pour vous dire, chers collègues, que le marché du travail a énormément évolué au cours des 10 dernières années, mais que notre système d’assurance-emploi n’a pas quitté le XXe siècle. Il reste obsolète et est devenu une solution fragmentée qu’il faut impérativement moderniser.
Il suffit de penser à la récente pandémie de COVID en 2020 : le programme est très rigide et il ne s’adapte pas facilement à des situations soudaines. Maintenant que la crise est derrière nous, nous devons nous pencher sur la protection et l’aide que nous apportons aux chômeurs canadiens.
Cela m’amène au projet de loi de la sénatrice Bellemare. L’idée d’un dialogue social au sein de la Commission de l’assurance-emploi est bonne. Ce que nous voulons, c’est que les décisions soient prises en fonction des besoins des employeurs et des employés. Si l’on fait trop pencher le pendule d’un côté, cela nuit à l’économie. Si on fait trop pencher le pendule de l’autre côté, cela nuit au travailleur. C’est un équilibre difficile à trouver.
Pour ma part, avant d’être sénatrice, j’ai été députée à l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick pour ma circonscription de 1999 jusqu’à ma nomination ici en 2010. Mon expérience de l’assurance-emploi et du soutien social est basée sur mes rencontres avec des concitoyens se trouvant dans une situation désespérée et n’ayant aucun autre recours. J’ai souvent pleuré avec mes concitoyens qui avaient besoin d’argent pour acheter de la nourriture, pour payer le chauffage, pour payer les vêtements de leurs enfants, et ainsi de suite.
Je me range du côté des travailleurs qui ont besoin d’aide pour subvenir aux besoins de leur famille. Le projet de loi dont nous sommes saisis propose un dialogue social entre les principales organisations qui représentent les employeurs et les principales organisations qui représentent les travailleurs. Cependant, si nous voulons promouvoir un dialogue social en bonne et due forme au sujet de l’assurance-emploi, nous devons exercer la diligence requise en veillant à n’oublier personne. Or, je crains que ce dialogue social inclue surtout les industries qui comptent le plus grand nombre de travailleurs et les représentants des grands employeurs. Il est important que les gens qui ne font pas nécessairement partie des principales industries et qui vivent dans les régions les moins populeuses du pays aient également voix au chapitre. Je crains que le dialogue porte surtout sur les industries qui comptent le plus grand nombre de travailleurs et sur les grands employeurs.
Par ailleurs, il pourrait être important de tenir compte des facteurs qui touchent certaines régions du pays. Je suis à peu près certaine que lorsque je parle de « trou noir », ce ne sont pas tous les Canadiens qui songent à la période de quatre semaines pendant laquelle les travailleurs saisonniers n’ont pas de revenus, tout comme je pourrais ne pas être au fait des problèmes qui touchent plus particulièrement les gens des Prairies ou de l’Ouest canadien. Nous devons veiller à ce que toutes les régions aient voix au chapitre. Le fait est que nous vivons dans un pays qui s’étend sur un vaste territoire et qui a une économie diversifiée pouvant varier d’une région à l’autre. Le marché du travail est différent selon les régions.
Enfin, je voudrais faire une mise en garde contre l’excès de bureaucratie. La sphère de l’assurance-emploi est vaste. Je comprends que le conseil fasse partie de la commission, mais il ne doit pas centraliser l’attention et la consultation au sein d’une seule structure. Il arrive qu’une chose semble bonne en théorie, jusqu’à ce qu’elle soit mise en application, et c’est là que mon expérience en tant que députée de l’Assemblée législative entre en jeu. J’ai tenu la main de personnes qui passaient par le régime d’assurance-emploi. Même s’il s’agissait d’une compétence fédérale et que j’étais une députée provinciale, je me suis impliquée uniquement pour apporter mon aide lorsque c’était possible, de toutes les manières possibles.
Quand on écoute directement les personnes qui ne sont pas représentées par les grands syndicats et qui ne travaillent pas dans une grande industrie, on comprend qu’on ne peut pas les abandonner. Le système doit être inclusif afin que toutes les voix soient entendues.
En fin de compte, honorables sénateurs, notre régime d’assurance-emploi a besoin d’un remaniement majeur. L’assurance-emploi fait partie du filet de sécurité sociale des Canadiens. Les futurs gouvernements devront mieux s’en occuper. Ils devront faire preuve d’audace et procéder à une refonte au lieu de se contenter de projets pilotes. Il est arrivé trop souvent que le régime d’assurance-emploi ne réponde pas aux besoins des travailleurs canadiens dans une économie qui évolue rapidement. Je suis persuadée que le comité fera une étude approfondie du projet de loi, car, aujourd’hui plus que jamais, notre régime d’assurance-emploi a besoin d’être modernisé.
Alors que nous attendons que le gouvernement présente son plan pour améliorer le régime d’assurance-emploi, je remercie et félicite la sénatrice Bellemare de son initiative. Merci, honorables sénateurs.
La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?
Oui, bien sûr.
D’abord, je vous remercie de vos observations au sujet de votre expérience, mais aussi du projet de loi. Comme nous le savons, la dernière réforme en profondeur du régime canadien d’assurance-emploi remonte à des dizaines d’années. Peu importe la région du pays, que ce soit dans un contexte urbain ou rural, les travailleurs font face aux mêmes défis au quotidien — c’est-à-dire leur situation s’ils sont laissés pour compte, s’ils n’ont pas droit à des prestations ou s’ils se retrouvent sans emploi.
À mon avis, il est juste de dire que le régime que nous utilisons depuis des dizaines d’années pour tenter de cibler ces préoccupations n’a pas vraiment permis de s’attaquer au cœur du problème : comment pouvons-nous mettre en place un meilleur régime qui tient compte de la réalité de ce qu’est le Canada?
Dans les collectivités rurales, il est tout à fait normal que les gens occupent des emplois saisonniers. Sans ces personnes, ces industries disparaîtraient. Je vais utiliser l’Île-du-Prince-Édouard comme exemple. Nous avons besoin de gens pour cultiver les pommes de terre et pêcher. Or, il y a des moments de l’année où il n’y a pas de travail pour eux dans ces industries, et c’est notre responsabilité collective de veiller sur eux.
J’espère que bon nombre des préoccupations que vous avez soulevées au sujet du projet de loi pourront être examinées par le comité et que des témoins auront la possibilité de raconter leur histoire. La structure que la sénatrice Bellemare propose dans son projet de loi sera aussi inclusive que possible pour que toutes les régions et toutes les industries du Canada soient entendues. Ce sont les travailleurs et les employeurs qui financent le système.
N’êtes-vous pas d’accord pour dire qu’il serait possible d’atténuer les préoccupations que vous avez soulevées et, parallèlement, de veiller à ce que ces voix soient entendues quand la nouvelle structure aura été créée après l’adoption de ce projet de loi, qui deviendrait ainsi une composante intégrale de la législation de notre pays?
Je suis tout à fait d’accord.
En ce qui concerne le conseil qui sera mis en place, il sera extrêmement important — en particulier, dans les zones rurales du Nouveau-Brunswick et du Canada, où il y a beaucoup d’entreprises et de milieux de travail qui ne sont pas syndiqués — de nous assurer que ces travailleurs ont une voix et que nous pouvons les entendre.
Je suis convaincue que le Comité des affaires sociales, — dont je ne fais plus partie, mais où j’ai siégé pendant longtemps — fera un excellent travail et veillera à ce que toutes les voix soient entendues. Oui, il y a beaucoup de gens qui souffrent. Encore une fois, je me souviens de l’époque où j’étais députée à l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick et que des électeurs faisaient appel à moi parce qu’ils n’avaient aucun autre recours. Il n’y avait même pas de projets pilotes ou quoi que ce soit d’autre. Je me tournais même vers les églises et les organisations locales pour voir où je pourrais trouver du bois de chauffage pour aider les familles à chauffer leur maison l’hiver, de la nourriture ou d’autres choses.
Oui, c’est quelque chose qui me tient à cœur. Je crois vraiment que le comité fera un excellent travail et s’assurera que toutes nos voix sont bien entendues. Merci.
D’abord, félicitations pour votre intervention cruciale pour des régions où l’industrie repose en bonne partie sur l’industrie saisonnière — pensons aux pêches et à l’industrie agricole.
En ce qui concerne le phénomène du trou noir, on nous répète qu’on mène des consultations et qu’on va nous arriver avec une réforme de l’assurance-emploi.
Ne pensez-vous pas que le danger qui nous guette actuellement, compte tenu de la rareté des ressources et du fait que l’on se dispute une main-d’œuvre qualifiée, c’est que des régions comme la vôtre et comme la mienne, qui sont des régions où les travailleurs sont liés à l’industrie saisonnière, soient accaparées par d’autres secteurs industriels beaucoup plus permanents? Ne pensez-vous pas qu’il serait urgent d’arrêter de faire des consultations et de procéder à une réforme de l’assurance-emploi qui tiendra compte de ces réalités?
C’est là que je pense que le comité pourrait faire du travail. Premièrement, à l’heure actuelle, il n’y a même pas de système en place pour donner une voix ou donner la parole aux personnes qui sont affectées par tout cela. Il n’y a personne pour les entendre.
C’est bien beau de parler aux représentants des gouvernements qui sont là et qui prennent les décisions, mais il n’y a aucun recours pour se faire entendre. C’est là qu’il faut commencer pour que tout le monde comprenne. Ce qui est triste, c’est que beaucoup de gens croient que les travailleurs saisonniers... J’ai déjà présenté une interpellation à ce sujet il y a quelques années, peut-être avant votre arrivée au Sénat.
Il y a des endroits dans le pays, comme au Nouveau-Brunswick, où on peut travailler dans le secteur de la pêche, dans un champ de pommes de terre, dans le secteur de l’agriculture ou dans le secteur du tourisme, mais à un certain moment, la saison prend fin. Le nombre de semaines pour lesquelles ces travailleurs reçoivent des prestations, avec une famille, n’est pas suffisant. On a obtenu une réponse immédiate, et on a convenu que oui, on avait besoin d’un projet pilote, mais on est bien au-delà de cela maintenant. Il faut passer à l’action pour remédier à la situation dans les régions. S’il fallait éliminer tous les emplois saisonniers dans notre pays, on ferait pitié. Merci.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)