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La Loi concernant le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

18 octobre 2023


Chers collègues, je tenais à prendre la parole au sujet du projet de loi C-282, car je suis inquiet à propos du système de gestion de l’offre qui régit la production du lait, de la volaille et des œufs au Canada.

Il est important de noter que le projet de loi, qui a été adopté avec l’appui de députés de tous les partis politiques représentés à la Chambre des communes, a même reçu l’appui du premier ministre, du chef de l’opposition officielle et des ministres du Commerce international et de l’Agriculture. En soi, ce n’est pas un mince exploit.

Cet appui massif de la Chambre des communes et du Cabinet devrait, à lui seul, nous convaincre de renvoyer ce projet de loi en comité pour que l’on en fasse une étude approfondie.

Le projet de loi C-282 est, somme toute, assez simple. Il modifie la Loi concernant le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement de façon à intégrer la protection du système de gestion de l’offre dans les responsabilités du ministre.

Le projet de loi C-282 ajoute la gestion de l’offre à la liste des directives dont le ministre devra tenir compte dans la conduite des affaires extérieures du Canada, notamment en matière de commerce international. En fait, il s’agit d’améliorer le rapport de force du gouvernement canadien lorsqu’il se présentera à d’éventuelles négociations internationales.

Comme vous le savez, la gestion de l’offre a été affaiblie en raison de la conclusion de trois récents accords commerciaux. Bien que les gouvernements successifs aient promis le contraire, il y a eu un impact sur les travailleurs des productions se trouvant sous le régime de gestion de l’offre, alors que de nouveaux contingents d’importation ont été acceptés.

Certains observateurs ont prétendu que ce projet de loi lie les mains des négociateurs. Je dirais plutôt qu’il encadre leurs éventuels mandats et qu’il protège le droit des parlementaires et de la population de savoir ce qui se passe avant d’avoir les mains liées.

Le projet de loi C-282 fera en sorte que les négociateurs ne puissent pas s’engager à signer un accord qui mettrait en cause la gestion de l’offre avant que le Parlement ne lui donne son accord.

Certains juristes, comme notre toujours très vigilante collègue la sénatrice Dupuis, se sont demandé si le projet de loi C-282 n’était pas une atteinte à la prérogative royale, le principe étant que la Couronne doit y consentir expressément lorsqu’il est question de renoncer à l’une de ses prérogatives.

Je n’ai pas la prétention d’être constitutionnaliste ni expert en droit parlementaire. C’est pour cette raison que je vous invite à consulter le rapport de recherche auquel a collaboré le constitutionnaliste Patrick Taillon, qui s’intitule Le consentement royal aux projets de loi touchant la prérogative royale sur les affaires étrangères. Le constitutionnaliste Taillon y affirme que le projet de loi est conforme, puisqu’il n’empêche pas le ministre ou l’exécutif d’exercer leur prérogative en matière de commerce international; il l’encadre plutôt.

Si le gouvernement veut faire des concessions, il devra simplement revenir devant le Parlement avant de s’engager. De toute façon, les accords commerciaux doivent être entérinés par le Parlement.

Il existe plusieurs mécanismes pour assurer que les projets de loi respectent la prérogative de la Couronne. Cependant, à l’étape où nous en sommes, si le premier ministre du Canada a donné son accord et que le gouvernement lui-même n’a pas contesté ce fait, il serait malvenu pour nous, au Sénat, de retarder ou de bloquer un projet de loi qui a été adopté par la Chambre des communes, alors que le chef du gouvernement, le chef de l’opposition et le Parlement y ont donné leur appui. Sinon, ce projet de loi n’aurait pas pu cheminer jusqu’au Sénat.

La question légitime qui se pose ensuite est la suivante : pourquoi protéger les produits sous gestion de l’offre plutôt que d’autres produits comme le bœuf et les produits forestiers, par exemple?

Il faut d’abord reconnaître que les produits sous gestion de l’offre sont d’une nature particulière, puisqu’ils sont essentiels à notre sécurité alimentaire et qu’il est nécessaire de les protéger de la concurrence sauvage.

Le programme de gestion de l’offre est né en 1972 en raison d’une situation de surproduction et d’anarchie au sein des marchés. Le gouvernement canadien a graduellement mis en place ce système afin de protéger les producteurs et les consommateurs de trop grandes fluctuations de production et de prix.

Vous remarquerez que les transformateurs canadiens appuient la gestion de l’offre, car elle a un effet positif sur la stabilité des prix et des approvisionnements.

Par ailleurs, je voudrais souligner que le fait d’appliquer un traitement différencié pour un produit n’est pas tout à fait une excentricité en matière de commerce international. On le fait déjà pour la culture, puisque l’on reconnaît que les biens culturels ne sont pas des biens comme les autres.

Grâce au leadership du Canada et de la France, on a réussi à soustraire l’industrie culturelle des traités internationaux, notamment auprès de l’OMC. Retenons que l’OMC permet aux pays membres de protéger un certain nombre de lignes tarifaires. Tous les pays peuvent le faire et la grande majorité le fait : c’est un droit.

Par ailleurs, il est nécessaire et intéressant de noter que les Américains ont un système de gestion de l’offre pour l’industrie du sucre. En plus de contrôler les importations, la production et les prix, ils ont même mis sur pied un programme de transformation du sucre en éthanol pour écouler la production excédentaire et soutenir leurs producteurs.

L’exemple du sucre américain montre bien que des productions axées sur les exportations et des productions orientées vers le marché intérieur peuvent cohabiter et faire partie d’un même mandat de négociation.

Certaines productions agricoles veulent jouer le jeu de la libéralisation totale des marchés et tenter de concurrencer nos voisins en misant sur des produits à faible coût; c’est bien, mais les producteurs de lait, d’œufs et de volailles devraient aussi être en mesure de protéger leur mode de mise en marché. Une industrie ne devrait pas avoir préséance sur l’autre.

Chaque fois que l’on parle de protéger la gestion de l’offre, on entend dire dans certains milieux qu’il faudrait aller dans l’autre sens et l’abolir, afin de faire jouer pleinement la concurrence.

On a vu récemment ce débat resurgir lors du Sommet canadien de la concurrence, à Ottawa, quand certains invités ont fait un lien entre l’inflation alimentaire et la gestion de l’offre.

D’une part, il faut voir que les prix des produits sous gestion de l’offre ont évolué dans le même sens que ceux de l’ensemble des produits alimentaires.

L’indice des prix à la consommation pour les produits laitiers a, par exemple, augmenté moins rapidement que l’ensemble des aliments au Québec ces cinq dernières années, avec une croissance de 14,7 % en cinq ans, comparativement à 16,7 % pour l’ensemble des aliments.

D’autre part, on évoque souvent le fait que la fin de la gestion de l’offre serait nécessairement bonne pour les consommateurs. Le raisonnement, un peu simpliste, est le suivant : l’ouverture du marché canadien profiterait nécessairement aux consommateurs, puisque le lait américain, qui n’est pas sous gestion de l’offre et qui coûte moins cher à produire, serait vendu moins cher au détail.

Il est important de préciser que l’observation d’un prix plus élevé pour les produits sous gestion de l’offre n’est pas en soi suffisante pour imputer à cette dernière les écarts observés.

Une étude de l’économiste Daniel-Mercier Gouin comparant le prix du lait au détail entre Toronto, Québec et Washington a notamment montré que le prix du lait et du fromage était semblable à Québec et à Washington — où il n’y a pas de gestion de l’offre — et beaucoup moins cher à Toronto, où il y a un système de gestion de l’offre.

Cela tend à démontrer que la gestion de l’offre n’a pas d’effet significatif sur le prix de détail, mais plutôt que les marges, tout au long de la chaîne de transformation et de distribution, ont un impact plus important.

Je vous en prie, résistons à la tentation d’imaginer que la disparition de la gestion de l’offre bénéficierait nécessairement aux consommateurs. Il faut comprendre que l’agriculture est soutenue, partout dans le monde, soit par les consommateurs, soit par les contribuables.

Prenons simplement le modèle américain, si cher à ceux qui veulent démanteler la gestion de l’offre. Le Farm Bill, adopté en 2018 par le Congrès américain, prévoyait 867 milliards de dollars sur 10 ans. Celui de 2023 devrait atteindre un seuil stratosphérique de 1,400 milliards de dollars au cours des 10 prochaines années, dont plus de 221 milliards de dollars pour soutenir les produits de base comme le maïs, le blé, le soja et le sucre, mais aussi l’industrie laitière.

Une étude réalisée par des consultants commerciaux chez Grey, Clark, Shih and Associates a estimé que le gouvernement américain a fourni 22 milliards de dollars américains de subventions au secteur laitier américain seulement en 2015.

Quand on reproche au prix du lait d’être soutenu indûment par les consommateurs canadiens, je réponds : qu’en est-il du soutien offert par les contribuables américains au prix du lait américain?

Depuis l’élimination complète des subventions directes à la production, dans les années 1990, les producteurs laitiers canadiens ont la fierté de tirer l’essentiel de leurs revenus du marché; c’est un marché réglementé, certes, mais où les prix aux producteurs sont fixés de manière transparente et en tenant compte des coûts de production des agriculteurs, contrairement à certaines subventions qui « récompensent » parfois des entreprises moins performantes.

Seulement au regard de l’impact économique pour le pays, la gestion de l’offre mérite d’être protégée.

La gestion de l’offre, c’est 30,1 milliards de dollars pour le PIB et 339 000 emplois à l’échelle canadienne. Toutefois, la gestion de l’offre dans un pays comme le Canada, c’est aussi une question de développement régional et d’occupation du territoire.

C’est là que la gestion de l’offre me rejoint particulièrement; c’est une question qui m’est chère, puisque j’œuvre dans le développement régional depuis plus de 45 ans.

Comme vous le savez, le Canada et le Québec sont de vastes territoires avec une faible densité de population. Or, l’occupation du territoire est le nerf de la guerre pour le développement économique de nos régions, et la gestion de l’offre contribue justement à l’occupation du territoire, car ce système permet à des producteurs laitiers d’opérer dans la plupart des régions, qu’ils soient à Saint‑Hyacinthe, en Gaspésie ou en Abitibi.

Il faut comprendre que les transformateurs paient un prix unique aux agriculteurs. Par conséquent, les fermes laitières, de poulets, de dindons ou d’œufs de consommation n’ont pas nécessairement besoin d’être situées près des usines des transformateurs et des grands marchés de consommation pour être rentables.

Dans cet esprit, le système de gestion de l’offre contribue au développement régional. Les producteurs sous gestion de l’offre emploient des travailleurs locaux. Ils achètent des biens et des services locaux. Ils envoient leurs enfants à l’école, vont au bureau de poste, utilisent le guichet automatique et passent par le dépanneur, ce qui assure souvent le maintien de ces services dans de petites communautés.

Bref, ils sont des acteurs importants dans l’écosystème socioéconomique des régions.

Permettre l’érosion de la gestion de l’offre, c’est affaiblir les régions.

En conclusion, je nous invite à mettre de côté nos idées préconçues. Le débat ne porte pas sur la pertinence de la gestion de l’offre.

C’est un faux débat, car tant que nos partenaires commerciaux subventionneront leur agriculture, il nous faudra appuyer nos producteurs d’une façon ou d’une autre pour assurer notre souveraineté alimentaire.

La vraie question que pose le projet de loi C-282 est la suivante : comment répondre à la demande des producteurs et des transformateurs, qui ont vu la gestion de l’offre s’éroder depuis 10 ans et qui ont l’impression d’être abandonnés par leur gouvernement, qui les a sacrifiés lors de la conclusion des trois dernières ententes majeures?

Il s’agit d’une question de nationalisme économique face à la concurrence de certains de nos partenaires commerciaux.

Revenons à l’essentiel : avec le projet de loi C-282, on veut surtout préciser d’éventuels mandats de négociations de nos représentants et s’assurer que le Parlement a son mot à dire dès le début des négociations de ces ententes commerciales qui ont un impact majeur pour nos régions.

Merci. Meegwetch.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Sénatrice Gerba, voulez-vous poser une question?

L’honorable Amina Gerba [ + ]

Merci beaucoup pour votre discours, sénateur Forest. Je vous remercie d’avoir souligné le fait que le gouvernement américain a aussi une politique de gestion de l’offre, car souvent, on l’ignore.

On entend souvent dire que la gestion de l’offre, en fait, est une politique qui devrait être éliminée, parce qu’elle n’a pas lieu d’être en matière de commerce international et qu’elle est une subvention déguisée.

Pouvez-vous donner des précisions sur cette question?

Je vous remercie pour la question.

Je suis très honoré, parce que la question vient de la marraine du projet de loi. Il est vrai qu’on a vu plusieurs pays faire cela en ce qui a trait aux États-Unis, par exemple, avec le sucre. Il y a une politique de gestion de l’offre. On a même mis en place une subvention pour transformer les stocks excédentaires en éthanol. Or, chaque pays a le droit de soustraire certaines lignes tarifaires, et plusieurs pays utilisent cette pratique.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Sénatrice Gerba, vouliez-vous poser une question complémentaire?

La sénatrice Gerba [ + ]

Non.

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