Les défis et possibilités auxquels font face les municipalités canadiennes
Interpellation--Suite du débat
24 octobre 2023
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer l’interpellation de la sénatrice Simons sur les défis et les possibilités qui se présentent aux municipalités canadiennes. Je remercie la sénatrice Simons d’avoir donné au Sénat l’occasion de réfléchir à ce sujet crucial et d’actualité. J’ajoute ma voix à celle de nos collègues, en utilisant ma province natale, la Saskatchewan, comme point de repère pour formuler mes observations.
Comme dans d’autres provinces, la loi oblige les municipalités de la Saskatchewan à exercer une bonne gouvernance et à fournir des services et des installations de qualité, tout en favorisant le bien‑être économique, social et environnemental et en assurant la sécurité publique. Ces objectifs semblent simples et acceptables. Pourquoi la présente interpellation est-elle nécessaire?
Au cours de l’été, j’ai pris contact avec des responsables municipaux pour les rencontrer et les écouter. Ces dirigeants sont de véritables champions pour leurs communautés et ils sont engagés et motivés à servir le public. Ils poursuivent de grands projets tels que de nouvelles bibliothèques publiques, des centres multifonctionnels et des partenariats visant à promouvoir l’enseignement postsecondaire.
Comme partout ailleurs au Canada, les collectivités de la Saskatchewan font également face à une dure réalité. Outre les projets que l’on pourrait considérer comme des « joyaux », elles créent — en partenariat — des abris chauffés dans les parcs, des programmes d’accès rapide, des équipes de proximité travaillant à la prévention des surdoses et des services d’aide psychologique pour les enfants, les jeunes et les aidants. Ils répondent aux défis sociaux, sécuritaires et économiques importants liés à la santé mentale et aux dépendances, aux médicaments toxiques et contaminés, à la violence familiale, et aux infections transmissibles sexuellement et par le sang.
De plus en plus, les administrations municipales doivent s’attaquer à des défis sociaux de longue date, dont beaucoup sont exacerbés par la hausse des coûts des refuges, de la nourriture et du carburant. Elles doivent remplacer des infrastructures vieillissantes qui n’ont jamais été aussi coûteuses à réparer et à remplacer. Les municipalités composent avec ces dures réalités avec ou sans le soutien des gouvernements fédéral et provinciaux.
Charlie Clark, le maire de Saskatoon, a noté ceci :
Nous avons actuellement une mosaïque de programmes de financement qui offrent peu de prévisibilité ou de capacité de planification. De plus en plus, les villes doivent sortir de leurs domaines de compétence pour répondre aux besoins de leur communauté, car on nous impose davantage de responsabilités.
Les partenariats fédéraux-provinciaux et fédéraux-territoriaux servent depuis longtemps à atteindre des objectifs sociaux et d’infrastructure. Par exemple, le plan Investir dans le Canada est une stratégie d’investissement de 188 milliards de dollars s’étendant sur 12 ans qui a débuté en 2016. Toutefois, le directeur parlementaire du budget a signalé que ce programme a probablement :
[...] contribué à l’augmentation des dépenses en immobilisations des municipalités, mais pas de celles des provinces. [...] le financement du gouvernement fédéral [...] a probablement entraîné un déplacement des investissements [...] des provinces [...]
Les dirigeants municipaux agissent en fonction — et parfois au‑delà — des contraintes de leur mandat et de leurs ressources. Ils doivent prendre des décisions difficiles pour deux raisons. Premièrement, ils ne peuvent accumuler de déficit, et deuxièmement, leur capacité à taxer leurs citoyens n’a pas été conçue pour les réalités actuelles et n’arrive pas à suivre le rythme.
Les municipalités sont au cœur de la prestation de services, et les coûts pour assurer leur fonctionnement et répondre à leurs résidants augmentent. Les citoyens doivent composer avec une augmentation annuelle du coût de la vie et le fait que l’indice des prix à la consommation a augmenté de près de 4 % au cours des 12 derniers mois. Les municipalités répondent à ces augmentations de prix, comme le coût du gaz et du carburant, et à la diminution du nombre de logements, qui a pour effet d’amplifier les problèmes de toxicomanie, de santé mentale et d’itinérance. Par exemple, la Fédération canadienne des municipalités demande depuis longtemps que le fédéral investisse dans des programmes qui visent à répondre à la fois aux besoins en matière de logement et d’itinérance chronique, en particulier pour les populations les plus vulnérables.
Dans ma ville, Saskatoon, 550 personnes sont en situation d’itinérance, ce qui représente une augmentation de 15 % depuis 2018. Ce chiffre est considéré comme une estimation très conservatrice. Parmi ces personnes, 83 % s’identifient comme Autochtones, et 49 % affirment être en situation d’itinérance chronique. La Saskatchewan a signalé une augmentation de 14,8 % des mises en chantier entre septembre 2022 et septembre 2023, soit une différence de 1,6 % entre les deux années.
Ce changement est le bienvenu, mais, actuellement, le parc de logements en Saskatchewan est extrêmement limité. Il y a quelques semaines, la Saskatchewan Realtors Association a indiqué que le parc de logements était à son plus bas niveau depuis 2009. En s’appuyant sur la croissance démographique prévue au cours des huit prochaines années, le Saskatchewan Housing Continuum Network prévoit qu’il faudra plus de 100 000 logements d’ici 2030.
Soyons clairs. Les dirigeants municipaux sont des bâtisseurs. Ils sont fiers des résidants qu’ils représentent, de leur municipalité et de leur province. Ce qu’ils réclament, c’est une meilleure relation entre les gouvernements provincial et fédéral et avec ceux-ci pour que les villes et les gens puissent prospérer.
Son Honneur le maire Charlie Clark m’a dit qu’il appuie :
[...] les démarches en vue de trouver un nouveau modèle de financement et de gouvernance pour les villes qui reflète la réalité urbaine du Canada d’aujourd’hui. Une si grande partie de ce qui détermine le bien-être de notre pays — la santé des citoyens, le climat, l’économie et la démocratie — se joue dans les rues de nos villes. Pourtant, les villes sont les organes d’administration publique qui ont le moins de flexibilité en termes de revenu et de compétence pour pouvoir remédier aux problèmes et répondre aux besoins des citoyens. Or, il est urgent de remédier à ces problèmes, en particulier de se doter des outils nécessaires pour satisfaire les besoins en matière d’infrastructure, s’adapter aux changements climatiques, bâtir une nouvelle ère de vérité et de réconciliation en milieu urbain, et stopper la crise de l’itinérance et de la dépendance, qui ne cesse de s’aggraver.
Son Honneur la mairesse de Regina, Sandra Masters, fait écho à ces sentiments dans la lettre qu’elle m’a adressée. Par ailleurs, elle insiste sur le lien entre les changements climatiques, les infrastructures et les ressources :
L’adaptation aux changements climatiques demeure une priorité pour la Ville de Regina, alors que nous travaillons à réaliser la transition vers la carboneutralité et à adopter les énergies renouvelables d’ici 2050. Les travaux de réaménagement et de modernisation des infrastructures en vue de satisfaire aux exigences de carboneutralité ne sont pas une mince affaire et nécessitent un financement considérable. De plus, le renouvellement des infrastructures a une incidence directe sur notre capacité de remédier à d’autres problèmes en matière d’infrastructures municipales. Les programmes fédéraux tels que le Fonds pour le développement des collectivités du Canada et le programme d’infrastructure Investir dans le Canada nous sont d’une aide précieuse, mais nous aimerions vraiment avoir un accès direct à d’autres programmes de financement souple...
— du gouvernement fédéral.
Le besoin de financement et de sources de revenu est commun à toutes les municipalités canadiennes, d’autant plus que les grandes villes, les petites villes et les villages du Canada sont responsables de 60 % des infrastructures au Canada.
Dans ma province, l’association des municipalités urbaines de la Saskatchewan a déclaré que les projets, notamment des projets d’infrastructure essentielle, coûtent plus cher que prévu en raison de la hausse des coûts de construction et des pénuries de main‑d’œuvre. Résultat, des projets sont annulés ou, de plus en plus, leur envergure est redéfinie et leur réalisation, échelonnée à plus long terme.
Par exemple, les prix soumissionnés pour des projets de réfection de routes et de trottoirs sont 30 % plus élevés qu’en 2021, il y a seulement deux ans. De plus, les coûts de construction ont augmenté d’au moins 6 %. Les municipalités urbaines réclament — et utilisent — des subventions fédérales pour les infrastructures afin de s’acquitter de leurs obligations.
Mme Randy Goulden, présidente de l’Association des municipalités urbaines de la Saskatchewan, m’a dit que la ville de Yorkton, où elle habite, compte 25 000 habitants et fait face à d’importants défis en ce qui concerne son réseau d’aqueduc. Les programmes d’infrastructures lui ont refusé du financement à plusieurs reprises. Mme Goulden croit que des délais de financement plus longs sont nécessaires pour combler les déficits imminents au chapitre de l’infrastructure dans les municipalités urbaines. Ensemble, les villes de Saskatoon et de Regina représentent plus de 40 % de la population de 1,1 million d’habitants de la Saskatchewan.
Toutefois, les problèmes sociaux et les problèmes liés aux ressources ne sont pas propres aux milieux urbains. Plus de 30 % de la population de la Saskatchewan vit en milieu rural. M. Ray Orb, président de la Saskatchewan Association of Rural Municipalities, m’a dit que les besoins des gens qu’il sert sont quelque peu différents. L’accent est mis sur la terre, l’eau et le transport, ce qui crée des emplois liés à l’économie agricole de la Saskatchewan.
La crise de la sécheresse de l’été dernier, par exemple, fait augmenter les demandes pour acheminer l’eau là où on en a besoin. Or, c’est impossible faute d’infrastructures appropriées. Résultat : il n’est pas possible d’utiliser à des fins agricoles 70 % de l’eau douce disponible en Saskatchewan.
Même les programmes fédéraux qui offrent les deux tiers des fonds et qui pourraient contribuer à surmonter de telles difficultés sont souvent hors de portée pour les municipalités rurales. En raison de leur assiette fiscale limitée, ces municipalités n’ont pas la capacité financière de fournir le tiers des fonds. De toutes les choses qui peuvent aider les municipalités rurales, M. Orb n’a parlé ni de programmes ni d’argent. Il a réclamé de meilleurs processus de communication et de consultation, ainsi que la participation directe des municipalités dans les discussions fédérales-provinciales qui les concernent.
Chers collègues, je crois que le Canada est prêt à entamer un dialogue direct. En réalité, nous en avons besoin. Comme me l’ont dit des dirigeants municipaux :
Le Canada ne pourra prospérer que si les villes et les communautés peuvent prospérer. Il est temps de mettre en place un modèle de financement et de gouvernance qui permet qu’une telle chose se produise [...]
— dans un monde moderne.
Quelles sont les solutions? On a soutenu de façon convaincante que la doctrine constitutionnelle selon laquelle les municipalités sont des « créatures des provinces » est une fiction juridique. Il faut reconnaître la place importante et réelle que les municipalités occupent dans l’État canadien. Je crois que c’est notre rôle, en tant que sénateurs, de tenir compte des aspects pratiques et juridiques de cette interpellation. Celle-ci reconnaît l’importance pratique et réelle des municipalités dans la mosaïque canadienne.
Bien sûr, les provinces protègent, à juste titre, leur autorité. Il est également vrai que le gouvernement fédéral a la capacité et les outils — voire l’obligation — de travailler avec les provinces et les municipalités. Ces relations sont vitales pour nos municipalités. De bonnes relations sont un gage de réussite. Les dirigeants locaux en sont conscients.
Dans une municipalité, que l’on soit maire, préfet ou conseiller municipal, on ne peut pas éviter les questions sur les taxes, les services ou les voies publiques lorsqu’on est à l’épicerie en train de faire la file à la caisse. Autrement dit, les dirigeants municipaux sont obligés de rendre des comptes à leurs concitoyens au quotidien. Cela fait partie du métier.
Les attentes des Canadiens ne devraient pas être moins élevées concernant les relations entre le gouvernement fédéral, les provinces et les municipalités. J’ai dit à maintes reprises que la santé et le bien-être des collectivités sont directement liés à la santé et au bien-être de toutes les collectivités qui composent l’ensemble. Les Canadiens veulent des collectivités et des municipalités saines, et ils le méritent.
Les problèmes aigus doivent être cernés et résolus. J’appuie l’interpellation et j’attends avec impatience le rapport qui en découlera.
Merci.
Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Oui.
Je vous félicite pour votre intervention. C’était de la musique à mes oreilles. Au Québec, environ 10 % de l’ensemble des revenus provenant des taxes et des impôts sont perçus par les municipalités. Or, celles-ci sont responsables de 60 % des infrastructures. Il y a là un déséquilibre inacceptable. Est‑ce la même situation dans votre province?
J’observe la même chose que vous, sénateur Forest, et je crois que c’est l’objectif de cette interpellation. Il faut un nouveau modèle de gouvernance et une nouvelle relation directe entre les municipalités et le gouvernement fédéral.
Merci de votre question et de votre appui.