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L'avenir de CBC/Radio-Canada

Interpellation--Suite du débat

28 mai 2024


Honorables collègues, je suis heureux de participer à ce débat initié par le sénateur Cardozo afin d’attirer l’attention du Sénat et des Canadiens sur l’avenir de CBC/Radio-Canada.

Comme on le sait, le gouvernement actuel a annoncé son intention de revoir le mandat de notre diffuseur public. Le 13 mai dernier, la ministre du Patrimoine a d’ailleurs nommé sept experts en multimédia chargés de fournir des conseils stratégiques sur la gouvernance, le financement et le mandat du diffuseur public.

Cette remise en question survient alors que l’opposition conservatrice promet de supprimer le financement de CBC et de transformer son siège social de Toronto en logements. Pour être honnête, je pense que le moment n’est peut-être pas bien choisi pour faire une grande réforme touchant le diffuseur public. Le climat préélectoral n’est sûrement pas propice à traiter de l’avenir de notre radiodiffuseur, une institution si importante pour la culture et la démocratie canadienne.

CBC/Radio-Canada joue un rôle tellement important dans l’écosystème médiatique que je souhaiterais que l’on révise son mandat en gardant la tête froide. Cela dit, je ne nie pas que la société d’État a des défis particuliers. Comme on le sait, les temps sont durs pour les radiodiffuseurs, tant privés que publics, en raison de la multiplication des plateformes, de la fragmentation des publics et de l’érosion de l’assiette publicitaire.

Je voudrais d’abord dire un mot sur la question du financement de CBC/Radio-Canada. Il faut d’abord reconnaître que le débat sur la pertinence et le degré de financement accordé au diffuseur public est un débat que l’on tient un peu partout, même en Europe. Comme le disait avec humour Pierre-Jean Benghozi, chercheur au CNRS et professeur à l’École polytechnique de Paris :

Quand ça va bien pour les diffuseurs publics, on se demande pourquoi on les finance. Et quand ça ne va pas bien, on se demande aussi pourquoi on les finance.

C’est en plein ce que vit notre diffuseur public, alors que certains demandent : « Pourquoi financerait-on les émissions de Radio-Canada si elles sont très regardées? » D’autres nous disent : « Pourquoi financerait-on les émissions de la CBC si elles ne sont pas regardées? » Lorsque l’on compare le financement du diffuseur public canadien à ce qui se fait ailleurs, 33 $ par habitant par année, ce n’est pas démesuré, comparativement à 79 $ en France, à 149 $ en Allemagne et à 68 $ au Japon.

Le Groupe d’examen du cadre législatif en matière de radiodiffusion et de télécommunications, dont le rapport, le rapport Yale, a été déposé en 2020, contenait plusieurs pistes de solutions en vue de renforcer notre radiodiffuseur public national. Au chapitre du financement, le rapport Yale insistait surtout sur la nécessité d’un financement à long terme pour au moins cinq ans. Le rapport proposait aussi un processus de discussion constant afin d’établir un nouveau financement à la mesure des nouvelles responsabilités devant être confiées à CBC/Radio-Canada.

Une des idées les plus intéressantes du rapport Yale, à mon avis, était que l’on proposait :

[...] d’éliminer graduellement la publicité de tous ses supports de diffusion au cours des cinq prochaines années, en commençant par les contenus de nouvelles.

Cette proposition aurait eu l’avantage de libérer des revenus publicitaires pour le secteur public et aurait permis à la société d’État de se libérer des impératifs commerciaux pour se recentrer sur le caractère fondamental du radiodiffuseur public : innover, prendre des risques et offrir des contenus et des services qui ne sont pas offerts par le privé.

On comprend que la direction de CBC/Radio-Canada n’a jamais été chaude à cette idée, craignant qu’un jour, un gouvernement sabre les crédits parlementaires, ce qui aurait laissé le diffuseur public sans source de revenu alternatif. Cependant, je crois que cette option devrait être considérée sérieusement, car elle sous-tend qu’il faut également préciser la nature du mandat de CBC/Radio-Canada, afin que l’innovation et la mise en ondes de contenus pertinents aient préséance sur la sélection de contenus conçus pour plaire au plus grand nombre. Depuis 10 ans, avec la crise des médias, je crois que nous avons évolué et que nous comprenons mieux la valeur de l’information et des contenus. Nous comprenons que tout ne peut pas être gratuit et que la qualité se paie.

D’ailleurs, la plupart des ménages canadiens paient pour s’abonner à un journal en ligne ou pour accéder à une ou plusieurs plateformes de diffusion numérique. Quand on compare le montant de 33 $ par habitant par année que nous coûte notre radiodiffuseur public, avec le coût mensuel des différentes plateformes numériques, on réalise assez vite qu’il y a peut-être de la place pour un financement public plus important pour CBC/Radio-Canada.

CBC/Radio-Canada est particulièrement importante, au moment où les médias d’information traversent une crise sans précédent et alors que de nombreux postes de journalistes ont été abolis. C’est extrêmement préoccupant du point de vue démocratique, puisque les médias d’information jouent un rôle dans les démocraties en décortiquant le travail des élus et des personnes qui ont une charge publique.

Une étude américaine a montré que, dans les régions où les citoyens avaient davantage accès à de l’information locale, le taux de participation aux élections était plus élevé. D’autres recherches ont conclu que l’information produite par les médias favorisait l’engagement politique et public.

Il est intéressant de noter qu’une étude réalisée auprès de 1 266 comtés aux États-Unis a montré que la disparition des médias locaux dans certaines régions est associée à une augmentation des dépenses publiques, à une hausse du prix des appels d’offres publics et à l’augmentation des bénéfices versés aux titulaires de charges publiques.

En tant qu’ancien élu municipal, je peux aussi témoigner du fait que les médias d’information dans les régions favorisent la participation citoyenne et contribuent à la mobilisation du public pour réaliser des projets communs et répondre aux enjeux de notre société.

En effet, autant ils surveillent les élus locaux, autant les journalistes servent les décideurs en les informant des enjeux et des thématiques qui préoccupent et intéressent leurs concitoyens et concitoyennes.

Je crois fondamentalement au rôle des médias, et à celui de Radio-Canada en particulier. D’ailleurs, au début des années 2000, j’ai travaillé avec des syndicats, des élus locaux et des membres de la société civile pour obtenir le retour sur les ondes du Téléjournal dans l’Est-du-Québec en 2010. Après 20 ans, nous avons enfin obtenu réparation, alors que Radio-Canada avait fermé ses stations de Rimouski, Matane et Sept-Îles en décembre 1990.

On sait qu’il est important d’être vigilant pour conserver cet acquis. On évoque périodiquement des suppressions de postes. Je pense que la population est aussi alerte qu’à l’époque, surtout depuis que l’information régionale a subi un dur coup l’an dernier quand le Groupe TVA a annoncé l’abolition de 24 des 30 postes à la station de Rimouski et que les bulletins de nouvelles régionales ne sont lus maintenant qu’à partir de Québec.

L’autre grande contribution du diffuseur public, à mon avis, c’est le fait qu’il est un outil important pour lutter contre la désinformation.

Dans un monde où les réseaux sociaux sont une source majeure d’information et de désinformation, savoir distinguer un fait d’un mensonge est un enjeu démocratique majeur.

C’est d’autant plus important que de nombreuses tentatives de désinformation organisées par des sources étrangères en vue de déstabiliser nos régimes politiques ont été révélées récemment.

Face à la désinformation qui inonde les réseaux sociaux, face au relativisme généralisé qui met sur le même plan les opinions et les faits, un diffuseur public crédible, dont les journalistes sont encadrés par un code professionnel rigoureux et des mécanismes de contrôle moderne, est essentiel.

Pour beaucoup de Canadiens, CBC/Radio-Canada est un phare en matière de qualité d’information.

L’organisation a son propre guide intitulé Normes et pratiques journalistiques, pour faire respecter son engagement à faire preuve d’exactitude, d’intégrité, d’équité, d’impartialité et d’équilibre dans ses activités journalistiques.

De plus, son ombudsman, qui est totalement indépendant de la direction, agit comme instance d’appel lorsqu’un plaignant n’est pas satisfait de la réponse donnée par la Direction de l’information.

Je suis certain que la sénatrice Miville-Dechêne, qui a été la première femme à occuper ce poste en 2007, pourrait nous parler plus éloquemment des balises mises en place par le diffuseur public pour assurer la qualité de l’information.

En conclusion, j’aimerais remercier le sénateur Cardozo de m’avoir donné l’occasion de discuter de l’avenir de CBC/Radio-Canada.

Notre diffuseur public offre un accès équitable à une information de qualité et à la culture à tous les Canadiens et Canadiennes, indépendamment de leur lieu de résidence ou de leur situation socioéconomique. Cela est particulièrement important dans un pays vaste et diversifié comme le Canada, où les médias privés peuvent avoir des difficultés à atteindre toutes les communautés de manière équitable et sur une même base.

Merci.

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