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Projet de loi modifiant certaines lois et d'autres textes en conséquence (armes à feu)

Troisième lecture--Débat

12 décembre 2023


L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) [ - ]

Honorables sénateurs, je ne crois pas que j’arriverai à parler assez rapidement pour gagner la course contre la montre dans cette intervention, donc nous devrons peut-être procéder en deux temps. Je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-21, Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu).

Honorables sénateurs, au cours des huit dernières années, nous avons vu de nombreux projets de loi franchir les étapes du processus législatif au Sénat. Si je suis charitable, je crois pouvoir dire sans me tromper qu’un nombre important de ces projets de loi sont criblés de problèmes. Certains reflètent un manque de réflexion, une tendance que nous observons chez le gouvernement actuel. Trop souvent, ce genre de projet de loi ne privilégie pas l’intérêt des Canadiens. Ces projets de loi sont hautement politiques.

À cet égard, nous connaissons tous des projets de loi comme le C-18, Loi sur les nouvelles en ligne, qui entrera en vigueur dans quelques jours à peine. Tous les avertissements que les témoins ayant comparu devant nos comités nous avaient donnés à son sujet se sont matérialisés. Le gouvernement a, bien sûr, aussi fait adopter une série de projets de loi sur le système de justice pénale, tous motivés par une approche idéologique et laxiste en matière de criminalité. Des mesures législatives comme les projets de loi C-5, C-75 et C-83 ont contribué à la hausse considérable de la criminalité, y compris des crimes violents, que nous observons à l’échelle du Canada. Non seulement ces projets de loi n’ont pas atteint leur objectif déclaré d’amélioration de la sécurité publique, mais ils ont également miné la capacité des services de police et des agents correctionnels du Canada à combattre et à maîtriser l’augmentation des crimes violents.

Maintenant, nous sommes saisis du projet de loi C-21, qui est certes l’un des projets de loi les plus clivants que le gouvernement actuel ait jamais imposé aux Canadiens. L’ancien ministre a soutenu que, comme les autres projets de loi que j’ai mentionnés, le projet de loi C-21 contribuerait à éradiquer les crimes commis avec des armes à feu au Canada.

Il s’agit décidément d’une affirmation audacieuse, sénateurs. Elle a toutefois déjà été rejetée par la majorité des témoins qui ont comparu devant le Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense. Ils l’ont rejetée parce qu’en fait, le projet de loi ne porte pas vraiment sur les crimes commis au moyen d’une arme à feu; à vrai dire, il en fait même complètement abstraction. Il cible plutôt les propriétaires légitimes d’armes à feu, des personnes qui, en fait, respectent toujours la loi. Au cours de mon discours, j’aborderai plusieurs problèmes concernant la mesure législative à l’étude.

Premièrement, je parlerai du manque total de consultation de la part du gouvernement. Je crois que cela explique en grande partie la piètre qualité du projet de loi.

Deuxièmement, je parlerai d’un élément central du projet de loi : la fameuse interdiction d’acheter et de vendre des armes de poing légales. Il m’apparaît évident que cette mesure ne contribuera aucunement à réduire le nombre de crimes commis au moyen d’une arme à feu. Cette mesure n’aura aucun effet positif et ne servira qu’à détruire le tir sportif de compétition au Canada.

Troisièmement, je souhaite discuter de la définition élargie du terme « arme à feu prohibée » que propose le projet de loi. Cette mesure n’aura aucun effet à court terme, mais je crois qu’elle montre que le gouvernement a l’intention, à long terme, de se tourner vers la réglementation pour accomplir ce qu’il ne réussit pas à faire au moyen de lois.

Ces trois problèmes expliquent pourquoi ce projet de loi est fondamentalement mauvais et pourquoi il risque de diviser le Canada. Cela dit, si nous voulons être honnêtes, chers collègues, je crois que nous devons accepter que les libéraux souhaitent justement que ce projet de loi sème la division. C’est parce qu’ils pensent que cette division pourrait les avantager aux prochaines élections. Pour avoir l’adhésion des citadins, ils vont leur répéter les mêmes messages superficiels et simplistes selon lesquels ce projet de loi va éliminer les crimes commis au moyen d’armes à feu, mais sans leur expliquer tout ce qu’il entraînera. Je doute toutefois que leur stratégie porte ses fruits. Les libéraux vont rater leur coup parce tout le monde aura vite fait de constater qu’il se commet encore des crimes au moyen d’armes à feu et que le projet de loi C-21 n’a rien changé du tout. Ils vont quand même tenter le coup, je vous le dis.

Avec le projet de loi C-21, le gouvernement actuel essaie de refaire ce qu’un autre gouvernement libéral a réussi à faire il y a une trentaine d’années avec un projet de loi qui portait alors le numéro C-68. Présentée au milieu des années 1990, c’est cette mesure législative qui a créé le tristement fameux registre des armes d’épaule. À l’époque, le gouvernement prétendait qu’il s’agissait d’une panacée aux nombreux problèmes que les armes à feu causaient au Canada.

Comme tous les projets de loi sur les armes à feu avant lui, le projet de loi C-68 était censé faire baisser le nombre de crimes commis au moyen d’armes à feu en resserrant les restrictions imposées aux propriétaires d’armes à feu qui respectaient la loi. Le problème, c’est qu’il visait des objectifs aussi irréalistes qu’inatteignables. Le registre des armes d’épaule devait coûter à peine 2 millions de dollars, mais il a fini par coûter 2 milliards de dollars aux contribuables. Comme le dit toujours le sénateur Gold, le gouvernement disait alors qu’il entendait remédier à la situation. En soi, le registre n’a eu aucune incidence sur les crimes commis au moyen d’armes à feu. Parce que ce projet de loi n’a pas réussi à faire ce que le gouvernement avait promis qu’il ferait, il a vite perdu le soutien du public. Je pense que c’est aussi ce qui va arriver au projet de loi C-21.

C’est tout simplement impossible que le projet de loi C-21 ait l’effet qu’on dit qu’il aura parce que même si le gouvernement prétend qu’il s’attaquera aux crimes commis au moyen d’armes de poing, aucune de ses dispositions ne fera diminuer le stock d’armes de poing illégales que les gangs criminels du Canada peuvent se procurer. Non seulement le projet de loi C-21 ne fait rien pour contrer le fléau des armes illégales, il ne fera même pas baisser le nombre d’armes à feu légales qui seront en circulation au Canada. Il empêchera plutôt environ 650 000 Canadiens qui détiennent légalement une arme de poing de la vendre ou d’en acheter une autre. Cette mesure législative n’aura aucun effet sur les crimes commis au moyen d’armes à feu, mais il fera de facto des boucs émissaires de ces 650 000 Canadiens, qui feront ainsi les frais d’un problème social beaucoup plus vaste.

Le gouvernement croit probablement que ces 650 000 Canadiens seront plus faciles à gérer que les quelque 2 millions de Canadiens qui ont été ciblés par le projet de loi C-68 dans les années 1990. En définitive, le projet de loi C-21 sera tout aussi inefficace que l’était le projet de loi C-68 et il sèmera autant la discorde. En fin de compte, le projet de loi C-21 connaîtra exactement le même sort.

Pour la première partie de mon intervention, je tiens à expliquer le facteur principal qui a contribué à rendre le projet de loi C-21 aussi mauvais. Le cœur du problème, c’est l’absence totale de consultation de la part du gouvernement sur ce projet de loi. Quand le ministre actuel a comparu devant notre comité le 23 octobre dernier, il a déclaré ce qui suit au sujet des consultations :

Nous avons noué le dialogue avec des organisations des Premières Nations, des Inuits et des Métis, des collectivités rurales et nordiques, des groupes de victimes et la communauté des armes à feu, des sportifs et des tireurs sportifs dans tout le Canada pour connaître leur point de vue et nous assurer que nous respectons leurs traditions et leur mode de vie. Ces consultations ont permis de définir la voie à suivre.

Pourtant, peu de temps après que le ministre a fait cette affirmation, notre comité a commencé à entendre ses premiers témoins. Les tout premiers ont été la contrôleuse des armes à feu de l’Alberta ainsi que le contrôleur des armes à feu de la Saskatchewan. Si le gouvernement avait voulu faire preuve de sérieux dans la rédaction des nouvelles dispositions législatives sur les armes à feu, il aurait certainement consulté le groupe formé par les contrôleurs des armes à feu des provinces, peut-on croire. Pourtant, Teri Bryant, la contrôleuse des armes à feu de l’Alberta, a répondu ceci lorsqu’on lui a demandé s’il y avait eu des consultations : « Je peux répondre rapidement à la question et nous faire gagner du temps. Il n’y a eu absolument aucune consultation. »

Robert Freberg, le contrôleur des armes à feu de la Saskatchewan, a dit qu’il n’y avait pas eu de consultation. Aucune consultation. Rien.

Vu la nature tranchante de ces réponses, je me suis employé à demander aux autres témoins qui ont comparu devant le comité comment ils avaient été consultés par le gouvernement avant le dépôt du projet de loi.

Gilbert White, président de la Communauté des armes à feu de loisir de la Saskatchewan Wildlife Federation, nous a dit ceci : « La Saskatchewan Wildlife Federation n’a pas été consultée. »

Eric Schroff, directeur général de la Yukon Fish and Game Association, nous a indiqué que son organisme avait reçu une visite seulement après que le gouvernement eut déposé des amendements au projet de loi à la fin de l’année dernière. Il n’avait pas été consulté avant cela. Au moment de sa comparution, le ministre nous avait dit ceci : « [...] je ne crois pas que les chasseurs ou les groupes sportifs s’opposent au projet de loi. » Je viens de citer le ministre mot pour mot.

J’ai posé une question à M. Schroff précisément au sujet de cette affirmation et il m’a dit le contraire : « Je ne connais aucun organisme de tir sportif qui appuie le projet de loi. » Gilbert White m’a répondu la même chose : « Selon ce que j’en sais, il n’y a pas de chasseur ou d’organisme qui appuie le projet de loi C-21. » Comment le ministre peut-il prétendre de telles choses?

Marc Renaud, président de la Fédération québécoise des chasseurs et pêcheurs, a affirmé ceci :

Au Québec, notre fédération ne connaît aucun organisme qui soutient ce projet de loi contraignant, que ce soit nos tireurs sportifs, nos clubs de tir, nos membres ou nos chasseurs.

J’ai posé la question suivante à Marcell Wilson, fondateur du mouvement One By One, à Toronto : « Connaissez-vous quelqu’un dans votre communauté que le gouvernement a consulté avant de présenter ce projet de loi? » Il m’a répondu : « Je dois dire que non, absolument personne. »

Le 6 novembre, lorsque la sénatrice Deacon a posé la question suivante à Sandra Honour, présidente du conseil d’administration de la Fédération de tir du Canada : « Est-ce que vous-même et votre groupe avez été consultés? Avez-vous eu l’occasion de donner votre avis? » Elle a répondu ceci :

Le comité qui a examiné le projet de loi C-21 n’a pas invité la Fédération de tir du Canada à participer et il n’a pas été répondu aux différentes lettres que nous avons écrites au ministre.

Nous avons ensuite posé nos questions aux témoins qui représentaient divers organismes autochtones. Il faut se rappeler que le ministre avait expressément déclaré ceci : « Nous avons noué le dialogue avec des organisations des Premières Nations, des Inuits et des Métis […] » et « […] je ne pense pas que les populations autochtones dans leur ensemble s’opposent au projet de loi. » Or, le 6 novembre, Terry Teegee, le chef régional de l’Assemblée des Premières Nations, a déclaré ce qui suit au sujet des consultations menées auprès de son organisation :

Au mieux, elles ont été minimes, voire inexistantes. Il est certain qu’il n’y en a pas eu assez et c’est pourquoi nous avons adopté une résolution en décembre dernier.

Lorsqu’on a demandé à la cheffe Jessica Lazare, du Conseil des Mohawks de Kahnawàke, si sa Première Nation avait été consultée, elle a répondu ceci : « Nous n’avons eu qu’une seule réunion et ce n’était pas nécessairement une consultation adéquate. Je ne considérerais donc pas cela comme de la consultation. »

Le 8 novembre, Paul Irngaut, vice-président de Nunavut Tunngavik Inc., a déclaré ceci : « […] ni ITK ni NTI n’ont été pleinement consultés sur le libellé dudit projet de loi ou sur les répercussions qu’il pourrait avoir. »

Me Will David, directeur des Affaires juridiques de l’organisme Inuit Tapiriit Kanatami, a dit ceci :

Pour dire les choses simplement, il n’y a pas eu de consultations. Le ministre avait communiqué avec nous et nous avions fait une demande, mais cette consultation n’a jamais eu lieu. Nous attendons toujours.

Pas un seul représentant des organismes autochtones qui sont venus témoigner devant nous n’a dit avoir été consulté avant la présentation du projet de loi C-21, malgré ce que le ministre a clairement prétendu. N’oubliez pas qu’il s’agit du gouvernement qui a insisté pour adopter la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. À l’époque, le ministre nous avait dit que l’adoption de cette déclaration signifiait que le gouvernement allait dorénavant honorer le principe « rien de ce qui nous concerne ne doit se faire sans nous ».

J’ai demandé au chef régional Terry Teegee, de l’Assemblée des Premières Nations, ce que signifiait cet engagement s’il n’y avait pas de consultation préalable à la présentation d’un projet de loi comme celui-ci. Voici ce qu’il a répondu :

Eh bien, il est clair que cela ne répond pas à la norme que nous voulons adopter, surtout dans le cas d’un projet de loi qui peut avoir des effets très néfastes sur nos peuples autochtones. [...] Le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause signifie donc qu’il y aurait une consultation appropriée auprès des Premières Nations, et je dirais même une consultation encore plus approfondie si le projet de loi a des effets négatifs sur les Autochtones, surtout sur nos droits inhérents.

Chers collègues, je ne vois pas comment on peut parvenir à une autre conclusion que celle-ci : le ministre a purement et simplement menti devant le comité. Je rappelle à nouveau aux sénateurs ce qu’il a dit :

Nous avons noué le dialogue avec des organisations des Premières Nations, des Inuits et des Métis, des collectivités rurales et nordiques, des groupes de victimes et la communauté des armes à feu, des sportifs et des tireurs sportifs dans tout le Canada pour connaître leur point de vue et nous assurer que nous respectons leurs traditions et leur mode de vie. Ces consultations ont permis de définir la voie à suivre.

Je dirais que — uniquement à la lumière de cette affirmation — le projet de loi C-21 devrait être rejeté par le Sénat.

Ce que le ministre nous a dit est faux. Nous devons nous demander s’il devrait y avoir des conséquences quand le gouvernement ment de façon si éhontée. Je suis de ceux qui croient qu’il devrait y avoir des conséquences. Au minimum, même si certains pensent que le projet de loi ne devrait pas être rejeté pour cette seule raison, le projet de loi aurait dû, à tout le moins, être amendé de manière à exiger des consultations avant son entrée en vigueur. Les consultations sont importantes pour tout projet de loi portant sur un sujet complexe, car les experts et les intervenants de l’externe en savent toujours plus que le gouvernement sur de tels sujets.

Dans le cadre de l’étude du comité, nous avons proposé un amendement pour la tenue obligatoire de consultations, mais, bien entendu, cette proposition a été rejetée par la majorité des sénateurs nommés par le gouvernement.

Nous avons ensuite proposé un autre amendement : le gouvernement devrait, à tout le moins, être tenu de consulter les peuples autochtones avant de prendre tout règlement découlant de ce projet de loi. De telles consultations seraient nécessaires si des règlements avaient une incidence sur les droits des peuples autochtones prévus à l’article 35, mais cet amendement a lui aussi été rejeté par la majorité des sénateurs nommés par le gouvernement — non seulement au comité, mais aussi ici, au Sénat, en réponse à l’amendement proposé par le sénateur Boisvenu.

La seule conclusion qu’on peut en tirer, c’est que non seulement les principes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ne veulent rien dire pour le gouvernement — c’est évident —, mais, en pratique, ils ne veulent pas dire grand-chose pour la majorité des sénateurs nommés par le gouvernement.

La sénatrice LaBoucane-Benson, qui nous rappelle sans cesse qu’elle vient du territoire visé par le Traité no 6, a tenté de nous dire ceci au comité :

[...] je crois fermement en une consultation véritable...

 — moi aussi —

... avec les organismes autochtones. J’ai parrainé le projet de loi sur la Déclaration des Nations unies qui a été adopté en 2021.

Elle a ajouté : « De toute évidence, j’appuie sans réserve l’idée de la consultation, et le gouvernement s’améliore. »

Je pose la question suivante à la sénatrice LaBoucane-Benson : à quel moment la réalité finira-t-elle par rattraper les beaux discours, ou les beaux discours sont-ils tout ce qui compte vraiment?

Je tiens à souligner qu’au moins trois sénateurs nommés par le gouvernement ont bel et bien pris leur rôle au sein de notre comité au sérieux. Il s’agit des sénatrices Deacon et Anderson et, bien sûr, du sénateur Richards. Ils n’étaient pas d’accord avec certains des amendements proposés, mais je pense qu’ils ont au moins examiné tous les amendements avec sérieux.

En ce qui concerne la question des consultations, la sénatrice Anderson, en particulier, a plaidé avec passion pour que les prochains examens ne se fassent pas à huis clos. Elle a parlé ouvertement de ce que ce genre d’examens superficiels avaient historiquement représenté dans le Nord. Elle a déclaré :

Pour ce qui est de l’examen, je n’ai pas confiance. Il y a constamment des examens dans le Nord. La moitié du temps, peut-être plus de la moitié, nous n’en entendons jamais plus parler une fois qu’ils sont terminés. Les gens ne savent même pas qu’il y a des examens en cours. C’est un problème. Je ne pense pas qu’un examen réglera le problème. Nous savons déjà que c’est un problème. En tant que législateurs, nous avons la responsabilité de nous attaquer à ce problème. Nous avons le pouvoir de le faire. Ne pas le faire, c’est échouer sur le plan de la réconciliation et des droits garantis par l’article 35 de la Charte. C’est inadmissible.

Je ne pense pas qu’une observation soit suffisante. Je pense que c’est insuffisant. Je suis ici depuis cinq ans. Il y a eu beaucoup d’observations au sujet des questions autochtones. Honnêtement, je ne peux pas vous en nommer une qui a été mise en œuvre.

C’est, je pense, ce qui préoccupe également les nombreuses parties prenantes qui ont comparu devant le comité.

Malgré tous les organismes autochtones et regroupements de chasseurs et de pêcheurs qui ont été entendus par le comité, c’est le bilan du gouvernement en matière de consultations qui leur fait dire que leur voix ne sera pas prise en compte dans le processus réglementaire. Le gouvernement a clairement dit qu’un processus réglementaire suivrait l’adoption de ce projet de loi — ça au moins, on le sait.

À la Chambre des communes l’an dernier, le gouvernement a voulu interdire un vaste éventail d’armes à feu, ce qui aurait directement pénalisé les chasseurs, y compris les chasseurs autochtones, mais il en a été empêché. Le risque que le futur règlement d’application de la loi soit rédigé derrière des portes closes et nuise aux chasseurs est très élevé. Bon nombre de témoins s’en sont d’ailleurs inquiétés.

Le président de l’Inuit Tapiriit Kanatami, Natan Obed, a dit ceci au comité :

[...] nous n’avons vu aucune mise en œuvre à l’échelle du gouvernement des structures que nous avons essayé d’établir avec le gouvernement du Canada sur le respect systématique de nos droits et la possibilité de notre participation à des éléments comme les processus législatifs tels que les règlements. Par conséquent, nous ne sommes pas du tout convaincus que nous pourrions participer à l’élaboration de ces règlements.

De même, Paul Irngaut, vice-président de Nunavut Tunngavik, nous a dit : « Je n’ai vraiment pas confiance que cela va se produire si ces mesures législatives sont adoptées très rapidement, comme nous l’avons vu par le passé [...] » Il a ajouté : « Nous devons être consultés au sujet de ce projet de loi sur les armes à feu. Il faut que les gens soient informés et qu’ils puissent exprimer leurs préoccupations. »

Je suis désolée de vous interrompre, sénateur Plett. Honorables sénateurs, il est maintenant 18 heures. Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je suis obligée de quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, moment où nous reprendrons nos travaux, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure. Vous plaît-il, honorables sénateurs, de ne pas tenir compte de l’heure?

Honorables sénateurs, le consentement n’est pas accordé. Par conséquent, la séance est suspendue, et je quitterai le fauteuil jusqu’à 20 heures.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) [ - ]

Chers collègues, Natan Obed, président de l’Inuit Tapiriit Kanatami, a dit ceci au comité :

[...] nous n’avons vu aucune mise en œuvre à l’échelle du gouvernement des structures que nous avons essayé d’établir avec le gouvernement du Canada sur le respect systématique de nos droits et la possibilité de notre participation à des éléments comme les processus législatifs tels que les règlements. Par conséquent, nous ne sommes pas du tout convaincus que nous pourrions participer à l’élaboration de ces règlements.

Dans le même ordre d’idées, Paul Irngaut, vice-président de la Nunavut Tunngavik, nous a dit ceci :

Je n’ai vraiment pas confiance que cela va se produire si ces mesures législatives sont adoptées très rapidement, comme nous l’avons vu par le passé [...]

Nous devons être consultés au sujet de ce projet de loi sur les armes à feu. Il faut que les gens soient informés et qu’ils puissent exprimer leurs préoccupations.

La cheffe Jessica Lazare du Conseil des Mohawks de Kahnawake a déclaré ceci :

Nous avons également des préoccupations au sujet de la tenue de véritables consultations sur la réglementation, car cette dernière aura une incidence considérable sur la façon dont nos gens peuvent se comporter et transporter leurs armes à feu. Nous souhaiterions donc voir de plus près de quoi il en retourne.

Quand cette question a fait l’objet d’une discussion au comité, certains sénateurs ont dit qu’ils voulaient avoir une meilleure idée de ce à quoi les futures consultations devraient ressembler. Par exemple, le sénateur Cardozo a demandé ceci à la cheffe Lazare :

[...] d’après ce que je comprends, si le projet de loi est adopté, le ministère responsable [...] sera alors chargé d’élaborer le règlement. Nous pourrions envisager d’être assez précis dans ce que nous lui suggérons sur la façon de mener ces consultations, en admettant qu’elles n’ont pas eu lieu plus tôt quand le gouvernement a élaboré le projet de loi.

Est-ce ainsi que nous devrions procéder?

La cheffe Lazare a répondu :

Oui. Il faudrait organiser une réunion initiale qui devrait permettre d’établir un plan. Pour mener des consultations valables, il faut avoir un plan pour s’assurer de couvrir tous les secteurs et tous les besoins des deux parties. Pour ce faire, nous devons tenir cette réunion initiale.

En réponse à tous ces témoignages, un amendement a été proposé à notre comité afin que le processus de réglementation des armes à feu s’appuie sur des consultations menées auprès des peuples autochtones. Cependant, l’amendement a été rejeté par la majorité des sénateurs du côté du gouvernement, y compris, bien sûr, le sénateur Cardozo. Le processus réglementaire reste donc entièrement entre les mains du gouvernement, qui peut en faire ce qu’il veut. À ce jour, il n’a procédé à aucune consultation et, malheureusement, c’est ce à quoi nous pouvons dorénavant nous attendre.

J’aimerais maintenant aborder ce que l’absence de consultations de la part du gouvernement pourrait entraîner comme résultats, le principal étant un projet de loi très mauvais. Dans le projet de loi C-21, on peut constater cette piètre qualité dans deux éléments bien précis, d’abord, l’interdiction proposée visant l’achat et la vente d’armes de poing légales, ensuite, la définition élargie de ce qu’on entend par arme à feu prohibée.

Au sujet de l’interdiction visant l’achat et la vente d’armes de poing légales, cet élément est le plus injustifié de tout le projet de loi, car il vise environ 650 000 Canadiens respectueux de la loi, essentiellement sans raison valable. Depuis de nombreuses décennies au Canada, les armes à feu qui sont utilisées par les tireurs sportifs formés et les collectionneurs titulaires d’un permis sont assujetties à des conditions très strictes.

N’oublions pas, chers collègues, que des restrictions très précises s’appliquent déjà à tous les propriétaires d’armes à feu à autorisation restreinte au Canada. Tous ces propriétaires doivent suivre et réussir la formation sur les armes à feu à autorisation restreinte, se soumettre à une vérification des antécédents par la police et demeurer prêts à de nouvelles vérifications subséquentes; seulement acquérir, avant l’entrée en vigueur du gel, des armes de poing pour le tir sportif ou pour en faire la collection; ne transporter les armes à feu qu’à un champ de tir approuvé; toujours protéger leurs armes de poing par deux verrous pendant le transport et l’entreposage et ne les transporter que de la manière approuvée par le contrôleur des armes à feu de leur province et enregistrer individuellement toutes leurs armes à feu à autorisation restreinte.

Selon moi, la plupart des Canadiens, ou même des sénateurs, ne sont pas réellement conscients de toutes les restrictions qui s’appliquent déjà aux titulaires de permis d’arme à feu à autorisation restreinte. Mais en formulant la question aussi simplement que possible et en présentant l’interdiction de l’achat et de la vente d’armes de poing légales comme une option simple, le gouvernement espère que ses messages simplistes convaincront ce qu’il espère être un public non informé.

Pour dire les choses franchement, la sénatrice Dasko a adopté une approche similaire dans un sondage qu’elle a commandé il y a quelques semaines. Son sondage demandait si les personnes interrogées étaient favorables au gel de la vente, du transport et de l’importation des armes de poing. La sénatrice Dasko a proclamé que 73 % des Canadiens soutenaient ou soutenaient quelque peu cet objectif du gouvernement. Mais quel contexte a été fourni dans ce sondage à propos des lois déjà existantes sur les armes de poing au Canada?

Les personnes interrogées ont-elles été informées du fait que seuls les tireurs sportifs et les collectionneurs titulaires d’une licence peuvent légalement détenir des armes de poing au Canada? Toutes les restrictions légales existantes ont-elles été clairement expliquées aux répondants? Lorsqu’un sondage pose une question générale sans fournir de contexte, le résultat est prédéterminé. Ce que les Canadiens découvriront dans les années à venir, c’est que l’interdiction par le projet de loi C-21 de l’achat et de la vente d’armes de poing légales, déjà étroitement contrôlées, n’améliorera pas leur sécurité.

Comme l’ont souligné presque tous les témoins qui ont comparu devant le comité, la grande majorité des armes de poing utilisées pour commettre des crimes au Canada sont introduites clandestinement au pays. Au cours de son témoignage devant le comité, le professeur Noah Schwartz a indiqué que :

À Montréal, 95 % des armes de poing utilisées étaient illégales, et, en Ontario, 79 % des armes de poing dont on a établi l’origine provenaient de l’étranger, surtout des États-Unis.

Voici ce que Christian Leuprecht, professeur au Collège militaire royal du Canada, a dit au comité :

Les données sont sans équivoque : plus de 90 % des armes à feu qui sont saisies après la perpétration d’un crime ou qui sont détenues illégalement au Canada ont été introduites au pays clandestinement par le crime organisé depuis les États-Unis. [...]

Montrez-moi les données qui soutiennent le projet de loi. Il n’y en a pas.

Marcell Wilson, qui a déjà été parmi les haut placés du milieu criminel torontois, a confirmé au comité que les membres des gangs ne s’intéressent qu’aux armes illégales qui sont impossibles à retracer et que les armes en question viennent principalement des États-Unis.

Voici donc la réalité, en substance : interdire la vente et l’achat d’armes de poing légales ne réduira pas le nombre d’armes à feu en circulation parce que, selon les dispositions du projet de loi, ces armes seront seulement retirées de la succession des gens après leur décès, et ce, sans compensation. Ajoutons que cette mesure n’aura aucune incidence sur les suicides, puisqu’elle ne réduira pas vraiment le nombre d’armes de poing légales en circulation.

Par ailleurs, le point suivant échappe souvent aux sénateurs du côté gouvernemental : tous les titulaires d’un permis d’arme à feu à autorisation restreinte sont aussi automatiquement titulaires d’un permis d’arme à feu sans restriction pour les armes d’épaule. Cela signifie qu’ils peuvent posséder des armes d’épaule en plus de leurs armes de poing.

En quoi le fait de limiter ce que les titulaires de permis restreints peuvent faire avec une seule catégorie d’armes à feu a-t-il une incidence sur les autres armes à feu que ces personnes possèdent déjà légalement? La vérité, bien sûr, c’est que cela n’a aucun effet. Par conséquent, il ne peut y avoir d’incidence sur le problème des suicides par arme à feu et il ne peut y avoir non plus d’effet concret sur le problème plus vaste des armes à feu volées.

Un certain nombre de policiers, en activité ou à la retraite, ont témoigné devant le comité sur ce point très précis. Les policiers qui ont témoigné étaient unanimes pour dire que le projet de loi C-21 n’aurait aucune incidence sur le problème de la criminalité liée aux armes de poing au Canada.

M. André Gélinas, ancien sergent-détective de la police de Montréal, a déclaré qu’il n’y avait aucun lien entre la violence des gangs à Montréal et les armes à feu détenues légalement par les tireurs sportifs. Son collègue Stéphane Wall, également ancien agent de la police de Montréal, a fait exactement la même observation. Même les policiers plus haut gradés qui ont donné au gouvernement le bénéfice du doute sur le projet de loi C-21 ont néanmoins clairement exprimé leur scepticisme quant à l’efficacité du projet de loi.

Bill Fordy de l’Association canadienne des chefs de police, ou ACCP, a dit au comité :

Au sujet de la contrebande et du trafic d’armes à feu, l’ACCP continue à affirmer que la restriction de la possession légale d’armes à feu ne résoudra pas de manière significative le problème des armes à feu illégales provenant des États-Unis.

De même, Fiona Wilson, cheffe de police adjointe du Service de police de Vancouver a dit au comité :

À ce jour, en 2023, nous avons eu à Vancouver 22 incidents avec coups de feu qui ont fait trois morts et 16 blessés. Quinze de ces 21 incidents sont liés à des gangs ou sont soupçonnés de l’être.

Elle a aussi dit que dans tous les cas, sans exception, les auteurs de ces crimes commis avec des armes à feu ne sont pas des propriétaires d’armes à feu détenant un permis.

Qu’en est-il des efforts actuellement déployés par le gouvernement pour s’attaquer au véritable problème des armes à feu de contrebande? Mark Weber, président national du Syndicat des douanes et de l’immigration, a dit au comité qu’une bonne partie des mesures frontalières prises par le gouvernement ne sont que du « théâtre en matière de sécurité »; ce sont ses paroles. Aaron McCrorie, vice-président de la Direction générale du renseignement et de l’exécution de la loi de l’Agence des services frontaliers du Canada a dit au comité, en parlant des résultats obtenus par l’Agence pour stopper la contrebande d’armes à feu à la frontière, que c’est « [...] une belle réussite [dont] nous sommes très fiers ». Or, Mark Weber a rejeté catégoriquement cette affirmation lorsqu’il a comparu devant le comité. M. Weber, a déclaré que « la capacité de l’agence à endiguer le flux d’armes à feu illégales ne s’est pas améliorée d’un iota » au cours des deux dernières années.

Il a ajouté ceci :

Les agents frontaliers n’ont toujours pas la capacité d’agir entre les points d’entrée, ce qui rend plus difficile le traitement efficace de situations problématiques. Les outils tels que les scanners mobiles qui pourraient aider à intercepter la contrebande illégale, y compris les armes à feu dangereuses, tombent fréquemment en panne. Il n’y a toujours pratiquement aucune chance que soit trouvée une arme illégale entrant au pays par voie ferroviaire.

Toute personne réfléchie serait légitimement préoccupée par ce déséquilibre dans le projet de loi actuel. Un certain nombre de témoins nous ont dit que la mesure du gouvernement visant à faire passer la peine maximale pour le trafic d’armes à feu de 10 à 14 ans n’aura aucun effet sur le trafic parce que la peine maximale actuelle de 10 ans n’est jamais imposée par les tribunaux. J’ai relevé ce fait dans mes observations à l’étape de la deuxième lecture et, malheureusement, cette conclusion a été confirmée par les témoignages. Le sénateur Yussuff a demandé aux fonctionnaires du ministère de la Justice quelle était la peine moyenne pour le trafic d’armes à feu. M. Matthew Taylor, avocat général et directeur, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada, a répondu en notant ce qui suit :

[...] En 2019-2020, il y a eu une condamnation entraînant une peine de plus de deux ans. En 2018, les peines allaient de trois à six mois seulement à plus de deux ans. Donc, les peines sont ce qu’elles sont.

Le gouvernement est manifestement satisfait de ce résultat puisque les sénateurs du gouvernement ont rejeté tous les amendements proposés pour rétablir certaines peines minimales abrogées par le projet de loi C-5 pour les infractions liées aux armes à feu. Les sénateurs doivent comprendre ce que cela signifie : les membres des communautés les plus vulnérables continueront d’être les plus touchés par les crimes commis avec des armes à feu.

Voici ce que M. Marcell Wilson a dit à notre comité au sujet de l’affirmation selon laquelle le projet de loi C-21 s’attaquera aux crimes commis à l’aide d’armes à feu :

S’il vous plaît, arrêtez d’exploiter à des fins politiques des gens qui ont déjà suffisamment souffert. Nous savons mieux, nous voulons mieux et nous méritons mieux [...]

Je peux assurer une chose aux sénateurs d’en face : les Canadiens savent ou sinon sauront bientôt que le projet de loi C-21 est un écran de fumée. C’est un écran de fumée qui fait des propriétaires légitimes d’arme à feu des boucs émissaires. Il ne fera rien pour réduire la véritable activité criminelle liée aux armes à feu. En particulier, il ne fait rien pour aider les gens au sein des communautés les plus vulnérables, ce que la fréquence toujours croissante des actes criminels liés aux armes à feu et aux gangs rendra on ne peut plus évident.

Le dernier élément de ce projet de loi dont je veux parler est la définition élargie d’« arme à feu prohibée ». Avant de parler de cette disposition précise, je crois que nous devons nous rappeler que certaines armes à feu sont prohibées à des fins d’utilisation civile au Canada depuis très longtemps. C’est le cas notamment des armes à feu entièrement automatiques, des armes à feu semi-automatiques à percussion centrale pouvant recevoir un chargeur de plus de cinq cartouches, des fusils de chasse à canon scié, des pistolets à canon court et de diverses autres armes à feu qui, à un moment donné, ont été prohibées pour une raison ou une autre. Toutefois, le projet de loi C-21, prenant appui sur le décret que le gouvernement a pris en 2020, propose maintenant d’élargir la définition d’« arme à feu prohibée » tout à fait inutilement.

Dans le projet de loi, le gouvernement élargit la définition d’une arme à feu prohibée pour inclure les armes à feu qui répondent à tous les critères suivants : arme à feu qui n’est pas une arme de poing, qui tire des munitions à percussion centrale de manière semi‑automatique, qui a été conçue à l’origine avec un chargeur détachable d’une capacité de six cartouches ou plus; et qui est conçue et fabriquée à la date d’entrée en vigueur du présent alinéa ou après cette date. Une arme à feu doit satisfaire à tous ces critères pour qu’elle soit considérée comme une arme à feu prohibée selon la nouvelle définition.

Quand le sénateur Yussuff a pris la parole au sujet du projet de loi à l’étape de la troisième lecture, il a allégué que les armes d’épaule n’étaient pas du tout touchées par le projet de loi. Eh bien, je suis désolé, mais cet article du projet de loi, qui modifie le paragraphe 84(1) de la loi, touche uniquement les armes d’épaule. En fait, cet article exclut spécifiquement les armes de poing. Comme nous l’avons entendu de la part des témoins, la définition proposée est source de nombreux problèmes.

Ce que le gouvernement tente de définir, c’est une arme à feu de style arme d’assaut pour laquelle il n’existe en fait aucune définition. Je suis certain que si l’on demandait à bien des Canadiens ce que ce terme signifie, ils répondraient qu’il s’agit d’une arme à feu capable de tirer de manière entièrement automatique. En effet, si on pense à n’importe quelle carabine militaire en circulation aujourd’hui, c’est ce dont un tel fusil serait capable. Toutefois, comme je l’ai dit, au Canada, ces fusils sont légalement interdits à l’usage civil depuis de nombreuses décennies. Au lieu de cela, le gouvernement propose maintenant d’élargir la nouvelle définition afin d’interdire également les armes à feu simplement parce qu’elles tirent des munitions de manière semi‑automatique. Cependant, il ne définira ces armes à feu comme prohibées que si elles sont fabriquées après la date d’entrée en vigueur de la loi. Cela signifie que la même arme à feu sera soit prohibée, soit légale simplement en fonction de sa date de fabrication. Ce serait comme dire que la même marque de voiture est soit interdite, soit légale en fonction de la date de fabrication de la voiture. Chers collègues, ça n’a littéralement aucun sens.

Théoriquement, cette disposition pourrait avoir une incidence sur plus d’un million d’armes de chasse au Canada, qui sont considérées comme des armes à feu sans restriction en vertu de la loi canadienne actuelle et qui ont été jugées tout à fait appropriées pour la chasse. Elle ne s’appliquera pas de cette façon parce que toutes les armes à feu semi-automatiques qui se trouvent déjà au Canada sont exemptées de cette disposition. Il en va de même pour tout fusil semi-automatique qui pourrait être importé, à condition qu’il ait été fabriqué avant la date d’entrée en vigueur de la disposition.

Les sénateurs doivent comprendre ce que cela signifie : des dizaines de millions d’armes à feu semi-automatiques sont admissibles à l’importation au Canada, simplement en fonction de leur date de fabrication. Je dois vraiment poser la question suivante : en quoi cette mesure améliore-t-elle la sécurité publique? Bien sûr, la réponse, c’est qu’elle n’a absolument aucune incidence sur la sécurité publique.

Dans ses remarques à l’étape de la troisième lecture, le sénateur Yussuff a prétendu que la mesure est inefficace parce que le projet de loi ne vise pas les armes d’épaule. Si c’est le cas, alors pourquoi cette disposition se trouve-t-elle dans le projet de loi? Un amendement a été proposé au comité afin de la retirer du projet de loi. Une fois de plus, toutefois, des sénateurs ministériels, dont le sénateur Yussuff, ont voté contre cet amendement.

Le sénateur Yussuff ne peut pas jouer sur les deux tableaux. Il ne peut pas prétendre que le projet de loi n’a aucune incidence sur les propriétaires d’armes d’épaule, puis voter contre un amendement visant à éliminer la disposition portant sur les armes d’épaule. À cet égard, il faut prendre conscience du message que le gouvernement envoie au sujet de ses intentions. Il pourrait être en train d’indiquer qu’il tente d’accomplir, par voie réglementaire, ce qu’il a été incapable de faire par voie législative l’an dernier.

Comme tellement d’armes semi-automatiques sont sans restrictions et utilisées pour la chasse, lorsque le gouvernement a tenté de faire adopter une vaste interdiction l’an dernier, des chasseurs de partout au pays — y compris, bien entendu, des chasseurs autochtones — ont réagi très négativement, à juste titre. Ils ont réagi ainsi parce que la vaste interdiction proposée n’avait aucun motif crédible. Je pense que les parties prenantes ont raison d’être très préoccupées par les intentions du gouvernement. Il semble fort probable qu’il souhaite toujours faire indirectement ce qu’il n’a pas pu faire directement.

De nombreux témoins, en particulier des chasseurs autochtones, ont la même préoccupation. Ils s’inquiètent, à juste titre, des intentions à long terme du gouvernement. Ils sont particulièrement inquiets au sujet des décisions arbitraires qui mèneront à l’interdiction de certaines des armes à feu semi-automatiques des chasseurs, mais pas d’autres. Comme l’a souligné Paul Irngaut, vice-président de Nunavut Tunngavik, lorsqu’il a comparu devant le comité, la définition proposée d’arme à feu de type « arme d’assaut » pose problème. Voici ce qu’il a dit :

La définition est trop large et englobe de nombreux fusils semi-automatiques qui sont utilisés au Nunavut pour la chasse ou comme moyen de défense contre les prédateurs.

Aux termes de l’Accord du Nunavut, les Inuits ont le droit de chasser. Pour nombre d’entre eux, la chasse est un moyen de survie essentiel.

Les fusils semi-automatiques sont un moyen humain efficace et essentiel d’éliminer rapidement les animaux et de se défendre contre les ours polaires, les grizzlis et les loups. Les chasseurs inuits apprennent à prévenir les rencontres dangereuses et à effrayer les prédateurs, mais cela ne suffit pas. Lorsqu’un ou plusieurs ours agressifs entrent dans votre cabane ou votre tente, cela peut devenir une question de vie ou de mort. Vous devez être en mesure de les faire fuir rapidement et vous n’aurez peut-être pas le loisir de recharger. Si ce projet de loi est adopté avec le maintien de l’interdiction des armes à feu semi-automatiques, nous devrons tirer avec l’intention d’abattre, ce qui entraînera une augmentation du nombre de victimes parmi les animaux sauvages.

Il a également ajouté ceci :

Nous ne sommes pas opposés à certaines dispositions de la loi, mais la définition large de ce qui est considéré comme un « fusil d’assaut » nous préoccupe beaucoup.

Chers collègues, vous devez prendre conscience qu’il s’agit d’une question de vie ou de mort pour les habitants du Nord. Ils protègent leur vie, celle de leur famille et la faune. Pour les chasseurs qui dépendent de leurs armes à feu pour leur subsistance, cette situation est, naturellement, très inquiétante.

En réponse à cela, un amendement a été proposé au comité afin de garantir la transparence du futur processus réglementaire envisagé. Les chasseurs méritent ce genre de transparence. C’est particulièrement le cas des peuples autochtones qui dépendent de la chasse de subsistance, dont les droits sont concernés et qui doivent être consultés. C’est ce que proposait l’amendement, chers collègues, mais malheureusement, comme tous les autres amendements, il a été rejeté par la majorité gouvernementale.

Les chasseurs autochtones et les autres chasseurs craignent maintenant que le gouvernement fasse ce qu’il a déjà fait en 2020 : se servir d’un décret pour sélectionner arbitrairement les armes semi-automatiques qui seront prohibées.

Nous devons être clairs. La mesure que le gouvernement a adoptée en 2020 ne comportait aucun avantage pour la sécurité publique. En fait, il s’agit de l’une des mesures les plus stupides jamais adoptées par un gouvernement canadien. Cette mesure prévoyait la prohibition de certaines armes d’épaule semi‑automatiques, principalement en raison de leur apparence, tout en laissant toutes les autres en circulation légale. Autrement dit, une arme d’épaule semi-automatique est prohibée, mais une autre — qui utilise peut-être exactement les mêmes munitions — demeure légale.

De plus, puisque le gouvernement dit qu’il indemnisera les propriétaires dont l’arme à feu est arbitrairement prohibée, rien n’empêche ces derniers de simplement utiliser cet argent pour acheter une autre arme à feu semi-automatique pouvant tirer exactement les mêmes munitions que celle qui a été prohibée. Voilà un bel exemple de raisonnement libéral.

Le directeur parlementaire du budget estime que ce programme d’indemnisation stupide coûtera aux contribuables au moins 750 millions de dollars. Quelques dollars entre amis, ce n’est rien, diront les libéraux. Essentiellement, les contribuables paieront les propriétaires d’arme à feu pour qu’ils rendent leurs armes d’épaule semi-automatiques, puis prennent cet argent pour acheter une autre arme d’épaule semi-automatique. Seul le gouvernement libéral—néo-démocrate pourrait inventer un programme aussi inutile qui, comme l’a dit le sénateur Boisvenu, finira tout de même par coûter au moins 750 millions de dollars aux contribuables, et probablement plus.

Lorsqu’il a témoigné devant notre comité, le Dr Caillin Langmann, professeur clinicien adjoint à l’Université McMaster, a dit d’un ton plein de sous-entendus :

Les milliards de dollars que coûtera probablement la confiscation d’armes à feu détenues légalement seraient sans doute mieux dépensés dans des programmes de dissuasion des jeunes et de réduction des gangs, ainsi que dans des programmes de prévention du suicide et des programmes destinés aux femmes qui quittent des foyers à risque.

Il a ensuite ajouté :

Je vois des patients ayant des idées suicidaires à cause de problèmes de dépression, et il est extrêmement difficile de leur apporter de l’aide. Les délais d’attente sont de plus de six mois pour certaines personnes. Il y a une pénurie de médecins qui travaillent dans ce domaine.

Non seulement ces mesures de confiscation n’apporteront aucun avantage pour la sécurité publique, mais elles priveront littéralement les policiers de première ligne et d’autres travailleurs de ressources très limitées. Comment une telle élaboration des politiques publiques peut-elle être acceptable?

Comment le Sénat, qui est censé procéder à un second examen objectif, peut-il approuver un projet de loi qui confirme un décret aussi stupide?

Soyons clairs, je ne suis pas opposé à ce qu’une indemnisation soit versée dans certains cas. Les propriétaires d’armes à feu ont acquis ces dernières en toute légalité et bonne foi et il est normal que le gouvernement les indemnise s’il décide de façon arbitraire d’interdire ces armes et de les leur voler.

Par contre, cette politique n’a aucun sens du point de vue de la sécurité publique. D’ailleurs, on perd tellement notre temps avec une mesure aussi inutile que cela dépasse l’entendement — tout cela a comme seul objectif de donner l’illusion que le gouvernement « fait quelque chose ». Ils disent toujours qu’ils « prennent tout au sérieux ». C’est encore la réponse qu’on nous servira demain à la période des questions : « Nous prenons la chose au sérieux. »

Dans mes observations jusqu’à maintenant, j’ai parlé de tout ce que le projet de loi n’accomplira pas malgré les affirmations du gouvernement.

Je vais maintenant parler de l’un des impacts les plus négatifs du projet de loi, soit l’impact qu’il aura sur les tireurs sportifs et les collectionneurs. Ces Canadiens respectueux de la loi pourraient subir un impact négligeable ou un impact considérable.

Permettez-moi de commencer par les collectionneurs d’armes de poing, dont plusieurs font collection d’armes à feu anciennes.

Tony Bernardo, directeur général de l’Association des sports de tir du Canada, a dit ceci dans son témoignage au comité :

[...] il existe un certain nombre de grandes collections et un certain nombre de petites collections. Certaines collections ne comprennent que deux ou trois armes de poing, et valent disons 2 000 ou 3 000 $. Les collections plus conséquentes [...] peuvent facilement atteindre des centaines de milliers de dollars [...] J’estime que pour l’ensemble du pays, la valeur globale des armes de poing s’élève à plusieurs centaines de millions de dollars.

Il ne fait aucun doute que les collectionneurs, dont beaucoup possèdent des collections à caractère historique, sont très touchés. Ils ne peuvent plus vendre ou acheter légalement des armes de poing et au moment de leur décès, leurs collections seront confisquées par l’État.

Comparons cette conséquence manifeste à ce que le ministre nous a dit :

[...] l’idée que cela a une incidence sur les propriétaires d’armes à feu respectueux de la loi qui pratiquent des activités sportives, comme la chasse ou le tir sportif, est souvent véhiculée. Nous avons été explicites et avons fait attention pour que ces mesures ne ciblent pas ces personnes [...]

[ces gens] ne sont pas visés, touchés ni inclus dans les mesures [...]

Voilà ce que le ministre nous a dit le plus sérieusement du monde.

Encore une fois, l’affirmation du ministre est complètement déconnectée de la réalité.

Certains sénateurs ont une attitude cavalière au sujet de cette conséquence. Le sénateur Kutcher a haussé les épaules lors d’une réunion du comité et a simplement dit que « les Canadiens n’ont pas le droit constitutionnel de posséder des armes à feu ». Que, pendant des dizaines d’années, les gouvernements aient demandé aux tireurs sportifs du Canada de respecter les règles et de se conformer à des conditions très strictes s’appliquant à la possession d’armes de poing ne lui a inspiré aucune critique.

Bien que ces propriétaires légitimes d’armes à feu aient toujours respecté les règles, le gouvernement vient de décider arbitrairement de les modifier sans aucune excuse ni aucun dédommagement.

À tout le moins, le premier ministre, qui a le don de s’excuser de tout, devrait leur présenter des excuses.

Le sénateur Kutcher peut faire preuve d’une certaine désinvolture à l’égard de ce genre de trahison. Cependant, à mon avis, c’est tout à fait inacceptable.

Ironiquement, cette mesure fera aussi en sorte qu’aucun propriétaire d’armes à feu à autorisation restreinte ne les remettra. Ces armes demeureront entre les mains de particuliers, ce dont le gouvernement prétend fortement se préoccuper.

En quoi exactement cette mesure renforce-t-elle la sécurité publique? À vrai dire, en rien. Prendre pour cible les collections d’armes à feu anciennes et à caractère historique est une mesure ridicule. Cela devrait être plus qu’évident, même pour les sénateurs du côté du gouvernement.

Permettez-moi maintenant de me pencher sur les conséquences de ce projet de loi sur certains sports de tir. La vérité, c’est que ce projet de loi mettra un terme aux sports de tir au Canada. Ils seront appelés à disparaître.

Dans le cadre de cette démarche, le gouvernement prétend protéger les disciplines olympiques et paralympiques. Lorsque le ministre a comparu devant notre comité, il a déclaré ceci :

[...] [N]ous ne compromett[ons] pas la capacité des athlètes d’élite d’accéder aux armes à feu dont ils ont besoin pour leurs compétitions sportives. Il n’y a pas que les personnes qui participent à ces compétitions internationales pour représenter le Canada; il y a ceux qui s’entraînent et se préparent à avoir un jour, espérons-le, l’occasion de le faire.

Cependant, tout cela est inexact. C’est inexact même en ce moment, alors que le projet de loi n’est pas encore en vigueur.

À ce sujet, la sénatrice M. Deacon a demandé à la contrôleuse des armes à feu de l’Alberta, Teri Bryant, qui a comparu devant notre comité, ce qu’on a fait à l’égard de l’interdiction d’acheter des armes de poing avec laquelle les athlètes olympiques doivent composer depuis que le gouvernement a imposé son décret l’an dernier. Elle nous a dit ceci : « [...] [N]ous ne sommes pas parvenus une seule fois à [obtenir une exemption pour les tireurs olympiques]. » Je ne connais personne, où que ce soit, qui y soit parvenu.

Encore une fois, je rappelle que le ministre nous a dit que les compétiteurs olympiques étaient expressément exemptés et qu’on n’avait pas l’intention de les cibler. De toute évidence, honorables collègues, c’est tout à fait faux.

Quelqu’un nous a dit plus tôt que, parfois, il ne faut pas appeler un chat un chat — je paraphrase —, mais je ne suis pas autorisé à dire ce que le ministre a fait ici. C’est faux, honorables collègues. Il ne nous dit pas la vérité.

Le ministre promet à nouveau qu’il procédera à des consultations, parce qu’il est sérieux à cet égard. Il consultera sur la manière d’exempter les tireurs olympiques et paralympiques des effets de ce projet de loi.

Il a écrit une lettre à ce sujet, que le sénateur Yussuff a fièrement citée. Le ministre dit :

Je tiens à assurer au comité que des consultations auront lieu afin d’établir clairement le processus encadrant l’exception visant les sports de tir d’élite.

Comment faut-il interpréter l’expression « auront lieu »? Plus tôt, il a dit qu’elles avaient eu lieu. Avec tout le respect que je lui dois, compte tenu des antécédents du ministre, cette déclaration ne signifie absolument rien et elle n’a aucune crédibilité.

Elle ne veut surtout rien dire parce qu’en dessous du niveau olympique, le gouvernement ne fait aucune prétention : tous les autres sports de tir doivent être anéantis. Comme personne ne commence la compétition au niveau olympique, cela signifie que le Canada ne présentera bientôt plus aucun compétiteur de niveau olympique, puisque personne ne commence à ce niveau.

Chers collègues, vous serez peut-être étonnés d’apprendre que Wayne Gretzky n’a pas commencé à jouer au hockey dans la LNH. Il a plutôt commencé sur une patinoire dans son jardin à l’âge de 3 ans. Il s’est entraîné. Il a acheté des bâtons de hockey, qui n’étaient pas interdits. Ils n’étaient pas illégaux. Par contre, nos tireurs sportifs sont censés débuter aux Jeux olympiques.

Robert Freberg est le contrôleur des armes à feu de la Saskatchewan et il a déjà été un compétiteur de niveau olympique. Voici ce qu’il a dit à notre comité :

J’ai déjà été un tireur à la cible de niveau olympique, mais je n’ai pas commencé là. [...]

Quelle surprise!

[...] J’ai commencé dans un autre sport, le tir, puis j’ai acquis certaines compétences et on m’a dit « Hé! tu as du talent dans ce domaine », et j’ai monté graduellement les échelons jusqu’à atteindre le niveau olympique, et, par la suite — même si, avec l’âge, ma vue s’est affaiblie —, j’ai poursuivi dans d’autres sports de tir. Mes résultats n’atteignaient plus le niveau olympique, mais, au moins, je pouvais m’adonner à mon sport ailleurs. Cela n’est plus possible. Il n’est plus possible de former une équipe pour les Olympiques et nous n’avons aucun moyen de le faire, actuellement, avec ces règlements — on refuse tout simplement de traiter les demandes.

Cette mesure ne fera donc pas que tuer tous les sports de tir; elle laissera également les anciens athlètes olympiques dans l’incertitude quant à la possibilité de récupérer leurs investissements dans leur sport. Ces athlètes ne pourront pas non plus agir comme mentors auprès de nouveaux athlètes, car il n’y en aura pas.

Lynda Kiejko, qui est ingénieure civile et athlète olympique, a témoigné devant notre comité. Elle a été très claire. Voici ce qu’elle a dit :

Le tir à la cible est l’une des disciplines sportives les plus inclusives et les plus susceptibles d’être pratiquées pendant toute la vie, partout dans le monde. C’est un sport qui mérite que les Canadiens s’y intéressent. L’équité de ce sport est sans pareille. Tout le monde, peu importe la morphologie, le genre ou les capacités physiques, peut pratiquer le tir à la cible. Nous pouvons tous compétitionner épaule contre épaule dans un cadre où les règles du jeu sont équitables.

Tout cela, chers collègues, est terminé. Cela n’existe plus.

Chers collègues, je suis ici depuis 2009. Des projets de loi, j’en ai vu. J’en ai vu des mauvais, mais franchement, celui-ci est le plus absurde de tous.

J’aimerais citer l’analyse faite par le professeur Christian Leuprecht lors de sa comparution devant notre comité :

Au lieu d’être honnête avec les Canadiens et d’élaborer des politiques constructives qui freineront réellement le torrent d’armes à feu criminelles en provenance des États-Unis, le projet de loi crée un faux récit contre quatre millions de propriétaires d’armes à feu légitimes, titulaires de permis et soumis à une vérification des antécédents.

Cette mesure législative est un stratagème cynique destinée à polariser la société canadienne en faisant des armes à feu un sujet de discorde avant les prochaines élections fédérales.

Ce n’est pas Pierre Poilievre qui a dit cela, chers collègues. Le professeur a poursuivi ainsi :

Depuis plus de 20 ans que j’étudie la sécurité publique et nationale dans les pays démocratiques, je n’ai jamais vu un projet de loi qui présente un tel décalage entre ses moyens et ses objectifs supposés. Voter en faveur du projet de loi revient à mépriser les données probantes, à soutenir la dérision, à attiser la polarisation, à encourager la désinformation [...]

 — « désinformation », sénateur Gold; un mot que vous êtes très prompt à utiliser chaque fois que nous nous exprimons —

 — [...] et à gaspiller de maigres ressources publiques pour des mesures politiques qui n’ont pas atteint leur but.

Je crois que nous ne pourrions pas avoir devant les yeux un sommaire plus succinct ou exact du projet de loi dont nous sommes saisis.

J’aimerais ajouter une observation à ce sujet.

Je comprends les sentiments derrière ce projet de loi. Je comprends les sentiments des victimes d’actes criminels, surtout les victimes de violence liée aux armes à feu. Je peux vous assurer que tous les sénateurs qui siègent au comité ont la plus profonde empathie envers Samantha Price et toutes les autres victimes de la violence insensée commise avec des armes à feu qui ont témoigné devant le comité. Cependant, nous avons besoin de solutions véritablement efficaces.

Comme je l’ai déjà dit, les conservateurs sont favorables à un contrôle des armes à feu raisonnable. Nous sommes favorables au régime de délivrance de permis. Nous sommes favorables aux dispositions législatives sur l’entreposage sécuritaire. Nous sommes favorables à la formation obligatoire sur le maniement des armes à feu. Nous sommes favorables à la vérification approfondie des antécédents par la police. Cependant, honorables collègues, nous ne rendrons pas service aux Canadiens si nous décidons tout simplement de céder et de faire comme si un projet de loi comme celui-ci permettrait vraiment de régler le problème de la violence liée aux armes à feu de manière concrète.

C’est aussi rendre un très mauvais service aux personnes victimes de violence liée aux armes à feu, qui seront les premières à s’apercevoir qu’en fin de compte, le projet de loi C-21 ne fait rien pour lutter contre ce genre de violence. Je pense en ce moment au témoignage de Boufeldja Benabdallah, cofondateur et porte-parole du Centre culturel islamique de Québec.

Nous sommes tous au courant de l’horrible tuerie qui a eu lieu là‑bas. Six personnes ont été assassinées et d’autres grièvement blessées dans un lieu de culte. Je ne peux m’imaginer les horreurs subies par les familles qui ont dû faire face à un crime aussi atroce.

Pour ce qui est des causes profondes, dans un cas comme celui‑là, on parle d’une haine d’une ampleur presque inimaginable. Ce genre de haine fait partie des facteurs associés à la plupart des fusillades. Cependant, comment peut-on, de façon réaliste, veiller à ce que de tels événements ne puissent jamais se reproduire?

Je crois qu’il est pratiquement impossible de garantir un tel résultat, compte tenu de ce que l’histoire nous enseigne au sujet des pires atrocités que les humains sont capables de commettre.

Dire que la solution passe par un contrôle accru des armes à feu, c’est un raisonnement simpliste. Le gouvernement a choisi cette approche lorsqu’il a interdit au hasard certaines armes à feu semi‑automatiques, mais pas d’autres.

Comme le sénateur Yussuff l’a lui-même fait remarquer, il y a au moins 12 millions d’armes à feu au Canada. Même après l’adoption du projet de loi C-21, il y aura toujours au moins 12 millions d’armes à feu au Canada. Nous avons été témoins d’autres tueries où l’arme utilisée était une automobile. À Toronto, en 2018, une fourgonnette a été utilisée pour tuer 11 personnes et en blesser beaucoup d’autres.

Honorables sénateurs, faute de pouvoir transformer l’âme humaine, nous n’arrêterons pas ce genre d’événements.

Ce qui me préoccupe également dans le cas de la tragédie de Québec, c’est le message que nous avons envoyé, en tant que société, par notre réaction à cet attentat. Dans un premier temps, l’auteur de ce crime a été condamné à l’emprisonnement à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle avant 40 ans. Pour être franc, je pense que c’était une peine trop légère compte tenu du crime terrible que cet individu a commis. Pourtant, aux yeux des juges de la Cour suprême, cette peine était trop sévère. Ils l’ont réduite pour que l’auteur soit un jour admissible à la libération conditionnelle, afin qu’il puisse récidiver.

Franchement, il s’agit d’une décision scandaleuse, et le gouvernement du Canada s’est contenté de l’accepter, même s’il avait des moyens, sur le plan législatif, de dire à la Cour : « Non, nous ne sommes pas d’accord avec votre décision et nous allons la renverser. »

En tant que société, nous ne pouvons pas simplement plier l’échine et accepter des décisions qui ne font pas répondre les auteurs des pires actes criminels de ceux qu’ils ont commis. Pourtant, le gouvernement le fait constamment.

Il est tout simplement inacceptable de plutôt promulguer des lois sur le contrôle des armes à feu en sachant qu’elles ne fonctionneront pas. Il est particulièrement inacceptable pour le gouvernement de cibler 650 000 Canadiens afin de faire d’eux les boucs émissaires pour tout ce qu’il y a de mal dans la société. C’est tout simplement inacceptable. Pourtant, c’est ce qu’on nous propose par la voie du projet de loi C-21.

Ce projet de loi a été conçu à Ottawa par des gens qui recherchent des formules simples à réciter pour bien faire paraître le gouvernement et qui, bien franchement, ne comprennent pas les autres régions du pays. Est-ce que cela vous fait penser à un autre projet de loi dont nous avons traité aujourd’hui?

De nombreux témoins s’en sont plaints, notamment des Autochtones, y compris les témoins inuits, qui ont parlé du fait que le Nord n’a même pas ses propres contrôleurs des armes à feu. Au lieu de cela, les contrôleurs des armes à feu responsables du Nord résident dans le Sud du Canada.

Les gens de Toronto et de Montréal prétendent savoir ce qui sert le mieux l’intérêt des agriculteurs de la Saskatchewan. C’est une grosse partie du problème : le projet de loi a été conçu à Ottawa par les élites du Centre du Canada, qui ne comprennent tout simplement pas les autres parties et les autres populations du Canada et qui, bien franchement, ne cherchent pas à les comprendre.

En ce sens, le projet de loi C-21 est exactement comme le projet de loi C-68 d’il y a trois décennies. Il échouera pour les mêmes raisons. Ne vous y trompez pas, chers collègues : ce projet de loi sera annulé. Voilà le bon côté de la situation. C’est le résultat inévitable de ce que nous faisons aujourd’hui. Cependant, dans l’intervalle, tout ce que nous aurons accompli, c’est de semer encore plus la division dans notre merveilleux pays.

On m’a accusé de retarder l’adoption de ce projet de loi. C’est ce qu’a dit le ministre, ainsi que d’autres députés ministériels. Tout cela fait partie intégrante de la politique de la division du gouvernement actuel. On m’a dit que je retardais l’adoption du projet de loi avant même que le Sénat en soit saisi. Avant même qu’il soit renvoyé ici, le gouvernement publiait des gazouillis disant : « Le sénateur Plett retarde l’adoption du projet de loi C-21. »

Cependant, même s’il s’agit de l’un des projets de loi les plus stupides jamais présentés par le gouvernement, le projet de loi C-21 a progressé au Sénat.

Le sénateur Plett [ - ]

Et pourtant, il en a présenté beaucoup, oui. Le plus triste, c’est qu’il a encore le temps d’en présenter d’autres.

Quoi qu’il en soit, depuis le premier jour et encore aujourd’hui, le projet de loi progresse au Sénat selon le calendrier négocié par le gouvernement libéral, le leader du gouvernement au Sénat et le leader de l’opposition. Toutes les réunions du comité ont été planifiées par consensus entre tous les membres du comité.

Je tiens à remercier le sénateur Tony Dean pour l’esprit de collaboration dont il a fait preuve avec les membres de notre parti pour fixer le calendrier des réunions et faire venir les témoins que nous avions demandé d’entendre. L’opposition conservatrice a accepté que les réunions du comité aient lieu pendant les plages horaires habituelles du lundi. Nous avons également accepté de siéger le lundi suivant une semaine de relâche. Nous avons accepté de nous réunir le mercredi, pendant la plage horaire du comité des anciens combattants, et au cours de journées supplémentaires.

L’étude article par article du projet de loi s’est terminée le 4 décembre, exactement comme nous en avions convenu. Pourtant, le message politique du gouvernement demeure le même : les conservateurs retardent l’adoption de ce projet de loi.

Aux fins du compte rendu, je précise que, la semaine dernière, j’ai dit au sénateur Gold que je voulais être le premier à intervenir aujourd’hui. Je suis le porte-parole pour ce projet de loi. Normalement, la coutume veut que le porte-parole intervienne en dernier. J’ai demandé à intervenir en premier. Pourquoi? Parce que je retarde l’adoption du projet de loi? Cela n’a aucun sens.

Je dois admettre que l’opposition officielle a cherché des moyens de rejeter ce projet de loi. Sans une intervention divine, je ne crois pas que ce soit possible. Cependant, la plupart des témoins que le comité a reçus nous ont demandé de le torpiller ou encore de lui apporter d’importants amendements. Malheureusement, nous n’avons pas su répondre à leurs demandes. Nous avons essayé, mais un grand nombre de membres du gouvernement ont dit : « Le projet de loi sera adopté. Bon ou mauvais, ce n’est pas grave. Il envoie le bon message et nous allons l’adopter. »

La raison pour laquelle nous avons tout fait pour rejeter le projet de loi, c’est qu’il n’est pas bon pour le Canada, et les conservateurs ont à cœur le sort du Canada. Nous avons notre pays à cœur. Nous ne sommes pas à la fin du processus; ce n’est que le commencement de la regrettable obligation que nous avons maintenant d’éliminer cette mauvaise mesure législative. Nous voulions faire tout en notre pouvoir pour empêcher son adoption.

Or, c’est exactement ce que le gouvernement actuel souhaite, et c’est le résultat qu’il obtient.

En conclusion — et je sais que vous attendez ces mots depuis un bon moment; pour certains, « en conclusion » signifie seulement qu’il reste encore 20 minutes —, je veux revenir sur un seul des nombreux problèmes liés à ce projet de loi : ses répercussions sur toute la gamme des sports de tir au Canada. Ce projet de loi anéantirait non seulement tous les sports de tir au Canada, mais il forcerait la fermeture des champs de tir privés où un grand nombre de nos policiers vont se pratiquer afin de maintenir leur niveau de compétence.

Encore une fois, la sénatrice Deacon est l’une de ces personnes nommées par le gouvernement Trudeau qui pense réellement par elle-même et qui a de bonnes idées — c’était d’ailleurs l’une de ses idées. Elle a proposé un amendement au comité, mais il a été rejeté par la majorité libérale. Toutefois, j’estime que nous devrions maintenant l’examiner à nouveau. Je crois sincèrement qu’il faut le réexaminer. Je sais que le sénateur Yussuff pense que, une fois rejeté, il devrait le rester — à moins qu’il n’approuve pas le rejet d’un amendement; dans ce cas-là, nous faisons une exception, bien sûr.

L’amendement ferait que toute discipline de tir serait reconnue comme étant légitime afin qu’une personne puisse acheter ou vendre des armes de poing pertinentes à cette discipline.

Le comité a entendu de nombreux témoignages à ce sujet. J’ai déjà mentionné ce qu’une athlète olympique, Lynda Kiejko, avait dit au comité. J’ai aussi cité les propos de M. Robert Freberg, contrôleur des armes à feu de la Saskatchewan, au sujet du même problème. Je citerai maintenant un autre témoin, James Smith, président et coordonnateur national des agents de terrain, Confédération internationale de tir pratique du Canada. Voici ce qu’il a dit au comité :

Même s’il n’interdit pas carrément les armes de poing, le projet de loi C-21 condamne notre sport à une mort lente au Canada. Sans nouveaux athlètes pour prendre la relève des compétiteurs actuels et sans moyen de renouveler l’équipement qui s’use avec le temps, notre sport va finir par disparaître. Il n’y aura plus de champs de tir pour les policiers et les autres organismes qui s’en servent pour l’entraînement et il n’y aura plus de tireurs de calibre olympique.

Vous remarquerez, chers collègues, qu’il ne parle pas d’une simple possibilité, mais bien d’un fait lorsqu’il dit qu’« il n’y aura plus de champs de tir ».

L’amendement proposé au départ par la sénatrice Deacon vise à corriger au moins partiellement une lacune considérable du projet de loi, puisqu’il reconnaîtra toutes les disciplines de tir sportif. Il requiert que l’arme de poing en question soit appropriée et nécessaire à la pratique de cette discipline.

Certains pourraient faire valoir que l’amendement rétablirait le statu quo en ce qui concerne l’achat d’armes de poing. Malheureusement, ce n’est pas le cas. L’amendement ne ferait que reconnaître davantage de disciplines de tir sous les auspices du projet de loi. Il exigera que, pour participer à une discipline de tir, l’individu soit membre d’un club qui propose cette discipline.

Je vais répéter ce que les témoins ont dit : à moins que le projet de loi ne reconnaisse et ne protège les autres disciplines de tir qui génèrent les tireurs susceptibles d’être assez bons pour participer au tir de niveau olympique, l’exemption pour les athlètes de niveau olympique qui figure déjà dans le projet de loi est totalement inutile.

Chers collègues, voici les mots que vous attendez tous depuis une heure. Je vous demande donc d’appuyer ce que je m’apprête à proposer.

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