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L'honorable Lillian Eva Dyck

Interpellation--Suite du débat

30 mars 2021


Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour rendre hommage à une sénatrice exceptionnelle — qui a fait cadeau au Sénat de sa passion, de son calme et de sa rigueur —, et une femme remarquable — qui a fait montre d’intelligence et de courage dans son travail parlementaire.

Comme beaucoup l’ont dit avant moi, Lillian Dyck était une pionnière au Sénat. Universitaire et neuroscientifique accomplie, elle a apporté au Parlement la science et les politiques fondées sur des données probantes. Elle a aussi donné le ton, pour que le Sénat soit plus inclusif et respectueux. Elle n’a cessé de mettre l’accent sur les questions autochtones, relatives aux femmes en particulier, et elle s’est battue vaillamment pour les droits des peuples autochtones.

Jusqu’au moment où elle a quitté la Chambre rouge, la sénatrice Dyck a travaillé sans relâche pour en faire un espace respectueux, sans harcèlement et vraiment honorable, notamment lors de sa dernière interpellation, qu’elle a lancé après le rejet, par la Direction des ressources humaines, sur les conseils du légiste et conseiller parlementaire du Sénat, de sa plainte pour harcèlement contre un sénateur, parce que le privilège parlementaire l’emportait sur la politique anti-harcèlement de 2009, même si cette politique était, en fait, muette sur la question.

Chers collègues, cela est tout à fait pertinent, car la nouvelle politique proposée par le Comité de la régie interne, des budgets et de l’administration va encore plus loin dans ce sens en ne prévoyant aucun recours particulier en cas de harcèlement, même pour les employés qui ne sont pas sénateurs, lorsque le harcèlement se produit au cours des délibérations, qui sont « largement définies ».

En février dernier, la sénatrice Dyck a expliqué qu’il n’y a aucun recours adéquat permettant à un sénateur de porter plainte pour du harcèlement de la part d’un autre sénateur dans le cadre des travaux du Sénat et que, selon la politique de prévention du harcèlement en vigueur, qui a déjà été abrogée auparavant, la protection du privilège parlementaire était loin d’être égale pour tous. Je me permets de citer les propos suivants :

[...] le privilège dont il est question dans la politique du Sénat contre le harcèlement est unilatéral. Alors que le privilège parlementaire de l’auteur du harcèlement est pris en compte pour le protéger, celui de la victime est négligé. Le privilège de la victime devrait aussi être pris en compte afin que cette dernière puisse remplir ses fonctions parlementaires sans ingérence ou obstruction injustifiée causée par le harcèlement.

Le harcèlement inacceptable que la sénatrice Dyck a dû endurer dans le cadre des travaux parlementaires ainsi que la façon dont sa plainte a été traitée soulèvent des questions sur les plans éthique, procédural et administratif, et surtout des questions d’ordre parlementaire sur lesquelles cette Chambre doit se pencher.

Chers collègues, les problèmes de harcèlement et de violence contre les femmes, surtout en politique, ne sont pas nouveaux. Les femmes ont été, historiquement, victimes de harcèlement dans toutes les sphères de leur vie, y compris en milieu professionnel. Depuis plusieurs années déjà, des mouvements comme le mouvement #MeToo exposent le harcèlement vécu par les femmes. Encore tout récemment, des allégations sérieuses et inquiétantes de harcèlement auquel s’est livré un sénateur ont fait les manchettes à travers le Canada. Le Sénat n’est pas à l’abri du harcèlement, et ce, même de la part de ses propres pairs.

On nous a confirmé dans cette Chambre il y a quelques mois que la Direction des ressources humaines a bloqué plus d’une plainte de harcèlement en 2019; chacune d’elles s’est conclue avec l’invocation de ce tristement célèbre privilège parlementaire qui semble excuser les sénateurs de tout comportement qui serait inacceptable ailleurs.

Pourtant les parlements du Royaume-Uni, de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie ont réussi à moderniser leur définition du privilège parlementaire pour l’harmoniser avec une vision plus contemporaine.

Sommes-nous satisfaits de vivre dans une telle complaisance face au harcèlement auquel nos collègues sénatrices et sénateurs font face? Est-il acceptable que, dans cette Chambre haute, lieu de révision législative et de réflexion d’importance nationale, nous acquiescions à une atmosphère professionnelle d’inégalités et de violence verbale et psychologique?

En 2019, l’Union interparlementaire, dont le Canada est membre, a présenté ses lignes directrices pour l’élimination du sexisme, du harcèlement et de la violence contre les femmes parlementaires. Dans cette publication, on notait que 82 % des femmes parlementaires qui avaient répondu au sondage avaient déclaré avoir souffert de violence psychologique au cours de leur mandat. Pire encore, seulement 21 % de ces parlements s’étaient dotés d’une politique contre le harcèlement entre parlementaires, même si le Sénat du Canada est la preuve même que l’existence d’une politique n’assure pas la protection des employés ni des sénateurs et sénatrices.

Dans son étude exhaustive de la question, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a montré la chose suivante :

[La] sécurité physique, psychologique, économique, sociale et culturelle des femmes, des filles [...] autochtones est presque constamment menacée.

Il faut non seulement éradiquer cette situation à l’échelle du pays, mais également s’assurer qu’elle ne puisse survenir dans l’une de ses institutions les plus prestigieuses. Ce sera un hommage à Lillian Dyck si le Sénat adopte des mesures énergiques pour faire cesser tout type de violence à l’endroit des femmes. Je crois que la majorité d’entre nous, chers collègues, souhaitent accroître le respect, la collaboration, la confiance et le décorum au Sénat. Je sais que c’est une priorité du Groupe des sénateurs indépendants, comme le révélait un vote récent.

Pendant une certaine période cette année, la parité était encore une fois parfaite au Sénat, une première pour une institution canadienne d’envergure. Cela survient alors que nous célébrons le 50e anniversaire du rapport sur l’égalité entre les sexes de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada.

Plus que jamais, nous avons ce qu’il faut pour comprendre les enjeux liés au harcèlement et y répondre au moyen d’outils pertinents et efficaces, notamment un changement de culture et une robuste politique contre le harcèlement.

Le rapport de février 2019 du Sous-comité sur les ressources humaines du Comité de la régie interne, des budgets et de l’administration qui porte sur la modernisation de la politique du Sénat sur la prévention du harcèlement et de la violence reconnaît, à quatre différents endroits, la nécessité de modifier la politique pour tenir compte du privilège parlementaire. Toutefois, il ne précise pas de quelle manière. Les sources fournies ne précisent pas non plus comment s’y prendre. Je remarque avec inquiétude que, contrairement aux politiques antérieures du Sénat sur la prévention du harcèlement et à la toute nouvelle politique sur la prévention du harcèlement et de la violence approuvée aujourd’hui, nous ne faisons pas mention du privilège parlementaire. Pourtant, c’est notre choix collectif de lever le privilège parlementaire en cas de harcèlement. C’est notre choix collectif d’intégrer la prévention du harcèlement dans notre code d’éthique, puisque le harcèlement est une question d’éthique.

La nouvelle politique propose explicitement d’exclure toutes les délibérations parlementaires du processus en raison du privilège parlementaire. Chers collègues, comme le dirait Lillian Dyck, si nous sommes tenus à l’écart du processus décisionnel, alors il y a atteinte à notre privilège parlementaire.

Comment pouvons-nous expliquer cela à la population? Les deux Chambres du Parlement doivent mettre en œuvre le projet de loi C-65. L’une l’a fait au moyen d’une politique qui ne soustrait pas explicitement les délibérations parlementaires à son application tandis que la nôtre laisse explicitement les victimes de harcèlement perpétré dans le cadre des délibérations parlementaires sans autre recours que de dénoncer les harceleurs en direct au Sénat si elles ont la chance d’être des sénateurs.

Aller de l’avant sans procéder à des changements ne rendrait pas justice à notre ancienne collègue. Pour vraiment honorer l’héritage de pionnière de la sénatrice Dyck, nous devons agir dans cet important dossier qu’elle a eu le courage de porter à notre attention.

Chers collègues, la sénatrice Dyck a fait figure de pionnière. Enseignante, mentor et amie, elle mérite tous les éloges qui lui sont faits pour sa contribution exceptionnelle au Canada. Sa perspicacité, son intelligence et son professionnalisme me manquent déjà beaucoup. Merci pour tout ce que vous avez fait, Lillian. Maintenant que vous nous avez passé le relais, profitez de votre retraite bien méritée du Sénat. Merci. Meegwetch.

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