Projet de loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé
Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Débat
22 juin 2022
Honorables sénateurs, les citoyens attendent beaucoup du projet de loi S-5 qui introduit dans son préambule le droit à un environnement sain. Malheureusement, les Canadiens ne pourront pas jouir de ce droit en bonne et due forme lorsque le projet de loi sera adopté, car à ce stade-ci, le projet de loi demande seulement au ministre d’élaborer et de mettre en œuvre un plan pour définir la nature exacte de ce droit dans les deux ans suivant l’entrée en vigueur du projet de loi. En outre, même si le projet de loi S-5 prévoit que le cadre de mise en œuvre doit prendre en compte le principe de justice environnementale. Il doit aussi concilier ce droit avec d’autres facteurs, y compris des facteurs économiques. De toute évidence, les droits sont soumis à des limites raisonnables. Notre Charte et notre système judiciaire le reconnaissent clairement. Toutefois, je n’ai pas pu trouver d’autre référence à cette conciliation avec d’autres facteurs dans nos textes de loi. Chers collègues, comment réagiriez-vous si votre droit à la liberté de religion, par exemple, devait être concilié avec des facteurs économiques? L’accepteriez-vous?
Ce droit est mieux que rien, et quand les Canadiens pourront en jouir dans une certaine mesure, ils se joindront aux citoyens de 156 autres pays partout dans le monde, qui ont déjà inscrit ce droit dans leurs lois ou dans leur Constitution. Il est intéressant de signaler que dans 110 de ces pays, ce droit bénéficie d’une protection constitutionnelle. Nous sommes bien loin de le faire avec le projet de loi S-5.
Enfin, je suis préoccupée par la décision du gouvernement de supprimer le titre de l’annexe 1, « Liste des substances toxiques » alors que, partout ailleurs dans le projet de loi, lorsqu’il est question de l’annexe 1, il est écrit « la liste des substances toxiques ». À première vue, cela semblait une omission mineure, puisque chacune des substances inscrites à l’annexe 1 a déjà été déclarée toxique aux termes de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement. Toutefois, après mûre réflexion, j’en suis venue à la conclusion que cela pourrait avoir des répercussions, intentionnelles ou non, sur la constitutionnalité de la loi. La décision rendue par la Cour suprême en 1997 dans l’affaire R. c. Hydro-Québec a maintenu la validité de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement adoptée en 1988 en vertu de la compétence en matière de droit criminel. Le juge La Forest, qui écrivait au nom de la majorité, a déclaré :
[...] que la responsabilité de l’être humain envers l’environnement est une valeur fondamentale de notre société, et que le Parlement peut recourir à sa compétence en matière de droit criminel pour mettre cette valeur en relief.
Il fait également observer que la loi « [...] est un moyen efficace d’éviter les interdictions inutilement générales et de cibler minutieusement des substances toxiques particulières. »
Autrement dit, la Loi canadienne sur la protection de l’environnement a compétence constitutionnelle pourvu qu’elle vise précisément à réglementer les substances toxiques, une analyse qu’approuve l’Association canadienne du droit de l’environnement.
Aux termes de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, une substance est dite toxique si elle peut pénétrer dans l’environnement dans des conditions de nature à avoir, immédiatement ou à long terme, un effet nocif sur l’environnement ou sur la diversité biologique; à mettre en danger l’environnement essentiel pour la vie; à constituer un danger [...] pour la vie ou la santé humaines.
Le plomb, le mercure et les plastiques, par exemple, sont inscrits à l’annexe 1 précisément en raison de leur toxicité, contrairement à ce que pourraient vous dire certains représentants de l’industrie. Évidemment, il y a des situations où ces substances ne présentent aucun risque, mais cela ne signifie pas qu’elles ne sont pas des substances toxiques aux termes de la définition de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement. Retirer les mots « substances toxiques » de l’annexe 1 pourrait miner les précédents établis dans l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada en 1997 et, ultimement, affaiblir le pouvoir du gouvernement de réglementer ces substances.
En outre, si cette liste se nommait simplement « annexe 1 », la plupart des Canadiens ne sauraient pas de quoi il s’agit et nous ne saurions pas ce que la liste représente. Au pire, cela induit la population en erreur dans le seul but de satisfaire certaines industries qui n’aiment pas que les substances qu’elles utilisent soient qualifiées de toxiques.
J’ai décidé de ne pas présenter d’amendement pour changer cette décision du gouvernement, mais j’espère que la Chambre des communes étudiera cette question sérieusement pour plus de clarté et de transparence.
En terminant, le projet de loi S-5 améliore certains éléments du cadre canadien de gestion des substances toxiques, mais, comme je l’ai expliqué, il reste beaucoup d’éléments à couvrir. Nous devons vraiment mieux protéger l’environnement, car notre santé et notre sécurité en dépendent. Les populations vulnérables sont surexposées aux polluants présents dans l’eau et dans les poissons qu’elles consomment. Sans un étiquetage adéquat, nous achetons des aliments et des articles qui ont été arrosés ou traités avec des substances ayant le potentiel de s’accumuler dans le corps humain. Les plastiques qui sont composés en majeure partie de substances toxiques se dégradent en microplastiques qu’on retrouve aujourd’hui dans le sang et dans les placentas humains. L’exposition chronique à de faibles doses est également très dangereuse.
J’espère que nous continuerons à améliorer la Loi canadienne sur la protection de l’environnement dans les années à venir et que nous n’attendrons pas encore 23 ans pour moderniser cette importante loi. Merci, meegwetch.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-5, Loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé. Je tiens à saluer mes frères et sœurs de la nation crie de Tataskweyak.
[Note de la rédaction : La sénatrice McCallum s’exprime en cri.]
Ce projet de loi est pour vous, c’est votre voix. Je remercie James et Anna de tout leur travail et de l’enthousiasme et de l’énergie dont ils ont fait preuve en travaillant à mes côtés.
J’aimerais d’abord exprimer mes inquiétudes relativement aux atteintes constantes à l’eau et aux terres qui entourent les populations vulnérables et les milieux vulnérables. Les atteintes dont je parle sont en grande partie le fait d’entreprises d’extraction de ressources. La pression et la demande incessantes sur nos ressources naturelles proviennent de diverses industries, notamment l’industrie pétrolière et gazière, dont les activités entraînent la création de bassins de décantation et de puits orphelins et dont la fracturation hydraulique sur terre et dans l’eau est source de préoccupations environnementales qui lui sont propres; l’industrie hydroélectrique, qui a eu des effets dévastateurs sur la qualité de l’eau, sur la santé des personnes et des espèces qui vivent dans cette eau et qui en dépendent et sur les terres environnantes qui sont inondées ou érodées par les changements de niveau d’eau, ce qui a une incidence sur les pratiques culturelles et spirituelles; l’industrie forestière, qui rejette des effluents qui ont des effets néfastes sur les terres et les cours d’eau environnants; l’industrie agricole, dont les herbicides et les pesticides finissent par se retrouver dans les sources d’eau, tout comme les effluents d’eaux usées et les eaux de ruissellement connexes provenant des fermes; et l’industrie minière, dont les résidus et les effluents sont souvent déversés dans le réseau hydrographique.
Les populations vulnérables qui sont touchées de manière disproportionnée par cette situation, chers collègues, sont les Premières Nations. De nombreuses nations et réserves sont situées sur des sites d’extraction de ressources ou à proximité. Elles sont aux prises avec de nombreux fardeaux qui sont largement inconnus des Canadiens qui vivent dans les villes et dans les milieux ruraux, loin des nombreuses dévastations, et qu’ils n’ont jamais l’occasion de voir.
Sénateurs, le mémoire de l’Assemblée des Premières Nations présenté au Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, sous le titre « Le droit à un environnement sain doit être exécutoire », dit :
Les Premières Nations subissent du racisme environnemental partout au pays, ce qui entraîne une exposition disproportionnée à des substances toxiques et à des activités dangereuses. Les enfants vivant au sein de communautés ou de réserves sont exposés de façon disproportionnée à des produits chimiques non réglementés (p. ex., en raison de l’absence de réglementation sur l’utilisation de pesticides et d’herbicides dans les réserves et autour de celles-ci).
L’Assemblée des Premières Nations poursuit :
Comme l’a souligné le Rapporteur spécial sur les incidences sur les droits de l’homme de la gestion et de l’élimination écologiquement rationnelles des produits et déchets dangereux, « la violence invisible infligée par les substances toxiques est un fardeau insidieux porté de façon disproportionnée par les peuples autochtones au Canada ».
Le rapporteur indique que les droits à la santé, à de l’eau potable et à de la nourriture, à un logement adéquat, à des conditions de travail sûres et saines et d’autres droits touchés par la présence de toxines ne semblent pas pouvoir donner lieu à des poursuites directes en vertu du droit canadien.
Honorables sénateurs, la Loi canadienne sur la protection de l’environnement de 1999 est en vigueur depuis 20 ans; or, où est la protection à l’égard des Premières Nations qu’elle a promise? Lors de l’étude du projet de loi S-5 au comité de l’énergie, il y a eu beaucoup de discussion sur le concept de l’« équilibre ». La protection contre les polluants toxiques était-elle « équilibrée » avec d’autres facteurs, comme l’emploi et d’autres considérations économiques? Ces facteurs passaient bien avant la vie et les terres des Premières Nations.
Cet « équilibrage » malavisé a-t-il conduit à la vulnérabilité des populations et des environnements? John Moffet, le sous-ministre adjoint de la Direction générale de la protection de l’environnement à Environnement et Changement climatique Canada, a défini le terme « environnement vulnérable » au comité de l’énergie. Il a dit ceci :
La notion d’effets cumulatifs est de mieux en mieux comprise au sein de la communauté scientifique, si bien qu’un environnement pourrait être considéré vulnérable si, par exemple, il a été soumis à de nombreuses agressions pendant une période donnée et qu’un nouveau facteur de stress, sous la forme d’une nouvelle émission de polluants dont l’effet aurait pu être négligeable par ailleurs, pourrait avoir des impacts considérables sur cet environnement déjà affaibli à répétition au fil des ans.
Honorables sénateurs, j’aimerais parler du cas de la nation crie de Tataskweyak, une communauté du Nord du Manitoba. Parmi ses facteurs de stress, on compte les effets cumulatifs des pensionnats et des traumatismes intergénérationnels; la dépossession de leurs terres, de leur culture, de leurs modes de vie et de leur spiritualité et leurs conséquences sur la sécurité alimentaire et la santé; la population d’esturgeons, qui est en voie d’extinction; la dévastation causée par les projets hydroélectriques, dont l’insalubrité de l’eau potable; les effluents et les résidus des mines de Thompson, Leaf Rapids et Lynn Lake; et le fait de faire partie d’un bassin hydrographique interprovincial et international qui passe par le Split Lake, car l’eau est sacrée pour cette communauté.
Par-dessus le marché, la nation crie de Tataskweyak a découvert de nouvelles toxines provenant de la présence d’algues bleues, qui viennent s’ajouter à la myriade de facteurs de stress qui accablent ses plans d’eau. Cet amalgame de problèmes est un parfait exemple d’« environnement vulnérable ».
Chers collègues, pendant que nous cherchons à concilier les préoccupations économiques avec les préoccupations sanitaires et environnementales, nous devons comprendre le concept de pauvreté. La pauvreté n’est pas simplement l’absence de revenu ou d’économie. La pauvreté, c’est l’impossibilité d’obtenir des conditions de vie le moindrement satisfaisantes. C’est la transformation d’un territoire ancestral en une terre inculte et dangereuse pour l’environnement. C’est ce qui s’est produit pour la nation crie de Tataskweyak et de nombreuses autres communautés.
Ces gens demeurent impuissants en grande partie à cause des lacunes réglementaires tant au provincial qu’au fédéral. À elle seule, la croissance économique ne peut éliminer la pauvreté. Des changements sociaux sont également nécessaires. C’est à nous qu’il incombe, en tant que parlementaires, de déterminer et d’éliminer ces obstacles au changement.
Honorables sénateurs, alors que la Loi canadienne sur la protection de l’environnement a pour but de protéger tous les aspects environnementaux, je vais mettre l’accent sur les problèmes liés à l’eau et à l’environnement, étant donné que les Premières Nations demandent à avoir accès à de l’eau potable dans les réserves, sur leurs propres terres ancestrales, au Canada, depuis les 100 dernières années.
Les jeunes générations n’ont jamais connu la vie avec de l’eau potable, ayant vécu depuis toujours avec les avis de faire bouillir l’eau. Les parlementaires ne peuvent pas continuer de passer outre les difficultés physiques, mentales, spirituelles et émotionnelles qui découlent de cette réalité. Ces types d’attaques contre les besoins de base et les droits fondamentaux de tout être humain, et ceux de la Terre mère, sont tout à fait inadmissibles.
Le problème des algues bleues soulevé par la nation crie de Tataskweyak a été mis en évidence dans un mémoire présenté au Comité de l’énergie par Doreen Spence, la cheffe de la nation crie de Tataskweyak. Voici ce qu’elle a écrit :
Nous sommes particulièrement inquiets de la présence de toxine produites par les algues bleues dans notre lac et notre réserve d’eau potable, et c’est pourquoi nous souhaitons que cet amendement soit apporté.
Dans un mémoire distinct, M. Ian Halket, directeur de projet et hydrologiste de la nation crie de Tataskweyak, a indiqué ce qui suit :
Nos lacs reçoivent les charges de ruissellement des bassins hydrographiques situés aussi loin que les Rocheuses en Alberta, le Sud du Minnesota et le Dakota du Nord, de même que les apports de ruissellement de Winnipeg et d’English River dans le Nord de l’Ontario [...] Notre lac est situé en aval de bassins hydrographiques qui [arrivent d’en amont]. Quand ces eaux arrivent à notre lac, l’azote nécessaire pour les plantes est épuisé, ce qui favorise la présence envahissante des algues bleues.
M. Halket a ajouté ceci :
Quand l’équilibre naturel [entre l’azote et le phosphore] se dérègle (lorsqu’il y a peu d’azote et beaucoup de phosphore), les algues bleu-vert commencent à dominer parmi les algues du lac. Les algues bleu-vert libèrent des toxines, et certaines de ces toxines sont les substances les plus toxiques présentes dans l’environnement, plus toxiques même que les polluants industriels. Depuis qu’il y a de grandes entreprises agricoles, des usines de traitement des eaux usées et des rejets d’effluents provenant d’activités industrielles et minières, l’équilibre naturel entre le phosphore et l’azote disponibles pour les plantes est bousculé; il penche davantage vers des seuils qui favorisent la croissance d’algues bleu-vert et des concentrations croissantes de cyanotoxines dans l’eau des lacs.
Il poursuit :
Les algues bleu-vert [...] peuvent causer de graves maladies [...] En 2020, Santé Canada a confirmé que les symptômes les plus graves comprennent des dommages au foie, aux reins, aux nerfs et aux muscles.
Voici ce que la cheffe Spence a écrit à ce sujet :
Les gens de notre communauté ont des problèmes de santé qui vont de troubles gastro-intestinaux et d’éruptions cutanées jusqu’à des maladies du foie, des reins et du système nerveux, ce qui correspond aux effets d’une exposition aux toxines des algues bleu-vert. Notre réserve n’est pas la seule réserve du Nord dans laquelle ces problèmes de santé sont présents.
Bien que certaines personnes tentent de faire valoir que les algues bleu-vert sont d’origine naturelle, il est clairement établi que l’activité et l’intervention humaines sont les principales responsables de la propagation de ce grave problème qui a des conséquences désastreuses pour la santé des membres des communautés environnantes.
Par conséquent, honorables sénateurs, il nous faut saisir cette occasion et veiller à ce que les toxines des algues bleues soient prises en compte dans le projet de loi S-5.
Comme la prolifération de ces toxines est largement attribuable à l’activité humaine, cette question relèverait logiquement de l’article 46 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, qui traite des « activités ».
Pour mettre les choses en contexte, chers collègues, j’aimerais citer M. John Moffet, d’Environnement et Changement climatique Canada lorsqu’il donne la définition d’« activités » au sens projet de loi. Comme il l’a souligné, l’article 46 :
[...] englobe tous les pouvoirs conférés par la loi et autorise les ministres à recueillir des renseignements sur un éventail de questions liées aux polluants, notamment les substances toxiques, les éléments nutritifs, la pollution intergouvernementale de l’eau et de l’air, etc.
Il a ajouté :
Ce que nous essayons de faire ici en ajoutant k.1) c’est d’aller au-delà de l’information sur les substances et de recueillir de l’information sur les activités susceptibles de créer de la pollution lorsqu’elles sont effectuées. Nous pourrons alors disposer de meilleurs renseignements pour concevoir des approches de gestion des risques axées sur la prévention de la pollution, au lieu de nous contenter d’énumérer ces activités pour les gérer a posteriori.
Et il a poursuivi en disant :
[...] le sous-alinéa k.1) avait pour objet d’insister sur les activités qui contribuent au type de pollution qui rejette des substances nocives pour l’environnement ou la santé humaine.
Honorables collègues, comme l’a affirmé M. Moffet, cet article a été expressément créé pour recueillir des renseignements sur un éventail de questions liées aux polluants, notamment les substances toxiques. J’aimerais signaler que le rapport du Comité de l’énergie sur le projet de loi S-5, adopté hier, a établi un important précédent en ajoutant la fracturation hydraulique et les bassins de décantation à cet article.