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Projet de loi sur la stratégie nationale relative au racisme environnemental et à la justice environnementale

Deuxième lecture--Suite du débat

6 juin 2023


Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-226, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale visant à évaluer et prévenir le racisme environnemental ainsi qu’à s’y attaquer et à faire progresser la justice environnementale, parrainé par la sénatrice McCallum.

L’objectif du projet de loi est le suivant :

[...] élaborer une stratégie nationale visant à promouvoir les initiatives, dans l’ensemble du Canada, pour s’attaquer aux préjudices causés par le racisme environnemental.

Il s’agit d’un problème important qui touche les communautés marginalisées, en particulier les peuples autochtones, les communautés noires et racisées et les communautés à faible revenu. Ce projet de loi est une étape nécessaire pour s’attaquer à ce problème et garantir à tous les Canadiens et Canadiennes l’accès à des environnements propres et sûrs.

L’histoire du racisme environnemental est longue et douloureuse au Canada. Pendant des décennies, certaines communautés ont été disproportionnellement affectées par les risques environnementaux comme la pollution et les déchets toxiques. Ces communautés sont souvent marginalisées et n’ont pas le pouvoir politique et économique pour se protéger des dommages environnementaux.

D’entrée de jeu, je tiens à dire que mes prières et mes pensées vont à la Première Nation des Chipewyans d’Athabasca. Cette année est particulièrement difficile pour cette communauté. Nous devons faire preuve de solidarité et réagir davantage pour mettre un terme à ce qui à l’évidence constitue un cas flagrant de racisme environnemental. Le 2 juin, le chef Allan Adam a réclamé l’évacuation de plus de 1 000 personnes alors que des incendies de forêt font rage dans le Nord de l’Alberta. Cette situation survient à peine quelques mois après qu’il eut été informé d’un déversement d’eaux usées toxiques sur le site de la mine de sables bitumineux de Kearl de la société Imperial Oil, déversement qui affecte les terres et l’eau de sa communauté. Depuis dix mois, quatre bassins de résidus déversent des boues toxiques dans le milieu environnant.

L’organisme de réglementation de l’énergie de l’Alberta et la société Imperial Oil ont omis d’informer les communautés autochtones en aval du déversement, en dépit du fait qu’ils ont discuté du désastre derrière des portes closes. Il aura fallu un autre accident, soit un déversement de 5,3 millions de litres additionnels à la fin février, pour que les communautés concernées et la population soient informées.

Les conséquences du développement industriel sur les terres et les eaux autochtones ont été dévastatrices, causant des dommages aux personnes, aux animaux, à la faune et à l’environnement. Un autre exemple est celui de la communauté autochtone de Grassy Narrows, en Ontario, qui, depuis plus de 50 ans, doit faire face aux effets de l’empoisonnement au mercure causé par l’activité industrielle. Les effets de cette pollution se font encore sentir aujourd’hui — 90 % de la population de Grassy Narrows a des problèmes neurologiques, tels que l’engourdissement des doigts et des orteils ou des crises d’épilepsie et des retards cognitifs, causés par le mercure qui est entré dans la chaîne alimentaire il y a plusieurs décennies.

Le racisme environnemental ne se limite pas aux communautés autochtones. Les communautés racisées des régions urbaines du Canada sont elles aussi exposées de manière disproportionnée à la pollution, aux déchets dangereux et à beaucoup d’autres dangers environnementaux. Mme Ingrid Waldron, l’une des grandes spécialistes du Canada en matière de justice environnementale, a documenté en détail des cas de racisme environnemental au Canada. Son ouvrage, intitulé There’s Something in the Water, dont on a tiré un documentaire, expose les conditions abominables dans lesquelles vit la communauté noire près de Shelburne, en Nouvelle-Écosse, en raison de la contamination de l’eau de puits, et montre comment le colonialisme a entraîné un racisme environnemental systémique.

Par exemple, la collectivité noire d’Africville, en Nouvelle-Écosse, a été grandement mal desservie par la Ville d’Halifax. Son territoire a servi à de nombreux projets indésirables et dangereux qui menaçaient la santé des habitants. Cette collectivité a ensuite été démolie dans les années 1960, sans consultation digne de ce nom, pour permettre le développement industriel, en expropriant tous les habitants de leur milieu de vie tissé serré. Ce n’est pas ainsi que nous devrions traiter nos concitoyens. Pourtant, ce type de problème persiste aujourd’hui.

En effet, les scientifiques et les peuples autochtones s’entendent pour souligner l’incapacité des lois environnementales typiques à protéger l’environnement. De leur point de vue, cette incapacité s’explique par le fait que les limites établies par le droit environnemental sont tellement éloignées des limites relevant des lois de la nature que le phénomène de la dégradation mondiale de l’environnement, qui met en péril toutes les formes de vie sur la Terre, n’a pas été stoppé ni empêché. Cette situation pénalise grandement les populations qui sont déjà vulnérables.

Au lieu d’élaborer, de mettre en œuvre et d’appliquer des lois qui protègent les populations, nous comptons sur les entreprises polluantes pour qu’elles établissent leurs propres règles visant la prévention de la pollution. Ce système est miné par un conflit d’intérêts : les entreprises cherchent d’abord à minimiser les coûts au détriment de la prévention de la pollution.

Chers collègues, nous savons tous que les bassins de décantation toxiques au Canada sont une bombe à retardement. Cela est encore plus évident après les feux de forêt dans le nord de l’Alberta, qui ont entraîné la fermeture de milliers de puits de gaz. Ces bassins forment d’énormes réservoirs de déchets toxiques qui s’infiltrent dans les eaux souterraines et libèrent des toxines dans l’air, ce qui entraîne des taux élevés de cancers et de maladies respiratoires au sein des communautés autochtones qui vivent en aval. L’absence de gestion de ces bassins a causé des dommages environnementaux catastrophiques, dont l’assainissement pourrait prendre des siècles.

Pour résoudre ce problème, nous devons abandonner l’approche actuelle qui consiste à demander aux pollueurs d’établir des règles de prévention de la pollution au lieu de mettre en œuvre des plans scientifiquement rigoureux pour l’assainissement des bassins de décantation. Il faut tenir les entreprises financièrement responsables des coûts de décontamination plutôt que de refiler ceux-ci aux contribuables et aux générations futures.

À court terme, nous devons travailler en partenariat avec les gouvernements autochtones pour veiller à ce qu’ils ne soient plus jamais tenus dans l’ignorance des catastrophes environnementales qui menacent leurs communautés. Les populations autochtones entretiennent un lien étroit avec le territoire, et leurs connaissances et leur expertise doivent être prises au sérieux dans le processus décisionnel en matière d’environnement.

Le racisme environnemental est le résultat d’une discrimination systémique, où les communautés n’ont pas de voix à la table des décisions et ne peuvent pas participer véritablement aux processus décisionnels. Ces facteurs expliquent que certaines communautés sont plus susceptibles de vivre à proximité de sources de pollution et d’être exposées à des risques environnementaux importants.

Pour lutter efficacement contre le racisme environnemental, il faut nous doter d’une stratégie globale sur le plan national, qui tienne compte des spécificités de chaque communauté, et qui établisse un cadre d’action.

Il est temps que le gouvernement fédéral, les provinces, les territoires, et les organismes de réglementation passent à l’action en élaborant, en mettant en œuvre, et en faisant appliquer des lois qui protègent véritablement la population et l’environnement.

Le projet de loi C-226 propose justement l’élaboration d’une telle stratégie. Cette stratégie doit être élaborée dans le cadre d’une véritable consultation des communautés concernées et doit porter sur différents aspects du racisme environnemental comme les liens entre la race, le statut socioéconomique et le risque environnemental, l’emplacement des zones fortement polluées, l’amélioration de l’accès aux renseignements sur l’environnement, et la recherche de solutions réalistes.

L’un des aspects clés du projet de loi est la reconnaissance des droits et des points de vue des Autochtones dans le cadre de l’élaboration de la stratégie. Cette reconnaissance est essentielle pour tenir compte des conséquences historiques et actuelles du racisme environnemental sur les communautés autochtones et pour y remédier.

Ce projet de loi est une étape nécessaire pour lutter contre le racisme environnemental au Canada. En élaborant une stratégie globale et en sollicitant véritablement la participation des communautés concernées, nous pourrons assurer à tous les Canadiens un avenir plus équitable et plus durable.

L’adoption du projet de loi C-226 aurait plusieurs avantages importants pour l’ensemble des Canadiens. Tout d’abord, ce projet de loi permettrait d’améliorer l’état de santé des communautés marginalisées qui ont toujours été victimes de racisme environnemental. En définissant des zones fortement polluées ou qui présentent d’autres risques environnementaux, nous pourrons prendre les mesures qui s’imposent pour réduire l’exposition à ces risques et en atténuer les effets.

En outre, la mise en place d’une stratégie nationale ajoutera des occasions de responsabilisation des pollueurs et assurera la surveillance du respect des politiques et règlements en matière d’environnement. Cela permettra d’éviter de nouveaux cas de racisme environnemental.

Le projet de loi est également en phase avec les engagements du Canada en matière de droits de la personne, de durabilité environnementale et, bien sûr, de réconciliation avec les Autochtones. Grâce au développement de cette stratégie, nous avons l’occasion de travailler à rendre la société plus juste et équitable.

En conclusion, le projet de loi C-226 offre une occasion simple, mais importante de mieux éclairer notre prise de décisions en matière de justice environnementale au Canada. En adoptant ce projet de loi, nous ferons un pas important vers la création d’une société plus juste et plus durable pour tous les Canadiens, y compris les générations futures, indépendamment de leur race ou de leur statut socioéconomique.

Chers collègues, je vous encourage à appuyer ce projet de loi et à le renvoyer en comité dès que possible.

Meegwetch. Merci.

L’honorable Mary Jane McCallum [ + ]

En tant que sénateurs, nous sommes conscients de ce racisme flagrant à l’endroit des Premières Nations, des Métis, des Inuits et des membres des communautés minoritaires et du fait que ces groupes sont ciblés par ce type de racisme sans aucune raison — ils habitaient là; ils vivaient leur vie et cela leur est tombé sur la tête; ils n’en sont que plus marginalisés. N’êtes-vous pas outrés que nous, les sénateurs, restions les bras croisés devant ces décès prématurés et cette morbidité accrue? Pourriez-vous m’expliquer pourquoi, à votre avis, le projet de loi n’est pas renvoyé au comité?

J’ai tenté de répondre à une question semblable l’autre jour, mais on m’a fait taire. On ne veut pas entendre certaines choses. Il y a deux éléments. Il y a l’élément technique — le contenu — que votre projet de loi cherche bien entendu à régler et qui est essentiel et important. On ne peut aller plus loin en matière de réconciliation et parler de société inclusive si nous ne prenons pas soin de ce groupe victime de discrimination. Parallèlement, il y a ces éléments de procédure dans les règles; certaines règles sont très claires, d’autres moins. Il existe une certaine opacité dans les prises de décisions. Je suis désolée qu’on prenne du temps pour renvoyer ce projet de loi au comité. J’ai tenté de déterminer pourquoi certaines décisions sont prises de manière confidentielle et pourquoi elles ne sont pas accessibles au public. Toutes les décisions que nous prenons au Sénat devraient être accessibles au public, car la totalité de nos activités relève des affaires publiques. J’espère que cela répond à votre question. Merci.

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