La Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999)
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture
8 juin 2023
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi S-234, Loi modifiant la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), projet de loi qui vise à interdire l’exportation de certains types de déchets de plastique en vue de leur élimination définitive.
Il s’agit de la même mesure que celle qui était proposée dans le projet de loi C-204, au sujet duquel j’avais prononcé un discours à titre de porte-parole lors de la législature précédente, avant les élections. Ma position n’a pas changé : je suis d’accord sur les grandes lignes du projet de loi.
Vous le savez, mes réflexions au sujet des plastiques et de la pollution reposent sur trois décennies de travail en tant qu’ingénieure civile et environnementale chargée d’évaluer et de régler les problèmes de pollution et de contamination qu’entraînent les ordures ménagères et les déchets industriels dangereux. J’ai moi-même pu constater les impacts négatifs de nos habitudes irresponsables et de plus en plus répandues en matière de production de déchets et de mauvaise gestion des substances toxiques. Une décharge typique accumule toutes sortes d’objets domestiques qui auraient pu être recyclés, mais qui deviendront des macroplastiques ou des microplastiques qui finiront dans le sol ou dans l’eau, qui se fraieront un chemin jusque dans les écosystèmes, dans les chaînes alimentaires et, au bout du compte, dans les organes des animaux et des humains.
La mauvaise gestion des déchets de plastique entraîne des problèmes sociaux, environnementaux et de santé qui mettent en péril le bien-être des collectivités et des générations futures. Toute la planète réalise que l’humanité a un grave problème de gestion des déchets de plastique. C’est pour cette raison que l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement a lancé, en février 2022, un processus pour l’élaboration d’une entente contraignante d’ici 2024 visant à mettre fin à la pollution par le plastique et que les pays du G7 se sont engagés, en avril dernier à « [...] mettre fin à la pollution plastique, avec l’ambition de réduire à zéro toute pollution plastique supplémentaire d’ici à 2040 ».
Chers collègues, l’heure est grave. Chaque année, 13 millions de tonnes de plastique aboutissent dans les océans, polluant les eaux et détruisant les écosystèmes océaniques. Une fois que les déchets plastiques pénètrent dans les courants océaniques, il est peu probable qu’ils les quittent tant qu’ils ne se seront pas décomposés en microplastiques sous l’effet du soleil, des vagues et de la vie marine. Cela a entraîné la formation du vortex de déchets du Pacifique nord. Allez voir sur Google, vous n’en croirez pas vos yeux. Il s’agit d’une masse flottante de déchets qui couvre une superficie d’environ 1,6 million de kilomètres carrés, soit la taille du Québec. À ce rythme, il y aura plus de déchets plastiques que de poissons dans les océans d’ici 2050.
Les pays riches génèrent plus de déchets par personne, par conséquent, le Canada fait partie du problème. Avec ses 1,3 milliard de tonnes métriques de déchets par personne en 2017, le Canada occupe malheureusement le premier rang des pires producteurs de déchets par habitant. En réalité, notre problème de déchets ne fait qu’empirer.
En ce qui concerne les déchets de plastique, selon un rapport publié en 2019 par Environnement et Changement climatique Canada, nous avons produit 3,3 millions de tonnes de déchets de plastique en 2016, dont seulement 9 % ont été correctement recyclés, 4 % ont été incinérés à des fins de valorisation énergétique et une proportion incroyable, soit 86 %, ont été envoyés au dépotoir. Ajoutons que nous gérons mal les déchets de plastique ou que nous évitons de les gérer, puisque nous les exportons vers des pays en développement. Au Canada, les exportations de déchets par habitant s’élèvent à près de 5 kilogrammes par jour; elles sont donc inférieures à celles du Royaume-Uni, où elles s’établissent à 9,5 kilos par jour, mais supérieures à celles des États-Unis, où elles atteignent près de 2 kilos par jour.
Près de la moitié de tous les déchets de plastique au Canada proviennent de l’industrie de l’emballage; celle-ci est suivie des secteurs de l’automobile, du textile, des appareils électriques et électroniques, et de la construction.
En effet, plus de 60 % de toutes les ressources naturelles extraites finissent en déchets. Quelle horreur! Quel manque d’efficacité et d’efficience! Ce modèle économique est totalement dépassé et part de l’hypothèse fausse et illogique que notre planète a des ressources infinies et que nous pouvons croître infiniment. Un tel système n’existe pas sur notre planète. Nous devons donc transformer le modèle économique linéaire désuet en un modèle économique circulaire.
Il faut apprendre à utiliser nos ressources naturelles plus efficacement, empêcher les produits et les matériaux de devenir des déchets le plus longtemps possible et transformer les déchets qui ne peuvent être évités en une nouvelle ressource. Ce sont là les principes d’une économie circulaire qui permettraient de réduire dramatiquement la pollution causée par notre surconsommation.
Le projet de loi S-234 s’attarde à interdire l’exportation de nos déchets plastiques et fait le pari que, en interdisant l’exportation de déchets, nous serons forcés à mieux les gérer. On ne fait pas référence à des méthodes de réduction de production de plastique à usage unique ni aux modifications sur une potentielle teneur minimale de plastique recyclé dans les nouveaux produits. On ne parle pas non plus de pénalités sur la consommation du plastique. Pourtant, c’est peut-être une stratégie qui pourrait fonctionner, parce que cela nous forcerait à examiner le problème chez nous.
Ces dernières années, des gouvernements d’un peu partout dans le monde ont annoncé des politiques visant à réduire le volume de plastique à usage unique, en interdisant des produits tels que les pailles à usage unique, les couverts jetables, les récipients alimentaires, les cotons-tiges, les sacs, etc. En juillet dernier, la Californie est devenue le premier État américain à annoncer ses propres objectifs, notamment une baisse de 25 % des ventes d’emballages plastiques d’ici 2032. En décembre, le Royaume-Uni a étendu sa liste d’articles interdits aux barquettes à usage unique, aux ballons et à certains types de gobelets et de récipients alimentaires en polystyrène. Des interdictions sont également en vigueur dans l’Union européenne, en Australie et en Inde, entre autres.
Le Règlement interdisant les plastiques à usage unique fait partie du plan global du gouvernement du Canada pour lutter contre la pollution, atteindre son objectif de zéro déchet plastique d’ici 2030 et contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le règlement interdit la fabrication, l’importation et la vente de sacs d’emplettes en plastique à usage unique, de couverts et d’articles de restauration fabriqués à partir de plastiques problématiques ou contenant de tels plastiques. Mais nous savons que c’est insuffisant.
En effet, pour résoudre le problème de plastique au niveau national, nous devons repenser et réduire la production de plastique. Le recyclage doit s’intensifier assez rapidement pour faire face à la quantité de plastique produite, et le plastique recyclé doit trouver sa place dans de nouveaux produits dont la teneur n’est pas inférieure à 50 %.
Selon un rapport sur l’indice des fabricants de déchets plastiques, seules deux entreprises du secteur pétrochimique recyclent et produisent des polymères recyclés à grande échelle : le conglomérat taïwanais Far Eastern New Century et la société thaïlandaise Indorama Ventures, premier producteur mondial de polytéréphtalate d’éthylène recyclé pour les bouteilles de boisson.
Cependant, parmi les 20 plus grands producteurs mondiaux de polymères vierges utilisés dans la fabrication de plastique à usage unique, Indorama Ventures occupe la quatrième place. En tête de cette liste figurent la grande société pétrolière américaine ExxonMobil, la société chinoise Sinopec, et un autre poids lourd américain, Dow. Selon Carbon Trust et Wood Mackenzie, en fabriquant des polymères destinés au plastique à usage unique, ces 20 entreprises ont émis environ 450 millions de tonnes de gaz à effet de serre dans le monde, soit l’équivalent des émissions du Royaume-Uni.
Pourtant, l’ordre des actions pour assurer une gestion durable de nos déchets est clair : réduction à la source, réutilisation, recyclage, récupération de l’énergie et encapsulation de résidus ultimes. Tel est le modèle de gestion de déchets prôné par tous les experts en gestion de matières résiduelles dans le monde.
Cependant, le Canada a historiquement choisi de mettre l’accent sur la troisième option, créant ainsi toute une industrie du recyclage. Nous avons nous-mêmes créé cette industrie entière du recyclage, qui est peu efficace. Nos matières recyclées sont très peu utilisées dans la manufacture de nouveaux produits. Les manufactures d’emballage, les promoteurs de l’obsolescence programmée et les gaspilleurs de matières n’assument aucune responsabilité. Bref, notre gestion de déchets est un échec total. En sautant les deux premières étapes d’une bonne gestion de déchets, nous réduisons massivement nos possibilités de réduction de déchets; pire encore, nous imposons le fardeau de ces déchets sur des pays en développement, qui n’ont souvent pas la capacité requise pour bien en disposer.
Par conséquent, honorables collègues, où se retrouvent actuellement nos déchets plastiques? La plupart de ces déchets — plus de 90 % — sont exportés aux États-Unis; le reste est réparti entre des pays comme le Vietnam, la Malaisie, le Honduras, la Turquie et le Chili.
Le commerce des déchets plastiques est réglementé à l’échelle internationale par la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination, adoptée en 1989 à la suite d’une controverse croissante sur l’exportation par les pays riches de déchets dangereux dans des pays en développement n’ayant pas la capacité de les gérer adéquatement, provoquant ainsi d’énormes problèmes environnementaux et sanitaires. Ses principaux objectifs sont de réduire la production de déchets dangereux, de limiter les mouvements transfrontières de déchets dangereux aux pays capables de les gérer de manière écologique, et de créer un système de réglementation pour encadrer le commerce autorisé de déchets dangereux.
Bien que le Canada ait ratifié, en décembre 2020, de nouvelles modifications à la Convention de Bâle « qui exigent des mesures de contrôle pour s’assurer du consentement préalable donné en connaissance de cause pour l’exportation de toutes les formes de déchets plastiques, à l’exception des moins polluants, qui font l’objet d’échanges commerciaux entre les pays parties au traité », malheureusement, les États-Unis ne l’ont pas fait, si bien que nombre d’experts craignent qu’un accord bilatéral conclu en 2020 avec les États-Unis permette d’exporter des déchets plastiques vers le sud en se soumettant à des mesures de contrôle moins strictes que celles de la Convention de Bâle, et que ces déchets puissent ensuite être exportés de nouveau vers les pays en développement.
Compte tenu des différends en matière de gestion des déchets qui impliquent le Canada et qui ont été très médiatisés à l’échelle internationale dans les dernières années, je ne peux pas dire que je suis convaincue que nos déchets plastiques seront bien gérés dans le cadre de nos ententes en vigueur.
En conclusion, je répète que je souscris entièrement à l’objet du projet de loi S-234 et au principe qui le sous-tend. Il est temps que nous assumions la responsabilité des déchets que nous produisons. Pendant des siècles, les pays riches ont imposé un fardeau aux pays en développement en les laissant s’occuper de nos déchets toxiques. Le monde n’est pas notre dépotoir, et si on continue de le considérer comme tel, cela renforcera les tendances colonialistes de notre pays. Notre richesse ne justifie pas l’absence de responsabilité à l’égard de nos propres déchets ; en fait, ce devrait être tout le contraire. Notre capacité de gestion écologique des déchets est l’une des meilleures au monde.
Je suis d’avis que la question nécessite une étude approfondie et minutieuse pour comparer ce qui est proposé dans ce projet de loi avec d’autres initiatives nationales et internationales et déterminer dans quelle mesure on peut les harmoniser, compte tenu, notamment, des effets possibles sur le commerce interprovincial et international, et le fait que cette question touche de nombreux secteurs. J’espère que, dans le cadre de son étude, le comité examinera comment cette interdiction d’exportation des déchets plastiques influera sur la capacité du Canada de gérer ses propres déchets. Je m’attends aussi à ce que l’étude détermine comment le projet de loi interagira avec nos accords internationaux actuels et futurs, y compris l’accord potentiellement juridiquement contraignant sur les plastiques. Finalement, j’espère que l’étude tiendra également compte des effets de l’interdiction des plastiques à usage unique, dont la mise en œuvre est échelonnée jusqu’en 2025.
Honorables collègues, j’espère que vous voterez tous en faveur du renvoi du projet de loi au comité. Merci, meegwetch.
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)