Sécurité nationale et défense
Motion tendant à autoriser le comité à examiner la possibilité de permettre à Huawei Technologies Co., Ltd. de faire partie du réseau 5G du Canada--Ajournement du débat
18 février 2020
Conformément au préavis donné le 10 décembre 2019, propose :
Que le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense soit autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, la possibilité de permettre à Huawei Technologies Co., Ltd. de faire partie du réseau 5G du Canada, dès que le comité sera formé, le cas échéant;
Que le comité soumette son rapport final au plus tard le 30 avril 2020.
— Honorables sénateurs, je prends la parole pour proposer que le Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense étudie en détail un enjeu d’importance capitale pour le pays et pour nos relations avec nos alliés les plus proches — les implications de la décision de permettre à une multinationale chinoise, Huawei, de faire partie du réseau 5G au Canada.
Comme le savent les sénateurs, la technologie 5G sera la prochaine génération — la cinquième — du réseau cellulaire qui remplacera le réseau 4G actuel. Le réseau 5G permettra un taux de transfert en amont et en aval de 10 à 20 fois plus rapide que la technologie 4G utilisée actuellement. Cette accélération mènera à une forte croissance de la quantité de données mobiles transmises et le réseau servira de fondement à des technologies émergentes d’avenir comme les voitures autonomes, les véhicules autonomes de toutes sortes, la domotique et l’automatisation des usines. Le réseau 5G permettra un échange de données sans précédent et constituera non seulement la base de notre économie future, mais celle de toute la structure de la société canadienne.
Les enjeux économiques sont colossaux, tout comme les incidences sur la sécurité nationale. Ce sont ces incidences sur la sécurité nationale que je veux étudier plus en détail.
À mon avis, ce dossier soulève plusieurs questions importantes : quels entreprises et fournisseurs de service essentiel devraient être mobilisés pour fournir la technologie du futur réseau 5G? Dans quelle mesure devrions-nous permettre l’intégration des divers agents? Devrions-nous autoriser certaines entreprises à exploiter uniquement un réseau 5G « non essentiel »? Pouvons-nous déterminer clairement quels seront les réseaux non essentiels? Devrait-on complètement interdire à certaines entreprises de mener leurs activités au sein de notre réseau 5G, compte tenu de leurs liens avec des services étrangers du renseignement qui non seulement cherchent peut-être à voler des technologies du Canada et d’autres pays, mais qui ont peut-être également l’objectif de perturber nos propres réseaux 5G?
Il est fort probable que les spécialistes aient des opinions différentes à l’égard de ces questions, et nous devons être disposés à entendre un vaste échantillon représentatif de ces analystes. Toutefois, je crois qu’un élément essentiel de cet examen doit inclure les implications éventuelles d’une décision canadienne pour ce qui est de la participation du Canada au Groupe des cinq.
Le Canada a toujours coopéré étroitement avec les États-Unis, l’Australie, le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande au chapitre du renseignement et de la sécurité. La question de savoir qui nous autorisons à accéder à notre réseau 5G est une chose avec laquelle se débattent tous nos partenaires du Groupe des cinq. Une bonne partie de la discussion porte, naturellement, sur la République populaire de Chine et le rôle que jouent les entreprises de ce pays dans les activités du renseignement de la Chine partout dans le monde.
En 2018, le Service canadien du renseignement de sécurité a organisé un atelier intensif sur la politique et les intentions stratégiques de la Chine réunissant des experts du monde entier. Les documents présentés lors de cet atelier constituent la base d’un rapport qui a été publié en 2018. Ce rapport détaillé tirait les conclusions suivantes.
Le régime chinois actuel :
[...] pilote une stratégie multidimensionnelle visant à amener la Chine à asseoir sa domination sur le monde. Cette stratégie combine une diplomatie très active, des ententes économiques asymétriques, de l’innovation technologique et des dépenses militaires toujours plus importantes.
Plus loin, le rapport indique ceci :
Les partenaires commerciaux de la Chine ont rapidement découvert qu’elle utilise son statut commercial et ses réseaux d’influence pour servir les objectifs du régime.
Qu’il s’agisse d’une société d’État ou d’une entreprise privée, un partenaire chinois entretiendra des liens étroits et de plus en plus explicites avec le [Parti communiste chinois].
[...] Beijing se servira de sa position commerciale pour obtenir accès aux entreprises, aux technologies et aux infrastructures qu’il lui sera possible d’exploiter pour atteindre ses objectifs sur le plan du renseignement ou, éventuellement, pour compromettre la sécurité d’un partenaire
Ces facteurs sont importants pour déterminer comment nous aborderons le rôle des entreprises chinoises, en particulier celui de Huawei, dans le futur réseau 5G. Nous devons examiner comment nos alliés du Groupe des cinq considèrent la question.
Robert O’Brien, le conseiller à la sécurité nationale des États-Unis, a clairement exposé la position des Américains sur cette question lors du Forum d’Halifax sur la sécurité internationale, le mois dernier. M. O’Brien n’a pas hésité à qualifier Huawei de cheval de Troie. Il a affirmé ceci :
Cette technologie permet à la Chine de dresser des profils livrant les détails les plus intimes, des détails personnels, sur chaque homme, femme et enfant au pays. Lorsque la Chine réussira à faire pénétrer la technologie de Huawei sur le marché canadien ou sur celui d’autres pays occidentaux, elle prendra connaissance de tous les dossiers médicaux et bancaires, ainsi que de toutes les publications sur les médias sociaux de chaque Canadien. En fait, elle saura tout sur eux.
Je sais que certains sénateurs rejetteront instinctivement toute analyse menée par un représentant de l’administration américaine actuelle. Toutefois, nous devons nous souvenir des relations de sécurité étroites entre le Canada et les États-Unis. Nous devons aussi nous rappeler qu’il n’y a pas un grand écart entre les positions des républicains et des démocrates en ce qui concerne les risques que pose la Chine pour la sécurité de l’Amérique du Nord.
En effet, en juin dernier, Elliot Engel, président démocrate de la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, a déclaré ceci :
Le Parti communiste chinois exporte de plus en plus ses valeurs régressives en favorisant la propagation de technologies de surveillance ou en tentant de faire taire les critiques de ses gestes, partout dans le monde, grâce à l’imposition de contraintes économiques ou à la réorganisation des institutions internationales de façon à ce qu’elles reflètent mieux le point de vue de Pékin […]
Pas plus tard que ce mois-ci, la Présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, a déclaré qu’accepter la domination chinoise sur le réseau 5G s’apparente à « choisir l’autocratie au lieu de la démocratie ».
Pour ce qui est des autres pays du Groupe des cinq, l’Australie, comme les États-Unis, a banni Huawei de son réseau 5G. En Nouvelle-Zélande, le Government Communications Security Bureau a rejeté la première demande de l’industrie des télécommunications visant à utiliser l’équipement 5G de Huawei. L’examen est en cours, mais les risques en matière de sécurité sont évidents. Au Royaume-Uni, on refuse que Huawei contribue aux composantes dites « charnières » du réseau 5G.
La décision s’est attiré des critiques, mais la compagnie ne peut pas fournir d’équipement pour la « partie névralgique » du réseau du Royaume-Uni, y compris dans les régions près des bases militaires et autres endroits aussi sensibles. De plus, elle ne pourra pas fournir plus de 35 % de l’équipement dans la périphérie d’un réseau.
Voilà qui m’amène à la position du gouvernement canadien — ou devrais-je plutôt parler d’absence de position? Ce ne devrait probablement pas être une surprise, mais nous ne savons pas exactement quelle est la position du gouvernement Trudeau dans ce dossier. Pour rester polis, disons que le gouvernement a adopté, de façon générale, une politique très favorable à la Chine. Il l’a conservée même après des provocations sans précédent. Je n’ai pas besoin de rappeler aux sénateurs que deux Canadiens ont essentiellement été kidnappés par les autorités chinoises en réaction à une procédure juridique au Canada impliquant la chef des opérations financières de Huawei. Pendant ce temps, deux autres Canadiens, qui pourraient ou non être coupables de trafic de drogue — en toute honnêteté, c’est impossible de le savoir en Chine —, ont été condamnés à mort. Certaines exportations agricoles canadiennes, quant à elles, se sont vu interdire l’entrée en Chine pour des raisons on ne peut plus spécieuses. Si les Chinois ont levé cette interdiction, c’est seulement en raison des problèmes que la maladie a causés dans leur propre industrie.
Dans tous ces dossiers, nous attendons toujours une quelconque réponse valable de la part du gouvernement actuel, ce qui est extrêmement préoccupant. Au Forum d’Halifax sur la sécurité internationale, le ministre canadien de la Défense nationale a affirmé : « Nous ne considérons pas la Chine comme un adversaire. »
Le problème, c’est que la République populaire de Chine ne semble pas partager ce point de vue. Je cite à nouveau ce que des experts avaient à dire à l’atelier organisé par le SCRS l’an dernier :
[...] Beijing se servira de sa position commerciale pour obtenir accès aux entreprises, aux technologies et aux infrastructures qu’il lui sera possible d’exploiter pour atteindre ses objectifs sur le plan du renseignement ou, éventuellement, pour compromettre la sécurité d’un partenaire.
Je suis donc d’avis que, s’agissant de la participation d’une grande société chinoise à notre réseau 5G, le Sénat ne devrait pas simplement attendre que le gouvernement prenne une décision. Ce serait une grave erreur, chers collègues. Nous avons vu l’inaction du présent gouvernement lorsqu’il traite avec la Chine. À mon avis, le Comité permanent de la sécurité nationale et de la défense devrait commencer dès que possible à entendre des témoins de tous les points de vue sur cette question. C’est notre responsabilité et notre rôle comme Chambre haute. C’est non seulement tout à fait indiqué, mais aussi nécessaire dans le contexte et les circonstances actuels.
Dans d’autres pays du Groupe des cinq, des comités parlementaires sont en train de faire exactement cela au moment où l’on se parle. En Australie, par exemple, le comité permanent des communications et des arts de la Chambre des représentants s’informe actuellement sur le déploiement, l’adoption et l’application du réseau 5G en Australie. Ici, au Sénat, le Comité permanent des transports et des communications a passé un temps considérable, lors de la dernière législature, à examiner toutes les implications de l’introduction de véhicules automatisés au Canada. On peut légitimement affirmer que la question du réseau 5G est encore plus importante, en raison, surtout, des implications pour la sécurité nationale.
J’espère donc pouvoir compter sur votre appui pour demander que le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense soit autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, la possibilité de permettre à Huawei Technologies Co., Ltd. de faire partie du réseau 5G du Canada, dès que le comité sera formé, le cas échéant; et que le comité soumette son rapport final au plus tard le 30 avril 2020. Merci, chers collègues.