Aller au contenu

Le Sénat

Motion tendant à exhorter le gouvernement à imposer des sanctions contre les autorités chinoises relativement aux abus des droits de la personne et à la persécution systématique des musulmans ouïgours en Chine--Ajournement du débat

29 octobre 2020


Conformément au préavis donné le 30 septembre 2020, propose :

Que le Sénat du Canada exhorte le gouvernement du Canada à imposer des sanctions, conformément à la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (loi de Sergueï Magnitski), contre les autorités chinoises relativement aux abus des droits de la personne et à la persécution systématique des musulmans ouïgours en Chine.

— Honorables sénateurs, je dois d’abord m’excuser parce qu’une grande part de ce que je vais dire aujourd’hui sera du déjà vu pour la majorité d’entre vous. Le problème est que, peu importe dans quelle mesure moi-même ainsi que d’autres personnes avons sonné l’alarme sur ce qui se déroule en Chine, le gouvernement fait la sourde oreille. Par conséquent, nous allons continuer de sonner l’alarme et continuer de demander au gouvernement d’agir pour dénoncer les agressions et les actions malveillantes de la Chine, qui ne cessent d’augmenter sur le territoire et à l’étranger.

Honorables sénateurs, j’ai pris la parole au Sénat il y a presque un an, en compagnie du sénateur Ngo, afin de demander au gouvernement d’imposer à la Chine des sanctions en vertu de la loi Magnitski pour le traitement qu’elle réserve aux activistes pro‑démocratie de Hong Kong et aux minorités musulmanes en Chine. Voilà qu’aujourd’hui le gouvernement n’est pas plus enclin à imposer ces sanctions qu’il ne l’était il y a un an. Nous ne devrions même pas avoir à proposer ces motions. Le gouvernement devrait avoir déjà agi dans ce dossier. Il ne fait aucun doute que le comportement de la Chine mérite des sanctions Magnitski. C’est un cas typique pour lequel la loi de Magnitski a été créée. L’instigateur de cette dernière, Bill Browder, l’a lui-même déclaré. Si vous me le permettez, j’aimerais rappeler ce que la loi prescrit, l’origine de son nom et les raisons de son adoption.

Au Canada, le nom complet de la loi de Magnitski est Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus. On trouve des lois semblables dans d’autres pays, notamment aux États-Unis. Ces lois sont nommées en l’honneur du regretté Sergei Leonidovitch Magnitski, un conseiller fiscal et vérificateur russe mort dans une prison russe après avoir été détenu sans procès pendant 11 mois. Pendant son incarcération, M. Magnitski s’est vu refuser les visites de sa femme, de sa mère et de son fils. Même s’il souffrait de graves problèmes de santé et qu’on le battait violemment, et ce, jusqu’à sa mort, il s’est vu refuser des soins médicaux.

Le crime supposé de M. Magnitski est d’avoir collaboré avec M. Browder, cofondateur d’une société de placement à Moscou, pour exposer une vaste affaire de vol, de corruption et de fraude étatique. La fraude a fini par impliquer la police et des juges, étant donné que MM. Magnitski et Browder ont été eux-mêmes victimes d’un coup monté pour des allégations de vol. M. Browder a été expulsé de Russie, mais M. Magnitski, lui, a été détenu de façon arbitraire par des responsables de prison corrompus. Vous pouvez lire les détails sordides de sa détention dans le livre de M. Browder, intitulé Notice rouge.

M. Magnitski a tenu un journal durant son incarcération, dans lequel il a noté les détails bouleversants des tentatives de ses tortionnaires visant à le persuader de changer sa version des faits et de trahir ainsi son ami Bill Browder. M. Magnitski a cependant refusé. Il est resté fermement convaincu qu’il devait défendre la vérité et se conduire honorablement. Pourtant, il savait bien qu’il aurait été facile de faire ce que l’on attendait de lui. Toute sa souffrance aurait pris fin et il aurait pu retrouver sa famille. Il a cependant choisi de défendre ses principes. Chaque fois qu’il a refusé de plier, sa souffrance s’est intensifiée jusqu’à ce que, finalement, même si son esprit est demeuré combattif, son corps n’a plus pu le supporter.

La mort de M. Magnitski n’a pas été douce; elle s’est avérée longue, lente et délibérée. On a déterminé qu’il avait souffert d’un traumatisme crânien fermé, et son corps était parsemé de nombreuses ecchymoses et plaies, ainsi que d’écorchures et de lésions aux tissus mous plus ou moins sévères. Cet homme a souffert le martyre pour s’être conduit honorablement, pour avoir défendu ses principes. Bill Browder s’est maintenant fixé pour mission de veiller à ce que la mort de Sergueï ne fût pas en vain. Il a ainsi passé les dernières années à réclamer l’adoption de mesures législatives en l’honneur de son ami, pour faire en sorte que les dirigeants étrangers qui violent les droits de la personne et les principes de la justice fondamentale et de l’état de droit doivent en subir les conséquences.

Voilà ce que la loi de Sergueï Magnitski défend. Notre ancienne collègue, l’honorable Raynell Andreychuk, s’était personnellement fixé comme priorité de la faire adopter au Canada. La sénatrice a défendu ce projet de loi pendant longtemps et avec acharnement dans cette enceinte. J’ai été à même de constater à quel point elle tenait à ce que cette mesure soit adoptée. Cependant, chers collègues, elle n’a certainement pas épousé cette cause simplement pour se faire du capital politique, pour la brandir lorsque c’était politiquement rentable et ensuite la mettre de côté lorsque ce ne l’était plus.

Fait intéressant à signaler : lors de l’adoption de cette mesure législative — il y aura trois ans ce mois-ci —, le président russe Vladimir Poutine a accusé le Canada de se livrer à des manœuvres politiques qu’il a qualifiées d’ouvertement hostiles. Mais, cette sortie n’a eu aucun effet dissuasif sur nous et nous avons appliqué cette loi à quelques occasions depuis qu’elle a été adoptée. La loi de Magnitski a permis aux autorités canadiennes de prendre, à juste titre, des mesures contre plusieurs représentants de la Russie, du Venezuela, du Soudan du Sud, du Myanmar et de l’Arabie saoudite lorsque cela s’imposait.

Pourquoi le Canada ne se servirait-il pas de cette mesure législative pour sévir contre les dirigeants chinois qui ont fait preuve d’un véritable mépris à l’égard des droits de la personne en persécutant les minorités religieuses, notamment les musulmans ouïghours, et en imposant des mesures de plus en plus agressives à l’endroit des activistes favorables à la démocratie à Hong Kong? Par surcroît, il ne faut pas oublier certaines considérations dont la détention illégale prolongée des deux Michael ainsi que les intérêts commerciaux et la sécurité des 300 000 Canadiens vivant à Hong Kong.

Toutefois, honorables collègues, si nous avons appris quelque chose de l’homme dont cette loi porte le nom, c’est qu’il n’est pas toujours facile de faire ce qui s’impose. Nous ne faisons pas les choses parce qu’elles sont faciles, mais parce qu’elles sont justes. Cela a toujours été la façon de faire canadienne.

Jamais dans l’histoire de notre pays avons-nous reculé face à la tyrannie, et nous n’avons certes jamais adopté de politique d’apaisement comme nous semblons le faire maintenant à l’égard du régime communiste chinois. J’en ai parlé hier à propos de mon autre motion sur la réponse du Canada au conflit dans la République d’Artsakh et le génocide imminent des Arméniens. Chers collègues, cette histoire va très mal tourner elle aussi. En effet, grâce aux médias indépendants, je suis très bien informé de ce qui s’est passé là-bas au cours des dernières 24 heures. Je le répète, si l’Occident n’intervient pas rapidement, nous serons aux prises avec un autre génocide ethnique dans quelques jours seulement.

Comme je l’ai dit l’an dernier et encore hier, les actions du Canada sur la scène mondiale doivent être guidées par une grande fidélité à nos valeurs et à nos principes, et non par une politique opportuniste de deux poids deux mesures ni par les pressions exercées par les grandes sociétés. Nous ne pouvons laisser les intérêts économiques et l’influence de puissances étrangères dicter notre réaction aux questions qui représentent un danger d’une telle gravité. L’intérêt de quelques-uns ne doit pas l’emporter sur les valeurs fondamentales qui forment l’assise même de notre pays.

Les actions et le discours du Canada doivent refléter sa réputation de longue date d’artisan et de gardien de la paix, et de défenseur des droits de la personne et de la primauté du droit. Pour ce faire, nous devons d’abord savoir distinguer les agresseurs des victimes pacifiques et innocentes.

Dans le cas de la Chine, l’identité de l’agresseur ne laisse aucun doute. Les autorités chinoises s’enhardissent et font preuve de plus en plus d’agressivité, que ce soit à Hong Kong, en Chine continentale, dans la mer de Chine méridionale, à Taïwan, à la frontière de l’Inde ou ici même au Canada. L’heure des comptes a sonné. Il faut intervenir maintenant, avant qu’il ne soit trop tard. Les deux motions que je propose aujourd’hui, c’est-à-dire celle-ci et celle qui demande l’imposition des sanctions prévues par la loi de Magnitski, ne sont que le début.

Comme je l’ai dit l’an dernier, le Canada et le Parti communiste chinois se heurtent à un très grave conflit de valeurs. La République populaire de Chine est une dictature qui bafoue totalement les libertés fondamentales, la démocratie, la primauté du droit et les droits de la personne. Il ne fait aucun doute qu’elle représente l’une des plus importantes menaces pour le Canada, pour les pays démocratiques de l’Ouest et pour notre mode de vie.

Les gouvernements qui se sont succédé, aussi bien libéraux que conservateurs, tentent depuis de nombreuses années de conclure un partenariat responsable avec le Parti communiste chinois, d’établir une relation économique qui serait mutuellement avantageuse. Or, la poursuite de cet objectif a coûté cher au Canada, et nous commençons à peine à constater l’étendue des dégâts. Le Canada a fermé les yeux non seulement sur les gestes pernicieux posés par le Parti communiste chinois, mais il s’est également mis dans une position qui l’oblige à se demander s’il doit renoncer à ses valeurs pour ne pas nuire à la relation importante qu’il entretient avec la Chine, dont il dépend grandement. Le gouvernement n’hésite pas à faire passer ses valeurs au second plan lorsqu’il tente désespérément de faire l’acquisition de biens bon marché ou de trouver de nouveaux débouchés pour les produits canadiens.

Disons-le franchement, le Canada se retrouve par sa faute dans une position compromettante. Le moment est venu de décider quel genre de Canada nous voulons être, et quels genres de valeurs nous défendons. Sommes-nous une nation qui se porte à la défense des droits de la personne, de la liberté, de la primauté du droit et de la démocratie, ou sommes-nous une nation prête à échanger ses valeurs contre une poignée de dollars?

Honorables collègues, il me semble qu’il est temps de repenser et de revoir nos rapports avec le régime communiste chinois, en commençant par imposer des sanctions Magnitski pour ces comportements inacceptables, en particulier la persécution des minorités religieuses comme les musulmans ouïghours.

Honorables collègues, de 1 à 3 millions d’Ouïghours qui se déclarent musulmans ont été enlevés dans les rues ou dans leur foyer par les autorités communistes de la Chine, puis placés dans des camps d’internement. Voilà la simple réalité.

À l’intérieur de ce que les gouvernements appellent des « centres de formation » pour le perfectionnement professionnel, ces prisonniers sont soumis à l’endoctrinement psychologique, à la torture physique, y compris la simulation de noyade, à la violence sexuelle ainsi qu’à la stérilisation forcée de masse pour les femmes, ce qui constitue en soi un génocide, honorables collègues. Selon les estimations, il y aurait jusqu’à 350 de ces camps d’internement, et selon des images satellites, nombre d’entre eux ont pris de l’expansion dans la dernière année.

À l’extérieur, les musulmans ouïghours doivent aussi faire face à l’oppression et aux travaux forcés.

Cela se produit au vu et au su du monde entier. Ces gens souffrent et sont victimes d’un génocide devant nos yeux. Il ne suffit pas pour le gouvernement de dire que la situation est décevante. Le régime communiste chinois commet ces atrocités en toute impunité. Il se moque ouvertement de la vie humaine et des droits de la personne avec une arrogance éhontée.

Après l’Holocauste, l’Occident a promis de ne jamais permettre qu’une telle chose se reproduise sans intervenir. Le génocide au Rwanda est ensuite survenu, et nous avons promis, encore une fois, de ne plus jamais laisser une telle chose se reproduire. Vint ensuite le tour des yézidis. Nous n’hésitons jamais à dénoncer l’islamophobie et les discours antimusulmans lorsqu’on en est témoins ici au pays, et à juste titre, puisque ce sont des choses odieuses et inacceptables.

Pourquoi, alors, ne s’indigne-t-on pas devant le sort réservé aux musulmans en Chine?

Chers collègues, devant les traitements que le Parti communiste chinois fait subir aux musulmans ouïghours, le Canada devrait imposer des sanctions, à tout le moins. Ce serait un début. Nous disposons des outils nécessaires, et nous devons commencer à nous en servir. Nous devons passer de la parole aux actes. Nous ne pouvons pas déclarer que le Canada défend les droits de la personne et les libertés religieuses puis garder le silence devant une telle situation. Nous ne pouvons pas affirmer que nous défendons les droits des musulmans du Canada, mais ne pas défendre ceux des musulmans de la Chine ni dénoncer les atrocités et le génocide dont ils sont victimes. Cela n’a aucun sens, chers collègues.

C’est pourquoi j’espère que vous appuierez la motion à l’étude. J’espère que le gouvernement du Canada conclura, en son âme et conscience, qu’il ne suffit pas d’exprimer sa déception à coup de discours et qu’il faut passer aux actes. Nous disposons des outils nécessaires. La loi de Magnitski serait un point de départ idéal.

Haut de page