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Le Sénat

Motion tendant à exhorter le gouvernement à dénoncer l'illégitimité du régime cubain--Ajournement du débat

24 mars 2022


L’honorable Leo Housakos (leader suppléant de l’opposition)

Conformément au préavis donné le 24 novembre 2021, propose :

Que le Sénat exhorte le gouvernement du Canada à :

a)dénoncer l’illégitimité du régime cubain et à reconnaître l’opposition cubaine et la société civile en tant qu’interlocutrices;

b)exhorter le régime cubain à assurer le droit du peuple cubain à manifester pacifiquement sans possibilité de représailles et de répudiation.

— Honorables sénateurs, je propose la motion dans le cadre du Forum parlementaire transatlantique, une initiative mondiale regroupant des législateurs d’Europe et des Amériques solidaires de la lutte du peuple cubain pour le droit de vivre dans une démocratie.

Jusqu’à présent, les appels lancés par des Canadiens d’origine cubaine épris de liberté pour appuyer ceux qui mènent une lutte pacifique pour les droits de la personne et la démocratie à Cuba ont été ignorés par le gouvernement Trudeau, dont la politique envers Cuba est fondée sur le silence et, encore plus inquiétant, l’inaction.

J’aimerais souligner et rendre hommage à certains Canadiens d’origine cubaine : Antonio Tang, Yanel Raul Nieves, Aime Calle Cabrera, Raimet Martinez Avila, Kirenia Carbonell Dieguez, Michael Lima, Manuel de Jesus Bujan, Ismary Bacallao et Andy Davila Miranda. Tous ces Canadiens d’origine cubaine sont venus dans notre pays, s’y sont construit une vie épanouie et, bien entendu, apprécient notre liberté et notre démocratie. Toutefois, ils n’ont pas oublié d’où ils viennent ni leurs amis et leurs familles, qui n’ont pas eu la même chance qu’eux.

Compte tenu de la nouvelle réalité mondiale qui découle de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il est plus important que jamais que le Canada appuie l’unité des défenseurs de la démocratie à l’échelle internationale face à l’expansion accélérée des régimes autoritaires dans le monde. Tant la violence de la guerre contre l’Ukraine que la répression exercée par le régime cubain contre les personnes qui pensent différemment illustrent l’absence d’arguments moraux et rationnels et l’impuissance dictatoriale des gens qui ont recours à la force pour remporter une guerre ou pour obtenir ou conserver le pouvoir.

Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le monde entre dans une nouvelle ère qui nécessite un nouveau raisonnement stratégique pour redéfinir les relations internationales entre les démocraties et les autocraties. Le Canada devrait faire un pas important dans cette direction en dénonçant l’illégitimité du régime cubain, dont le système et les représentants n’ont jamais été élus librement par le peuple.

Au lieu d’appuyer et de légitimer le même régime cubain qui se sert de la propagande du Kremlin pour justifier l’invasion de l’Ukraine, le Canada devrait reconnaître l’opposition prodémocratie à Cuba comme un interlocuteur valable dans nos relations avec l’île.

Le Canada fait piètre figure sur la scène internationale lorsque vient le moment de condamner la dictature cubaine. Le gouvernement actuel préfère plutôt poursuivre sa politique du silence et de l’immobilisme à l’égard de la spirale de répression particulièrement brutale dont les Cubains sont victimes depuis les importantes manifestations en faveur de la démocratie qui ont eu lieu en juillet 2021. Le gouvernement Trudeau persiste à préférer serrer les mains des oppresseurs de Cuba et à faire de la diplomatie en coulisse. Le temps est venu de parler haut et fort.

Le silence et l’inaction du gouvernement Trudeau, combinés à l’absence quasi totale de couverture de la part des principaux médias canadiens, font en sorte que les violations graves et systématiques des droits de la personne à Cuba, qui ont atteint une intensité et une échelle sans précédent depuis les manifestations prodémocratie pacifiques du 11 juillet dernier, passent inaperçues.

Nous devenons complices en gardant le silence devant cette répression qui a lieu à Cuba. Comme l’a déjà dit l’archevêque et défenseur des droits de la personne Desmond Tutu : « Si vous êtes neutre dans une situation injuste, alors vous avez choisi le côté de l’oppresseur. »

Après 63 ans sans élections libres, justes, démocratiques et multipartites, Cuba est l’un des régimes au monde où l’on réprime les droits de la personne depuis le plus longtemps. Depuis 1959, le régime actuel persécute, emprisonne et marginalise les défenseurs des droits de la personne, les journalistes, les artistes dissidents, les intellectuels et les critiques.

On estime qu’au moins un demi-million de Cubains ont été arbitrairement arrêtés ou emprisonnés pour des raisons politiques au cours des six dernières décennies. Le régime de parti unique cubain étouffe la liberté d’expression et de réunion en détenant des personnes pour leurs croyances et leur opposition au gouvernement, proscrit le pluralisme politique, interdit les médias indépendants, criminalise la dissidence et empêche l’exercice des libertés et des droits fondamentaux.

Les choses se sont aggravées au cours des 14 derniers mois, les autorités cubaines étant responsables de violations graves et systématiques des droits de la personne dans le cadre d’une politique répressive qui criminalise les manifestations pacifiques et emprisonne et maltraite des Cubains de tous horizons pour avoir simplement exprimé leurs opinions et exercé leur liberté d’expression et de rassemblement pacifique.

Les organisations de défense des droits de la personne ont signalé au moins 10 000 actions répressives à Cuba de janvier 2021 à mars 2022, notamment des détentions arbitraires, des emprisonnements, des assignations à résidence forcées, des amendes, des simulacres de procès, des actes de répudiation, des campagnes de diffamation, des passages à tabac, des coupures d’Internet, des expatriations forcées pour harceler et intimider les défenseurs des droits de la personne, les critiques, les militants indépendants, les artistes et les journalistes.

Honorables sénateurs, à la fin de l’année 2021, le régime cubain avait arrêté arbitrairement 2 717 personnes, assigné à résidence 3 743 personnes et mené 60 actes de répudiation contre des militants prodémocratie. Ces actes sont fondamentalement fascistes et constituent la plus grande expression de l’intolérance et de l’extrémisme promus par le régime cubain contre ceux qui pensent différemment.

Le 11 juillet 2021, dans 45 villes cubaines, plus de 187 000 Cubains sont descendus dans la rue lors de manifestations historiques pour dénoncer des restrictions de longue date de leurs droits de la personne. Ils scandaient « Liberté » et « À bas la dictature » et revendiquaient un changement démocratique comme solution aux grandes crises économiques et sanitaires du pays. Le régime cubain a réagi aux manifestations pacifiques avec une brutalité et une violence extrêmes. Selon Amnistie internationale, avec le déploiement massif de brigades spéciales et de policiers dans les villes du Cuba, la surveillance, les arrestations arbitraires, la persécution et la répression ont atteint des niveaux jamais vus au cours des 20 dernières années dans ce pays.

Les forces de sécurité ont réagi aux manifestations prodémocratie avec une violence extrême. Ils ont ouvert le feu sur les manifestants. Ils ont utilisé des gaz lacrymogènes et ont frappé les manifestants avec des bâtons. Ceux qui ont été arrêtés ont subi la torture et un traitement cruel, dégradant et inhumain. Après ces actes de brutalité, Cuba a dépassé le Venezuela, le Nicaragua, la Russie et même l’Iran en ce qui a trait au nombre de prisonniers politiques. L’emprisonnement politique à Cuba constitue le pire drame humain que vivent de nos jours les familles cubaines.

Pire encore, ces victimes de répression à Cuba, c’est-à-dire les prisonniers politiques, signalent le recours à la torture ainsi que le traitement cruel, inhumain et dégradant qu’elles subissent dans les prisons, y compris l’isolement, l’usage excessif de chaînes et menottes, la violence physique, l’humiliation verbale, les actes de rejet, la menace de viol et le refus de soins médicaux et de visites familiales. Des témoignages de ces méthodes de répression ont été consignés dans des lettres et des récits de vive voix des prisonniers à leurs amis et leur famille. Aujourd’hui, je prends la parole et je vous encourage tous à vous joindre à moi pour dénoncer les conditions des prisonniers politiques à Cuba, qui sont victimes de torture et d’un traitement cruel, inhumain et dégradant.

Je veux prendre un moment pour mettre en lumière l’histoire de certaines de ces personnes. Par exemple, l’artiste et activiste Maykel Osorbo, gagnant d’un Grammy pour la chanson Patria y Vida, est détenu depuis mai 2021 dans la prison à sécurité maximale de Pinar del Río. Il souffre actuellement d’un trouble des ganglions lymphatiques et on ne lui a pas offert un diagnostic adéquat ni un traitement médical pour ce problème.

Ensuite, il y a Luis Manuel Otero Alcántara, figure de proue du mouvement San Isidro et l’une des 100 personnes les plus influentes du monde d’après la liste établie par le magazine Time en 2021. Il a été arrêté alors qu’il se rendait à une manifestation à La Havane le 11 juillet, puis transféré à une prison à sécurité maximale sans audience devant un tribunal. Il a mené plusieurs grèves de la faim pour protester contre son emprisonnement injuste qui lui ont laissé des séquelles.

Felix Navarro et sa fille Sayli Navarro, coordonnateurs du mouvement pour la démocratie Pedro Luis Boitel, ont récemment été condamnés à neuf et huit ans de prison respectivement, non pas pour avoir manifesté, mais simplement pour avoir posé des questions à la police sur le statut de certains des membres de l’organisation qui avaient été détenus le 11 juillet.

Je suis préoccupé par le sort des groupes vulnérables qui ont été victime des répressions ayant fait suite aux manifestations de juillet. Trente-trois enfants, mineurs au moment de leur détention, ont été poursuivis au criminel, et environ la moitié d’entre eux font face à des accusations de sédition. En vertu de l’alinéa 100a) du Code pénal cubain, l’accusation de sédition peut entraîner des peines allant de 10 à 20 ans de prison ou la peine de mort.

Il y a au moins 130 prisonnières politiques à Cuba. En outre, toutes les mères des manifestants prodémocratie détenus le 11 juillet reçoivent régulièrement des menaces d’emprisonnement de l’État si elles dénoncent le bien-fondé de la cause de leur enfant sur la scène internationale.

Je tiens également à condamner les centaines de procès menés à Cuba contre des manifestants prodémocratie pacifiques, ce qui va à l’encontre de l’application régulière de la loi et de l’alinéa 7e) du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Les manifestants prodémocratie sont également accusés au titre d’articles du Code criminel cubain, comme ceux sur la sédition et le désordre public ou pour avoir insulté des fonctionnaires. C’est là une violation des normes internationales en matière de droits de la personne, car il s’agit d’un subterfuge juridique visant à restreindre la liberté d’expression et la liberté d’association. En l’absence d’un procès équitable, la majorité des manifestants, âgés en moyenne de 34 ans, reçoivent des peines d’emprisonnement allant de 5 à 10 ans, voire 30 ans, simplement pour avoir enregistré une manifestation pacifique.

Ma question est la suivante : qu’a fait le gouvernement de Justin Trudeau en réaction aux atroces violations des droits de la personne qui ont eu lieu à Cuba au cours de la dernière année?

Honorables sénateurs, le gouvernement Trudeau a seulement fait de vagues déclarations sur les manifestations du 11 juillet 2021, principalement en réponse aux questions des médias. Contrairement aux condamnations visant d’autres dictatures dans le monde, comme le Venezuela et le Bélarus, ces déclarations ne figuraient même pas parmi les déclarations officielles du gouvernement qui sont publiées sur le site Web du gouvernement du Canada. Par ailleurs, le premier ministre a fait ces déclarations principalement en réponse aux pressions exercées par le Parti conservateur à la Chambre. Nous avons été prompts à exprimer notre solidarité envers la population après les manifestations de juillet, mais le gouvernement Trudeau s’est contenté de répéter qu’il était au fait de la situation à Cuba, mais il n’a jamais pris de mesure après avoir fait part de ses préoccupations.

L’initiative du gouvernement Trudeau décrite dans la fiche d’information sur le renforcement des relations entre le Canada et Cuba, publiée le 16 novembre 2016, qui consistait à accompagner le régime cubain dans une supposée modernisation de son système et dans des projets de collaboration en vue de promouvoir une gouvernance inclusive et responsable grâce à des échanges avec Cuba, s’est avérée un échec retentissant.

Le régime cubain n’a jamais rendu de comptes à la population cubaine depuis son arrivée au pouvoir, car il n’a jamais été élu dans le cadre d’élections démocratiques, et Cuba n’est aucunement doté du mécanisme de séparation des pouvoirs auquel nous sommes habitués. Le régime réagit aux manifestations pacifiques en prenant des mesures de répression brutales, comme on l’a vu le 11 juillet 2021, lorsque le président non élu Miguel Díaz-Canel est apparu à la télévision pour donner l’ordre de combattre des manifestants pacifiques.

De nos jours, Cuba a plus de lois répressives que jamais auparavant. Certains exemples récents du cadre juridique cubain corroborent cette affirmation. En août 2021, la gazette officielle a publié les décrets-lois nos 35 et 42, qui criminalisent l’indépendance de la presse et les détracteurs du régime d’après le règlement 102, qui punit la « diffusion d’information jugée fausse ou préjudiciable à l’ordre public ».

Plus récemment, l’avant-projet de loi du nouveau code pénal criminalise toutes les libertés civiles et politiques protégées par la Déclaration universelle des droits de l’homme, y compris la liberté d’expression et la liberté de réunion et d’association pacifiques, entre autres.

Je m’en voudrais de ne pas sensibiliser mes concitoyens canadiens au sujet des conséquences morales et éthiques de dépenser son argent à Cuba, qui est une île splendide, parmi les plus belles du monde, mais qui est gouvernée par un régime politique qui s’en prend aux droits de la personne.

Les vacances et les investissements à Cuba équivalent à financer activement le conglomérat militaire qui exploite des hôtels, des institutions financières et l’industrie touristique. Avec cet argent, les Canadiens contribuent à soutenir, à Cuba, ce qui constitue, selon le bilan de GlobalFirepower, la quatrième force militaire au monde.

Autrement dit, l’argent canadien à Cuba ne sert pas à améliorer la vie des citoyens. Il est plutôt utilisé par le régime pour surveiller, persécuter et réprimer les journalistes, les défenseurs des droits de la personne et les opposants au régime.

Dans le contexte mondial actuel, le fait de partir en vacances et de faire des investissements à Cuba équivaut à soutenir un régime qui utilise tous les médias contrôlés par l’État pour reproduire les tactiques de désinformation du Kremlin sur l’invasion de l’Ukraine.

En agissant ainsi, nous aidons le régime cubain à participer activement à une guerre hybride consistant à fabriquer de la désinformation qui contribue à justifier l’invasion de l’Ukraine par Poutine et à camoufler la responsabilité du régime russe dans la perpétration de crimes de guerre odieux contre des enfants et la population civile.

Le Canada doit garder à l’esprit que des pays comme Cuba, le Venezuela et le Nicaragua sont impliqués dans le mouvement d’agression contre l’Ukraine. Le leadership que le Canada peut exercer pour soutenir les droits de la personne et la démocratie à Cuba est vital plus que jamais.

L’augmentation du nombre de régimes autoritaires dans le monde représente le plus grand défi de notre époque. Je vous exhorte donc, chers collègues, à vous ranger du bon côté de l’histoire et à établir un précédent historique au Canada en adoptant cette motion par solidarité avec le peuple cubain qui aspire, pour la première fois en six décennies, à vivre dans un pays libre, démocratique et inclusif, des choses que nous tenons pour acquises.

Le Canada ne peut pas continuer de blanchir l’image de la dictature cubaine. Il est moralement discutable que nous continuions de passer nos vacances à Cuba et d’y investir, tout en ignorant le fait que le régime qui dirige ce pays est le plus grand geôlier des Amériques, avec plus de 1 000 prisonniers politiques mourant dans les prisons de l’île.

Cuba vit actuellement une période historique unique parce que, pour la première fois en plus de six décennies, une nouvelle génération de jeunes a commencé à réclamer ses droits publiquement, pacifiquement et résolument.

Cette rébellion démocratique naissante a besoin du soutien et de la solidarité de la communauté internationale pour réussir. Le peuple cubain, les mères des centaines de prisonniers politiques et la population sans défense réclament l’aide et la solidarité de la communauté internationale. Le Canada doit écouter les revendications spontanées et légitimes formulées par les Cubains dans les villes et les villages de ce beau pays le 11 juillet 2021.

Leurs manifestations pacifiques ont fait clairement savoir au régime illégitime qui s’impose au pouvoir que son heure a sonné. Comme il l’a fait à l’encontre de 21 autres régimes autoritaires dans le monde, le Canada devrait imposer des sanctions à tous les individus du régime cubain responsables de la persécution, des coups et de la torture subis par les manifestants du 11 juillet et tous ceux qui ont pacifiquement manifesté à d’autres dates pour réclamer la démocratie à Cuba.

C’est pourquoi je vous appelle à vous ranger du côté du peuple cubain, et non du régime cubain, à vous ranger du côté de la liberté, de la démocratie et des droits de la personne. Il me semble que c’est une question chère à cette institution et chère aux Canadiens. Je crois qu’il est important pour nous de prendre position et de veiller à ce qu’ils sachent que nous sommes à l’écoute. Nous surveillons ce qui se passe. Nous les entendons. Nous serons à leur côté.

Je vous remercie, chers collègues.

Longue vie à un Cuba libre. Patria y Vida.

Merci beaucoup.

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