La Loi sur la citoyenneté
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture
6 novembre 2025
Propose que le projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (2025), soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, j’aimerais commencer en soulignant que nous sommes réunis aujourd’hui sur le territoire traditionnel et non cédé du peuple algonquin anishinaabe. Nous sommes reconnaissants de vivre et de travailler sur ces terres, et nous devons continuer à réfléchir à la manière dont nos lois, y compris les lois sur la citoyenneté, sont façonnées par nos responsabilités communes.
Chers collègues, il est intéressant de noter que nous examinons le projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (2025), qui traite du rétablissement et de l’acquisition de la citoyenneté canadienne, au moment même où le Sénat examine le projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens en ce qui concerne les nouveaux droits d’inscription.
Alors qu’aujourd’hui nous nous préoccupons de rétablir les droits et les privilèges liés à la citoyenneté canadienne par filiation, nos collègues du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones étudient une loi qui traite de certaines des inégalités qui subsistent dans les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives à l’inscription et à l’appartenance à une bande. Ces deux lois concernent le droit d’appartenance, l’identité.
Je suis Néo-Écossaise et j’ai passé une grande partie de ma carrière à travailler auprès de communautés, au Canada et dans le monde entier. J’ai ainsi pu constater à quel point le sentiment d’appartenance, l’identité et la citoyenneté façonnent la vie des gens. J’ai entendu les récits de familles qui portent le Canada dans leur cœur, qu’elles vivent à Antigonish, à Edmonton, au Botswana ou en Bolivie. Leur expérience nous rappelle que la citoyenneté ne se résume pas à des formalités administratives, qu’elle est aussi une question de liens. Elle constitue à la fois un privilège et un lien profond et, pour ceux dont nous parlons aujourd’hui, c’est en fait un droit.
Pour situer un peu le contexte, je vous invite à retourner en 1947, car la Loi sur la citoyenneté canadienne est entrée en vigueur le 1er janvier 1947. C’est à ce moment que la citoyenneté canadienne a acquis un statut juridique. Avant ce changement, résultat d’une initiative prise après la Seconde Guerre mondiale par le gouvernement du premier ministre William Lyon MacKenzie King, les personnes nées au Canada et les immigrants naturalisés étaient considérés comme des sujets britanniques.
La Loi sur la citoyenneté canadienne reflétait de manière significative le sentiment d’identité nationale qui émergeait au Canada. Le gouvernement espérait aussi que la création d’une citoyenneté canadienne atténuerait les tensions raciales et ethniques qui existaient au pays et qu’elle favoriserait un sentiment d’unité au sein d’une population de plus en plus diversifiée.
Lors de la première cérémonie de citoyenneté canadienne, tenue le 3 janvier 1947, 26 personnes ont reçu leur certificat de citoyenneté canadienne, dont le premier ministre Mackenzie King : il a reçu le certificat numéro 0001.
La Loi sur la citoyenneté canadienne a établi trois façons d’acquérir la citoyenneté canadienne : premièrement, par naissance sur le sol canadien, quand quelqu’un naît au Canada; deuxièmement, par naturalisation, quand quelqu’un immigre au Canada et acquiert le statut de citoyen canadien; et troisièmement, par filiation, quand quelqu’un naît à l’extérieur du Canada, mais obtient sa citoyenneté d’un parent qui est citoyen canadien.
En 1977, une nouvelle loi sur la citoyenneté a été adoptée, et celle-ci a maintenu ces trois moyens d’acquérir la citoyenneté canadienne. Elle a permis de remédier à certains des obstacles à la citoyenneté qui avaient entraîné la perte de la citoyenneté canadienne pour certaines personnes auparavant, mais elle ne les a pas tous éliminés.
Aujourd’hui, nous discutons d’un projet de loi que beaucoup attendaient; il vise à régler des problèmes de longue date dans la Loi sur la citoyenneté du Canada afin qu’elle reflète mieux tant la valeur de la citoyenneté canadienne que la réalité de la vie des familles canadiennes dans notre monde très interconnecté.
Au fil des ans, les modifications apportées à nos lois sur la citoyenneté ont eu des conséquences inacceptables pour des familles canadiennes, en particulier la limite de la première génération introduite en 2009. Depuis, un citoyen canadien né à l’étranger qui a acquis la citoyenneté par filiation ne peut généralement pas transmettre la citoyenneté à son enfant si celui-ci est également né à l’étranger. Cela concerne des familles qui ont des liens authentiques avec le Canada, des familles comme la mienne et, je suppose, comme celle de certains de mes collègues sénateurs. Je sais que le sénateur Boehm a deux enfants nés à l’étranger.
Pensons à tous les membres des Forces armées canadiennes dont les enfants sont nés pendant que la famille était en poste en Europe. Pensons aux enfants de diplomates canadiens en poste à travers le monde, de Canadiens qui travaillent pour l’ONU ou pour des ONG internationales, ou de Canadiens qui travaillent pour des multinationales.
Je vais maintenant vous raconter une histoire personnelle. Le 8 avril 1982 — je vous amène avec moi au jour de mon accouchement — à la lumière d’une lanterne à kérosène et avec l’aide de deux sages-femmes botswanaises hautement qualifiées à l’hôpital adventiste du septième jour de Kanye, au Botswana, j’ai donné naissance à ma plus jeune fille, Lindelwa Naledi, ou Lindi. Mon mari et moi vivions au Botswana depuis près de deux ans et demi. Je travaillais pour le ministère du Commerce et de l’Industrie en tant que responsable de l’industrie rurale pour le district sud du pays. Notre fille de 6 ans, Emilie, et notre fille de presque 3 ans, Lauren, sont nées au Canada.
À 27 ans, je n’avais aucune idée que les droits de mon nouveau bébé, né cette nuit-là, seraient différents de ceux de ses sœurs nées au Canada. Lindi a obtenu la citoyenneté canadienne en tant que fille de deux Canadiens. Toutefois, lorsqu’elle a donné naissance à ses deux filles à Monterrey, au Mexique, en 2017 et 2019, elle n’avait pas le droit de transmettre sa citoyenneté canadienne à ses enfants, Violetta et Sierra, mes deux plus jeunes petites-filles.
Ces enfants ont obtenu la citoyenneté canadienne par leur père né en Nouvelle-Écosse, et non par leur mère, ma fille. Si son conjoint avait été Mexicain, ou de toute autre nationalité, ils n’auraient pas eu droit à la citoyenneté canadienne, même si leur mère était Canadienne et que sa mère à elle était une sénatrice canadienne.
Ses sœurs, Emilie et Lauren, auraient pu transmettre la citoyenneté à leurs enfants, peu importe le lieu de naissance de ceux-ci, parce que mes deux premiers enfants sont nés au Canada. La question ne s’est finalement pas posée pour elles, puisque mes autres petits-enfants sont nés à Edmonton, Halifax et Antigonish.
Chers collègues, on a trois sœurs — mes trois filles —, toutes Canadiennes, toutes nées de parents canadiens qui, sans le projet de loi C-3, n’ont pas le même droit de transmettre la citoyenneté.
Heureusement, dans l’affaire Bjorkquist, en 2023, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a déclaré inconstitutionnelles des dispositions fondamentales de la limite imposée à la citoyenneté par filiation après la première génération. Elle a estimé que cette limite, telle qu’elle existe actuellement, est incompatible avec la Charte. La cour a suspendu l’application de sa déclaration jusqu’au 20 novembre, une date qui approche à grands pas.
Si nous n’agissons pas d’ici cette date, la décision du tribunal s’appliquera et la citoyenneté par filiation n’aura plus de limite pour beaucoup, tandis que certaines personnes qui ont perdu leur statut de citoyen resteront dans l’incertitude. Voilà pourquoi j’exhorte les sénateurs à faire avancer ce projet de loi le plus rapidement possible. Les personnes qui ont perdu leur statut de citoyen sont celles qui ont perdu leur citoyenneté ou qui n’ont jamais pu l’acquérir en raison de certaines dispositions désuètes de l’ancienne législation sur la citoyenneté.
Le projet de loi C-3 est une réponse raisonnable à la décision de la cour. Il affirme que le droit à la citoyenneté qu’il confère ne peut être assorti de restrictions arbitraires. Il établit un équilibre important qui garantit un accès équitable et protège la valeur de la citoyenneté canadienne.
Permettez-moi de souligner plusieurs caractéristiques qui témoignent de la clarté et de l’équité de ce projet de loi.
Premièrement, le projet de loi C-3 propose des règles claires pour l’accès à la citoyenneté par filiation à partir de maintenant. À l’avenir, dans les cas où le parent canadien est né ou a été adopté à l’étranger, son enfant né ou adopté à l’étranger pourra accéder à la citoyenneté à condition que le parent ait un lien substantiel avec le Canada. Ce lien substantiel est démontré par une présence physique au Canada pendant 1 095 jours, soit trois ans, cumulés avant la naissance ou l’adoption de l’enfant.
Le gouvernement a choisi cette approche parce qu’elle est similaire à l’exigence de présence physique de 1 095 jours pour la naturalisation. Elle reconnaît que les Canadiens nés à l’étranger peuvent avoir établi un lien avec le Canada et que ce lien peut être maintenu alors que la personne poursuit des occasions à l’étranger, comme le font de nombreux Canadiens.
Par exemple, un Canadien né à l’étranger peut passer la majeure partie de son enfance au Canada, choisir de venir y étudier ou accumuler du temps dans le pays en rendant visite à des membres de sa famille ou en s’occupant d’eux.
Deuxièmement, la mesure législative comble des écarts historiques comme celui dont je parlais. Si elle est adoptée, elle accorderait la citoyenneté au-delà de la première génération à toute personne née à l’étranger d’un parent canadien avant l’entrée en vigueur de ce projet de loi. La mesure se serait appliquée à mes petits-enfants nés au Mexique de ma fille née au Botswana s’ils n’avaient pas eu un père né au Canada.
Elle s’appliquerait à certains de mes amis qui vivent à Washington et probablement à des amis de bon nombre d’entre vous. Mon amie Annie est Canadienne par sa mère. Ses deux enfants sont nés aux États-Unis, tout comme elle. Ses enfants ne peuvent pas obtenir automatiquement la citoyenneté canadienne, à cause de la disposition limitant la transmission de la citoyenneté à la première génération. Si le projet de loi C-3 est adopté, ses enfants auraient droit à la citoyenneté canadienne.
Il rétablirait également la citoyenneté des personnes qui l’avaient perdue en raison de la règle des 28 ans, qui est maintenant abrogée. Cette règle précisait que des citoyens canadiens nés à l’étranger perdraient leur citoyenneté s’ils ne demandaient pas de la conserver avant l’âge de 28 ans, comme l’exigeait à l’époque l’article 8 de la Loi sur la citoyenneté.
Cela comprend les personnes qui se considéraient comme des Canadiens à tous les égards ou qui ont perdu leur citoyenneté à leur insu. Le projet de loi C-3 fait en sorte que la loi tienne enfin compte de cette réalité.
Troisièmement — et ceci est un aspect important —, le projet de loi maintient le cadre offrant une voie d’accès à la citoyenneté semblable pour les familles qui adoptent des enfants à l’étranger. Ainsi, avant l’entrée en vigueur du projet de loi, les familles auront une voie d’accès direct à la citoyenneté — je parle de l’autre voie, celle de la naturalisation — pour tous les enfants adoptés par un parent canadien. Après l’entrée en vigueur de la loi, elles y auront accès à condition que le parent canadien, qui est né ou a été adopté à l’étranger également, ait cumulé les trois années de présence effective requises au Canada. Cela permettra d’harmoniser l’approche pour les enfants nés et adoptés à l’étranger.
Quatrièmement, le projet de loi C-3 prévoit l’accès à un processus simplifié pour les personnes qui pourraient automatiquement obtenir la citoyenneté canadienne grâce à ces changements, mais qui ne souhaitent pas la conserver, notamment dans certains cas où la double citoyenneté pourrait entrer en conflit avec les lois d’un autre pays.
Nous avons entendu des préoccupations selon lesquelles le projet de loi C-3 pourrait créer des centaines de milliers de nouveaux citoyens, ce qui pourrait exercer des pressions sur les services sociaux.
Personne ne peut prédire avec précision combien de personnes deviendront citoyennes grâce au projet de loi C-3, car le Canada n’a pas recensé les naissances à l’étranger depuis 1977. L’adhésion à ce programme dépendra également des choix personnels futurs : où les Canadiens auront des enfants, s’ils en auront ou pas, combien ils en auront et si ces nouveaux citoyens choisiront de demander une preuve de citoyenneté.
Ce que nous savons, c’est qu’entre janvier 2024 et juillet 2025, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a reçu un peu plus de 4 200 demandes d’attribution discrétionnaire de citoyenneté dans le cadre de la mesure provisoire destinée aux personnes touchées par la restriction de la citoyenneté par filiation à la première génération. Depuis que le gouvernement a introduit les modifications précédentes en 2009 et en 2015, environ 20 000 personnes qui ont perdu la citoyenneté canadienne ont présenté une demande pour obtenir une preuve de citoyenneté. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a reçu moins de 2 400 demandes par année de la part de personnes qui ont perdu la citoyenneté canadienne au cours des années les plus chargées après l’entrée en vigueur des modifications apportées pendant cette période.
Sur la base de ces éléments, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada prévoit aujourd’hui des volumes de l’ordre de plusieurs dizaines de milliers de demandes au fil du temps, et non de plusieurs centaines de milliers.
En ce qui concerne la question du coût pour le Canada, il est vrai que toute personne qui obtient la citoyenneté en vertu du projet de loi C-3 aura le droit, comme tout autre citoyen, d’accéder aux programmes ou services gouvernementaux auxquels elle est admissible. C’est là le point essentiel : auxquels elle est admissible.
Il est important de noter que chaque programme ou service, qu’il soit fédéral ou provincial, a ses propres critères d’admissibilité. Ces critères peuvent inclure l’âge, le niveau de revenu, la déclaration de revenus, la résidence au Canada, ou la résidence dans une province ou un territoire donné pendant une période déterminée. Ils ne dépendent pas uniquement du fait qu’une personne ait ou non la citoyenneté.
Toute personne qui présente une demande pour un programme ou service donné doit satisfaire à tous les critères pertinents pour pouvoir bénéficier de ce programme ou service, comme tout autre Canadien.
Nous avons également entendu suggérer que la loi devrait imposer des vérifications de sécurité aux personnes qui obtiennent la citoyenneté au titre des dispositions du projet de loi C-3 — un groupe qui, je tiens à le souligner, se compose en grande partie d’enfants à faible risque — ou que ces personnes devraient réussir un examen pour établir qu’elles maîtrisent une des langues officielles du Canada.
L’obtention de la citoyenneté par filiation n’a jamais exigé de vérification de la sécurité, des antécédents criminels ou des compétences linguistiques, et cela ne change pas avec le projet de loi C-3, conformément aux modifications apportées par le gouvernement à la citoyenneté par filiation en 2009 et 2015.
Le projet de loi C-3 porte sur la citoyenneté. Il ne s’agit pas d’une loi sur l’immigration. En tant que sénateurs, nous avons le devoir de veiller à ce que nos lois sur la citoyenneté soient équitables, inclusives et reflètent la réalité des familles canadiennes, au pays et partout dans le monde. Le Sénat s’est souvent réuni pour examiner avec soin et pragmatisme des questions complexes et de longue date. Le projet de loi C-3 est précisément une de ces questions.
Je tiens également à saluer le travail préparatoire qui nous a amenés à ce stade. Au fil du temps, le Parlement a voulu remédier au problème et ouvrir l’accès à la citoyenneté pour les personnes touchées par la limite de la première génération, notamment lorsqu’il a étudié sérieusement le projet de loi S-245 et l’ancien projet de loi C-71 en comité, ce qui a donné lieu à des contributions utiles.
Le présent projet de loi s’appuie sur ces travaux pour proposer une solution complète et tournée vers l’avenir, qui rétablit ce qui a été perdu et donne accès à la citoyenneté à ceux qui ont un lien authentique avec le Canada.
Le projet de loi C-3 établit un cadre qui est conforme aux règles de longue date concernant la citoyenneté par filiation, qui évite les obstacles inutiles et qui répond aux préoccupations légitimes au moyen de données probantes plutôt que des conjectures.
Mon travail à divers endroits dans le monde m’a permis de constater les bienfaits que procurent des lois claires, équitables et empreintes de compassion. Ce projet de loi nous donne l’occasion de veiller à ce que notre cadre d’accès à la citoyenneté ne divise pas arbitrairement les familles canadiennes et à ce qu’il tienne compte des liens authentiques avec le Canada de manière pratique et respectueuse des principes établis.
Chers collègues, la date limite qui nous est imposée est réelle et nous avons la responsabilité, en tant que parlementaires, de corriger certaines injustices historiques. Les personnes privées à tort de la citoyenneté canadienne qui y auraient enfin accès grâce au projet de loi C-3 n’en ont pas été privées à cause de leur comportement ou de celui de leurs parents. Je vous exhorte à adopter le projet de loi C-3 afin qu’il puisse être renvoyé sans délai au comité.
Merci, Wela’lioq.
La sénatrice Coyle accepterait-elle de répondre à une question?
Bien sûr.
Je vous remercie infiniment d’avoir accepté de parrainer ce projet de loi et, surtout, d’avoir également parlé du projet de loi S-2 dans votre introduction. Je tiens à préciser que le projet de loi S-2 ne règle pas la question de l’exclusion après la deuxième génération pour les femmes des Premières Nations du pays. J’espère que nous aurons votre appui, car certaines modifications pourraient tenir compte de ce que le projet de loi C-3 propose pour les familles nées à l’extérieur du Canada. Je tenais simplement à le préciser.
Je pense que ce n’était pas une question.
Sénatrice Coyle, je vous remercie de votre intervention très instructive. Comme le projet de loi vient d’arriver au Sénat aujourd’hui, je n’ai pas encore eu l’occasion de l’examiner en détail. Pourriez-vous m’éclairer sur les mesures de sécurité relatives à ces Canadiens de la génération suivante quand ils viendront dans notre pays? Autrement dit, si je vous ai bien compris — et corrigez-moi au besoin —, l’enfant né d’une personne qui aurait passé trois ans au Canada obtiendrait la citoyenneté canadienne. J’en déduis que la personne pourra automatiquement venir au Canada à n’importe quel moment de sa vie. Y aura-t-il des contrôles de sécurité avant que cette personne n’arrive ici pour passer ses trois ans? Savez-vous comment cela fonctionnera?
J’essaie de bien comprendre le scénario que vous proposez. Il y a deux choses. Nous tentons de corriger la situation pour les gens qui ont été privés de la citoyenneté à cause de la règle d’exclusion après la première génération qui continuera de s’appliquer jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi. Je pense à des personnes comme ma fille, par exemple, et ses enfants. Pour elle, ce n’est pas un problème, car elle a passé beaucoup de temps au Canada. Franchement, ce n’est un problème pour aucun d’entre eux : on ne peut pas imposer quelque chose rétroactivement. On ne peut pas imposer cette exigence de trois ans à des personnes qui ne savaient pas que c’était une exigence. C’est la première chose que je dirais.
Je crois que vous faites référence au fait qu’à partir de maintenant, les parents doivent prouver qu’ils ont un lien substantiel avec le Canada. Il s’agit d’une période de trois ans, peu importe le moment, avant la naissance ou l’adoption d’un enfant auquel ils souhaitent transmettre leur citoyenneté. Il s’agit d’un citoyen canadien qui transmet sa citoyenneté à son enfant. L’enfant n’obtiendrait la citoyenneté que si le parent satisfait à ce critère de lien substantiel. L’enfant n’aurait pas à se soumettre à une vérification de sécurité.
Mes enfants, qui sont citoyens, n’ont pas à passer de vérifications de sécurité. Vos enfants n’auraient pas à le faire non plus. Ce sont des citoyens canadiens. Si vous avez satisfait à ce critère, vous êtes un citoyen canadien comme les autres.
J’aimerais simplement obtenir une précision, si j’ai bien compris, si ma fille était née au Canada et avait ensuite eu un enfant en Suisse, celui-ci aurait automatiquement obtenu, en vertu de cette mesure législative, la citoyenneté canadienne. Cet enfant pourrait alors venir d’office au Canada après avoir passé 50 ans de sa vie en Suisse, car il serait un citoyen canadien. Cependant, au cours de ces 50 années passées en Suisse — j’ai choisi la Suisse sans raison particulière —, il pourrait avoir eu un lourd casier judiciaire, mais cela n’aurait aucune incidence sur sa capacité à entrer au Canada. Ai-je raison?
Cela dépend. En effet, il n’y aurait pas de test pour vérifier les antécédents criminels.
Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture à titre de porte-parole pour le projet de loi C-3, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté.
Ce projet de loi, qui avait été présenté sous le numéro C-71 pendant la dernière législature, vise à donner suite à la décision rendue par la Cour supérieure de l’Ontario dans l’affaire Bjorkquist et al. c. Attorney General of Canada, communément appelée l’affaire des Canadiens perdus.
Avant d’entrer dans les détails du projet de loi C-3, il est important de prendre un peu de recul pour comprendre comment, une fois de plus, le manque de préparation du gouvernement crée une situation d’urgence au Sénat, ce qui signifie qu’un projet de loi est traité à toute vitesse et que l’idée d’un second examen objectif est balayée du revers de la main.
Rendue en décembre 2023, la décision Bjorkquist aborde la constitutionnalité de l’« inapplicabilité après la première génération » prévue à l’alinéa 3(3)a) de la Loi sur la citoyenneté. La cour a déclaré cette disposition inconstitutionnelle en vertu de l’article 15 de la Charte des droits et libertés. Elle a suspendu sa déclaration d’invalidité pour six mois — jusqu’au 19 juin 2024 — afin de donner au Parlement le temps de réagir.
Bien qu’il s’agisse d’une décision importante, elle n’a pas été rendue par une cour d’appel ni par la Cour suprême du Canada. Le gouvernement fédéral avait plusieurs options. Il aurait pu demander des éclaircissements ou un réexamen à une juridiction supérieure, comme le font souvent les gouvernements lorsque des questions constitutionnelles touchent à des politiques nationales fondamentales comme celles qui concernent la citoyenneté. Il aurait pu interjeter appel auprès de la Cour d’appel de l’Ontario ou même faire un renvoi à la Cour suprême du Canada : ces démarches auraient fourni des orientations au Parlement et lui auraient permis de légiférer en s’appuyant sur une base constitutionnelle solide.
Il existe un précédent clair à cet égard. Quand des questions fondamentales de politique nationale se posent, les gouvernements cherchent à obtenir des éclaircissements auprès des tribunaux supérieurs avant de légiférer. Par exemple, dans l’affaire Carter c. Canada, le gouvernement en a appelé de la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique — un tribunal du même niveau que celui qui a statué dans l’affaire Bjorkquist —, qui avait invalidé la disposition du Code criminel interdisant le suicide assisté, une question ayant de profondes implications constitutionnelles et morales.
La décision finale de la Cour suprême a fourni des lignes directrices nationales et a permis de garantir que la réponse du Parlement reposait sur un cadre constitutionnel bien établi. En revanche, dans l’affaire Bjorkquist, le gouvernement a choisi de ne pas interjeter appel. Ainsi, le Parlement doit légiférer sans bénéficier des éclaircissements fournis par une cour d’appel ou la Cour suprême.
La décision de ne pas interjeter appel a donné le ton à tout ce qui a suivi. En renonçant à interjeter appel, le gouvernement a privilégié l’opportunisme plutôt que la clarté, et la politique plutôt que la prudence. Ce qui aurait dû être un moment de réflexion juridique et politique approfondie s’est transformé en une course contre la montre auto-imposée pour faire avancer la vision idéologique du gouvernement en matière de citoyenneté. Ce faisant, le gouvernement a limité la capacité du Parlement à examiner correctement la question et il a renforcé l’impression que les délais judiciaires sont utilisés comme prétextes pour faire adopter à la hâte des projets de loi complexes sans délibération adéquate.
Nous avons déjà observé cette tendance auparavant. Lors du débat sur le projet de loi C-7 au cours de la dernière législature, qui modifiait le Code criminel pour élargir l’accès à l’aide médicale à mourir, le gouvernement avait également invoqué le délai imposé par les tribunaux pour justifier la limitation du débat et l’accélération de l’adoption du projet de loi.
Au lieu d’interjeter appel de la décision Truchon de la Cour supérieure du Québec afin d’obtenir des éclaircissements, il a immédiatement accepté cette décision et a utilisé le délai imposé par la Cour pour comprimer l’examen parlementaire sur une question d’une grande importance éthique et constitutionnelle. Ce précédent a révélé une habitude troublante : traiter les délais judiciaires non pas comme des garde-fous pour la justice, mais comme des outils permettant de fabriquer de toutes pièces une situation d’urgence politique.
Le même réflexe se manifeste dans le cas du projet de loi C-3.
À maintes reprises, le gouvernement a montré qu’il n’était pas disposé à accorder la priorité à ce projet de loi. Ayant raté sa première date butoir, le 19 juin 2024, il a demandé de multiples prolongations, dont la plus récente — une cinquième — arrive à échéance le 20 novembre 2025. Maintenant, deux semaines avant cette date, alors qu’il ne reste que quatre jours de séance, on demande au Sénat d’approuver le projet de loi, et non d’en débattre.
Le projet de loi C-3 étend l’obtention automatique de la citoyenneté aux personnes de deuxième génération et au-delà nées à l’étranger, même si elles peuvent avoir un lien limité ou non tangible avec le Canada. Cet élargissement général risque de créer de nouvelles incertitudes et incohérences plutôt que de simplement remédier à l’inégalité particulière relevée par la cour.
Ce qui est peut-être le plus inquiétant, c’est la façon dont le gouvernement a traité la décision de la cour, c’est-à-dire non pas comme une directive à l’intention du Parlement, mais comme une justification pour faire adopter à la hâte un projet de loi complexe sans la rigueur du processus approprié.
Dans notre système parlementaire, le respect des procédures régulières n’est pas une formalité, mais une garantie. Il permet de s’assurer que les projets de loi sont examinés, remis en question et améliorés avant d’être adoptés. Lorsqu’un gouvernement utilise une échéance imposée par les tribunaux — ou toute autre échéance — pour limiter les délibérations du Parlement, il compromet les principes mêmes de transparence et de responsabilité qui confèrent à cette institution sa légitimité.
Nous n’en sommes qu’au début de la 45e législature, et déjà le premier ministre Carney fait preuve du même mépris et des mêmes réflexes que son prédécesseur à l’égard du processus parlementaire. Au lieu de laisser aux deux Chambres le temps nécessaire pour mener un débat constructif, entendre les témoignages d’experts et réfléchir mûrement, le gouvernement fait pression sur le Sénat pour que le projet de loi soit adopté rapidement afin de respecter une échéance.
Ce qui aurait dû être une occasion de collaboration et d’examen minutieux s’est plutôt transformé en un exercice de précipitation au sein de l’exécutif. La séance d’information technique qui s’est tenue aujourd’hui de 12 h 35 à 13 h 15, et qui s’est terminée juste au moment où la sonnerie retentissait pour convoquer les sénateurs, en est un exemple évident. Cette programmation ne laissait que deux heures entre la séance d’information, le débat sur ce projet de loi, qui concerne directement la définition et la transmission de la citoyenneté canadienne, et le vote à l’étape de la deuxième lecture. Une telle approche laisse peu de place à une préparation minutieuse ou à une discussion éclairée. Examiner des mesures aussi importantes dans de telles conditions vient entraver plutôt que renforcer la capacité du Sénat à exercer un véritable second examen objectif. Précipiter l’adoption d’un projet de loi complexe est contraire à l’intérêt public; cela ne sert que l’échéancier du gouvernement.
Le rôle du Sénat n’est pas de suivre aveuglément le calendrier du gouvernement, mais de respecter le devoir d’examen du Parlement. Le Sénat n’a jamais été conçu pour fournir une approbation servile à l’exécutif; il a été créé pour effectuer un second examen objectif, surtout lorsqu’un projet de loi touche à quelque chose d’aussi fondamental que notre identité, c’est-à-dire notre citoyenneté.
Si précipiter l’étude en comité, limiter le débat et traiter la date limite fixée par la cour comme une épée de Damoclès représente un second examen objectif du projet de loi pour le gouvernement, alors il a mal compris le rôle de cette institution. Un véritable examen minutieux exige de la patience, un débat approprié et le respect du processus, toutes des choses qui, oui, demandent parfois du temps, mais dont le projet de loi C-3 n’a pas bénéficié et ne bénéficiera pas au Sénat.
Essentiellement, le projet de loi C-3 étend la citoyenneté automatique par filiation aux enfants de deuxième génération nés à l’étranger et instaure une nouvelle exigence selon laquelle un parent doit avoir été physiquement présent au Canada pendant au moins 1 095 jours, soit environ 3 ans, au cours de sa vie, avant la naissance ou l’adoption de l’enfant afin de lui transmettre la citoyenneté.
De plus, le projet de loi redonne la citoyenneté aux Canadiens dépossédés, qui l’ont perdue ou ne l’ont jamais obtenue en vertu des dispositions antérieures de la loi. Bref, le projet de loi C-3 élargit le groupe de personnes qui peuvent automatiquement hériter de la citoyenneté canadienne tout en établissant un critère de présence physique limité pour ceux qui la transmettent.
Le projet de loi définit un « lien substantiel » avec le Canada comme étant 1 095 jours cumulatifs — environ 3 ans — de présence physique au Canada avant la naissance ou l’adoption d’un enfant à l’étranger. Comme ces trois années peuvent être accumulées à n’importe quel moment de la vie d’une personne, un parent n’a pas besoin d’être né au Canada pour transmettre sa citoyenneté. Par conséquent, la citoyenneté serait désormais multigénérationnelle, car les parents n’auraient plus besoin d’être nés au Canada.
Cela pourrait permettre à une famille vivant de façon permanente à l’extérieur du Canada, et dont plusieurs générations sont nées à l’extérieur du pays, d’obtenir la citoyenneté canadienne.
Le comité de la Chambre des communes chargé d’étudier le projet de loi y a apporté des amendements, qui visaient à renforcer ce cadre en précisant que les trois ans de présence physique devaient être accumulés au cours d’une période de cinq ans précédant la naissance ou l’adoption de l’enfant. C’était un amendement raisonnable qui reflétait les structures existantes dans la Loi sur la citoyenneté, telles que les exigences de résidence pour la naturalisation, et qui aurait assuré la cohérence et la clarté.
En exigeant que ces trois années se situent dans une période de cinq ans, le Parlement aurait maintenu une norme claire et familière de lien actuel et démontrable. Pourtant, le gouvernement a décidé de rejeter tous les amendements adoptés par le comité de l’autre endroit, et ce, même s’ils étaient conformes aux principes de la loi et qu’ils renforçaient le projet de loi à l’étude.
De plus, accorder automatiquement la citoyenneté à des personnes qui n’ont que peu ou pas de liens durables avec le Canada risque de nuire à la cohérence de la loi. La Loi sur la citoyenneté cherche depuis longtemps à trouver un équilibre entre équité et lien tangible, ce qui donne à la citoyenneté à la fois un sens et une stabilité.
Quand la politique va trop loin dans le sens d’un droit automatique sans garantir un lien démontrable avec le pays, cet équilibre commence à s’affaiblir. La citoyenneté a toujours reflété un équilibre entre les responsabilités de l’État et la participation de sa population. Elle ne se limite pas à un passeport ou à un morceau de papier; c’est un engagement envers un lieu, une communauté et une réciprocité. Lorsque nous l’élargissons de manière générale, sans aucune attente en matière de participation ou d’obligation partagée, nous risquons non seulement d’en diluer la signification juridique, mais aussi son objectif civique.
Il convient de rappeler, chers collègues, que les gouvernements précédents ont relevé des défis similaires. En 2006, pendant le conflit au Liban, le Canada a entrepris l’une des plus importantes évacuations de ressortissants canadiens de son histoire. Il a transporté par avion, vers un lieu sûr, des dizaines de milliers de citoyens et de personnes ayant la double nationalité. Cette opération extraordinaire a également soulevé des questions difficiles concernant les liens, la résidence et les obligations qui accompagnent la citoyenneté, des préoccupations largement débattues à l’époque relativement à la « citoyenneté de convenance ». Plutôt que d’ignorer les leçons à tirer de cet épisode, le gouvernement a compris qu’il était nécessaire d’adopter une approche équilibrée qui respecte à la fois la mobilité et la responsabilité.
Sous le premier ministre Stephen Harper, le Parlement a cherché à atteindre cet équilibre au moyen d’une réforme législative concrète. En 2009, le projet de loi C-37 a rétabli la citoyenneté des personnes qui l’avaient perdue en vertu des anciennes règles de conservation et a veillé à ce qu’elle puisse être automatiquement transmise à la première génération née à l’étranger, une solution qui respectait l’équité sans ouvrir la porte indéfiniment.
Plus tard, en 2014, le projet de loi C-24 a modernisé le serment, renforcé les responsabilités qui accompagnent la citoyenneté et traité des cas de fraude ou de fausse déclaration. Ces changements ont renforcé la confiance dans le système en faisant de l’obtention de la citoyenneté un geste significatif, délibéré et responsable.
Les conservateurs ont toujours appuyé les efforts qui visent à corriger les injustices subies par les Canadiens ayant perdu leur citoyenneté, ceux qui, en raison de dispositions désuètes comme l’ancien article 8 de la Loi sur la citoyenneté, ont été dépossédés de leur citoyenneté ou se sont vu refuser la citoyenneté pour des raisons indépendantes de leur volonté. Les gouvernements successifs ont reconnu cette injustice, et les députés conservateurs ont appuyé les solutions ciblées permettant de rétablir la citoyenneté des personnes injustement touchées. Voilà, chers collègues, une voie équilibrée, ancrée dans l’équité, la clarté et le respect à la fois pour la personne et pour l’institution qu’est la citoyenneté.
En revanche, le projet de loi C-3 s’éloigne de cette tradition. Au bout du compte, chers collègues, la citoyenneté ne devrait jamais être traitée comme une chose qu’on accorde à la légère. C’est bien plus qu’un statut juridique; c’est un engagement commun qu’il faut protéger par des normes claires et des mesures significatives. La citoyenneté est, essentiellement, un contrat social, une relation entre l’État et l’individu qui se fonde à la fois sur des droits et des responsabilités. Elle reflète non seulement ce que l’État doit à ses citoyens, mais aussi ce que les citoyens doivent aux valeurs, aux institutions et aux traditions qui unissent notre pays.
Honorables sénateurs, bien que nous soyons conscients de la réalité juridique actuelle, notamment la suspension de l’invalidité par la cour et l’incertitude que le non-respect du délai aurait créée pour les familles à l’étranger et pour les fonctionnaires chargés de l’administration de la citoyenneté, cela n’excuse pas l’approche du gouvernement. Nous avons appuyé la motion de procédure visant à permettre au Sénat de respecter le délai fixé par la cour, non pas pour cautionner la précipitation du gouvernement, mais pour respecter la responsabilité du Parlement et la primauté du droit.
Il n’en demeure pas moins que le gouvernement a privilégié une approche idéologique plutôt qu’un travail méthodique. Il a choisi la précipitation plutôt que la prudence. Il a pris une décision d’un tribunal et en a fait une vaste entreprise législative sans débat parlementaire approfondi. Bien que nous appuyions certaines dispositions du projet de loi C-3 qui traitent de l’article 8 et corrigent les injustices subies par les personnes qui ont perdu la citoyenneté canadienne et les injustices liées aux adoptions, le projet de loi, dans sa forme actuelle, va bien au-delà des mesures correctives exigées. En rejetant des amendements raisonnables qui auraient renforcé le projet de loi et l’auraient aligné sur les principes déjà énoncés dans la Loi sur la citoyenneté, le gouvernement demande au Sénat d’approuver l’incertitude plutôt que le changement.
Pour ces raisons, honorables sénateurs, nous ne pouvons appuyer le projet de loi C-3 dans sa forme actuelle. Merci.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Une voix : Avec dissidence.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois, avec dissidence.)