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La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition

Projet de loi modificatif--Adoption du trente-cinquième rapport du Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie

11 juin 2019


L’honorable Victor Oh [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du trente-cinquième rapport du Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie, qui porte sur le projet de loi C-83, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et une autre loi.

Ce qui m’inquiète dans le rapport est un peu la même chose que ce qui m’inquiète dans le projet de loi en général, dont la trame tend à minimiser les risques pour la sécurité et les dangers qui existent souvent dans les établissements correctionnels du Canada. Ces dangers menacent à la fois le personnel correctionnel et les détenus.

Permettez-moi de citer quelques statistiques. Selon le Bureau de l’enquêteur correctionnel, 80 p. 100 des délinquants de sexe masculin ont des problèmes d’alcoolisme ou de toxicomanie, et les deux tiers étaient intoxiqués au moment de commettre leur infraction désignée. La gestion de ces délinquants dans les établissements est par conséquent difficile.

Parmi la population totale des délinquants, y compris ceux qui sont incarcérés et ceux qui purgent leur peine hors du milieu carcéral, environ 10 p. 100 sont affiliés à un gang. Dans certaines régions du pays, ce pourcentage est encore plus élevé, ce qui augmente considérablement le risque pour la sécurité dans les établissements, autant pour la sécurité du personnel que celle des détenus.

Évidemment, dans mon intervention, je peux seulement donner un aperçu des risques pour la sécurité. Il n’en demeure pas moins que les établissements fédéraux sont des endroits dangereux où on trouve toutes sortes de personnes qui, dans bien des cas, ont commis d’horribles crimes. Je le dis avec le cœur lourd, surtout que, cette semaine, nous allons nous pencher sur les cas de bestialité, au Comité des affaires sociales. Je crains que le projet de loi ne soit une réponse à des pressions du système judiciaire. Je doute fort qu’il puisse rendre nos établissements plus sécuritaires.

Lorsque Jason Godin, représentant du Syndicat des agents correctionnels du Canada, a témoigné devant le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, il y a quelques mois, il a dit ceci :

[...] le projet de loi C-83 vise aussi à modifier la manière dont est géré le segment le plus difficile de la population carcérale. Les détenus vivant dans les unités d’intervention structurée auront l’occasion d’interagir avec les autres détenus pendant au moins deux heures, ainsi que le droit de passer quatre heures à l’extérieur de leur cellule. Malgré les bonnes intentions qui inspirent ces changements, ces derniers ne sont pas réalisables avec le nombre actuel d’employés et les infrastructures existantes.

M. Godin représente les employés de ces établissements. Ces gens ont des connaissances et une expérience de première main. Ce sont eux qui devront composer avec les mesures qui seront mises en place par le projet de loi C-83. Je précise que le rapport du comité sur le projet de loi aborde à peine les questions soulevées par M. Godin.

Le plus surprenant, c’est que M. Godin a affirmé devant le comité que l’application de politiques d’isolement plus libérales en 2017 avait déjà provoqué la mort de détenus. Plus précisément, voici ce qu’il a dit :

Bon nombre des détenus actuellement placés en isolement le sont pour leur propre protection puisqu’ils sont extrêmement vulnérables. Si on veut leur assurer le degré d’interaction exigé dans le projet de loi, il faudra qu’un nombre déjà limité d’agents correctionnels exercent sur ces détenus une surveillance directe et constante. Inversement, l’incapacité de gérer des détenus incompatibles mènera à des tragédies comme celles vécues dans l’établissement Archambault et l’établissement de Millhaven, où des détenus ont été assassinés lors d’événements distincts survenus au début de 2018.

Je sais que la sénatrice Poirier a posé une question sur le sujet au ministre Goodale, mais je ne crois pas qu’elle a reçu une réponse satisfaisante. Cet enjeu est-il soulevé dans le rapport du comité? Non, il ne l’est pas. Honorables collègues, je dois dire que je suis troublé par le projet de loi et le rapport du comité.

À mon avis, le projet de loi et le rapport sont fondés sur des illusions. Malheureusement, ce sont les membres du personnel correctionnel et, de façon plus tragique, les délinquants qui risquent de souffrir des répercussions de la mesure législative et de ses dispositions. Le gouvernement ne s’engage pas fermement à défendre d’abord la sécurité des établissements canadiens. De notre point de vue, ce devrait être la grande priorité du pays. Pour cette raison, je dois m’opposer au rapport et au projet de loi.

Merci.

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole encore une fois aujourd’hui à l’étape du rapport du projet de loi C-83, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et une autre loi.

Ce projet de loi est porteur de conséquences graves et toujours incalculables en ce qui concerne non seulement la sécurité des employés du Service correctionnel du Canada, mais aussi celle du public canadien et, bien entendu, celle des victimes.

Je tiens à souligner tout d’abord qu’il est inacceptable qu’un comité étudie un projet de loi aussi important sans inviter aucune victime; en effet, même l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels du Canada n’a pas été invitée à comparaître devant le comité.

Les Canadiens ne s’attendent qu’à une chose relativement à leur sécurité, soit un service correctionnel qui les protège et qui réhabilite ceux et celles qui veulent vraiment être réhabilités. Pensez-y un instant; ce projet de loi aura un impact sur la libération des détenus fédéraux incarcérés pour des peines de plus de deux ans. On parle donc de contrevenants qui ont commis des crimes graves, dont les sentences sont purgées dans une prison autre qu’une prison provinciale. Je le répète, aucune victime n’a été invitée à donner son point de vue. Cependant, un témoignage important a été retenu, soit celui de M. Jason Godin, président national sortant du Syndicat des agents correctionnels du Canada. Il représente 7 300 travailleurs qui œuvrent tous les jours, au risque de leur santé, au sein du système carcéral canadien. Les agents correctionnels qu’il représente font un travail difficile, mais combien essentiel pour vous, pour moi et pour tout le pays. Il côtoie chaque jour des délinquants reconnus coupables de crimes graves. M. Godin a parlé au nom de ceux qui travaillent pour assurer notre sécurité, et ce, 24 heures sur 24, 365 jours par année. L’adoption de la mesure la « moins restrictive » représente un retour en arrière.

Selon le président du Syndicat des agents correctionnels du Canada, avec le dépôt du projet de loi C-83, et je cite :

[...] le SCC aura encore plus de difficulté à réaliser son mandat, soit exercer une surveillance sécuritaire et humaine sur les populations carcérales.

M. Godin a employé le mot « humaine », car il s’est dit préoccupé par la modification substantielle apportée à ce projet de loi, y compris l’adoption de la mesure la « moins restrictive » possible, qui semble limiter la possibilité de recourir à l’isolement temporaire pour assurer la sécurité d’un détenu ou celle du personnel.

La sécurité du personnel et celle des détenus ne sont-elles pas essentielles si nous voulons protéger le public et réhabiliter les personnes qui veulent vraiment obtenir une deuxième chance? Le président du Syndicat des agents correctionnels souligne avoir été témoin de l’impact inattendu des changements de la politique correctionnelle, notamment la directive correctionnelle DC709 ayant trait à l’isolement préventif. Cette politique, soulignons-le, fait en sorte que l’isolement préventif d’un détenu doit se produire uniquement lorsque ce placement satisfait à des exigences juridiques précises et lorsqu’il constitue la mesure la moins restrictive possible pour atteindre les objectifs de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

Ces mesures, et je cite encore une fois M. Godin :

[...] ont considérablement réduit la possibilité du SCC de gérer ses établissements à l’aide de l’isolement.

M. Godin a ajouté ce qui suit :

Quoique inspirés par de bonnes intentions, ces changements ont mené à une hausse de la violence dans les milieux carcéraux fédéraux. [...] Si on élimine l’isolement préventif et disciplinaire, la capacité de garder le contrôle des diverses populations sera substantiellement touchée.

Il ajoute qu’il faut un équilibre, et j’utilise ses mots :

Nous comprenons que le recours trop fréquent à l’isolement comme mesure disciplinaire peut avoir un résultat négatif.

Tout le monde souscrit à cette prémisse.

Il y a néanmoins des situations où une réponse immédiate à un comportement dangereux est nécessaire.

Il nous dit clairement qu’il faut trouver un équilibre entre la sécurité du public et les droits des détenus. J’aimerais souligner un passage important du témoignage de M. Godin qui traite de l’isolement, qui peut parfois être un outil visant à protéger les détenus contre eux-mêmes, et je le cite de nouveau :

Plusieurs des détenus actuellement placés en isolement le sont pour leur propre protection puisqu’ils sont extrêmement vulnérables.

Pensons par exemple aux personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale. Il y a quelques semaines, j’ai discuté à plusieurs reprises des problèmes de santé mentale dans les pénitenciers fédéraux avec la sénatrice Pate. Dans certaines situations, l’isolement peut servir à protéger les détenus d’individus violents ou encore les protéger contre eux-mêmes, comme le font nos institutions psychiatriques. Je le répète, on ne peut pas analyser ce projet de loi sans prendre en considération la portion élevée de détenus qui souffrent de problèmes de santé mentale dans les pénitenciers.

Dans nos pénitenciers fédéraux, en ce qui a trait aux derniers chiffres à jour, on parle de 40 p. 100 des femmes qui souffrent de troubles mentaux et de 30 p. 100 des hommes. On ne doit pas et on ne peut pas les ignorer. On ne peut pas voir l’isolement comme une mesure disciplinaire permanente. Je pense au pénitencier Archambault, que j’ai visité à deux reprises et qui a une aile de traitement pour les personnes qui souffrent de troubles mentaux. Près de 100 patients y sont traités en continu, et ils sont isolés pour les protéger et protéger le personnel. Dire aux psychiatres que, demain matin, nous interdirons l’isolement pour ces patients, c’est mettre en péril la santé de ces professionnels.

Dans certaines circonstances, les mesures d’isolement facilitent la protection des personnes souffrant de troubles mentaux contre elles-mêmes et contre la violence d’autres détenus. Souvent, ce sont ces détenus qui sont les plus exploités dans les pénitenciers.

En éliminant cet outil qu’est l’isolement, les professionnels auront plus de difficulté à stabiliser leur environnement. Un environnement instable où règnent le désordre et la violence n’est pas propice à la réhabilitation. Cette situation aggrave les problèmes de santé mentale plutôt que de chercher à les réduire. Ce projet de loi va satisfaire les défenseurs des droits des criminels, mais il va mettre en péril la sécurité de nos professionnels.

J’ajouterais que cette loi ne propose pas d’alternatives pratiques pour protéger les détenus souffrant de troubles mentaux. C’est la grande faille de ce projet de loi; il n’offre aucune alternative. C’est la faiblesse la plus irresponsable que nous allons empirer si nous adoptons le projet de loi C-83. Ce projet de loi est, à mon avis, irresponsable; il est détaché de la réalité carcérale et il est dangereux.

La directive correctionnelle DC580 sur les Mesures disciplinaires prévues à l’endroit des détenus est pourtant claire. Elle favorise le bon ordre dans les pénitenciers, au moyen d’un processus disciplinaire qui contribue à la réhabilitation des détenus et à la réussite de leur réinsertion dans la collectivité.

Selon le président du syndicat, afin de respecter les dispositions du projet de loi, les détenus auront besoin d’une surveillance directe et constante de la part d’un nombre limité d’agents correctionnels et de travailleurs de la santé.

En ce qui concerne les unités d’intervention, le comité a aussi parlé de mettre en place des unités d’intervention dites structurées. Le syndicat est préoccupé par la capacité des installations existantes de respecter les critères établis dans le projet de loi C-83. Les critères demeurent flous, comme le disait M. Godin.

Il a déclaré au comité, et je cite :

Si ces changements sont adoptés, l’implantation de changements structurels significatifs sera nécessaire pour continuer à se conformer aux priorités stratégiques cruciales [à l’échelon de l’établissement].

En bref, les établissements ne sont pas actuellement en mesure de faire ces changements. Malgré toutes ces préoccupations, les législateurs se retrouvent avec un grand vide en ce qui a trait à l’information, de même qu’avec un manque de données et une absence d’études. Jason Godin recommande d’effectuer une révision du système disciplinaire avant d’éliminer l’isolement disciplinaire, afin de répondre efficacement aux besoins des détenus au comportement difficile. Il recommande également que l’on s’engage à rendre disponibles 24 heures par jour les soins de santé dispensés par des professionnels de la santé, et ce, dans tous les établissements du Service correctionnel du Canada. Il recommande de bonifier la formation existante et de mettre en place de nouvelles formations pour mieux outiller les agents correctionnels. Tout cela pourrait être fait avant d’adopter ce projet de loi. Nous mettons vraiment la charrue devant les bœufs si nous allons de l’avant avec ce projet de loi.

Honorables sénateurs, avant d’adopter ce projet de loi, j’ose espérer que vous prendrez en considération le fait que des vies humaines sont en jeu. Les victimes ne veulent pas revivre des drames en raison de crimes commis par des délinquants récidivistes. Par conséquent, joignez-vous à moi pour rejeter ce projet de loi.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Sénateur Boisvenu, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Boisvenu [ - ]

Bien sûr.

L’honorable Pamela Wallin [ - ]

Si je vous ai bien compris, en cas de crise, les employés des services correctionnels seraient incapables d’intervenir. Est-ce bien ce que vous avez dit?

Le sénateur Boisvenu [ - ]

Exactement. Il y a deux problèmes actuellement. Les infrastructures des pénitenciers ne sont pas adaptées à la mise en œuvre des nouvelles directives relativement à la surveillance immédiate et constante des criminels.

L’autre problème est que l’isolement, qui sera rendu le moins contraignant possible, fera en sorte que les gens souffrant de problèmes de santé mentale auront droit à quatre heures de sortie par jour dans la cour ou à des sorties de deux heures. Cela fera en sorte qu’ils seront exposés à d’autres criminels tout aussi dangereux. On va mettre en danger ces personnes qui souffrent de maladie mentale, ainsi que la vie des professionnels qui les soignent et celle des gardiens. Si notre système carcéral était dans des conditions idéales pour accueillir ce projet de loi, je dirais que ce dernier est bel et bien l’outil qu’il nous faut. Toutefois, les personnes souffrant de problèmes de santé mentale sont trop nombreuses. On parle de 40 p. 100 chez les femmes et de 30 p. 100 chez les hommes. Or, voilà que l’on met en place ces mesures comme si aucune personne incarcérée ne souffrait de problèmes de santé mentale.

L’honorable Paula Simons [ - ]

Honorables sénateurs, je parlerai aujourd’hui du projet de loi C-83, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et une autre loi.

Pour commencer, j’aimerais féliciter les membres du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie pour la force, la vigueur et le courage avec lesquels ils ont défendu les amendements essentiels qu’il faut apporter à ce projet de loi bien intentionné, mais incomplet.

Ce soir, je tiens à exprimer mon appui à ces amendements, et surtout mon soutien à ceux qui exigent une évaluation de la santé mentale des détenus placés en isolement et la révision judiciaire des cas d’isolement de longue durée. Je veux aussi rappeler que, derrière l’incapacité du système correctionnel à gérer l’isolement de façon humaine, il y a des gens qui souffrent.

J’aimerais vous raconter l’histoire d’Eddie Snowshoe.

À l’époque où j’étais chroniqueuse, j’ai couvert l’affaire Eddie Snowshoe pour l’Edmonton Journal. J’ai écrit sur toutes sortes d’événements terribles au cours de ma carrière de journaliste, mais peu me hantent comme celui-là.

Eddie était membre de la nation Tetlit Gwich’in de Fort McPherson, près de la rivière Peel, dans les Territoires du Nord-Ouest. On peut dire qu’il était perturbé, mais ce n’était pas un criminel endurci.

Le 1er mars 2007, il a cambriolé et blessé un jeune chauffeur de taxi d’Inuvik avec une carabine de calibre .22. Il lui a dérobé 45 $. À peine 15 minutes plus tard, il s’est rendu à la police et il a tout avoué.

« C’était ça ou je m’enlevais la vie », a-t-il dit aux policiers qui l’ont arrêté. « Je voulais me faire prendre. Ma vie n’allait nulle part. »

Eddie Snowshoe a été condamné à près de cinq ans et demi de prison à purger dans un pénitencier. Or, comme il n’y avait pas de ce type d’établissement à Fort McPherson ni à Inuvik, il a été envoyé dans un établissement à sécurité moyenne de Winnipeg, Stony Mountain, à 4 000 kilomètres de là. C’était la première fois qu’il quittait l’Extrême-Arctique.

Loin, très loin de chez lui, culturellement isolé, sans contact avec ses proches et ses amis, il a fait trois tentatives de suicide : en 2007, peu de temps après avoir été incarcéré, en 2008 et encore en 2009. Au début de 2010, après un grave épisode de dépression, Eddie Snowshoe s’est gravement mutilé. Il a été mis sous surveillance préventive.

Quelques semaines plus tard, il s’est fabriqué une sorte de couteau de fortune avec l’intérieur d’une boîte de jus. Il n’a fait de mal à personne et n’a même menacé personne avec le couteau. Il s’est contenté de le brandir, ce qui a été par la suite qualifié « d’incident » dans un rapport et ce qui lui a valu d’être placé pendant 134 jours en isolement préventif, c’est-à-dire en isolement cellulaire pour employer le terme familier. On a infligé 134 jours consécutifs d’isolement à un jeune homme qui souffrait d’une maladie mentale et dont le dossier faisait clairement état d’automutilation et d’idées suicidaires.

Une enquête publique médico-légale a révélé plus tard que le maintien en isolement préventif d’Eddie Snowshoe n’a jamais fait l’objet des réexamens obligatoires prescrits par la loi. On l’a tout simplement enfermé indéfiniment.

J’ose croire qu’aux yeux de la plupart d’entre nous, Eddie Snowshoe avait plutôt besoin d’un traitement médical et de soins psychiatriques. Il avait besoin de contacts humains, et non d’un isolement équivalant à un supplice. Pourtant, Eddie est parvenu à survivre les 134 premiers jours.

Vous voulez connaître la suite? Eh bien, honorables sénateurs, le 15 juillet 2010, Eddie Snowshoe a été transféré dans la prison à sécurité maximale d’Edmonton.

Dès le lendemain, le 16 juillet, Eddie a demandé par écrit à retourner dans la population générale. Le jeune homme à l’esprit perturbé a fait de son mieux pour défendre sa cause. Mais sa demande visant à mettre fin à son isolement a été égarée. Le document n’a été retrouvé que plusieurs mois après la mort du jeune homme.

Même si une infirmière a examiné M. Snowshoe à son arrivée à Edmonton et qu’elle a constaté son historique de tentatives de suicide, il n’y a eu aucun suivi psychologique ou médical, aucune évaluation psychiatrique. D’ailleurs, lors de leur témoignage au cours de l’enquête publique médico-légale menée plus tard, les agents correctionnels ont indiqué qu’ils n’avaient jamais été informés des nombreuses tentatives de suicide d’Eddie.

Son isolement à l’établissement à sécurité maximale d’Edmonton a été approuvé par une directrice adjointe à la veille d’un congé d’un an, ce qui fait qu’elle n’était plus là pour faire le suivi. En outre, Eddie devait avoir un agent correctionnel attitré, mais ce dernier était parti pour les vacances d’été et n’avait donc jamais rencontré Eddie pour qu’il lui raconte son histoire.

Quel a été le résultat? Absolument personne à l’établissement à sécurité maximale d’Edmonton n’a réalisé depuis combien de temps le nouveau détenu était en isolement.

Dans son rapport d’enquête publique médico-légale, le juge de la Cour provinciale de l’Alberta James Wheatley a résumé la situation ainsi :

Edward Christopher Snowshoe est passé à travers les mailles du système, et personne ne savait depuis combien de temps il était en isolement, malgré le fait que cette information était facile à trouver.

En tant que détenu suicidaire atteint d’une maladie mentale, Eddie aurait dû être placé dans une cellule d’observation spéciale, ce qui aurait permis aux gardiens de suivre l’évolution de son état. D’ailleurs, il y avait une telle cellule de libre à l’établissement à sécurité maximale d’Edmonton. Eddie a plutôt été placé dans une cellule où les gardiens ne pouvaient l’apercevoir qu’à travers une fente.

Eddie Snowshoe a passé en tout 162 jours en isolement, dont les 28 derniers à Edmonton. Ensuite, seulement quatre mois avant sa libération d’office, Eddie Snowshoe s’est pendu. Il avait 24 ans.

Les journalistes et les politiciens abusent un peu trop souvent du qualificatif « kafkaïen », mais, en l’occurrence, je ne vois pas de meilleur mot pour décrire un tel fiasco bureaucratique, une telle négligence aux conséquences fatales : un jeune homme souffrant de maladie mentale dont le crime avait consisté — ne l’oublions pas — à voler 45 $ a été laissé indéfiniment en isolement, non pas parce que c’était un criminel dangereux, mais simplement et littéralement parce que personne n’avait pensé à le faire sortir. Il est mort non pas de cruauté ou de malveillance intentionnelles, mais en raison de l’inertie et de l’incompétence du système correctionnel.

Un grand nombre d’études montrent que l’isolement à long terme peut entraîner la dépression et la psychose chez les personnes les plus saines et les plus stables. Edward Snowshoe était déjà suicidaire et dépressif, coupé de sa famille, de sa communauté et de sa culture autochtone. Il y a sans doute de quoi se stupéfier qu’il ait survécu 162 jours.

Le juge Wheatley a conclu par la suite que les antécédents de maladie mentale et de tentatives de suicide de M. Snowshoe avaient été traités « sans le moindre soin ni la moindre attention ». Comme euphémisme, on ne peut pas faire mieux.

Eddie Snowshoe n’est pas mort dans un asile de pauvres victorien à la Charles Dickens. Il n’est pas mort dans un goulag soviétique. Il n’est pas mort dans un camp de prisonniers nord-coréen. Loin de sa communauté, coupé de sa famille et de sa culture, privé de soins médicaux essentiels, ce jeune qui avait volé 45 $ et qui s’était rendu à la police 15 minutes après est mort parce qu’on l’a enfermé tout seul dans une toute petite cellule et qu’on a simplement oublié qu’il était là.

Ne l’oublions pas aujourd’hui.

N’oublions pas ce qu’il a vécu. Assurons-nous, grâce au projet de loi que nous adopterons ce mois-ci, que personne d’autre ne subira le même sort. Assurons-nous que les mécanismes de contrôle et de surveillance nécessaires sont en place pour renforcer notre système correctionnel.

L’histoire d’Eddie Snowshoe illustre parfaitement pourquoi le projet de loi doit être modifié. Il faut s’assurer que les détenus qui ont des problèmes psychiatriques sont examinés et soignés plutôt que punis et placés en isolement. Cette histoire est aussi un exemple de ce qui arrive quand il n’y a pas de révision judiciaire de ces cas d’isolement de longue durée, quand aucun mécanisme ne peut empêcher que quelqu’un croupisse dans une cellule d’isolement pour la seule raison que son dossier a été égaré.

Je sais bien que la fin du mois arrive à grands pas, et que la pression est très forte pour que nous adoptions les projets de loi le plus efficacement et rapidement possible. Toutefois, cela ne devrait pas nous faire oublier Edward Christopher Snowshoe. Prenons le temps d’adopter un bon projet de loi.

Merci. Hiy hiy.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Accepteriez-vous de répondre à une question, sénatrice Simons?

La sénatrice Simons [ - ]

Avec plaisir.

Le sénateur Boisvenu [ - ]

Merci, sénatrice, pour l’exemple que vous avez évoqué concernant M. Snowshoe. Je pense que tout le monde est d’accord pour dire qu’il y a eu des exagérations en matière d’isolement. Tout le monde est d’accord pour dire qu’il faut adopter une politique, mais qu’il ne faut pas, comme on le dit chez nous, jeter le bébé avec l’eau du bain.

Ce n’est pas l’isolement qui est problématique dans nos pénitenciers, et vous venez d’en faire la démonstration. C’est l’inadéquation entre les services psychiatriques, qui relèvent des provinces, et la charge de travail que les pénitenciers doivent maintenant assumer, soit celle de s’occuper de gens qui souffrent de maladie mentale et qui n’ont pas leur place dans les pénitenciers. De plus, les erreurs qui se produisent dans le système carcéral s’y produisent parce qu’on a laissé ces établissements devenir des substituts d’établissements psychiatriques.

Voici ma question : est-ce que le projet de loi traite la cause du problème, ou est-ce qu’il traite seulement l’effet du problème?

La sénatrice Simons [ - ]

Je remercie l’honorable sénateur de sa question. Je suis bien d’accord. Nous avons transformé un trop grand nombre des établissements correctionnels du pays, provinciaux et fédéraux, en hôpitaux psychiatriques de facto. Le soutien communautaire fourni aux personnes qui ont besoin de soins psychiatriques suivis n’est pas suffisant. Les détenus, que ce soit dans un établissement provincial ou fédéral, ne reçoivent absolument pas les soins médicaux dont ils ont besoin. Le sénateur a tout à fait raison : cela crée une situation qui présente un risque réel pour les agents correctionnels, les autres détenus et les personnes malades elles-mêmes.

Je pense que c’est une tragédie nationale. Je suis tout à fait d’accord avec le sénateur Boisvenu : on a créé une situation dangereuse et injuste pour toutes les personnes en cause. Il faut absolument fournir un meilleur traitement psychiatrique et psychologique, surtout dans le cas des personnes qui ont commis un crime à cause de leur maladie.

C’est très important et c’est pourquoi je suis contente des amendements apportés à ce projet de loi pour exiger, après 30 jours, un examen obligatoire de l’état de santé et de l’état psychiatrique d’un détenu et une révision judiciaire afin de veiller à ce que les gens ne soient pas gardés en isolement simplement parce qu’on a oublié qu’ils étaient là, comme dans le cas de M. Snowshoe.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Sénateur Kutcher, vous avez une question?

Sénatrice Simons, dans votre travail de journaliste, vous avez probablement constaté que les soins psychiatriques modernes n’incluent pas le placement en isolement.

Pensez-vous qu’une personne atteinte de maladie mentale qui est incarcérée dans un établissement fédéral devrait recevoir des soins de qualité égale à ceux qui sont prodigués à une personne qui n’est pas incarcérée? Comme on n’emprisonne plus les personnes atteintes de maladie mentale, ne devrait-on pas offrir les mêmes soins, que la personne soit incarcérée ou non?

La sénatrice Simons [ - ]

Merci beaucoup, sénateur. Je peux certainement imaginer que, dans certains cas graves de placement en isolement pendant 48 heures, les gens ont parfois vraiment besoin d’être gardés dans un endroit très sûr et sécurisé. Grâce à mon travail de journaliste et, franchement, grâce aux expériences que j’ai vécues avec des amis et des membres de ma famille, je sais que lorsqu’une personne se trouve dans un établissement psychiatrique, elle est gardée seule, mais elle est surveillée.

Ce qui est très tragique dans le cas d’Eddie Snowshoe, c’est que les autorités l’ont littéralement placé dans une pièce sans fenêtre. Il n’était même pas surveillé. Je suis tout à fait d’accord avec vous.

L’un des grands problèmes auxquels nous sommes confrontés dans ce pays, c’est que des peines minimales obligatoires sont prévues pour un très grand nombre d’infractions et que, pour rendre un verdict de « non-responsabilité criminelle », les critères sont incroyablement sévères. Il faut être complètement inconscient de la nature et des conséquences de ses gestes. Une personne peut être déclarée non criminellement responsable si elle est manifestement psychotique et aux prises avec des délires. Toutefois, si une personne est atteinte de maladie mentale au point où ses facultés sont gravement affaiblies, mais qu’elle n’est pas délirante, il n’existe aucun facteur atténuant au moment de déterminer sa peine. Une personne ne peut pas se présenter devant un juge, dire qu’elle souffrait d’une maladie mentale et voir sa peine minimale obligatoire être réduite en conséquence.

C’est absolument tragique. Les personnes qui sont emprisonnées parce qu’elles sont malades ont besoin d’être soignées. Lorsqu’on traite en criminels des gens qui ont besoin de soins médicaux parce qu’ils sont malades, le moins qu’on puisse faire, c’est de les soigner.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

L’honorable sénatrice Petitclerc, avec l’appui de l’honorable sénateur Dean, propose que le rapport soit adopté.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée avec dissidence, et le rapport est adopté.)

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi modifié pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Klyne, la troisième lecture du projet de loi modifié est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

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