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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

24 novembre 2022


Honorables sénateurs, je parlerai aujourd’hui de mon appui au projet de loi S-248, qui a été présenté dans cette enceinte par la sénatrice Wallin. L’objectif de ce projet de loi est d’autoriser le recours aux demandes anticipées d’aide médicale à mourir pour les personnes aptes à se prévaloir de ce mécanisme pour exprimer leur choix de fin de vie.

Je ne répéterai pas les renseignements que la sénatrice Wallin a présentés de façon claire et après une recherche approfondie en ce qui concerne l’opinion des Canadiens sur les demandes anticipées d’aide médicale à mourir, la modification d’Audrey et les détails de ce projet de loi. Mon intervention sera axée sur des points fondamentaux qui, je l’espère, seront examinés de près par le comité chargé d’étudier cette importante mesure législative. Auparavant, j’aimerais faire écho à deux aspects clés que la sénatrice Wallin a abordés dans son discours.

Premièrement, il est évident que le projet de loi vise à modifier le Code criminel pour permettre les demandes anticipées. C’est une mesure qui vise à permettre, et non à rendre obligatoire, quelque chose. Ce projet de loi ne contient aucune disposition pour forcer ou inciter qui que ce soit à recourir à l’aide médicale à mourir au moyen d’une demande anticipée.

Deuxièmement, le projet de loi ne fait pas la promotion de l’aide médicale à mourir comme solution de rechange aux soins palliatifs ni à l’accès à des services et appuis essentiels. Comme la sénatrice Wallin l’a précisé en parlant de l’aide médicale à mourir : « Il ne s’agit pas d’une solution de rechange à la pauvreté, à un traitement, au soutien ou à la famille. » Je suis d’accord avec ces deux aspects.

Cela dit, j’aimerais maintenant passer à ma contribution au débat en examinant non seulement ce qu’une demande anticipée d’aide médicale à mourir est, mais aussi — et c’est tout aussi important — ce qu’elle n’est pas.

On peut considérer qu’une demande anticipée d’aide médicale à mourir est une demande d’aide médicale à mourir présentée par une personne capable avant la perte de sa capacité décisionnelle, à laquelle il sera donné suite après la perte de capacité décisionnelle du demandeur, dans les circonstances décrites dans la demande et conformément aux exigences de loi fédérale.

Cet aspect comporte un certain nombre d’éléments importants susceptibles de nous aider à envisager de façon éclairée et avec compassion les demandes anticipées d’aide médicale à mourir. Il peut nous aider à repérer les domaines qui nécessitent une attention particulière au fur et à mesure que des mesures de protection et des normes sont élaborées pour encadrer les demandes anticipées.

Je me concentrerai sur quatre points :

Premièrement, une demande anticipée ne constitue pas une directive. Les fournisseurs de l’aide médicale à mourir ne sont pas tenus de l’administrer automatiquement sur demande. Ils sont tenus de suivre les lignes directrices de leur profession, de se fier à leur jugement et de respecter toutes les exigences de la loi afin de répondre à une demande anticipée. Ainsi, la demande elle-même doit être claire, précise et doit indiquer les conditions dans lesquelles elle doit être étudiée par le fournisseur d’aide médicale à mourir.

Deuxièmement, la demande doit être faite par une personne compétente, et, à ce titre, une attestation valide sur le plan clinique et juridique de la compétence du demandeur doit accompagner la demande anticipée.

Troisièmement, la demande anticipée doit être faite de façon volontaire et mûrement réfléchie. Cela signifie que la demande ne peut être le résultat d’une influence indue ou de quelque forme de contrainte que ce soit et que le demandeur a fait la preuve qu’il a pris connaissance des renseignements nécessaires avant de faire sa demande.

Quatrièmement, la demande doit être faite en tenant compte de l’évolution des choses. Elle doit être régulièrement mise à jour afin que le fournisseur d’aide médicale à mourir soit suffisamment convaincu qu’elle reflète la volonté du demandeur.

Avant de nous pencher de plus près sur ces quatre points, je vais parler de ce qui ne constitue pas une demande anticipée et de certains types de situations pour lesquelles on peut s’attendre à ce que des demandes anticipées soient faites.

Une demande anticipée n’est pas une directive préalable. Les directives préalables existent déjà, sont bien établies et sont courantes dans de nombreux aspects des soins médicaux. La sénatrice Mégie a soulevé ce fait important dans une question qu’elle a adressée à la sénatrice Wallin.

Alors qu’une demande anticipée présentée dans le cadre du régime fédéral d’aide médicale à mourir serait régie par le Code criminel, les directives préalables sont régies par les régimes provinciaux et territoriaux des autres types de soins de santé. Le plus souvent, elles sont données dans le contexte d’un choix ou d’un refus de traitement.

À titre d’exemple personnel, lorsque les problèmes de santé de ma mère âgée ont commencé à se multiplier et à s’aggraver, mes frères et moi avons eu avec elle de nombreuses conversations très difficiles sur le plan émotionnel au sujet des types de traitements qu’elle accepterait et ceux qu’elle refuserait. Ces conversations n’étaient pas faciles.

Nous avons consigné ses décisions et avons tous signé le document qui en a résulté. Nous nous sommes assurés de fournir des preuves de sa capacité cognitive au moment de nos discussions. Nous sommes également tous parvenus à un accord sur la prise de décision au nom d’autrui. Le moment venu — et il a fini par venir —, nous avons transmis ses directives à son équipe médicale, qui les a suivies.

Je suis certain que bon nombre d’entre vous, dans cette enceinte, se sont déjà trouvés dans cette situation. Elle peut être très inconfortable, car elle nous met face à la réalité de la mort prochaine d’un être cher. Il est toutefois normal qu’elle soit inconfortable, parce que si ce n’était pas le cas, nous ne serions pas des personnes aimantes et attentionnées.

Nous ressentons — et devrions ressentir — le même inconfort dans toutes nos discussions sur l’aide médicale à mourir. L’inconfort est une partie nécessaire de ce cheminement.

Les directives préalables peuvent comprendre des préférences de traitement et spécifier le refus de traitement. Elles sont donc le prolongement logique de la doctrine du consentement éclairé au traitement et du refus éclairé de traitement.

Elles peuvent être très variées, allant de l’acceptation d’une sédation palliative tout en refusant simultanément un traitement antibiotique pour une infection potentiellement mortelle, jusqu’à l’ordonnance de non-réanimation, en passant par le refus de tout aliment ou liquide administré par une sonde d’alimentation ou par la bouche, soit un refus de se nourrir et de s’hydrater, qui entraîne généralement — et nous l’avons vécu — la mort à l’intérieur de sept à dix jours.

Ainsi, bien qu’une demande anticipée d’aide médicale à mourir ne soit pas la même chose qu’une directive préalable, ces différents concepts ont en commun l’acceptation de l’autonomie personnelle en ce qui concerne la prise de décision anticipée. Nous nous fondons aussi sur la doctrine du consentement éclairé et le droit de choisir et de refuser un traitement, même si ce choix entraîne ou accélère la mort.

Même s’il est prévu que la plupart des demandes anticipées seront faites dans le contexte de maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer, il est possible que d’autres types de maladies entraînent une demande anticipée. Je songe par exemple à une tumeur cérébrale primaire comme le glioblastome multiforme, ou GBM, comme disent les médecins. C’est la forme la plus invasive de cancer du cerveau, et elle est incurable.

Les personnes qui reçoivent un diagnostic de GBM vivent généralement entre 10 et 22 mois à partir du moment du diagnostic. Même si les capacités cognitives de la plupart des gens sont intactes au moment du diagnostic, leur capacité décisionnelle peut diminuer très rapidement. Un GBM en phase terminale peut inclure de graves maux de tête, l’incapacité de déglutir, des délires, des hallucinations, une perte de contrôle des fonctions corporelles, des crises d’épilepsie et la perte de conscience. En sachant tout cela, il est possible qu’une personne envisage de faire une demande anticipée d’aide médicale à mourir au moment du diagnostic.

Le défi que pose une telle condition est qu’il est impossible de prédire avec la moindre certitude combien de temps durera la période de compétence liée à la prise de décision avant les changements — qui peuvent survenir rapidement — qui feront en sorte que la personne ne sera plus capable de consentir à l’aide médicale à mourir même s’il s’agit de son choix de fin de vie.

En passant, cette incertitude peut inciter une personne à demander l’aide médicale à mourir avant qu’elle ne le veuille vraiment, ce qui peut produire une situation horriblement insatisfaisante, c’est le moins qu’on puisse dire.

Revenons maintenant aux quatre points que j’ai soulevés concernant la définition de la demande anticipée.

Premièrement, la question de la clarté, afin que tous, notamment la personne chargée d’administrer l’aide médicale à mourir, soient bien certains d’avoir compris les souhaits exprimés par la personne compétente qui fait la demande. Ce sont les souhaits exprimés par une personne compétente.

À mon avis, il serait nécessaire que la demande soit faite par écrit et qu’elle précise le seuil qui déclencherait l’administration de l’aide médicale à mourir établi par la personne qui fait la demande. La demande devrait contenir autant d’informations que possible pour qu’on puisse bien comprendre les conditions requises pour l’administration de l’aide médicale à mourir.

Des énoncés tels que « lorsque je ne pourrai plus profiter de la vie », « lorsque je ne serai plus en mesure de prendre des décisions » ou « lorsque je ne reconnaîtrai plus les membres de ma famille » ne devraient pas être utilisés pour décrire le seuil à partir duquel l’aide médicale à mourir peut être administrée. Il faut des énoncés plus précis. Par exemple :

Je veux recevoir l’aide médicale à mourir dans les situations suivantes, même si je ne souffre pas, peu importe ce que pensent les autres de ma condition : si je n’arrive plus à reconnaître aucun membre de ma famille en toutes circonstances lors de leurs visites pendant deux mois; OU si je ne suis plus en mesure de faire ma toilette moi-même pendant un mois; OU si je ne sais plus où je suis, quel jour et quel mois nous sommes au quotidien pendant un mois.

Il importe de souligner ici que les conditions sont propres à la personne et qu’elles représentent ce que celle-ci considère comme intolérable pour elle. Les conditions ne seront pas les mêmes d’une personne à l’autre et un tiers ne pourra pas les définir.

De plus, au moment d’élaborer la demande anticipée, des membres de famille et d’autres personnes peuvent participer aux discussions sur les conditions que le demandeur considère comme représentant le seuil pour recourir à l’aide médicale à mourir, si celui-ci le souhaite. Avec de tels détails, la réalisation de la demande anticipée d’aide médicale à mourir devient plus claire pour le patient, le clinicien et les membres de la famille.

Ma deuxième considération est que la demande doit être faite par une personne compétente et, à ce titre, une détermination de la compétence qui est défendable sur le plan clinique et juridique doit accompagner une demande anticipée. Cela signifie que la demande anticipée d’aide médicale à mourir doit inclure une évaluation de la compétence fournie par un clinicien qualifié, et une note décrivant l’évaluation et ses résultats doit être signée, datée et apposée à la demande anticipée écrite. Par exemple, on pourrait considérer qu’un entretien clinique et un mini-examen de l’état mental satisfont à cette condition.

Cette mesure de sauvegarde est utile pour éviter des questions ultérieures sur la compétence de la personne au moment où celle-ci a fait la demande anticipée.

Troisième considération : la demande anticipée doit être faite volontairement et être mûrement réfléchie. Cela signifie que la demande ne peut pas être le résultat d’une coercition et que la personne qui fait la demande anticipée a démontré qu’elle a examiné les informations pertinentes avant de faire sa demande. Cette question peut être abordée dans la loi ou dans les lignes directrices cliniques qui doivent être élaborées pour aider les patients, leurs familles, les cliniciens et les évaluateurs de demandes d’aide médicale à mourir.

D’après ma propre expérience professionnelle de l’évaluation de la prise de décision auprès de nombreux patients, préciser l’absence de coercition indue fait toujours partie des éléments à vérifier. Si le médecin a des doutes au sujet de la coercition, la pratique habituelle consiste à obtenir une deuxième opinion auprès d’un collègue. Si des doutes subsistent, un examen plus approfondi peut être nécessaire pour éclaircir la situation.

C’est peut-être de cela que voulait parler la sénatrice Batters quand elle a posé des questions à la sénatrice Wallin sur deux témoins indépendants dont le rôle était de confirmer que la demande anticipée était faite de plein gré.

Son Honneur le Président [ + ]

Je suis désolé de vous interrompre, sénateur Kutcher, mais le temps est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?

Son Honneur le Président [ + ]

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Merci.

Exiger deux témoins indépendants dans la loi, comme le propose le projet de loi, pourrait ajouter une mesure de sauvegarde supplémentaire pour atténuer le risque de coercition. Au lieu de cela, ou en complément à cela, on pourrait établir des lignes directrices et les intégrer aux normes de pratique à l’intention des fournisseurs d’aide médicale à mourir. Il faudra examiner de près ces possibilités ainsi que d’autres au comité.

La quatrième considération serait que la demande ait été faite en toute conscience de l’incidence du temps qui passe afin que le fournisseur d’aide médicale à mourir soit convaincu que la demande est toujours valide. L’alinéa 241.2(3.22)b) proposé dans projet de loi règle la question en exigeant que la demande anticipée ne remonte pas à plus de cinq ans. La sénatrice Wallin nous a dit que le délai de cinq ans a été choisi à la suite de consultations avec diverses parties intéressées, mais qu’elle ne tient pas mordicus à ce chiffre. Personnellement, en tant que médecin, je suggérerais un délai plus court, comme deux ans peut-être. Cela dit, quel que soit le délai choisi, il serait essentiel que la mise à jour de la demande soit signée par la personne, afin de confirmer clairement les détails du critère relatif aux souffrances intolérables, et qu’une évaluation clinique de la capacité décisionnelle soit annexée à cette mise à jour.

Honorables sénateurs, ce projet de loi est important et il est impératif que nous l’étudiions soigneusement. Je me souviens que, dans nos délibérations au sujet du projet de loi C-7, l’une des raisons qui avaient été présentées pour ne pas aborder les demandes anticipées dans la loi était que cette question n’avait pas été suffisamment étudiée au comité. Chers collègues, il est maintenant temps pour nous de nous acquitter de cette tâche.

Merci, wela’lioq.

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