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Le Sénat

Motion tendant à autoriser le Sénat à se réunir en comité plénier afin d'étudier la teneur du projet de loi C-62--Débat

12 février 2024


L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) [ - ]

Conformément au préavis donné le 7 février 2024, propose :

Que, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou toute pratique habituelle, le mercredi 14 février 2024 :

1.la séance soit suspendue au moment où elle serait normalement levée ou lorsque le Sénat aura terminé l’étude des affaires inscrites au Feuilleton et Feuilleton des préavis de la journée, selon la première éventualité;

2.le Sénat reprenne sa séance à 18 heures et se forme en comité plénier afin d’étudier la teneur du projet de loi C-62, Loi no 2 modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir);

3.le comité plénier sur la teneur du projet de loi C-62 reçoive l’honorable Mark Holland, c.p., député, ministre de la Santé, et l’honorable Arif Virani, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada, accompagnés de deux fonctionnaires chacun;

4.le comité plénier sur la teneur du projet de loi C-62 lève sa séance au plus tard 130 minutes après le début de ses travaux;

5.les remarques introductives des témoins durent un total maximal de cinq minutes chacun;

6.si un sénateur n’utilise pas l’entière période de 10 minutes prévue pour les interventions à l’article 12-31(3)d) du Règlement, les réponses des témoins y comprises, il puisse céder le reste de son temps à un autre sénateur;

7.les dispositions de l’article 3-3(1) du Règlement soient suspendues et aucune motion tendant à la levée de la séance ne soit reçue avant que le comité plénier n’ait fait rapport;

8.une fois que le comité plénier aura fait rapport, la séance soit levée.

 — Honorables sénateurs, j’aimerais simplement formuler quelques brèves observations au sujet de la motion du gouvernement no 152, qui autoriserait le Sénat à se former en comité plénier pour étudier la teneur du projet de loi C-62.

Cette motion prévoit la comparution au Sénat des ministres de la Santé et de la Justice, accompagnés de fonctionnaires de leur ministère respectif, pour une période totale de 130 minutes. C’est la façon de procéder sur laquelle se sont entendus les leaders du Sénat à la suite de consultations ouvertes et transparentes menées dans un esprit de collaboration. Les représentants des groupes ont jugé que c’était la façon de faire appropriée pour étudier adéquatement ce projet de loi, étant donné le délai serré.

Cette étude s’ajouterait aux travaux exhaustifs déjà réalisés par le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, qui a été chargé par les deux Chambres d’examiner l’état de préparation du Canada à l’approche de la date prévue dans la disposition de caducité. D’ailleurs, l’étude du comité mixte est le résultat d’un amendement que le Sénat avait apporté à l’ancien projet de loi C-7. Comme nous le savons, au bout du compte, le comité mixte a déterminé qu’il vaudrait mieux reporter la date d’entrée en vigueur de la disposition de caducité, et les gouvernements provinciaux et territoriaux sont du même avis. Les deux ministres seront ici pour discuter avec les sénateurs et répondre à toutes les questions que nous pourrions avoir dans le cadre de nos délibérations.

Honorables sénateurs, comme vous le savez, le Sénat se réunit ce soir précisément pour satisfaire à une demande de nos collègues qui n’étaient pas en mesure de se présenter à la Chambre jeudi dernier. Je crois fermement que les sénateurs qui souhaitent intervenir devraient avoir la possibilité de le faire, et c’est pour cette raison que nous avons répondu favorablement à la demande que nous avons reçue de deux sénateurs mercredi soir dernier.

Cependant, en tant que représentant du gouvernement, je tiens à souligner l’importance du processus du comité plénier sur lequel les leaders du Sénat se sont entendus. Par conséquent, chers collègues, je vous demande respectueusement d’appuyer la motion du gouvernement no 152 telle que présentée. Nous aurons l’occasion de tenir un débat sur le fond de ce projet de loi lorsque nous le recevrons dans cette enceinte. Merci.

Honorables sénateurs, je ne m’oppose pas à la tenue d’une étude en comité plénier sur ce projet de loi pour entendre deux ministres, mais je m’oppose à la motion si le Sénat décide de se servir du comité plénier comme prétexte pour rejeter la tenue d’une étude préliminaire supplémentaire du projet de loi. L’étude en comité plénier ne peut pas être la seule étude préliminaire du Sénat sur cette question de vie ou de mort qui touchent les Canadiens. Si nous faisons cela, nous aurons manqué à nos obligations constitutionnelles, à nos obligations envers les Canadiens et à nos obligations envers les personnes les plus directement touchées par le projet de loi en leur refusant la possibilité de s’adresser à nous.

Avant d’aller plus loin, je tiens à remercier tous mes collègues qui m’ont envoyé des messages de solidarité alors que j’étais aux urgences de l’Hôpital Civic d’Ottawa de mercredi soir à jeudi. Je remercie tout particulièrement mon ami le sénateur Ravalia, dont les conseils m’ont poussé à demander les soins urgents dont j’avais besoin. Je tiens également à remercier tous ceux qui ont permis à ce débat d’avoir lieu ce soir et ceux qui ont pris le temps et fait l’effort de se rendre à Ottawa ce soir. Nos actions montrent que, quel que soit le sort du projet de loi, nous prenons au sérieux le travail du Sénat. Un petit exemple nous a permis de montrer au Canada pourquoi le Sénat est important.

Ce qui me préoccupe, c’est la possibilité que l’étude en comité plénier soit la seule étude préliminaire du C-62, et qu’elle serve à éviter une étude approfondie de ce projet de loi. Bon nombre d’entre vous, à titre particulier ou en tant que groupes, ont déjà exprimé des objections valables à ce genre d’utilisation du comité plénier. Il ne doit pas être un moyen de contourner notre devoir de diligence raisonnable ou de faire adopter à toute vapeur des projets de loi du gouvernement.

Nous devons veiller à ce que l’étude du Sénat permette d’entendre la voix des personnes les plus touchées par ce projet de loi. L’opportunisme politique ne doit pas l’emporter sur l’examen critique. Notre processus ne doit pas reproduire la manière inappropriée dont les auteurs du rapport majoritaire du comité mixte ont refusé d’entendre la voix d’une minorité de personnes aux prises avec d’horribles souffrances. Nous devons également entendre directement les fournisseurs de soins de santé qui sont responsables de cet important travail, et pas seulement les politiciens qui peuvent avoir des motifs différents de ceux qu’ils ont exprimés publiquement.

J’aimerais rappeler ce que la Cour suprême a écrit dans son renvoi CSC 32 relatif à la réforme du Sénat de 2014 :

« [...] [e]n créant le Sénat de la manière prévue à l’Acte, il est évident qu’on voulait en faire un organisme tout à fait indépendant qui pourrait revoir avec impartialité les mesures adoptées par la Chambre des communes » [...] Les rédacteurs ont cherché à soustraire le Sénat au processus électoral auquel participaient les députés de la Chambre des communes, afin d’écarter les sénateurs d’une arène politique partisane toujours soumise aux impératifs des objectifs politiques à court terme.

Nora Sheppard, ma belle-mère de 96 ans, a suivi attentivement ce dossier. En fin de semaine, elle m’a dit ceci : « Lorsque la politique se mêle des soins de santé, il n’y a plus de soins de santé. »

Honorables sénateurs, il est essentiel de ne pas se laisser aveugler par les objectifs politiques à court terme. Comme beaucoup d’autres sénateurs, je crains justement que ce soit ce qui motive le projet de loi C-62.

Si j’interviens au sujet de cette motion, c’est pour demander que nous fassions en sorte que lorsque nous voterons au sujet de ce projet de loi, nous le fassions après avoir été dûment informés et après avoir entendu le point de vue des personnes les plus touchées et celui des personnes les plus qualifiées. Si j’interviens, c’est pour que le Sénat fasse preuve de diligence raisonnable et qu’il suive la procédure établie dans le cadre de ses travaux sur ce projet de loi.

Nous devons écouter les personnes qui attendent depuis trois ans de demander l’aide médicale à mourir, celles qui ont compris quels étaient les critères de préparation du gouvernement, qui a maintenant changé les règles et qui les a laissées tomber. Nous devons entendre leur point de vue, et pas seulement celui des psychiatres, des avocats, des bioéthiciens et des organismes qui se proclament porte-parole de ces personnes qui souffrent. Laissez‑moi vous dire que je me suis entretenu avec de nombreuses personnes qui seront directement touchées par le projet de loi. Toutes m’ont dit clairement qu’aucun des groupes et individus qui s’opposent à l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué n’a communiqué avec les quelques Canadiens concernés pour leur demander ce dont ils ont besoin.

« Rien de ce qui nous concerne ne doit se faire sans nous. »

Lorsque j’ai parlé aux personnes qui souffrent et qui attendent depuis trois ans que l’on modifie le Code criminel pour qu’elles puissent faire une demande et envisager des options de fin de vie, elles m’ont toutes dit : « Ceux qui s’opposent à l’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème médical invoqué ne parlent pas en mon nom. »

Nous devons aussi entendre les cliniciens et les organismes de réglementation des provinces et des territoires, qui savent véritablement s’ils sont prêts ou non, et pas seulement les politiciens, qui veulent peut-être éviter que la question n’ait une incidence électorale.

Examiner ce projet de loi seulement au moyen d’une étude préalable en comité plénier servirait très mal les Canadiens, qui s’attendent à ce que le Sénat procède à un second examen objectif et minutieux de toutes les mesures législatives dont il est saisi. Une étude en comité plénier ne peut pas remplacer une étude sénatoriale solide et nécessaire. J’interviens au sujet de la motion pour vous exhorter à ne pas contourner l’étape d’une étude préalable appropriée par les comités sénatoriaux permanents, qui est un travail nécessaire. Il faut suivre le processus établi.

Selon moi, un certain nombre de points doivent être examinés par le Comité des affaires sociales et le Comité des affaires juridiques, en plus du comité plénier, qui demande seulement la comparution de deux ministres. Tout d’abord, ce projet de loi traite d’une question profondément personnelle qui a un effet direct sur la capacité des Canadiens à prendre de manière égale des décisions en matière de soins de santé en fin de vie. Chers collègues, à ce jour, les parlementaires n’ont pas permis aux personnes directement concernées de se faire entendre. Nous n’avons pas entendu le point de vue de ces personnes. Ce projet de loi a un effet marqué sur la vie d’un petit nombre de personnes, environ 250, qui souffrent de façon intolérable depuis des décennies, sans aucun soulagement malgré tous les efforts déployés. Il ne s’agit pas ici d’un manque de soins de santé mentale.

Oui, chers collègues, ces personnes endurent des souffrances irréductibles depuis des décennies. Pourtant, elles n’ont pas eu l’occasion de faire connaître leur point de vue. Elles doivent donc le faire ici, parce qu’elles ont été ignorées par le comité mixte et par ceux qui ont élaboré ce projet de loi.

J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec plusieurs des personnes qui seront directement touchées par ce projet de loi. Ces personnes souffrent de façon intolérable depuis des décennies. Elles ont essayé de nombreux traitements, mais sans succès. Certaines d’entre elles sont tellement mal en point qu’elles ne peuvent pas sortir de chez elles. Elles sont tourmentées jour et nuit. Ceux qui s’opposent à l’aide médicale à mourir ne souhaitent pas qu’on entende le point de vue de ces personnes. Or, lorsque nous entendrons les témoignages des personnes concernées par ce projet de loi, vous constaterez que le mythe qui a été entretenu publiquement sur les personnes susceptibles de bénéficier de l’aide médicale à mourir s’effondrera.

Prenons l’exemple de John Scully. Cet homme de 82 ans souffre d’un grave trouble mental qui est incurable et intolérable. Il a été admis dans sept hôpitaux psychiatriques. Il a été soigné par une douzaine de psychiatres. Il a suivi 19 traitements de choc. Il dit avoir essayé tous les médicaments possibles utilisés en psychiatrie. Il souffre depuis plus de 40 ans, et rien ne soulage sa douleur. Il n’a pas de difficulté à accéder à des soins de santé mentale.

Contrairement à ce que nous entendons dans le tapage médiatique, c’est le type de personnes pour lesquelles l’élargissement de l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental devrait être envisagé.

Je vais lire un extrait du mémoire qu’il a soumis au Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, mais qui, fait intéressant, a été exclu de l’étude :

[...] j’ai la capacité de prendre des décisions concernant ma vie et ma mort. Je veux que l’aide médicale à mourir pour les malades mentaux soit autorisée sans autre retard cruel [...] [C]ela ne s’est pas arrêté. Cela ne s’arrêtera jamais et il n’y a aucun remède.

Il demande tout simplement d’avoir le même droit à des soins de santé que tous les autres habitants du pays.

J’ai aussi parlé à Cathy Van Buskirk, une Manitobaine de 56 ans qui souffre depuis des dizaines d’années d’un grave trouble mental qui est intolérable. Elle est confinée à la maison. Comme elle le dit, elle a essayé tous les médicaments, 12 traitements de choc, 12 perfusions de kétamine et de multiples formes de thérapies. Rien ne fonctionne. Elle dit ceci :

Je me réveille le matin et je me mets tout de suite à pleurer ainsi qu’à trembler littéralement d’anxiété parce que je ne sais pas comment je pourrai tenir une autre journée de plus [...]

[...] Ma maladie est tout aussi pénible et invalidante qu’une maladie physique. Je devrais avoir le choix de ne plus souffrir. Je veux mourir paisiblement, avec les membres de ma famille à mes côtés. S’il vous plaît, cessez les retards.

Or, honorables collègues, selon des gens qui n’ont jamais parlé avec John, Cathy ou d’autres personnes comme eux, il faut leur refuser ce droit. Cathy et d’autres personnes comme elle veulent pouvoir témoigner devant nous en leur propre nom. Ces gens veulent que nous les écoutions.

J’ai parlé et correspondu avec Jane Hunter, qui a demandé à pouvoir nous parler directement. Depuis des décennies, cette femme de 75 ans souffre de graves troubles mentaux insupportables. Elle a essayé d’innombrables traitements, en vain. Elle a dit ceci :

Combien de parlementaires ont parlé à quelqu’un qui a vécu ma situation avant de prendre cette décision? Je n’en connais aucun.

Honorables collègues, il est injuste de ne pas écouter les gens qui souffrent et qui attendent depuis trois ans. Le Sénat doit remédier à cette injustice.

La deuxième raison pour laquelle je ne suis pas favorable à une étude préalable en comité plénier en présence de deux ministres est que les médecins et infirmières praticiennes qui font le travail sur le terrain pour veiller à ce que tout le monde soit prêt ont clairement indiqué que bon nombre d’entre eux sont prêts. Le comité mixte a reçu de nombreux mémoires, dont certains ont été déposés au comité, soumis par des fournisseurs de soins de partout au pays qui affirment sans équivoque qu’ils sont prêts. Le comité n’a pas permis que ces mémoires soient officiellement déposés, et le rapport majoritaire n’en fait même pas mention. Je vais lire des extraits de certains de ces mémoires censurés.

Le Dr Hayden Rubensohn, de l’Alberta, affirme ce qui suit :

[...] je crois fermement que l’Alberta et d’autres juridictions canadiennes sont prêtes [...] nous sommes prêts à relever le défi.

Le Dr Mark Lachmann, de l’Ontario, a écrit : « Nous sommes toutefois prêts à aller de l’avant avec l’AMM TM-SPMI en Ontario à compter du 17 mars 2024. »

Des professionnels de la santé, y compris des psychiatres, de la Nouvelle-Écosse, ont écrit : « [...] nous estimons que la Nouvelle‑Écosse est bien préparée. »

La Dre Lillian Thorpe, de la Saskatchewan, a écrit :

[...] nous pourrons soutenir l’expansion du programme afin d’inclure l’AMM pour le TM-SPMI et la rendre sûre et appropriée. Je crois que nous sommes prêts.

Chers collègues, ce sont de nombreux cliniciens qui travaillent sur le terrain et qui confirment qu’ils sont prêts. Honorables sénateurs, ce sont eux qui savent s’ils sont prêts ou non.

Pourtant, il est intéressant de constater que certains politiciens provinciaux et fédéraux nous disent exactement le contraire. Pourquoi cette contradiction? Nous devons savoir d’où vient cette contradiction.

Troisièmement, il nous faut entendre les cliniciens qui savent si les tâches de préparation définies par le gouvernement et exigées en 2022 ont été réalisées. Après tout, ce sont les objectifs qui ont été fixés pour justifier l’expiration de la disposition de caducité. Il n’est pas difficile de déterminer si ces tâches ont été accomplies; c’est oui ou non. Nous devons entendre ces personnes et ne pas nous fier aux contributions de ceux qui pourraient ne pas aimer tel ou tel élément de ces critères ou qui voudraient y substituer leurs propres critères pour changer l’objectif que le gouvernement fédéral avait fixé auparavant. Ces conditions de préparation ont été définies dans la lettre du ministre Duclos datée d’octobre 2022. Ce sont les conditions de préparation dont on a assuré à ceux qui attendent depuis trois ans qu’elles constitueraient les objectifs à atteindre.

Chers collègues, en ce qui concerne la préparation, nous devons entendre ces trois groupes d’intervenants clés, et non nous baser sur des lettres non datées provenant de ministres provinciaux ou territoriaux qui n’ont peut-être jamais parlé à quelqu’un qui attend depuis trois ans pour faire une demande d’aide médicale à mourir — des ministres qui pourraient avoir des « motifs politiques à court terme », les incitant à faire fi du fait que de nombreux prestataires d’aide médicale à mourir dans leur propre province ou territoire disent être prêts. Quelle contradiction!

Chers collègues, nous avons tous reçu aujourd’hui une lettre signée par 127 prestataires de l’aide médicale à mourir qui affirment qu’ils sont prêts pour l’aide médicale à mourir en cas de trouble mental et que le système de santé dans lequel ils travaillent est prêt. Cela fait 127 pour 250 cas potentiels.

Permettez-moi de revenir sur une ânerie que j’ai entendue, à savoir qu’il y a une différence entre être prêt sur le plan de la pratique et être prêt sur le plan clinique, et que les prestataires peuvent être prêts sur le plan de la pratique, mais pas sur le plan clinique. Chers collègues, je parle en tant que médecin aux autres médecins de cette enceinte, et j’affirme que c’est un non-sens. Les deux lettres que nous venons de recevoir affirment que les nombreux prestataires sont prêts, un point c’est tout. Cette lettre ainsi que les mémoires qui n’ont pas été pris en considération par le comité mixte vont directement à l’encontre de ce que le ministre de la Santé et le ministre de la Justice affirment aux Canadiens. Comment peut-on s’attendre à ce que le simple fait de s’entretenir avec le ministre de la Santé et le ministre de la Justice nous permette d’obtenir des réponses à toutes nos questions? Qui dit vrai?

Nous sommes en présence d’une énorme contradiction que nous devons résoudre. Cela nécessitera une étude préalable des comités du Sénat et du comité plénier. Faire comparaître devant le comité plénier deux ministres qui n’ont peut-être pas bien été informés ne nous permettra pas de faire le travail nécessaire, et je tiens à souligner que tout cela peut être fait sans modifier le calendrier fixé par le gouvernement.

Pour conclure, je citerai les propos de Jane Hunter, une personne que le sénateur Ravalia connaît bien et qui nous a écrit ceci :

Je souhaite avoir l’occasion de répondre calmement aux objections de ceux qui, jusqu’à présent, n’ont pas été capables ou n’ont pas eu la volonté de regarder au-delà de leurs propres paradigmes idéologiques et de leur propre expérience pour tenir compte de la mienne [...] nous sommes ici, et nous comptons sur le pouvoir de votre raison et de votre pensée rationnelle.

Honorables sénateurs, avant de voter sur la motion, nous devons nous assurer que le gouvernement n’essaie pas de se servir du comité plénier pour nous empêcher d’entendre des témoins clés. Nous devons faire notre travail, respecter la procédure et entendre les témoins qui doivent être entendus. Après tout, honorables collègues, c’est pour cette raison que nous sommes ici.

Merci, wela’lioq.

L’honorable Pamela Wallin [ - ]

Honorables sénateurs, j’aimerais pouvoir dire que je suis surprise de voir où nous sommes rendus dans ce dossier, avec cette motion qui aura pour effet de réduire au silence les experts du domaine et qui empêchera les personnes qui souffrent de troubles mentaux d’avoir voix au chapitre. Ces gens ont été trompés et déçus. On les prive du droit de faire leurs propres choix de fin de vie, un droit dont jouissent les autres Canadiens.

En tant que membre de longue date du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, j’ai été à même de constater tout le cafouillage qui a entouré les débats sur cette question. À bien des égards, je suis désolée d’avoir pris part au processus qui nous a menés jusqu’ici et qui enlève l’espoir à tant de gens. Ici, au Sénat, nous avons l’habitude que nos comités fassent preuve de rigueur et que le processus soit équitable, mais ce n’est malheureusement pas toujours le cas à la Chambre des communes. Les comités des communes sont fréquemment pris en otage par la majorité, et les débats y sont court-circuités. C’est à nous, les sénateurs, qu’il revient de nettoyer le gâchis.

Je rappelle à tous les sénateurs que lorsque le Sénat a envoyé au gouvernement des amendements fondés sur ce que nous avions étudié et débattu pour réclamer les demandes anticipées et l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant de graves maladies mentales, c’est le gouvernement qui a lui-même rejeté les demandes anticipées et déclaré que l’accès à l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes de maladies mentales serait sa priorité, son choix et sa décision.

Nous avons étudié la question. Des groupes extérieurs et des groupes d’experts l’ont étudiée, puis le gouvernement a demandé un délai d’un an. Aujourd’hui, quelques semaines avant la fin de ce délai, il propose un nouveau délai, pour reprendre leurs mots, jusqu’après les prochaines élections et ce, en dépit du fait que la majorité des témoins ont clairement dit que les normes, les tests et les médecins étaient en place et prêts. Le gouvernement a rejeté ces témoignages et n’a proposé aucune nouvelle définition d’un état de préparation. Par conséquent, la politique l’emporte une fois de plus sur la vie des personnes qui souffrent et attendent.

Soyons clairs : notre mandat, c’est-à-dire ce qu’on nous a demandé de faire, consistait à évaluer de manière très précise et restreinte si le système était prêt. Avons-nous les évaluateurs et les prestataires? Ont-ils été formés? Existe-t-il des normes qui assurent  un accès juste et équitable partout au Canada? Les 15 professionnels qui participent directement à la préparation du système ont tous répondu par l’affirmative.

Je trouve très troublant que le gouvernement affirme être un ardent défenseur du droit de choisir dans le domaine du genre, du corps de la femme, de l’avortement et de nombreuses questions liées au mode de vie, mais qu’il n’offre aucun choix aux gens qui veulent avoir leur mot à dire dans la décision concernant leur fin de vie s’ils sont atteints d’une maladie mentale.

L’aide médicale à mourir est une question de choix. Personne ne la rend obligatoire, et personne ne peut vous forcer à y recourir, mais si vous êtes atteint d’un cancer de stade 4, vous pouvez demander l’aide médicale à mourir. Cependant, si vous avez souffert du trouble bipolaire toute votre vie et que le traitement médicamenté ne fonctionne pas, ou si vous êtes atteint de démence ou avez la maladie d’Alzheimer, vous n’avez pas le choix. Pourquoi? C’est une option pour certains, mais pas pour tous.

Le gouvernement a érigé de hautes clôtures pour assurer la sécurité du processus, rassurer les familles et protéger les personnes. Cette question est réglée. Nous ne sommes pas ici pour débattre de nouveau de l’accès à l’aide médicale à mourir. Cependant, ce délai — le déni de droits pour certains et la déformation délibérée par les ministres de notre mandat ainsi que des preuves et des témoignages présentés — est vraiment inacceptable. C’est pourquoi je prends la parole aujourd’hui afin de vous exhorter à voter contre cette motion visant à former un comité plénier, car la première tâche du Sénat est d’examiner correctement les projets de loi. Nous étudions, nous entendons des témoins, nous tirons des conclusions et nous offrons nos meilleurs conseils au gouvernement en place. Ce n’est pas une tribune où les ministres peuvent tenir une autre conférence de presse où les questions sont limitées, où il n’y a pas de suivi approprié et où il n’y a pas de temps pour un second examen objectif. Ils ont pris le contrôle du comité mixte, mais on ne doit pas les autoriser à nuire au Sénat.

Stan Kutcher, la Dre Mégie et moi-même, appuyés par les Drs Osler et Ravalia, avons assisté aux audiences et nous convenons que le rapport du comité dresse un faux portrait des témoignages et que d’autres témoignages ont tout simplement été ignorés. Dans son rapport, le sénateur Dalphond indique que toute l’affaire devrait être renvoyée à la Cour suprême du Canada parce qu’il y a un déni évident des droits garantis par la Charte. Au cas où vous croiriez que seuls des sénateurs s’opposent à ce qui s’est passé au comité, notre collègue du Bloc Québécois a dit ceci :

Nous déplorons qu’en matière d’AMM le gouvernement fédéral, et ce depuis l’Arrêt Carter, se [traîne] les pieds ce qui contraint les parlementaires à toujours travailler à la « va vite » à l’intérieur d’échéanciers souvent irréalistes dans des conditions qui sont loin d’être optimales tant du point de vue méthodologique que de l’organisation du travail.

Les experts qui ont donné de leur temps et qui ont témoigné sont également furieux que leurs propos soient déformés par le gouvernement. Je sais que c’est vrai parce que j’ai assisté aux témoignages. Ces témoins ont été interrogés directement et à plusieurs reprises. C’était notamment des personnes comme la Dre Mona Gupta — de qui vous avez tous reçu une lettre —, présidente du Groupe d’experts sur l’aide médicale à mourir et la maladie mentale, qui a participé directement au processus d’élaboration des règlements et des lignes directrices pour les évaluateurs et les prestataires de l’aide médicale à mourir. Je vous suggère de prendre connaissance de sa lettre si vous ne l’avez pas encore fait.

Comme d’autres l’ont dit, la triste réalité, c’est que pas une seule personne souffrant d’un trouble mental et qui attendait simplement de pouvoir exercer son droit de présenter une demande d’aide médicale à mourir n’a été consultée dans le cadre de ce processus. Pas une seule. Le gouvernement ne tient pas compte des personnes dont la vie est entre ses mains. Il fait fi des témoignages des experts qu’il a lui-même choisis, puis il prétend qu’il y a eu absence de consensus sur le sujet. En premier lieu, il n’y aura jamais de consensus sur un sujet aussi personnel et moral, mais de toute façon, on n’a pas cherché à obtenir un consensus. Ce n’était pas l’objectif. On nous a demandé de vérifier l’état de préparation, et les prestataires nous ont dit que le système était prêt. Le programme élaboré par l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’AMM a déjà été approuvé par les organismes d’accréditation médicale du Canada.

Le gouvernement cherche à faire diversion en mettant l’accent sur l’état du système de soins de santé et le fait que certains ministres provinciaux disent qu’ils ne sont pas prêts à ce changement. Eh bien, ils n’ont pas à être prêts. Il n’est pas question de piètre état du système de soins de santé au Canada, ni d’idéologies politiques, ni de préférence des ministres provinciaux. Il s’agit de déterminer si le système d’évaluation et de prestation de l’aide médicale à mourir est prêt à traiter les demandes des personnes ayant des problèmes de santé mentale. Or, quelle que soit votre position par rapport à cette question, les témoignages d’experts indiquent que le système est prêt. Il s’agit fondamentalement d’une question de choix.

Pendant des semaines, les ministres de la Couronne ont préparé le terrain en semant publiquement le doute avant que le rapport ne soit rendu public, et ce, même s’ils ont entendu les témoignages d’experts. Ce n’est pas la mésinformation; c’est plutôt de la désinformation.

J’exhorte tous les sénateurs à rejeter cette motion tendant à ce que le Sénat se réunisse en comité plénier afin d’étudier le projet de loi C-62 parce que le comité mixte spécial n’a pas soupesé et présenté les témoignages de façon équitable dans ses délibérations et qu’il n’a pas respecté son propre mandat, qui se limitait à la préparation de l’administration de l’aide médicale à mourir.

Cette motion signifie que le gouvernement nous demande encore une fois d’adopter un projet de loi sans étude en bonne et due forme. Nous ne retardons pas l’adoption d’un projet de loi. C’est le gouvernement qui a choisi d’attendre, comme il le dit dans ses propres mots, jusqu’après les prochaines élections.

Le gouvernement produit un faux sentiment de panique par rapport aux délais. Nous avons le temps de bien étudier la question. Le gouvernement a lui-même prévu qu’il faudrait peut-être consacrer du temps à cette étude, car il a ajouté dans le projet de loi C-62 des dispositions de coordination qui sont essentiellement un filet de sécurité. Plus précisément, si le projet de loi entre en vigueur après le 17 mars 2024, les dispositions appropriées seront abrogées et entreront en vigueur comme si le projet de loi avait été adopté avant la date limite et les troubles mentaux ne seront pas considérés comme une condition admissible à l’aide médicale à mourir. C’est dans le Code criminel et cela va rester dans le Code criminel. Si nous sommes encore en train d’étudier ce projet de loi le 18 mars prochain, aucune personne dont la maladie mentale est la seule cause sous-jacente ne sera admissible. Il n’y a donc aucune urgence à le faire en une journée, seulement un impératif politique.

Je le répète : la formation en comité plénier n’est pas un processus rigoureux. Nous le constatons ici tout le temps, notamment quand on nous demande de confirmer des nominations d’une durée de cinq ou de sept ans en une heure ou deux.

Nous devons faire notre travail, découvrir ce qui a mal tourné, et permettre aux personnes averties et concernées de se faire entendre; autrement dit, faire éclater la vérité.

Il est dans l’intérêt de tous les sénateurs et de tous les Canadiens que cette institution préserve son intégrité et remplisse son devoir en insistant pour que le projet de loi C-62 fasse l’objet d’un examen minutieux et pour que nous demandions aux comités sénatoriaux de faire ce qu’ils font le mieux.

Le moment est venu d’être courageux, de soutenir ceux qui ont tant fait pour chacun d’entre nous. Il peut s’agir de nos parents ou de nos grands-parents, de nos maris ou de nos femmes, de nos sœurs ou de nos frères, de nos enfants ou de nos voisins; bref, de tous ceux qui souffrent inutilement. Je vous prie de faire ce qui est juste et de leur donner, s’ils le souhaitent, le droit de nous quitter dans la dignité.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Sénatrice Wallin, accepteriez-vous de répondre à une question?

La sénatrice Wallin [ - ]

Certainement.

L’honorable Frances Lankin [ - ]

Merci, sénatrice Wallin, de nous avoir fait part de votre point de vue. Nous avons travaillé toutes les deux sur la question des directives anticipées. Ce n’est pas le sujet de ce soir, et il n’en est pas question dans le projet de loi C-62, mais je suis tout à fait d’accord avec vous sur ce sujet.

J’ai un peu de mal à comprendre les arguments que vous présentez contre la tenue d’un comité plénier. J’ai peut-être mal compris, mais vous semblez dire que le gouvernement nous impose cette façon de procéder. J’ai cru comprendre que c’est le Sénat et les groupes du Sénat qui avaient réclamé que le Sénat se réunisse en comité plénier, et que des efforts incroyables avaient été déployés pour convaincre le gouvernement de rendre deux — et pas juste un seul — ministres disponibles. L’un d’entre eux était absent et a dû réorganiser son horaire pour nous accorder une période prolongée. J’ai assisté à de nombreux débats dans cette enceinte où c’est ce qui se produit, car nous avons tous l’occasion de participer et de poser des questions.

Avez-vous des informations selon lesquelles le gouvernement nous imposerait cela, ou qui indiquent que les leaders ne se sont pas entendus là-dessus lors de leur réunion, à la suite de laquelle le représentant du gouvernement aurait été demander une réponse? Vos propos, une grande partie de vos propos en fait, me laissent perplexe.

La sénatrice Wallin [ - ]

Le leader du gouvernement a présenté une motion pour que le Sénat se forme en comité plénier. Normalement, quand un projet de loi est renvoyé au Sénat — le projet de loi en question devrait nous être renvoyé plus tard cette semaine —, la procédure habituelle veut que nous le renvoyions à notre tour à un comité sénatorial. Nous étudions le projet de loi, nous présentons notre avis au gouvernement et ce dernier accepte ou non nos suggestions.

Comme je l’ai dit dans mon discours, à mon avis — cela fait quelques années que je suis ici maintenant —, le processus du comité plénier n’est pas rigoureux. Il est possible de poser une question et la question de suivi peut arriver 10 ou 15 minutes plus tard, après un cycle complet d’interventions, parce que la façon de faire est très différente.

Il est possible de communiquer les questions aux autres membres de votre groupe, peu importe, mais ce n’est pas le même travail qui est mené au sein des comités — même les nouveaux sénateurs doivent déjà comprendre ce que je veux dire —, où il est possible de poser des questions détaillées à des témoins experts et à des personnes directement intéressées par le sujet. C’est à cela que servent les comités.

Nous savons que les choses ne fonctionnent pas ainsi à la Chambre des communes. C’est une institution entièrement partisane. Les députés sont là pour mener leurs batailles politiques. C’est pourquoi le Canada a le Sénat, où l’on procède à un second examen objectif. Les projets de loi sont renvoyés au Sénat et, s’ils n’ont pas été traités de manière approfondie ou selon la procédure à l’autre endroit, nous pouvons faire la lumière, comme je l’ai dit, sur les questions en jeu.

À mon avis, se constituer en comité plénier pendant deux heures pour entendre deux ministres ne correspond pas à ce que le Sénat est tenu de faire. Notre rôle consiste d’abord et avant tout à passer en revue les projets de loi du gouvernement.

Merci.

La sénatrice Lankin [ - ]

Pourrais-je poser une question complémentaire, avec le consentement du Sénat?

Son Honneur la Présidente [ - ]

Le temps prévu pour le débat est écoulé. Le consentement est-il accordé?

Son Honneur la Présidente [ - ]

J’entends un « non ». Le consentement n’est pas accordé.

L’honorable Rosemary Moodie [ - ]

Chers collègues, je prends la parole au sujet de la motion no 152 du gouvernement. Elle propose, fondamentalement, d’avoir recours à un comité plénier pour faire une étude préalable du projet de loi C-62.

Je tiens à dire dès le départ que mes observations porteront sur le processus à suivre pour notre étude du projet de loi C-62. Il ne s’agit pas ici de discuter de mon opinion sur le fond de la question, ni de la vôtre, ni de celle de qui que ce soit. Il s’agit d’examiner le processus que notre institution doit suivre.

On voit une tendance très préoccupante se dessiner depuis quelques années. L’adoption des mesures législatives par la Chambre de second examen objectif est de plus en plus considérée comme une simple formalité. Nous avons laissé cette situation s’installer parce que, dans un contexte de gouvernement minoritaire, il faut savoir bien jauger les limites pour arriver à accomplir quoi que ce soit.

Bien que nous ayons souvent jugé que c’était la bonne décision, je suis profondément convaincue que dans ce cas-ci, chers collègues, nous devons prendre le temps d’étudier le projet de loi de façon plus poussée et plus approfondie. Un comité plénier de deux heures ne permettrait pas une telle étude.

Le projet de loi C-62 représente une évolution dans l’un des dialogues les plus délicats que le Canada ait connus au cours de la dernière décennie en matière de politiques publiques. L’aide médicale à mourir est une question chaudement contestée qui met à l’épreuve notre démocratie de façon extraordinaire. Étant donné que nous sommes la Chambre de second examen objectif ayant l’obligation constitutionnelle de débattre rigoureusement avant de prendre une décision, 130 minutes ne suffisent pas. Entendre deux ministres, mais aucun autre Canadien, ne suffit pas.

Quelle que soit la décision finale que nous prendrons à l’égard de ce projet de loi, je soutiens qu’un comité plénier tel que décrit dans la motion ne permettra pas au Sénat de s’acquitter de son rôle. Nous devons penser aux Canadiens qui nous regardent, mais surtout, nous devons penser à nos obligations redditionnelles. Lorsque nous réfléchirons à cette semaine dans quelques années, nous devrons pouvoir être fiers de notre travail, et non être embarrassés de ne pas avoir été à la hauteur de la situation.

J’aimerais que nous repensions à une situation que nous avons vécue récemment au Sénat où nous avons été forcés de prendre une décision à la hâte. Je parle du projet de loi C-28. Ce projet de loi a été adopté et a reçu la sanction royale quatre jours après avoir été présenté à l’autre endroit, en juin 2022, après une décision de la Cour suprême rendue en mai de la même année. Vous vous souviendrez, chers collègues, du malaise que nous avons ressenti. Nos estimés collègues législateurs du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles ont été relégués au rang de réviseurs. Nous n’avons pas pu profiter de leur second examen objectif au sujet de ce projet de loi à ce moment-là. Notre hâte a eu des conséquences négatives.

En avril de l’an dernier, après un examen approfondi, le comité a pris conscience que les témoins qui avaient été consultés au sujet de ce projet de loi n’avaient pas l’impression d’avoir été suffisamment consultés. Ils s’inquiétaient des conséquences que le projet de loi C-28 pourrait avoir, y compris de ses effets disproportionnés sur les femmes marginalisées. Les témoins jugeaient que le projet de loi C-28 manquait de clarté et de précision, ce qui pourrait susciter de la mésinformation et de l’incertitude à propos de la loi. C’est justement pour empêcher ce genre de situation que le Sénat existe. Notre rôle est de rendre les choses claires, d’assurer l’équité et de faire participer les Canadiens au processus.

Compte tenu de cette situation récente et étant donné que le sujet revêt une importance énorme sur les plans social, juridique et médical, j’estime que nous devons absolument être diligents dans notre étude du projet de loi C-62.

L’aide médicale à mourir est une question qui touche à de multiples facettes des politiques publiques. Une grande partie des discussions que nous tenons dans cette enceinte au sujet de l’aide médicale à mourir sont axées sur les répercussions juridiques et constitutionnelles du projet de loi. En raison de la disposition de caducité du projet de loi C-7, l’accent a principalement été mis sur les répercussions de l’aide médicale à mourir sur les systèmes de soins de santé. C’est le point central de la position du gouvernement à l’égard du projet de loi C-62.

J’aimerais attirer votre attention sur le fait qu’il existe un troisième angle à prendre en considération, celui de l’opinion publique. Or, en tant que sénateurs non élus, notre relation avec la population est quelque peu différente de celle de nos collègues élus à l’autre endroit. Je crois que cette différence renforce notre démocratie. L’une des forces de cette relation est le fait que nous faisons entendre haut et fort le point de vue de la population dans le cadre des travaux de nos comités.

Je pense qu’il serait naïf de croire que la politique et l’opinion publique n’ont rien à voir avec notre débat d’aujourd’hui. Il ne fait aucun doute que nous devons être conscients de ces forces, mais nous ne devons pas les laisser nous intimider. Nous ne devons pas faire cette étude à la hâte. Nous ne devons pas être relégués au rôle de simples réviseurs. Nous sommes des législateurs. Nous devons faire notre travail.

C’est d’autant plus important parce que tout porte à croire que, encore une fois, l’autre endroit adoptera fort probablement le projet de loi sans examen approfondi.

Chers collègues, je pense que nous devons examiner plus avant les conséquences de ce projet de loi sur le plan du système juridique et du système de santé, ainsi que les revendications qui sont à son origine, notamment celles qui figurent dans le rapport du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir.

Certains pensent qu’il faudrait au minimum doubler le temps imparti au comité plénier. Douze créneaux de 10 minutes, même divisés, ne permettront qu’à une fraction d’entre nous de poser des questions et ne suffiront sûrement pas à réaliser une étude approfondie et minutieuse.

Toutefois, je pense que nous devrions aller plus loin. Je pense qu’il faut faire une étude préliminaire plus approfondie et détaillée de la teneur du projet de loi C-62. C’est une étape nécessaire. Je pense que le Comité des affaires sociales et le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles devraient se pencher sur le sujet. Le Comité des affaires sociales devrait examiner le projet de loi parce qu’il a été présenté par le ministre de la Santé et parce que l’état de préparation du système de santé en est un élément central. Le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles devrait étudier le projet de loi en raison des importantes considérations constitutionnelles qui s’y rattachent.

Je pense que les comités devraient accueillir les deux ministres et les présidents du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir. Cependant, ils devraient également inviter des experts en droit, des responsables de la réglementation dans le domaine de la santé, des Canadiens ayant un vécu personnel et d’autres parties concernées.

Il convient ici de faire une distinction importante entre le mandat du Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir et notre mandat au Sénat.

Selon la version la plus récente de son mandat, le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir devait vérifier le degré de préparation atteint pour une application sûre et adéquate de l’aide médicale à mourir dans les cas où le seul problème sous-jacent est un trouble mental.

En réponse à la recommandation du comité, un nouveau projet de loi a été élaboré, et nous avons maintenant comme nouveau mandat d’étudier le projet de loi dont nous serons saisis. Comme c’est le cas pour tout nouveau projet de loi qui nous est présenté, nous devons, en tant que législateurs, étudier minutieusement toutes les mesures législatives, y compris celles qui reposent sur des travaux antérieurs du Parlement. C’est tout ce que je propose de faire à l’égard du projet de loi C-62.

Une étude préalable en comité permettrait à un plus grand nombre de sénateurs d’aborder la question avec un regard neuf en se concentrant sur les aspects visés par le projet dont nous serons saisis.

Les Canadiens nous regardent, honorables collègues, ils sont prêts à venir nous parler, et nous devons être prêts à les écouter. Même si nous ne pouvons organiser que quelques séances, c’est mieux que rien.

Honorables collègues, les études préalables en comité, jumelées à cette étude en comité plénier, nous permettront d’étudier la question plus en profondeur et de faire le meilleur usage possible de notre temps. Je sais qu’on pourrait considérer que cela exige plus de travail que ce qui est proposé dans la motion, mais je sais aussi que vous êtes prêts à faire ce travail.

Il est crucial de souligner que cette étude préalable ne ralentirait pas — et ne peut pas ralentir — l’examen du projet de loi C-62 quand il nous sera renvoyé et qu’elle permettrait au projet de loi d’aller de l’avant avant même que le comité fasse rapport, le cas échéant.

C’est une question de processus, chers collègues. Nous devons faire notre travail.

Vous savez tous, honorables sénateurs, à quel point cette question est cruciale. Vous le savez parce que vous avez vu d’innombrables reportages dans les médias. Vous avez vu cet enjeu devenir un ballon politique. Vous avez lu les courriels de milliers de Canadiens au cours des dernières années, et je crois que nous ressentons tous le devoir de faire tout ce qui est raisonnablement possible pour que les choses se passent bien. Peu importe nos opinions sur ce sujet, vous savez, chers collègues, que si nous ne faisons pas de notre mieux, nous manquons à notre devoir envers les Canadiens.

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