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Projet de loi relative à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones

Deuxième lecture--Ajournement du débat

27 mai 2021


L’honorable Patti LaBoucane-Benson

Propose que le projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, c’est pour moi un insigne honneur de prendre la parole au Sénat aujourd’hui en tant que marraine du projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Avant de commencer, je tiens à souligner le travail du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, qui a entrepris une étude approfondie de l’objet du projet de loi. Je remercie tous mes collègues du comité, surtout le sénateur Christmas, qui a fait preuve d’initiative en tant que président, pour l’excellent travail que nous avons réussi à accomplir.

Chers collègues, il s’agit d’un projet de loi d’initiative ministérielle historique, qui établira des assises solides pour la mise en œuvre de la déclaration par le gouvernement du Canada. Vous vous souviendrez peut-être que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones a été adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU en septembre 2007 après des décennies de travail de la part de peuples autochtones dévoués des quatre coins du Canada et du monde entier. Je tiens à saluer expressément le chef Wilton Littlechild, un avocat cri, qui a présidé de nombreuses tables rondes à l’ONU et qui a travaillé sans relâche pendant plus de 40 ans dans le but ultime d’obtenir de vrais droits de la personne pour les peuples autochtones au Canada.

Le Canada a adopté la déclaration en 2010 en exprimant certaines réserves, puis il l’a adoptée pleinement en 2016. Je rappelle aux honorables sénateurs que, en 2019, la Chambre des communes a longuement étudié et adopté le projet de loi d’initiative parlementaire de Romeo Saganash, le projet de loi C-262. Le Sénat l’avait également étudié, mais il est mort au Feuilleton à la fin de la législature.

Vous vous souviendrez aussi que, en juin 2019, le gouvernement du Canada s’était engagé dans cette enceinte à présenter une mesure législative similaire à titre de projet de loi d’initiative ministérielle et qu’il a réitéré dans le discours du Trône de 2020 que la déclaration de l’ONU est essentielle à la réconciliation au Canada. Je tiens à saluer les nombreux Autochtones qui ont travaillé sur l’adoption et la mise en œuvre de cet instrument crucial en matière de droits de la personne dans le contexte canadien.

De plus, de nombreuses prières ont été récitées dans le cadre de cérémonies traditionnelles organisées dans tout le pays pour appuyer cet effort. Je suis honorée de jouer un tout petit rôle dans ce mouvement important et d’aider le Canada à passer à la prochaine étape du processus de réconciliation.

Honorables sénateurs, je vous remercie à l’avance de votre examen attentif de ce projet de loi important. Je tiens à souligner les efforts du ministre de la Justice, qui a présenté le projet de loi C-15, qui a été appuyé par la ministre des Relations Couronne-Autochtones. En se servant du projet de loi C-262 comme base de discussion et de dialogue, le gouvernement du Canada a tenu plus de 70 séances de consultation auprès des dirigeants autochtones et d’autres partenaires autochtones, y compris des groupes autonomes et signataires de traités modernes, des titulaires de droits, des organisations de femmes autochtones, des jeunes autochtones et des groupes LGBTQ2S+.

Une grande partie des commentaires et des conseils reçus ont été intégrés dans le projet de loi C-15. Ce dernier comporte quelques différences avec le projet de loi C-262 : par exemple, dans son préambule, on reconnaît clairement les droits intrinsèques des peuples autochtones et l’importance de respecter les traités et les accords, et on souligne la nécessité de tenir compte de la diversité des peuples autochtones durant la mise en œuvre du projet de loi. En outre, le projet de loi C-15 contient des dispositions plus rigoureuses sur l’élaboration et le dépôt du plan d’action et des rapports annuels, entre autres.

Le gouvernement du Canada a également eu des discussions avec des représentants des secteurs des ressources naturelles et des gouvernements provinciaux et territoriaux. Toutefois, je ne peux passer sous silence le fait que certains titulaires de droits issus de traités estiment ne pas avoir été adéquatement consultés durant l’élaboration du projet de loi. Dans leurs mémoires et leurs témoignages, ils ont précisé clairement que, même s’ils appuient la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ils ne sont pas satisfaits de la façon dont le projet de loi a été élaboré.

Dans mes discussions avec les chefs, plus particulièrement en Alberta, il m’est apparu évident qu’ils craignent que la déclaration distraie le gouvernement fédéral de son devoir de remplir les obligations des traités, dont certains sont en suspens depuis plus d’un siècle. Cependant, en toute franchise, les articles de la déclaration devraient aider les titulaires de droits issus de traités à enfin voir se concrétiser les promesses faites dans ces derniers.

Or, je ne blâme aucunement les chefs ou les dirigeants qui ne font pas confiance aux instances gouvernementales. Il existe des blessures de longue date qui doivent être guéries, et j’espère que les instances fédérales, provinciales et municipales s’inspireront des articles de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones pour faciliter la guérison de ces relations fondées sur les traités. En ce qui touche l’élaboration du plan d’action, il ne fait aucun doute que le gouvernement fédéral doit améliorer la manière dont il interagit avec les organisations nationales et les titulaires de droits, notamment sur le plan des consultations.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-15 est un cadre visant à promouvoir l’autodétermination des Autochtones dans le contexte juridique et social du Canada. L’objectif est de créer un espace respectueux qui favorise la réflexion et le travail méthodique, où le Canada pourra collaborer avec les Autochtones en vue d’harmoniser les lois fédérales aux articles de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Il s’agit aussi de créer un plan d’action où nous pouvons tous collaborer à la recherche de solutions pour remédier aux problèmes systémiques profonds qui continuent de causer des traumatismes et des conséquences dramatiques pour les communautés autochtones. En vertu du projet de loi C-15, le gouvernement du Canada doit mener tous les travaux en consultant les Premières Nations, les Métis et les Inuits et en collaborant avec eux. Le projet de loi C-15 reconnaît l’article 35 de la Constitution et prend appui sur ce dernier. Par ailleurs, il tient compte de la jurisprudence relative à l’obligation du Canada de mener des consultations, et il réitère la nécessité d’interpréter les lois canadiennes à la lumière de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Malheureusement, beaucoup de Canadiens n’entendent parler de l’autodétermination des Autochtones que dans le contexte des grands projets et de la définition du consentement. Nous sommes apparemment obsédés par le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause et incapables de discuter de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dans tout autre contexte. Je propose donc avec plaisir une autre façon de réfléchir à la mise en œuvre de la déclaration.

Honorables sénateurs, le Sénat a été saisi, en février, d’un projet de loi qui a amené beaucoup de sénateurs, à juste titre, à parler du suicide et des services nécessaires pour régler les problèmes de santé mentale. Dans ce contexte, bon nombre d’entre nous ont parlé avec fougue des peuples autochtones et du fait qu’ils doivent avoir accès à des interventions adaptées à leur culture.

Fait intéressant, en 1998, Chandler et Lalonde ont publié les conclusions d’une étude portant sur près de 200 groupes autochtones de la Colombie-Britannique, pendant laquelle ils avaient constaté que le taux de suicide était 800 fois plus élevé que la moyenne nationale dans certaines communautés, mais que le suicide était pratiquement inexistant dans d’autres communautés. Curieux de comprendre les raisons de ces différences, ils se sont penchés sur des indicateurs comme l’autodétermination, les revendications territoriales, et le fait pour une communauté d’avoir ses propres services adaptés à sa culture dans le domaine des services policiers, de la santé, des services sociaux et de la culture. Ils ont découvert que le taux de suicide des jeunes était à son plus bas dans les communautés qui s’employaient activement à préserver et à restaurer leur culture. L’analyse a montré que chacun des six indicateurs de la continuité culturelle était associé, du point de vue clinique, à une réduction importante du taux de suicide chez les jeunes.

Tout cela pour dire qu’on s’est rendu compte qu’il existe une excellente façon de répondre aux sentiments de désespoir, de détresse et d’impuissance que les jeunes Autochtones ressentent dans les communautés en difficulté qui sont assujetties à la Loi sur les Indiens. Il s’agit de promouvoir l’autodétermination de ces communautés.

Le projet de loi C-15 appelle le gouvernement du Canada à veiller à ce que les dispositions législatives actuelles et futures du pays s’accordent avec les articles de la DNUDPA afin que toutes les mesures législatives nécessaires soient mises en place pour enfin abroger la Loi sur les Indiens.

Pour mes collègues qui se préoccupent du développement économique, je précise que la DNUDPA oblige le Canada et l’industrie à inclure les peuples autochtones dans la prise de décisions dès les premières étapes d’un projet. En appliquant ce cadre axé sur le consentement, on s’assurera que toutes les préoccupations seront également prises en considération et que les solutions tiendront compte de tous les points de vue. Au lieu de conférer un droit de veto, cette approche offre un processus d’approbation des projets viable et logique.

Ainsi, le projet de loi C-15 encouragerait une participation accrue des communautés autochtones à l’économie canadienne, ce qui permettrait, au fil du temps, de bâtir des communautés plus fortes et dynamiques et de stimuler l’emploi et la croissance économique d’une façon qui profiterait à l’ensemble du pays. L’application d’un cadre axé sur le consentement est peut-être le seul moyen concret de faire avancer les projets actuels et à venir.

Il est vrai que les dirigeants autochtones et de l’industrie souhaitent définir le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Il est vrai également que nous n’avons pas à réinventer la roue. Il suffit de penser au travail accompli en collaboration entre les communautés autochtones et le secteur du gaz naturel liquéfié pour voir comment fonctionnerait la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. En outre, le pacte mondial international montre comment les compagnies peuvent mener leurs activités tout en respectant les normes en matière des droits de la personne, du travail, de l’environnement et de lutte contre la corruption. Plus de 13 000 entreprises ont adhéré au pacte mondial, dont de nombreuses compagnies canadiennes.

Comme nous en sommes à l’étape de la deuxième lecture, j’aimerais faire un survol des objectifs du projet de loi et des obligations qu’il prévoit, et parler de la manière dont les amendements adoptés à l’autre endroit renforcent le projet de loi dont nous sommes saisis.

L’article 4 énonce l’objet du projet de loi, qui est de confirmer que la déclaration constitue un instrument international universel en matière de droits de la personne qui trouve application en droit canadien. Il reconnaît que la déclaration peut être utilisée pour interpréter la loi canadienne à l’instar d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de la personne. Ainsi, le projet de loi C-15 reflète les pratiques existantes et les principes juridiques actuellement en usage dans les tribunaux. Je veux être claire. Le projet de loi C-15 ne fait pas de la déclaration une loi canadienne. Autrement dit, la déclaration ne deviendra pas juridiquement contraignante et ne sera pas directement applicable par les tribunaux canadiens.

En même temps, le deuxième volet de l’objet du projet de loi C-15 est d’encadrer la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies par le gouvernement du Canada. Le cadre comporte deux aspects.

D’abord, le gouvernement du Canada passerait en revue les lois pour qu’elles tiennent compte des normes définies dans la déclaration tout en respectant les droits qui sont déjà reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle. Honorables sénateurs, ce processus prendra un certain temps. Il appuiera l’autodétermination et l’exercice de l’autonomie gouvernementale, nous rapprochant ainsi du jour où la Loi sur les Indiens deviendra obsolète. Je rappelle au Sénat que ce travail est déjà en cours : en avril 2020, neuf lois fédérales faisaient déjà référence à la déclaration et avaient été créées dans l’esprit de celle-ci.

Ensuite, à l’entrée en vigueur du projet de loi C-15, le gouvernement du Canada doit élaborer et mettre en œuvre, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, un plan d’action afin d’atteindre les objectifs de la déclaration. Si les détails du plan doivent être élaborés en collaboration, le projet de loi établit les normes minimales générales qui doivent être incluses. Le plan doit notamment comporter des mesures visant à lutter contre les injustices, à combattre les préjugés et à éliminer toute forme de violence, de racisme et de discrimination, notamment le racisme systémique auquel se heurtent les peuples autochtones, des mesures visant à promouvoir le respect et la compréhension mutuels grâce à la formation sur les droits de la personne, et des mesures de contrôle et de reddition de comptes.

En décrivant ces exigences, le projet de loi souligne que nous devons tenir compte des besoins particuliers des aînés, des femmes, des personnes qui s’identifient comme bispirituelles ou qui représentent autrement la diversité des genres, des enfants et des jeunes, ainsi que des personnes handicapées. Après avoir travaillé en consultation et en coopération avec les peuples autochtones, ces normes minimales seront développées et transformées en un plan d’action.

Le plan d’action comprendrait également des mesures pour faire le suivi de la mise en œuvre du plan lui-même, ainsi que des mesures pour le réviser et le modifier. Cela signifie que le plan peut être mis à jour et ajusté au fil du temps lorsque les priorités changent. Honorables sénateurs, s’il y a une leçon que nous avons apprise au cours de la dernière année, c’est que nous devons être en mesure de nous adapter aux changements qui surviennent à l’échelle mondiale, nationale, régionale et même locale.

Pour faire suite aux témoignages autochtones, le projet de loi C-15 a également été modifié au comité de l’autre endroit. Voici quelques exemples d’amendements : faire passer de trois ans à deux ans le calendrier de conception du plan d’action, ce qui constitue un amendement bienvenu émanant de témoins, de dirigeants autochtones et de partenaires; ajouter des références spécifiques au racisme et à la discrimination, y compris au racisme systémique dans l’article 6 du projet de loi, afin d’assurer l’uniformité, le même langage ayant été ajouté au préambule; ajouter des références spécifiques aux doctrines de la découverte et de terra nullius dans le paragraphe du préambule qui fait référence à toutes les doctrines, politiques et pratiques reposant sur la supériorité raciale — le fait de nommer ces doctrines renforce l’idée qu’elles n’ont pas leur place dans les relations que nous entretenons avec les peuples autochtones; ajouter dans le préambule que les tribunaux canadiens ont reconnu que les droits ancestraux et issus de traités ne sont pas figés dans le temps et qu’ils peuvent évoluer, ce qui correspond à la reconnaissance du rôle de l’article 35 en tant que composant clé du cadre constitutionnel canadien. Le dernier amendement qui a été adopté consiste en un changement grammatical à l’article 4, qui énonce l’objet de la mesure législative.

En terminant, chers collègues, je veux que vous sachiez que le processus de mise en œuvre de la déclaration est attendu depuis longtemps. Comme l’a dit La Merveille, le numéro 99 : « Je patine vers l’endroit où la rondelle ira [...] ». Les Canadiens sont prêts pour la mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, et le projet de loi C-15 correspond vraiment à ce que croit déjà la majorité des Canadiens.

D’après un sondage Nanos mené en 2020, presque les deux tiers des Canadiens sont d’accord ou plutôt d’accord pour que le gouvernement du Canada mette en œuvre la déclaration des Nations unies.

En 2015, après avoir parlé à plus de 7 000 survivants ainsi qu’à des historiens, des juristes et des fonctionnaires, la Commission de vérité et réconciliation a formulé 94 appels à l’action à des fins de guérison et de réconciliation. Ces appels s’inscrivaient dans un rapport de fond sur les effets intergénérationnels des pensionnats autochtones sur les survivants, de même que leur famille et leur communauté. La commission a demandé aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, ainsi qu’aux administrations municipales, de pleinement adopter et mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et de s’en servir comme cadre de réconciliation.

Chers collègues, le projet de loi C-15 est une réponse législative concrète aux conclusions de la Commission de vérité et réconciliation. Cette dernière a aussi demandé à tous les groupes confessionnels au Canada d’adopter officiellement les principes et les normes de la déclaration comme cadre de réconciliation et de respecter ce cadre. Depuis, le Conseil canadien des Églises, qui représente 25 confessions membres et plus de 85 % des chrétiens au Canada, a exprimé son appui pour la déclaration et, plus récemment, pour le projet de loi C -15. Le Centre consultatif des relations juives et israéliennes a aussi publié une lettre pour exprimer son appui à la déclaration et au projet de loi C-15. Bon nombre de groupes confessionnels sont favorables à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, par exemple la coalition Faith in the Declaration, qui est composée d’organismes confessionnels canadiens travaillant ensemble pour appuyer la mise en œuvre de la déclaration. La coalition a dit ceci :

[...] le projet de loi C-15 fournit au gouvernement fédéral un cadre pour créer le changement de paradigme nécessaire à une réinitialisation et adopter un cadre pour établir des relations de travail de confiance avec les nations et les communautés autochtones qui sont essentielles pour s’éloigner de la colonisation.

Chers collègues, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est fortement appuyée par les églises. Pendant plus d’un siècle, la religion a été utilisée comme un instrument au service de la colonisation. Des enfants ont été arrachés à leur famille et placés de force dans des pensionnats. On leur a appris que leur spiritualité — la compréhension qu’ils avaient du Créateur et de toute la création — était barbare et démoniaque. Il est significatif que les mêmes églises qui lavaient le cerveau des enfants dans une optique colonisatrice aient non seulement présenté des excuses pour leurs actions, mais aussi qu’elles aient pris des mesures pour sensibiliser la population et respecter le droit des peuples autochtones à ne pas être assimilés, comme le stipule l’article 8, à pratiquer leurs traditions, coutumes et rites religieux et spirituels, comme le stipule l’article 12, et à éduquer leurs propres enfants, comme le stipule l’article 14. C’est cela, la réconciliation en action.

En conclusion, il est temps de s’engager à faire respecter et à protéger les droits des peuples autochtones et de s’attaquer collectivement aux effets de la colonisation et du racisme et de la discrimination systémiques. Il est temps de donner suite concrètement aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation ainsi qu’au rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Il est temps d’honorer la déclaration de l’ONU et il nous faut poursuivre nos efforts pour renouveler et resserrer les relations de nation à nation, entre les Inuits et la Couronne, et de gouvernement à gouvernement. Le temps est venu de formaliser notre engagement et de créer un cadre qui nous mette sur la voie d’une véritable réconciliation.

Honorables sénateurs, je vous remercie à l’avance de la contribution que le Sénat s’apprête à apporter à l’étude du projet de loi C-15.Hiy hiy.

L’honorable Mary Jane McCallum [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-15, Loi concernant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Pour commencer, j’aimerais vous lire un passage pertinent du document The Politics of Jurisdiction: Pathway or Predicament, rédigé par l’auteur Augie Fleras. À la section intitulée « Remaking Canada: Muddling Through Models », l’auteur dit :

Le Canada est le projet pilote d’une grande idée : l’idée que des personnes très différentes peuvent partager territoire, ressources, pouvoir et rêves tout en respectant et en entretenant leurs différences.

L’auteur poursuit :

Certes, la condition des Autochtones continue de représenter le plus grand échec moral du Canada. Les gens sont à la fois démoralisés et dépossédés par une répartition de la richesse du territoire dont ils sont exclus [toutefois] les gouvernements acceptent l’idée que : a) les Autochtones forment une société distincte; b) leur culture et leur société sont menacées; c) leur survie dépend de l’exercice, par le gouvernement, de ses responsabilités de fiduciaire; d) ils désirent exercer un contrôle accru selon leurs priorités locales; e) ils préfèrent atteindre leurs objectifs en partenariat avec les autorités centralisées. La reconnaissance, par le gouvernement, de la nécessité d’entretenir des relations de gouvernement à gouvernement avec les Autochtones est un bon signe (Fontaine, 1998), tout comme la promesse de traiter les Autochtones comme des partenaires égaux dans tous les pourparlers constitutionnels.

Honorables sénateurs, les Premières Nations au Canada cherchent depuis longtemps des façons de mettre fin au colonialisme ici même au pays. En tant que Premières Nations souveraines, nous cherchons, dans nos relations avec les Canadiens et le Canada, à réduire l’influence de l’État et à réaffirmer notre volonté de mettre en œuvre nos propres modèles d’autodétermination. Pour plusieurs, cela signifie le rétablissement des traditions juridiques autochtones afin qu’elles servent de fondement à la régénération et aux réformes, autant au niveau local qu’au niveau national.

Honorables sénateurs, il est temps que vous nous laissiez voler de nos propres ailes. Nous en avons assez d’être menottés et de ne pas pouvoir exercer pleinement un grand nombre de nos droits, en particulier sur nos terres. Nous en avons assez de devoir nous battre contre les nombreuses formes d’oppression et nous voulons prendre notre avenir en main. Nous voulons que nos droits soient entièrement respectés, qu’il s’agisse des droits de la personne, des droits territoriaux ou des droits relatifs aux ressources naturelles.

Je vais de nouveau citer l’ouvrage que j’ai mentionné plus tôt. À la page 107, l’auteur affirme ceci :

Non seulement le principe de condition autochtone remet en question la légitimité de l’État souverain en tant qu’autorité suprême pour la détermination de qui est responsable de quoi (Maaka et Fleras, 1997), mais il sert également de catalyseur pour l’avènement de schémas novateurs d’appartenance qui reflètent et consolident la notion de « nation » dans le cadre d’une souveraineté partagée. Le point central des « [...] demandes concernant l’autodétermination des Autochtones est axé [...] sur l’établissement de relations égalitaires quant à l’autonomie respective de peuples fondamentalement autonomes dans le respect constructif des différences et dans un esprit d’accommodement. »

La définition des champs de compétence est de moins en moins utile pour gérer les relations entre l’État et les Autochtones lorsqu’elle dégénère en luttes de pouvoir pour savoir qui aura la responsabilité de tel ou tel domaine, comme cela se produit au Canada depuis de nombreuses années et comme cela est en train de se produire avec le projet de loi C-15 et le plan d’action proposé.

Cela est vrai, que l’on considère les intérêts de l’État fédéral, ceux des provinces et des territoires ou ceux des Premières Nations.

Étonnamment, l’industrie semble également exercer une influence massive, contrairement aux principes de l’autodétermination.

La relation conflictuelle engendrée par le projet de loi C-15 ne fait que renforcer le colonialisme qui est soi-disant remis en question. Le projet de loi ne définit aucune vision claire ni aucun principe ferme, ce qui ne fait qu’occulter les éléments clés que nous devons voir pour confirmer qu’il s’agit du début d’une relation nouvelle et améliorée, une relation dans un esprit de coexistence coopérative qui mènera à l’établissement d’un partenariat entre les peuples dans le cadre d’une relation de gouvernement à gouvernement. C’est ce que veulent les Premières Nations.

Voici de nouveau une citation de l’auteur Augie Fleras :

La décision Delgamuukw a reconnu la validité des revendications territoriales des Autochtones ainsi que des pouvoirs connexes qui n’ont jamais été cédés par un traité ou un accord. Un tel aveu confirme la perception des Autochtones selon laquelle l’autochtonité forme l’un des trois ordres de gouvernement au Canada, au même titre que le provincial et le fédéral, qui sont autonomes dans leurs sphères de compétence respectives, mais qui partagent pourtant la souveraineté du Canada dans son ensemble (CRPA, 1996).

L’auteur poursuit encore :

Les dirigeants autochtones ont un programme politique national qui vise à arracher des compétences aux autorités fédérales et provinciales tout en réaffirmant que les peuples autochtones sont des communautés politiques fondamentalement autonomes, qui forment une société souveraine exerçant des compétences multiples, mais partagées.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-15 nous permettrait-il d’atteindre cet objectif? Non. Le projet de loi C-15 est une entente inoffensive qui vise à nous déléguer des pouvoirs et des responsabilités pour faire respecter les droits que nous possédons.

Je tiens à confirmer que de nombreux dirigeants autochtones ont joué un rôle déterminant dans l’élaboration de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et son adoption par l’Assemblée générale des Nations unies.

Comme l’a déclaré l’Association du Barreau autochtone :

Les progrès qu’ils ont réalisés pour reconnaître, respecter, mettre en œuvre et appliquer les droits des Autochtones ont permis de jeter des fondements solides, qui permettront au Canada et au monde entier d’emboiter le pas. Nous reconnaissons et honorons le travail qu’ils ont accompli pour nous amener là où nous sommes aujourd’hui.

Moi aussi, je reconnais et je respecte leur travail. Voilà pourquoi je déclare aujourd’hui que les peuples autochtones veulent collaborer avec le Canada dans ce processus en tant que partenaires à part entière. Nous ne voulons pas de paroles qui ne sont pas accompagnées de gestes concrets, comme ce fut le cas par le passé. Nous ne voulons pas que les intérêts d’autres parties, comme l’industrie, aient préséance sur le respect de nos droits fondamentaux.

Toutefois, c’est le projet de loi lui-même, et non la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, qui pose problème. Je ne comprends toujours pas pourquoi le texte du projet de loi C-15 est plus édulcoré et ambigu que celui de la vaste majorité des projets de loi fédéraux au Canada. Pourquoi a-t-on formulé ainsi ce projet de loi? L’ambiguïté est évidente et a été soulignée par des juristes et des parlementaires. Beaucoup d’entre nous n’y voient que des déclarations de bonnes intentions, et pas suffisamment d’idées claires et tangibles sur la manière de réaliser sa mise en œuvre.

Chers collègues, qu’arrivera-t-il le lendemain de l’adoption du projet de loi? En quoi les droits des Autochtones seront-ils mieux respectés et la vie des Autochtones, mieux protégée? Si le projet de loi n’indique pas de manière explicite que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones sera pleinement appliquée au Canada, il sera sans effet.

Puisque le projet de loi manque de clarté et ne définit pas précisément une orientation, nous sommes soumis encore une fois aux volontés paternalistes et aux ordres du gouvernement au pouvoir. C’est là une chose que je ne veux pas et ne peut pas continuer à faire.

Je tiens donc à dire que j’ai l’intention de présenter et d’appuyer les amendements au projet de loi qu’a demandés l’Association du Barreau autochtone. S’ils ne sont pas adoptés à l’étape de l’examen en comité, je les soumettrai au Sénat lors de la troisième lecture. Merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Sénatrice McCallum, accepteriez-vous de répondre à une question de la sénatrice Coyle?

La sénatrice McCallum [ - ]

Oui, bien sûr.

L’honorable Mary Coyle [ - ]

Je vous remercie de vos observations, sénatrice McCallum. Il s’agit d’un enjeu difficile. Nous avons déjà fait ce chemin ensemble à deux reprises, pour l’ancien projet de loi et le projet de loi actuel. Il est facile de comprendre pourquoi beaucoup d’Autochtones se méfient du gouvernement fédéral. Vous avez mentionné le grand échec moral du Canada; nous avons examiné tout cela en profondeur et nous continuerons de le faire.

Pendant notre étude préalable du projet de loi C-15, nous avons entendu quelques témoins autochtones qui étaient contre l’adoption du projet de loi. D’autres souhaitaient des amendements, comme vous l’avez mentionné. D’autres encore disaient vouloir simplement que cette mesure législative historique sur les droits de la personne soit adoptée le plus tôt possible; ils trouvent que l’attente a déjà assez duré et craignent qu’on manque de temps pour adopter le projet de loi, une fois de plus, s’il y a des amendements. À titre d’exemple, Me Pam Palmater a dit ceci : « Il est plus que temps que le Canada prenne les mesures nécessaires pour appliquer la DNUDPA dans ses propres lois. » Elle a ensuite ajouté ces observations sous forme de questions et réponses :

Le projet de loi C-15 va-t-il nous aider à aller dans la bonne direction? Oui, tout à fait [...]

Est-ce que je fais confiance au gouvernement pour ce qui est de l’interprétation, de la mise en œuvre et du respect des droits? Absolument pas. L’histoire nous a montré que les gouvernements feront tout ce qu’ils peuvent pour s’opposer à chacun de nos efforts, mais ça, c’est la prochaine étape. Nous devons d’abord avoir les outils avec lesquels défendre nos droits de la personne.

Sénatrice McCallum, étant donné les arguments avancés par la professeure Palmater et tant d’autres témoins qui sont en faveur du projet de loi et qui prônent que l’on passe à l’action dès maintenant, pouvez-vous me dire pourquoi vous souhaitez présenter des amendements, ce qui pourrait retarder ou même compromettre l’adoption du projet de loi? Merci.

La sénatrice McCallum [ - ]

Je ne suis pas d’accord. J’ai souvent changé d’avis au sujet du projet de loi. J’ai eu l’intention de voter pour et j’ai eu l’intention de voter contre. À la quatrième fois, je me suis dit qu’il fallait mettre le doigt sur ce qui me dérange. J’ai prononcé mon discours aujourd’hui pour parler encore une fois de la relation entre les peuples autochtones et le gouvernement du Canada, et soulever les problèmes que nous avons toujours eus et que nous avons surmontés, même sans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. C’est grâce à la détermination et à la fougue des peuples autochtones, et au fait qu’ils se sont réapproprié le pouvoir, que notre mouvement a avancé.

Lorsque je lis que certains peuples autochtones appuient le projet de loi — celui-ci suscite toujours des appuis —, je constate qu’ils veulent voir la pleine participation de la nation métisse et des territoires. Ils veulent participer pleinement à l’élaboration et à la prestation de programmes aux Autochtones. Il y a eu de l’inaction de la part du Canada, ce qui est troublant, et ils espèrent que le cadre de reddition de comptes fonctionne.

La communauté de Whapmagoostui a dit la même chose. Elle veut que le Canada adopte une approche honorable et honore les conditions posées par les peuples autochtones. Il faut proposer ce genre d’approche parce que tout le monde dit que nous avons des appuis, mais presque tous ces gens posent des conditions. Ils sont très confiants. Ils ont des craintes, mais ils sont prêts à aller de l’avant. Je vais proposer les amendements. Ce sera au Sénat de décider s’il veut les adopter. Ces amendements ont été proposés à la Chambre des communes et n’ont pas été pris en considération.

J’ai examiné ces amendements, et j’ai consulté l’Association du Barreau autochtone, et nous allons le faire de nouveau. À ce stade-ci, si on rejette le fardeau sur mes épaules en me disant que je pourrais empêcher l’adoption de ce projet de loi en proposant ces amendements, je répondrai que le Canada aurait dû adopter ces amendements pour m’éviter d’avoir à en parler de nouveau.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Sénatrice McCallum, je suis désolée d’avoir à vous interrompre, mais votre temps de parole est écoulé.

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